Il se gava de la délicieuse ambroisie sans aucune retenue, se délecta de la sensation générée par l'acte lui-même. La bête se réjouissait toujours de pouvoir ainsi répondre à l'un de ses instincts primaires.

La félicité engendrée prit pourtant fin bien trop rapidement ; La faë tout d'un coup s'éclipsa. Seul subsista dans le miroir le reflet du stryge aux lèvres et au menton souillés du nectar couleur carmin. La danseuse traversa la matière qui le constituait, se retrouva hors de sa portée. A son tour elle attaqua, passa outre la cage thoracique de l'ange noir et s'empara sans douceur de son cœur...

Un cri plaintif s'éleva dans la loge – Daniel se retrouva cloué sur place. Son palpitant n'apprécia guère le traitement infligé ; La respiration de l'Upir se fit légèrement haletante, il blêmit.  « .. Arrêtez... » Siffla-t-il.

Lentement il chut, posa un genou à terre, comme une pseudo-soumission, un abandon. Son front doucement vînt se poser contre le rebord de la coiffeuse : La position qu'il emprunta donnerait sans doute à Déva une impression de victoire.


Le stryge souffrait. Il porta une main à sa poitrine, comme si ce simple geste pouvait à lui seul amenuiser le mal provoqué. Simple réflexe, totalement inutile. Les ongles de la faë marquaient la chair censée être physiquement inatteignable - La sensation était terrible.

« .. Arrêtez.... Je vous en prie. » Même si cela lui coûtait, il n'avait d'autre choix que de s'écraser, obtempérer. La danseuse maîtrisait la situation ; Une brusquerie de sa part, ou de la sienne et il perdait la vie. Il était obligé de rester ainsi à la merci de l'autre... Jusqu'à ce qu'elle mette un terme à la constriction imposée.

« Je n'aurais pas dû vous... » Il ne termina pas sa phrase, elle comprendrait. « S'il vous plait.» Il l'amadouait et la douleur rendait sa requête sincère. Uniquement dans la forme... Mais pas dans le fond.  Les paroles émises ne lui ressemblaient pas.

Aucune possibilité d'y déceler du mensonge cependant, car il n'aspirait qu'à une chose ; que cela cesse. Que cette torture prenne fin et qu'il puisse ensuite – Et si possible - lui démontrer toute l'étendue de son extraordinaire fourberie [... ]

(c) AMIANTE

Amuse-Bouche

feat. Daniel

Un cœur palpitant dans la main, je ne réalisais pas encore ce que j'étais en train de faire. L'homme ne mit pas longtemps avant de choir à genoux devant moi mais encore une fois, je ne réagissais qu'en affirmant d'avantage ma prise sur son organe, toujours aussi vital malgré qu'il soit un être à la vie non-écourtée. Peut-être que j’étais trop naïve vis-à-vis des Stryges. En connaitre plusieurs ne me permettait pas de pouvoir affirmer qu'ils étaient tous trempés du même acier. Ceux que je connaissais avaient leurs tords, mais je pouvais leurs faire confiance. Vraisemblablement, celce n’était pas le cas de celui-là. Il était couard, et profitait de la moindre faiblesse, de la plus petite distraction. Pourtant, quand sa voix plaintive et emprunte de douleur s'éleva, j'hésitais...

-   .. Arrêtez... Arrêtez.... Je vous en prie.  Je n'aurais pas dû vous...

Ma poigne resta la même, mais le doute passa sur mon visage au regard pourtant toujours aussi noir. Il n'aurait pas dû, bien sûr que non, mais voilà... Je n'étais pas de ceux qui appréciaient faire du mal. Au contraire je répugnais à cela, et préférais les âmes lumineuses bien que je semblais toujours m'attacher à celles bien plus sombres que la mienne. Jusque-là, je m'étais agrippé à deux d'entre elles. Je leur rendais couleurs et clarté, mais lui... lui qui venait de me mordre n'aurait pas le droit à la clémence dont je savais faire preuve. La force avec laquelle je maintenais son cœur se fit pourtant moins puissante, signe que je me mentais à moi-même... J'étais déjà en train de céder aux suppliques... Il gagnait.

- S'il vous plait.

Durant quelques secondes, je retins mon souffle pour l'observer dans le reflet du miroir. Son visage était marqué d'une douleur insupportable. Il n'avait plus rien de l'être fier et hargneux qui m'avait abordé dans le salon, puis attaqué ici sans remords. Pourquoi devrais-je en avoir ? Alors que lui faisais sans doute preuve de cruauté voir de malveillance. Mais son regard et sa voix brisa mes convictions et ma haine, malgré la sensation de mon propre sang qui coulait de mon cou pour tâcher mes vêtements de scène.

- Est-ce que tu aurais eu pitié si je t'avais supplié ainsi ?

Question rhétorique, je n'attendais pas de réponse et je croyais déjà connaitre la réponse : bien sûr que non. Il n’aurait pas eu pitié, il m'aurait vidé de mon sang. Pourtant je relâchais peu à peu ma prise, incapable de lui faire du mal encore longtemps. Une pensée pourtant me fit douter. Je ne le connaissais pas, mais... qu'allait-il faire une fois libéré de ma prise ? Il avait sans doute agit sous l'effet d'un coup de colère... Parce que je l'avais éconduis. Il n'en resterait pas là. Guidé par la vengeance il ne voudrait pas lâcher sa proie. Alors quoi faire ? D'un côté je ne voulais pas l'abattre, de l'autre, je tenais tout de même à la vie... c'était le moment de paniquer. Profitant de sa douleur et de la confusion dans laquelle ma question devait l'avoir laissé, je lâchais rapidement son cœur, retrouvais ma main ensanglantée pour faire volteface pour traverser le mur et filer à toute vitesse dans le couloir...

(c) AMIANTE

C'est grâce à son exécrable fausseté qu'il parvînt à se défaire de ce blocage imposé par la faë. Son petit jeu de dupe fonctionna à merveille et elle mit un terme à la torture qu'elle lui infligeait, lui posant au préalable une question à la réponse toute connue d'avance.

… La pitié ? … Ce terme, il y avait bien longtemps qu'il avait apprit à l'ignorer. Si humain il l'avait éprouvé, désormais il n'était rien de plus qu'un prédateur féroce.



Daniel éprouva un véritable soulagement lorsque la danseuse ôta sa main de sa cage thoracique. Libéré de cet infâme pression, il se sentit renaître. Il s'observa un instant dans la glace, se vit reprendre des couleurs, retrouver sa prestance habituelle. Et sans perdre une minute de plus, il quitta à son tour la pièce.


Comme si la leçon ne lui avait pas suffit, vivement, il se mit à la courser. N'étant pas capable de traverser les murs, il n'eut d'autre choix que d'emprunter un dédale de couloirs, ouvrant des portes au hasard, surprenant quelques individus qui se trouvaient derrière celles-ci.

Tenter de passer inaperçu dans cette partie de l'établissement ne l’intéressait plus, il voulait récupérer celle qui lui avait échappé. « L'on ne t'a jamais apprit Déva, que la pitié est pour les faibles...  » Lança t-il à voix haute à l'attention de celle qu'il traquait, la tutoyant comme elle l'avait fait.

Il savait qu'elle n'était pas si loin que cela.

Il s'arrêta un instant, fit silence et se servit de ses sens pour tenter de la localiser, cherchant à capter dans l'air l'odeur de ce sang qu'il chérissait tant.


Un peu plus loin, une silhouette se découpa au bout du corridor. Un gringalet d'une vingtaine d'année se dirigeait vers le stryge qui reconnut le pianiste des lieux. L'humain le dévisagea brièvement et dit ; «  Monsieur... ? Cet endroit est exclusivement réservé aux membres du... » Il ne put compléter sa remontrance. L'immortel l'attrapa, l'entraîna dans la pièce la plus proche et s'y enferma avec lui.

« Puisque tu m'as fait faux bon.... Tu ne vois aucun inconvénient à ce que je déverse ma frustration sur ton cher collègue ?  » Lança t-il, quasiment certain d'être entendu de celle qu'il convoitait.

L'Upir attrapa « l’appât » par l'un de ses poignets, le fit plier sous sa force, à genoux devant lui. Il s'empara de l'un de ses doigts et avec une atroce lenteur le lui retourna, à l'opposé de sa courbure naturelle. Un bref craquement accompagna le cri déchirant du gamin, tandis que Klein déjà, se préparait à poursuivre son entreprise.


… S'il ne pouvait retrouver directement la danseuse, alors il la ferait venir à lui. Et si elle ne faisait pas réapparition, alors, l'humain paierait à sa place.

(c) AMIANTE