Qu'est-ce qu'il foutait là déjà ? Assit sur cette chaise bien trop inconfortable à écouter, du moins faire semblant, le type qui blablatait sur la puissance de l'amour éternel et le feu sacré du lien entre deux personnes s'aimant au-delà des obstacles de la vie gnyagnyagnya. Mais ferme-là ! Si Requiem n'avait pas été un minimum éduqué, il se serait levé, lui aurait fait bouffer sa chaise ainsi que le chapeau de la vieille dame qui se trouvait devant son nez. Laid, disproportionné et complètement en inadéquation avec le reste de sa tenue, le Nuckelavee ne pouvait cependant pas en détaché son regard tellement cela le outrait. Bon, niveau vestimentaire on ne pouvait pas non plus le féliciter. Son costume entièrement noir détonnait avec le reste de l'assemblée aux couleurs gaies et chaudes, mais il avait dit à Zohra : « Soit je mets ça, soit je reste là ! ». Il avait mal joué son coup, lui qui pensait qu'elle allait craquer son slip et y aller sans lui … Que Nenni ! Elle avait accepté ! Parce que soit disant, il devait être présent pour ses amis … Mais il ne les connaissait même pas les types ! Ce n'était parce qu'il était blanc, que tous les autres blancs étaient ses potes ! « Du Racisme à l'état pur » qu'il lui avait gueulé quand elle l'avait tiré du canapé.

Cela dit, rien à faire, il se trouvait là les bras croisés et l'air sinistre. Il n'aimait pas les mariages. Il n'aimait pas les gens. Il n'aimait pas sortir. Il n'aimait pas discuter. Il n'aimait vraiment et toujours pas ce chapeau. Et surtout, Ô grand surtout, il n'aimait pas ce type qui lorgnait sur son indienne depuis tout à l'heure. Râlant toutes les deux secondes en silence et gigotant sur son siège bien que cela le fatiguait plus qu'autre chose, il attrapa la main de Zohra et la serra dans la sienne, signe que quand même … Fallait pas pousser l'intolérant au lactose dans une marmite de vache kiri ! Il lui jeta un regard, souriant un tout petit peu pour faire mine que tout allait bien avant de se mettre à fixer sans scrupule le don Juan de bas étage. Il savait se montrer dérangeant, même que parfois il ne le faisait pas exprès mais là, tout était sous contrôle. Ses grandes pupilles noires glaciales ne quittèrent pas une seconde celles de son adversaire du rang d'à côté et le combat fut d'une férocité déconcertante. Cela dit, quand il aperçut le clin d’œil et sa bouche en cœur, il se redressa droit comme un I dans son dossier. Merde, ce n'était pas du tout Zohra la cible ! Requiem déglutit tellement fort que la dame au chapeau se retourna, lui crevant au passage un œil à cause d'une plume multicolore, pour lui shuuuter à laggle. Grognant un peu de s'être fait remit à sa place pour rien et pour avoir été presque un peu borgne, il se tint enfin tranquille sur sa chaise.

… 35,36,37,38,39,40 … Cela faisait quarante fois que le gars à côté de lui pliait et dépliait son carton d'invitation. Stressé ? On dirait bien, m'enfin vu la nana qu'il se trimballait cela devait être normal. C'était le genre Bimbo qui fondait si vous la mettiez au micro-onde au lieu d'exploser comme tout le monde, m'voyez ? Sa montre … Tient, une fausse Rolex. Oh. Monsieur n'était pas aussi riche qu'il voulait le faire croire et il avait amené sa « belle » ici pour lui prouver qu'il faisait parti de la haute société. Sauf que, comme lui, il ne connaissait pas les mariés et flippait de se faire choper. Pathétique. Le Faë se pencha vers lui et lui murmura :

- Quittez-là, vous n'avez pas un rond et elle le saura bien assez vite. Mieux vaut fuir une femme en colère qu'une femme trompée ET en colère … Croyez-moi, c'est pour votre bien ...

Revenant vers Zohra, sans même s'inquiéter de l'état de choc de l'autre homme qui ne pouvait nier l'exactitude des ses mots, il poussa un long soupire de désarroi. Il s'ennuyait à nouveau. Que faire ? Il posa ses yeux sur le visage de sa compagne et il se dit que la contempler pouvait être une bonne occupation. Alors, c'est ce qu'il fit. Mais toujours discrètement hein, sinon c'était pas drôle. Aussi belle soit elle, Requiem se lassa de ce jeu et lui lança, d'une voix chuchotante et dépitée :

- On rentre bientôt ?
 

Qu'est-ce qu'il foutait là déjà ? Parce que oui, cette question était plutôt intéressante à poser lorsque l'on voyait la tête que le Faës faisait en observant la cérémonie qui se déroulait sous ses yeux. Ah oui, je lui avais demandé de m'accompagner. Enfin, à la base l'invitation à ce mariage avait été adressée à Requiem et non à moi-même donc... et réalité c'était moi qui l’accompagnais ! Et extirper ce Nuckelavee là de son canapé n'était pas chose facile. Du moins, pas lorsqu'il s'agissait de sortir, de bouger, de quitter son nid plusieurs heures d'affilées. Encore moins quand il y avait à la clé la promesse de baigner dans une ambiance romantique, avec une démarche de sociabilisation active. Autrement dit, Requiem allait devoir dire bonjour, tenir des conversations, féliciter les mariés... Il y avait de quoi rire par avance, mais il avait au moins eu le courage de venir sans trop se débattre (je m'attendais franchement à pire qu'une réflexion idiote sur le racisme...). J'allais sans doute devoir lui pincer les fesses de temps à autre histoire de le relancer. Parce que je le savais bien, qu'il allait râler, et certainement vouloir éviter à tout prix de se coller la plus banales des discussions ! Et bien non pépère, maintenant, on sort un peu la tête de son canapé doré, et on saute dans le grand bain !

Car moi-même, j'étais ravie de pouvoir sortir un peu avec Requiem, de prendre l'air aussi. Depuis quelques semaines, les choses s'étaient un peu apaisées. Nous vivions alors dans un petit cocon de douceur, une bulle presque totalement hermétique. Juste nous deux... enfin nous trois. J'étais bien ainsi, je pansais mes blessures et les siennes, mais j'avais aussi grandement besoin de voir du monde ! Et assister à ce mariage me ravissais. Alors, Requiem avait eu beau faire sa mauvaise tronche, enchainer avec ses yeux de chien battu, me menacer avec un costume entièrement noir franchement pas dans le thème... et chougner après son divan maudit, je n'avais pas céder ! Qui c'était qui portait la culotte maintenant ? C'était maman...

Mais si j'observais la cérémonie sans un mot, son petit manège (digne d'un enfant de 10 ans) me signifiait bien qu'il s'ennuyait comme un rat mort... Et moi aussi à vrai dire. Les mariages occidentaux étaient vraiment très fades ! Mais je gardais sa main dans la mienne, évitant de rire alors que je constatais qu'il grognait sur un type qui ne me regardait même pas... L'air de rien, je continuais de suivre la cérémonie en feignant l’intérêt le plus profond pour cette dernière, alors qu'en réalité toute mon attention était focalisée sur ce Nuckelavee de mon cœur qui souffrait le martyr d’être simplement présent ici.

- On rentre bientôt ?

Je haussais alors les épaules, préparant une réponse qui n'allait sans doute pas lui plaire mais j'attendais aussi sa réaction excessive avec impatience. Je me penchais à mon tour vers lui, mais sans quitter les mariés des yeux :

-  Pas avant le repas du soir, sinon c'est très impoli !

Essayant de ne pas trahir le sérieux que j'affichais alors à cause d'un bref sourire qui lui indiquerais sans peine que je le faisais marcher, j'ajoutais :

- Tu es certain de ne pas les connaitre ? Parce qu'il va falloir présenter nos vœux ... tu sais quoi dire ?