Histoire
Je la tuerais de mes propres mains si il le faut, pour qu’elle reste à mes cotés. Pour toujours.
1° estampe
Joyeux anniversaire, Jun. Voilà ce que m’a dit mon grand frère en m’offrant ce carnet ramené de la capitale. Je ne vais pas me plaindre, il est très beau, et c’est lui qui a peint la couverture. Que demander de plus ? Ah, oui. Qu’il reste peut-être au moins toute la journée avec moi au lieu de repartir si vite. Je n’en ai rien à faire de son carnet, c’était lui que je voulais voir, et une fois de plus, il s’est enfuit. Lâchement. Père et lui sont en froid. Mais peut-être pouvaient-ils mettre leurs différents de coté, pour une fois. Pour moi … parce que je viens de prendre quinze ans, et que je ne suis plus une enfant ignorant tout de la vie.
Mais je ne me plaindrais pas. Je n’ai pas envie. C’est égoïste, et je ne suis pas une égoïste. Alors voilà, je vais raconter ma vie dans ce carnet, moi seule le lirai, et j’écris comme si je parlais à quelqu’un. J’ai l’impression de ne pas être tout à fait normale, des fois. Ce n’est qu’une impression, je le sais, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il y a un truc qui tourne pas rond. C’est sûrement à cause de la mort de ma mère.
Mère est morte en me donnant naissance, et c’est Père qui m’a élevé comme il a pût. Mon frère était déjà âgé quand je suis né. Père est un marchand qui travaille dans le commerce de tissus, ce qui fait que nous ne manquons de rien. Ma vie n’a rien a envier à qui que ce soit, et pourtant … Pourtant, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui manque. Il y a toujours quelque chose qui manque. C’est fou de voir à quel point l’être humain ne peut pas se contenter d’être heureux avec ce qu’il a. Il veut toujours plus. Comme un charognard.
Mon frère est parti vivre à Tokyo pour peindre des estampes. Il désire surpasser son modèle, un certain Hokusai. Un homme très demandé pour ses œuvres, il paraît. Je n’en sais pas plus. Moi, je passe mes journées à tuer le temps, à admirer le jardin de la maison. Notre jardin est magnifique, il faut l’avouer. Père a fait creuser un petit étang et y a fait mettre des carpes Koï. Ces poissons sont très amusant, et il est agréable de les observer nager lentement dans leur bassin. J’essaye de les peindre, comme le fait mon frère, mais je ne suis pas très douée. En revanche, j’aime composer des Haïkus. Père me dit que ça ne me servira pas beaucoup, alors je n’en écrit pas beaucoup.
De toute façon, je ne fais pas grand-chose de ma vie. Je vivrais aux crochets de Père jusqu’à ce qu’il me marrie à quelqu’un. Il n’y a rien à espérer pour l’avenir.
2° estampe
Pourquoi faut-il toujours que rien ne se passe comme on l’espère ? Le destin est bien cruel j’ai l’impression … Père a été ruiné, il a perdu toute sa fortune. La nouvelle est tombée il y a une semaine, alors que nous observions les carpes dans le jardin. Papa est passé par toute les émotions avant de paniquer complètement. Je crois qu’il ne savait plus quoi faire. Ses yeux étaient effrayants. Il délirait. Quand on délire, il arrive qu’on prenne des décisions démesurées. Les siennes ont scellé ma vie sous des barreaux. Il m’a vendu deux jours après à une Okiya. J’aurais très bien pût être affecté au rôle de Banba ou Beebe, mais la Maison cherchait une prostituée officielle.
Je suis belle, je le sais. Tout le monde le sait. Se voiler la face serait de la pure hypocrisie, ou de la fausse modestie. Je sais que je suis belle, et c’est ce qui est en train de faire tout mon malheur.
D’habitude, l’apprentissage commence très jeune et se termine à l’âge de douze ans, mais j’apprends vite, et là encore, je m’en serais bien passé. On m’a accepté à mon âge comme apprentie, et me voilà entourée de fillettes. Quand je serais en mesure d’effectuer mon travail, l’argent que je devrais normalement recevoir sera versé directement à Père, qui m’a vendu. Il m’a vendu. Pour garder sa maison. La vie est si mal faite.
Et je vais devoir beaucoup travailler pour rembourser la dette, selon le contrat. Le moyen le plus rapide étant de vendre mon corps, Père n’a pas hésité à demander à la Maîtresse de l’Okiya de faire usage de ce moyen. J’aurais espéré que tout ceci soit juste un horrible cauchemar, mais c’est la vérité. C’est la dure vérité. Je ne serais pas une Geisha à proprement parlé. Je serais une Yûjo. La prostituée officielle. Je n’aurais pas obligation d’apprendre les arts, ni le maquillage, et tout le reste qui aurait pu faire de moi une personne encore intègre.
Ce n’est plus le cas.
Bon anniversaire Jun, tu viens d’avoir dix-sept ans.
3° estampe
Cela fait cinq années à présent que j’ai cette vie misérable. Est-ce que je l’ai mérité, au juste ? Me prostituer … Est-ce que c’est ça, ma vie ? J’ai envoyé un nombre impensable de fois des lettres à Père, mais je n’ai reçu aucune réponse. Peut-être que je ne fais pas assez d’efforts … Je ne lui rapportera pas assez d’argent ? Est-ce pour ça qu’il refuse de me répondre ? Je suis fatiguée de ce quotidien. Me faire toucher par des inconnus, passer d’hommes en hommes sans jamais avoir le droit de dire quoi que ce soit. Et depuis cinq ans, je ne vois que les murs de l’Okiya. Le contrat dit que je n’ai pas le droit de partir.
Je n’en peux plus.
4° estampe
Je suis morte. C’est étrange de dire ça, surtout quand je sais que je suis toujours là. Je suis bel et bien morte, et je ne peux détourner mon regard du cadavre qui m’appartient, gisant à mes pieds comme une vulgaire poupée de chiffons. J’avais réussi à m’enfuir de l’Okiya, après avoir assommé un client, avoir échangé ses vêtements contre les miens, m’être coupé les cheveux et m’être complètement démaquillée. Personne n’est venu vérifié ce que je faisais. Tout semblait parfais. Cet homme qui était censé être moi, vêtu de mon kimono, semblait dormir sur le futon, entouré de coussins et de draps. Et je suis sorti. Ils n’y ont vu que du feu.
Je n’ai pas attendu qu’on se rende compte de la supercherie pour m’enfuir en courant. J’ai traversé la ville entière, puis j’ai rejoins la maison de Père, reculé de tout, prêt de la forêt. J’étais certaine qu’il me reprendrais à ses cotés. Pourquoi ne le ferait-il pas ? J’avais tant travaillé pour lui, il devait bien avoir accumulé suffisamment d’argent pour nous faire vivre tous les deux.
J’ai frappé une dizaine de coups frénétiques à la porte, essoufflée par ma course. Père a ouvert quelques secondes après, à la fois étonné et furieux de me voir devant lui, à une heure pareille qui plus est. Il faisait nuit depuis maintenant plusieurs heures, et on ne voyait plus beaucoup. Père m’a attrapé par les épaules, et m’a secoué dans tous les sens pour me faire répondre.
Pourquoi es-tu là ? Tu devrais être à l’Okiya, me répétait-il en hurlant. Il m’en voulait ? Pourquoi ? Comment ? Il n’avait plus besoin que je travaille à présent. Je le savais, j’avais compté, chaque jours, pendant ces huit dernières années.
Mais père, lui ai-je alors répondu en tremblant de tout mon corps,
je n’ai plus besoin de travailler à présent, et vous le savez ! Je vous en prie, laisser moi rester, je serais discrète, je ne prendrais pas beaucoup de place et … Il m’a interrompu, peu impressionné par mes pleurs.
Je n’ai pas le choix, je vais devoir te ramener de force. Il l’a attrapé par le bras et a commencé à me trainer derrière lui pour me ramener dans ma prison.
Je ne sais pas par quel miracle j’ai réussi à me libérer de sa poigne, mais j’en ai aussitôt profité pour fuir le plus loin possible. La forêt semblait être la cachette idéale. Derrière moi, je l’entendais m’appeler, en hurlant aussi fort que ses poumons pouvaient lui permettre. Je ne me suis pas arrêté. J’ai continué, encore et encore. J’étais terrifié. J’ai couru, toujours droit devant moi, et j’ai fini par m’arrêté devant un ravin. Reprenant mon souffle, j’ai regardé autours de moi pour trouver un moyen de passer. J’allai contourner prudemment quand Père m’a rattrapé et a tenté de me tirer vers lui. J’ai essayé de me défendre. Que pouvais-je bien faire d’autre, sinon me débattre ?
Tu vas venir oui ? A-t-il craché. Mais je ne me suis pas laissé faire. Je l’ai repoussé avec le peu de force qu’il me restait. Mais dans mon élan, j’ai trébuché, et je me suis senti chuter.
C’est comme se voir de loin, n’être qu’un simple spectateur. J’ai chuté dans ce ravin immense et je suis morte en bas, le crane éclaté contre la roche sableuse. Père n’a pas cherché à venir voir mon cadavre : il s’est enfui, je suppose. Quoi qu’il en soit, je suis revenu à la vie. La mort m’y a ramené, devrais-je dire. Mais je n’en avais que faire du nouveau travail qu’elle tentait vainement de me confier. J’avais déjà été assez servile comme ça durant toute ma vie, alors ce n’était pas pour l’être également dans la mort. Je voulais ma vengeance. Et c’était tout ce qui comptait pour moi. La seule et unique petite chose.
5° estampe
Chaque nuit, je suis revenu pour le hanter. A l’heure de ma mort, avec l’apparence de ma mort. Il est vrai que voir chaque soir le cadavre sanguinolent de sa fille ne laisse pas indifférent, et il a très vite plongé dans la folie. C’était … Très intéressant à voir. L’observer discrètement de là où j’étais durant la journée occupait mon quotidien, et ça a duré pendant trois mois. Il a fini par se suicider. Je n’ai rien ressenti, sinon de la haine pour cet individu qui a vendu sa fille pour vivre aisément. Il ne méritait pas de vivre heureux après ce qu’il m’a fait subir.
Il n’est cependant pas revenu sous la forme d’un Sidh comme je l’avais pensé. Il n’est pas revenu du tout, si je puis dire. Son cadavre était là, gisant par terre après s’être planté un wakisashi dans le ventre. Le sol de la maison a été repeinte en rouge rien qu’avec tout le sang qui s’est déversé. Je plaindrais presque celui qui récupérera la demeure.
Que vais-je faire de ma mort à présent ?
6° estampe
2015. Belle année. Ça faisait un bail que je n’avais pas écris dans ce foutu carnet. J’en aurait presque oublié celui qui me l’a offert. Aaah, mon frère, il en a bavé lui aussi.
La vie moderne n’est pas mal, je m’intègre bien dans mon environnement. La belle vie, quoi. Enfin … Belle mort je devrais dire, mais on ne va pas commencer à grincer sur les expressions. Il s’est passé pas mal d’années depuis la dernière que j’ai écris. Un siècle et demi ? Deux ? Peu importe. Je viens de trouver un vieux carton dans ma chambre, j’avais oublié son existence … Et voilà que je tombe sur mon vieux journal intime. Alors pour la forme, je vais écrire une dernière fois.
Je m’appelle Jun. Kim Seon Jun. Je suis morte, il y a genre une centaine d’années. Et je suis encore là. Pas très vivante, certes, mais pas six pieds sous terre non plus. Actuellement, je squatte l’appartement de ma descendante, Meiko. Une gamine adorable, qui vient de sortir du lycée avec un diplôme en poche. Elle est adorable, probablement la seule de ma famille pour qui j’ai de l’affection. Mais elle est ne sera pas éternelle, comme moi. Elle mourra, dans quelques décennies, comme tout être humain normalement constitué. Ça n’arrivera pas. Je la tuerais de mes propres mains si il le faut, pour qu’elle reste à mes cotés. Pour toujours.
SORA alias BouyahBouyah ~
Ici Sora, 16 ans dans trois mois (oui, je sais, j'ai pas tout à fait l'âge, mais je suppose qu'on ne va pas chipoter pour trois malheureux mois ...) et active dans le monde du rp depuis 5 ans. Peu bavarde sur la cb si on vient pas me chercher, j'ai la fâcheuse tendance de prendre touuus les rp qu'on me propose, même si après, ça en fait trop ...(paske chuis une gentille fille okay ?) Mes personnages type, c'est les malchanceux de la vie (ils ont toujours un trucs bien dégeu qui leur arrive, les pauvres chéris <3) et les tarés/psychopathes/mangeurs de bébés à plein temps ...
Vuala vualaaaa