« Je … Je ne sais pas. Gabriel, ne mens pas. Tu n'en as pas le droit ! Je ne peux pas … JE NE PEUX PAS ! Bon, je vais le faire à ta place alors … Willow … Non, ferme là ! On ne peut rien faire, juste l'aider à partir sans qu'il ne souffre, je suis désolé. »

Cette vérité qui éclatait était d’une violence inédite. Elle venait de percuter Willow avec une intensité qu’elle n’attendait pas, si bien qu’elle en resta muette de stupeur. Coincée dans une expression aussi abasourdie que résignée. Elle restait pétrifiée, les yeux plongés dans ceux, bien trop foncés de Gabriel. Ainsi c’était le hérisson qui avait eu le courage de lui dire la vérité… Mais Willow aurait préféré qu’on lui mente encore un peu. L’état dans lequel elle se trouvait après les deux évènements de cette foutue journée ne lui permettaient pas de réfléchir convenablement à la situation. Alors oui, comme une petite fille, Willow aurait préféré qu’on la dupe… qu’on lui dise que tout irait bien. Que tout s’arrangerait. Même si elle n’y croyait pas, juste pour se rassurer, quelques secondes durant. C’était tout ce qu’elle demandait, l’illusion que tout n’était pas si terrible que cela, qu’elle pourrait s’en sortir et aider Oreste. Mais non … rien de tel n’arriverait. Et elle allait le perdre, lui aussi. Docile, presque sans énergie, Willow laissa Gabriel la prendre dans ses bras, et cala son visage contre son épaule. A ce moment précis où logiquement, un peu de chaleur humaine aurait dû lui apporter du réconfort, elle ne ressentit rien. Absolument rien. Juste du vide, absolu. Cette nouvelle, cette vérité lui arrachait ses dernières forces et volontés. Les dernières miettes de vigueur opiniâtre que Darwin avait laissée derrière lui. Les sanglots avaient cessés, mais il ne restait pas grand-chose, presque rien en réalité de ce qu’était Willow. Même plus d’émotion, semblait-il. Juste une cruelle résignation synonyme d’un abattement total, d’un abandon dont elle ne se serait pas crut capable un jour.

« Cette malédiction est bien trop puissante … Impossible de la contrer … ou de la transférer ailleurs. Je suis tellement désolé. Oreste … » Elle l’écouta, puis le laissa se rendre au chevet d’Oreste qui semblait épuisé… éteint déjà. Et d’une pâleur si effrayante qu’elle le reconnaissait à peine. Devant ce tableau, et alors qu’elle se sentait si impuissante, Willow repensa aux paroles de Gabriel. Quelque chose… quelque chose semblait tourner en boucle dans son esprit, voulait attirer son attention sans qu’elle ne parvienne à mettre le doigt dessus. Puis elle fronça les sourcils, soudainement pensive. Transférer… transférer… ailleurs. Gabriel, sans le savoir, lui avait donné une arme. Une solution… Une piste du moins. De quoi raviver la flamme et croire encore à une issue positive pour son frère.

« Gabriel… je vais devoir partir un moment… »

Aujourd’hui, Willow perdait Darwin, et Oreste. Les deux amours de sa vie, les deux seuls personnes qui valaient la peine d’avancer en son sens. Si elle n’avait pas pu sauver sa relation, son affection pour le premier, elle se battrait pour la vie du second. Tant que le cœur d’Oreste pulsait dans sa poitrine, qu’un léger souffle parcourait encore son corps… il y avait de l’espoir. Tant que son propre cœur à elle pouvait l’aimer, elle irait jusqu’au bout pour Oreste. Et elle s’accrocherait à l’espoir, aussi faible soit-il. Ceux qui la connaissaient un peu, savaient bien que lorsque cette Alchimiste là voulait quelque chose, elle se donnait les moyens d’y parvenir et pouvait mettre à profit une énergie combattive pure, et considérable. Elle, elle était encore en vie… alors elle se battrait pour celle de son frère. Jusqu’au bout… Jusqu’à sa perte. Car la survie de son ainé était la seule qui avait de la valeur. La seule qui valait le coup d’être sauvée. Celle de sa sœur elle, n’avait plus de raison d’être après sa séparation, la perte de Darwin… Quitte à ce qu’une vie s’éteigne, autant que cela soit la sienne. Willow s’approcha du lit, à son tour… pour embrasser son frère sur le front. Longuement, avec une tendresse certaine et une grande douceur comme rarement elle avait pu en faire preuve à son égard. Elle voulait le rassurer, lui transmettre un peu de cette force qu’elle mettait à profit pour lui. Un peu de confiance, d’espoir également. Il en aurait besoin … Encore un peu.

« Je vais vite revenir Oreste d’accord ? En attendant, bats-toi… Tu as encore trop de conneries à faire pour crever maintenant. Genre… faire exploser ta maison encore deux ou trois fois, ou… reconquérir ta femme. »

A nouveau, un sourire illumina son visage, bien que les larmes coulaient encore sur ses joues. Elle savait à quel point il était encore éperdument amoureux d’Hécate. Et peut-être que cet amour serait suffisamment fort pour qu’il s’accroche à la vie, et surpasse cette malédiction quelques heures encore… le temps qu’elle puisse agir, elle aussi. Passant une main dans les cheveux de son frère, elle semblait alors moins abattue… avait regagné une sorte d’assurance, une lueur féroce dans le regard, surtout dans celui qu’elle adressa ensuite à Gabriel.

« Garde le en vie… peu importe ce que tu dois faire pour ça. Tu le gardes en vie ou c’est la tienne qui y passera. »

Elle était sérieuse, ce n’était pas des menaces en l’air. Et bien que Gabriel soit le meilleur ami de son frère, malgré les efforts surhumains qu’il semblait déjà déployer pour le sauver, Willow ne pardonnerait pas un échec de sa part. Mais elle quitta bientôt son regard dur, hostile, pour revenir à quelque chose de plus tendre en adressant un dernier sourire à Oreste.

« Je t’aime grand frère. Promis je reviens très vite. »

Puis elle détacha son regard de lui, tourna les talons, et quitta la pièce à grande allure. Les sourcils froncés, et une détermination sans faille accroché à son cœur pourtant meurtri, elle savait exactement où allez pour trouver des réponses et des solutions. La Cour des Faës.

Il était prêt à s'endormir. Malgré la peine, la douleur, l'idée qu'un cycle se termine de manière aussi terrible.
Oreste était las, et même si son mental voulait persister, son corps n'avait plus la vigueur d'autrefois. Au début, ça allait tellement bien... Il se souvenait des premières heures simples, où il put vivre la chose avec une facilité déconcertante. C'était même à se demander en quoi cette malédiction était mortelle. Mais il avait rapidement déchanté. Au bout de quelques jours, son état était devenu des plus préoccupants, couplé avec la culpabilité et sa dépression liés à ce qui avait engendré cette vengeance magique. C'était une réflexion de son épouse qui l'avait poussé à comprendre l'inévitable. « Tu es pâle comme la Mort. » Oui. Il n'y avait pas d'autres termes. Son reflet lui avait jeté avec effroi ce qui était en train de se produire.
Alors, bien vite, il avait fait d'innombrables recherches, se coupant de tout. Hécate, son travail, ses amis, sa famille. Tout n'avait de sens que s'il parvenait à leur cacher ce qui se passait en lui. Depuis trois ans, il n'eût jamais de cesse de chercher, encore, des heures et des heures. Ses compétences alchimiques, bien que s'amenuisant fatalement, avaient été ses plus proches alliées, et peut-être que c'était grâce à son éducation poussée que sa mère lui avait imposé qu'il était encore en vie aujourd'hui. Sa mère... c'était étrange, d'y penser maintenant.

Puisque de toutes manières, il ne la reverrait pas. Il se demanda, l'espace d'une seconde, ce que l'annonce de la perte de son fils lui ferait. Flora était une femme si complexe... même ses propres enfants ignorait ce qu'elle avait en tête. Peut-être pleurera-t-elle. Ce serait bien la première fois...

« Je vais vite revenir Oreste d’accord ? En attendant, bats-toi… Tu as encore trop de conneries à faire pour crever maintenant. Genre… faire exploser ta maison encore deux ou trois fois, ou… reconquérir ta femme. »

A ces mots, les yeux de l'alchimiste s'ouvrir davantage tandis que ses mouvements étaient des plus réduits. Il restait impuissant face à ce qu'elle venait d'annoncer. Pourtant... il voulait qu'elle reste, plus que tout. Maintenant qu'elle savait, maintenant qu'il avait commis l'erreur du siècle en lui apprenant la vérité, il se sentait incapable de partir sans sa présence pour l'accompagner. Sa petite sœur... il lui faisait tant de mal, à rester ainsi.
Son regard perdu se tourna vers Gabriel. Gabriel... lui aussi avait tant fait pour lui. Et il s'épuisait encore à ce vague espoir, distillant sa magie de soin pour la carcasse qu'était devenu son meilleur ami. Il avait tant subi, lui aussi, à cause de lui. L'un des premiers à savoir. L'un des premiers à l'aider. L'épaule sur laquelle il pleurait. Un pilier. Un pilier qu'Oreste ne voulait pas briser.

Arrêtez, s'il vous plait. Ne vous faites pas plus de mal...

Il ne parvenait pas à esquisser le moindre mot, alors que Willow semblait déterminée. Il voyait ce qu'il se passait dans son regard. Il la connaissait. Ses yeux brillaient d'une résolution inconnue jusqu'à lors, chose qui piqua au vif le mourrant.

« … Willow... »

« Je t’aime grand frère. Promis je reviens très vite. »

Trop tard. Elle n'était plus là. Tout ce qu'Oreste pouvait faire désormais, c'était attendre. Attendre quoi ? Les bras tendres de la Mort... ou bien ceux de sa sœur, qui avait promis de revenir ? Allongé, les yeux rivés vers le plafond, ses larmes ne cessaient plus. Sans vergogne, elles cavalaient le long de ses joues creuses. Sa main tremblante reposait contre le bras de Gabriel qui tentait toujours de le maintenir en vie, perdu dans une transe des plus profondes. Mais qui finira, fatalement, par cesser.
Et ce fût ainsi que les pensées du Deslauriers sombrèrent un instant. Du noir, plus que du noir. Un repos.

« Tout va bien.

Je vous aimerai toujours, peu importe où je vais.

Soyez heureux sans moi... d'accord ? »

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