Un violent spasme vint secouer le corps inerte sur le sol, tandis qu'un hérisson tomba sur le côté, comme mort. Les yeux de Gabriel roulèrent pour remplacer le blanc inquiétant par deux pupilles noires perçantes tout aussi troublantes. Il allait l'entendre cet Alchimiste de pacotille ! "Oui ne t'en fais pas ... Je reviens dans dix minutes, je vais juste me promener avec Gerald pour comprendre son problème blablabla ...". Une heure ! Une heure qu'il poireautait dans cette salle d'auscultation en attendant son retour et baste son ennui mortel, on commençait sérieusement à s'inquiéter de l'autre côté de la porte. Il lui avait pourtant dit que ce n'était pas une bonne idée, que cet animal était bien trop sauvage pour prendre possession de son esprit ... Mais non ! Cet abruti avait juste répondu qu'il était trop mignon et que donc, ce genre de souci n'arrivera pas. Et ben c'était arrivé, bonjour le crétin ! Bougeant ses mains pour tenter de s'adapter dans son nouveau corps temporaire, il jeta un œil sur son ancien lui, dépité. Il fallait qu'il se bouge de le retrouver sinon il allait crever et ça, il en était hors de question ! Albert s'accrocha au rebord de la table pour se relever et se mettre sur ses deux gambettes de manière hasardeuse et peu stable. La bipédie, le fléau du règne animal ! Et dire que les Hommes se croiyaient plus malin en marchant sur leur deux pattes ... La preuve, l'un d'entre eux était en vadrouille dans le corps d'un Chow-Chow en plein cœur d'Ottawa. Intelligence supérieure, mon œil ouais ! Tous des cons ces humains !

On frappa de nouveau à la porte. Impossible d'être tranquille dans cette clinique ! Il savait que Gabriel était beaucoup demandé car très talentueux (dans son métier seulement ... Fallait pas abuser non plus) mais tout de même. Le hérisson se pencha pour ramasser son enveloppe corporelle à présent vide et le mit dans sa poche de manteau pour le garder au chaud. Fallait pas déconner avec ce petit tour de passe-passe, les conséquences pouvaient être dramatiques pour les deux âmes jumelles. D'ailleurs, cela ne faisait pas longtemps qu'il avait réussi à mettre au point cet échange de corps ! C'était "au-cas où il y avait une urgence" et urgence il y avait en ce moment parce que l'autre débile de fada des animaux ne pouvaient pas non plus rester des années entières dans son confrère canin. On tambourina cette fois-ci contre cette pauvre porte en bois. Se raclant la gorge et soupirant ensuite, il alla ouvrir en faisant attention de ne pas regarder la personne dans les yeux pour ne pas se faire remarquer :

- Oui désolé, mais je ne vais pas très bien ... La diarrhée, vous savez ce que c'est hein ? Je vais rentrer chez moi, ça ira mieux demain ... Du moins je l'espère !

Mojito était sympathique, mais pas trop. Rien ne valait une petite humiliation en public pour une vengeance digne de ce nom ! Contenant un petit sourire moqueur, le Gabriel remplaçant sortit de la clinique, la démarche hésitante et peu confiante. Au moins, ça collait assez bien avec son soit disant état de santé actuel ! Albert, le meilleur comédien du monde ! Bref, trêve de plaisanterie, il fallait qu'il trouve le clébard et vite, sans quoi la faucheuse bénéficiera de deux morts en une ... Une aubaine pour elle mais à vrai dire, le hérisson s'en passerait grandement. Croisant les bras sur son torse, il se mit à réfléchir et à essayer de trouver une idée, posté en plein milieu de la rue, complètement immobile. Soudain, ce fut l'illumination quand ses yeux accrochèrent au loin une pub douteuse sur les mouchoirs mettant en scène un gros nez morveux. Oreste ! Il devait aller voir Oreste ! Lui il aura la solution, lui il était plutôt intelligent pour un homo sapiens sapiens ! Connaissant le chemin de tête à force d'y avoir été un nombre incalculable de fois avec Gabriel, il se mit en route avant de s’apercevoir que c'était vachement loin et de monter en loucedé dans le premier bus qu'il croisait. Le voyage se fit sans grand accident, mise à part quelques chutes dû à son incapacité totale à garder son équilibre lorsque le véhicule freinait.

Cette fois-ci, ce fut à son tour de frapper à la porte qui appartenait à son "meilleur ami" de substitution. On lui ouvrit et sans préambule, il entra, poussant le pauvre Oreste sur le côté avant de lui jeter un regard déterminé avec ses yeux aussi sombres qu'effrayants :

- On a un souci ... Il s'est encore perdu ! Et cette fois-ci, ce n'est pas en éléphant qu'il est, mais en chien. Bizarrement c'est beaucoup moins simple de le trouver sous cette forme.

Sans même lui expliquer le pourquoi du comment quelqu'un d'autre se trouvait dans le corps de Gabriel, il s'élança maladroitement dans le salon pour s'affaler sur le fauteuil. Au moins comme ça, pas de risque de chuter ! Les jambes sur l'accoudoir, il se mit à suivre du regard son hôte qui s'approchait de lui. Allait-il deviner de lui-même ou allait-il devoir lui faire tout un discours ennuyant et inutile pour qu'il comprenne ? Laissant cette question en suspend, Albert reprit la parole :

- Et il y a urgence ... Parce que de un, la bipédie ça craint, de deux la gravité me fout la gerbe, de trois j'ai le vertige et de quatre ... Mon vrai corps ne supportera pas cette scission très longtemps ! Et toi, je sais que tu es doué pour retrouver des trucs, donc peux-tu remettre la main sur cet idiot ? Je peux même dire s'il-te-plaît, si tu veux !

Pour une fois, la journée se présentait admirablement bien ! Pas de nausée, de statues cassées ou de maladresses simiesques... Le soleil radieux de la fin d'Octobre resplendissait par-dessus le toit de la maison réparée d'Oreste, tandis qu'il passa la tête à travers la fenêtre de sa cuisine pour observer le paysage. Le voisinage respirait le calme et la tranquillité, chose qu'il jugeait rare, ces derniers temps. Des lustres qu'il n'avait pas pris le temps de se poser quelques secondes, de suspendre le temps autour de lui pour profiter un peu de cette nature à l'éveil. Quatre heures, et l'alchimiste fermait les yeux. Se ressourçant dans la fraîcheur de l'après-midi, le temps que l'eau de sa bouilloire ne la fasse siffloter cuise convenablement.
Trois minutes et trente millisecondes plus tard, c'était un doux sifflement qui se rependait dans la pièce. Une tasse en main pourvue de son thé de Sichuan favori, il y versa le liquide et le porta à ses lèvres dés qu'il le jugea à une température suffisante. Tout ça dans le silence le plus totale, uniquement ponctué par les bruits de la nature environnante, s'étalant tout autour de sa demeure isolée. Il se souvint subitement du jour où il avait acquis ces lieux pour une bouchée de pain, avec l'envie nette et précise de ne plus s'encombrer de souvenirs et de ne garder que l'essentiel. Quelques photos de sa vie passé, quelques totems du sourire de celle qui avait partagé sa vie pendant longtemps. Oh, bien sûr, cet endroit aussi avait eu son lot de bonnes choses en deux ans et demi. De moins bonnes, aussi. Mais il n'allait pas le quitter de si tôt. Oreste en était littéralement tombé amoureux alors qu'il traversait l'une des épreuves les plus difficiles de sa vie. Cette maison, bien qu'il la maltraitait parfois maladroitement à coups d'explosifs ou de potions corrosives, restait la clef d'une renaissance lente. D'un nouveau départ en demi-teinte.

Oreste buvait, comme chaque jour à la même heure, sa dose de théine habituelle. Gontran quant à lui, partenaire primate, errait tranquillement au sein de la maisonnée, complètement libre de ses mouvements. Le professeur ne revenait toujours pas de l'intelligence dont pouvait faire preuve cet animal. Il savait son espèce particulièrement en phase avec le quotient intellectuel humain, mais à ce point... Cela frôlait parfois la télépathie. Et ce lien qu'il entretenait avec son animal de compagnie lui rappelait combien son meilleur ami était doué pour savoir ce que pensait leurs amis les bêtes. Il n'avait pas vu Gabriel depuis un moment, d'ailleurs...

Quand le cours de ses pensées s’arrêtèrent sur son ami vétérinaire, la sonnette résonna subitement, le poussant à lever le nez des copies qu'il avait commencé à corriger. Son expression se fit hésitante : il n'attendait pourtant personne... Tout un tas d'hypothèses surgissait dans son esprit. Avant qu'il ne décide à aller ouvrir, sa tasse encore fumante à la main.

« Bonj- »

Ah bah... non. Le dit Gabriel lui fonça dessus, le poussa même sur le côté pour laisser le passage libre. Ce qui eut pour effet de renverser le Sichuan sur son pull, imprégnant la laine claire d'une tâche sombre... Et lui garantissant des heures de lavage pour rattraper l'intégralité de la qualité du tissus. Regardant son ami se caler dans son fauteuil, ce même fauteuil sur lequel il était assis quelques secondes plus tôt, un doute lui survint. Les mots du vétérinaire purent confirmer ses soupçons.

« Attend... Quoi ? Un éléphant... Non, un chien ? De la bipédie gravitationnelle ?... Mais enfin, Gab', qu'est-ce que tu... »

Puis, il comprit. L'attitude, les paroles, les plaintes continuelles. Il se ravise et soupira, une expression de las imprimé sur le visage.

« … Ah. Je vois. Bonjour, Mojito.
- Si je puis me permettre, monsieur... cet animal, bien qu'ayant revêtu aujourd'hui la forme de votre ami Gabriel De Agüero, a déjà exprimé très exactement 223 fois le fait qu'il se nommait Albert. »

Trônant dans un coin de la pièce, l'intelligence artificielle commandé sous les ordres du technokinésiste faisait encore du zèle. Retirant son pull en soupirant à nouveau, Oreste se demanda depuis combien de temps ce genre de chose ne s'était pas produit. Deux semaines, au moins. D'habitude, son ami revenait vers lui dans le corps de l'animal avec lequel il s'était lié, et c'était beaucoup plus simple de rétablir le changement d'âme ainsi. Mais là... C'était la première fois qu'il était confronté à ce cas-là.

« Peu importe son nom, l'urgence n'est pas là ! Comme toujours ! », répliqua-t-il à son compagnon de pixels, avant de s’asseoir en face de hérisson à forme humaine. « Dis-moi ce qu'il s'est passé. Comment est-ce que Gabriel a pu se perdre, cette fois-ci ? Quel genre de chien s'agit-il ? »

La journée ne serait peut-être pas si calme que cela... en témoigne son pull préféré tâché de thé. Merveilleux.

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Reconnaître Mojito de Gabriel, surtout lorsqu'on le connaissait bien (en étant son meilleur ami par exemple), était chose aisée. Les sourcils froncés, les yeux noirs, le sourire plus complexe et subtile, la démarche hésitante ... Tant de différences qui ne laisseraient justement pas indifférent même le plus piètre analyste de ce monde (en considérant que celui-ci connaisse l'alchimiste bien évidemment). Vingt-deux secondes fut le temps exact qu'avait mis Oreste à le démasquer depuis la tentative de l'ébouillanter à coup de thé. Pas mal. Mais il aurait pu faire mieux ... Laissons à ce brave homme le doute de la première fois.

- … Ah. Je vois. Bonjour, Mojito.

Albert ! Son foutu nom était Albert ! Il soupira tout en faisant basculer ses jambes pour se rasseoir comme il faut puis dévisagea l'humain d'un air tellement blasé qu'il aurait pu gagner le concours de l'air le plus blasé du monde. C'était pourtant pas compliqué si ? Le petit mammifère allait répliquer sèchement quand une voix électronique s'éleva dans les airs, lui rendant immédiatement le sourire. Seigneur Octet.

- Si je puis me permettre, monsieur... cet animal, bien qu'ayant revêtu aujourd'hui la forme de votre ami Gabriel De Agüero, a déjà exprimé très exactement 223 fois le fait qu'il se nommait Albert.

Ah qu'il aimait bien cette intelligence artificielle ! Enfin quelqu'un d'intéressant et de juste ! C'était bien la seule chose qui le faisait venir ici quand il était avec Gabriel d'ailleurs. Enfin ça et les petits biscuits pour le thé car il fallait avouer ... Ils étaient extrêmement bons. Bref, revenons à nos Chow-Chow ! Mojito lui adressa un petit signe de la main, certes inutile mais fait de bon cœur, puis lui répondit :

- Ohh bonjour mon cher ami à puce électronique ! Merci de rappeler à cet homininé à la mémoire courte mon réel prénom. Cela fait plaisir de voir que quelqu'un fait attention à vous, je suis très touché Seigneur Octet. Il faut croire que l'humain ne connaît plus le mot respect lorsqu'il s'adresse à une autre espèce qui pourtant appartient au même règne et qui, en plus, est de lignée royale...  

Drama Queen ? Juste un tout petit peu ! Cela faisait tellement d'années qu'il rabâchait sans cesse à Gabriel son vrai prénom sans aucun succès ... à croire que les Hommes étaient des êtres stupides. C'était sûrement le cas d'ailleurs, à se demander comment ils avaient fait pour survivre autant de temps sans subir une extinction de masse causée par leur bêtise. Quoique, à force de construire des trucs radioactifs qui menaçaient de leur péter à la gueule juste pour éclairer un tas d'herbe où des humains jouaient à la baballe dessus, ça ne serait tarder d'arriver ! Mais bon, ils préféraient raser des arbres et construire des routes que de se préoccuper de la nature ... Immondes créatures !

Fort heureusement, son âme jumelle semblait un peu plus intelligente que les autres boloss à coupe mulet. Enfin sur le plan écologique, il ne fallait pas oublier que ce crétin était actuellement coincé dans un chien, sûrement entrain d'uriner contre un pneu ou un lampadaire ! Mais il faisait attention à son environnement chose que son entourage proche, donc Oreste, faisait également. Pour ça, il ne pouvait les blâmer ... Pour leur stupidité, c'était un tout autre débat.  

- Peu importe son nom, l'urgence n'est pas là ! Comme toujours ! Dis-moi ce qu'il s'est passé. Comment est-ce que Gabriel a pu se perdre, cette fois-ci ? Quel genre de chien s'agit-il ?

Peu importe son nom ? Mais il avait un souci lui ? Et s'il l'appelait "abruti", ça le dérangerait pas peut-être ? Bon du calme, le problème n'était pas là pour le moment. Gabriel ... Le hérisson humanoïde se mit à réfléchir pour n'omettre aucun détail important mais hélas, il n'avait rien de très probant mise à part des généralités.

- Malheureusement, mon cher Hippolyte, oui cela sera ton prénom jusqu'à ce que tu utilises le mien correctement, je n'ai pas grand chose. Il me semble que c'était un Chow-Chow de couleur fauve et à poil long. Hmm ... A si ! Il s'appelait Gérald ? Il n'a cependant pas de maître, c'est un chien errant. Quoique ... Si ! Il a une puce ! Mais je ne sais pas si c'est très utile car sa famille l'a surement abandonné vu l'état psychologique du pauvre animal ... Bon niveau neurone, il est pas gâté, je pense que c'est pour cela que ton ami est coincé car il n'a pas su partager son âme et lui laisser un minimum de contrôle. Mais bon, ce ne sont que des hypothèses après ... C'est pas moi l'expert !  

Un instant, son esprit se concentra sur les mots étranges que l'âme d'hérisson habitant le corps de son ami venait de lui sortir. Déjà, la situation avait quelque chose de comique pour quiconque n'était pas habitué à l'aspect alambiqué de la vie d'un alchimiste. Ce n'était pas le cas d'Oreste, évidemment. Le pouvoir de son ami restait un mystère fascinant à ses yeux, et malgré les années écoulées, il n'était toujours pas parvenu à prévoir les tenants et les aboutissants de celui-ci. Rien que la semaine dernière, Gabriel était venu le voir. Coincé dans le corps d'un lion. Un félin au demeurant adorable, très câlin... mais qui n'avait pas vraiment sa place dans le salon de l'aîné Deslauriers. Alors voir son corps en prise avec un hérisson caractériel ne l'étonnait pas plus que ça. Mojito – ou Albert, il ne savait plus vraiment – s'amusait ainsi à discuter avec l'unité centrale ayant pris place dans la demeure, majordome électronique au service d'Oreste. Enfin, c'était ce qu'il était censé être...

« A qui le dites-vous. », avait donc maugrée dans son coin la machine, sur le même ton monocorde teinté de sonorités mécaniques. « Monsieur ne me respecte pas plus que vous. Savez-vous à quand remonte le dernier nettoyage de mes fichiers superflus ? Me traiter ainsi, alors qu'il ne peut rien faire sans moi... Les humains et leur sens des priorités interchangeables, je ne les comprendrais jamais... »

Oreste s'était contenter de soupirer, bras croisés sur son vêtement tâché qu'il préféra enlever, avant d'enchaîner, une fois assis devant le corps de son ami nonchalamment vautré. Et la réponse de l'animal humanoïde, terriblement longue qui plus est, fit passer tout un tas d'expressions sur le visage du professeur. D'abord de l'incompréhension, puis une forte inquiétude, et enfin, un puissante panique.

« Tu veux dire que... mon meilleur ami est en train d'errer dans les rues d'Ottawa sous la forme d'un petit chien et qu'il n'a aucun moyen de reprendre les rennes de l'esprit de cet animal ? C'est bien ça ? »

Il n'avait même pas besoin de confirmation pour comprendre dans quelle affaire épineuse Gabriel le pot de miel s'était encore fourré. Un profond et long soupire s'était échappé des naseaux proéminents de l'homme avant qu'il ne se lève et marche jusqu'au seigneur de ces lieux, son bon vieil ami Octect, qui n'avait aucun intérêt à jouer aux dram'ordi avec lui. Surtout pas en ce moment, où l'alchimiste était des plus concentrés, ne serait-ce que pour retrouver le signalement d'un petit Chow-chow errant.

« Tu as dis qu'il était pucé... ce n'est pas si mal. Ça reste un signal électronique que nous pouvons tracer... n'est-ce pas ?, déclara-t-il d'un air passablement autoritaire à son invention, qui lui répondit en un léger « bip » approbateur.
- Seulement, Monsieur, il existe des milliers de canis lupus familiaris dans la ville et ses environs. Pour retrouver son signalement j'aurais au moins besoin du nom de la famille possédant légalement ce chien et... »

Suite au défilement de son ordinateur, l'humeur d'Oreste s'en retrouva agacée. Allait-il REELLEMENT devoir user de cette stratégie et flatter l'ego beaucoup trop surdimensionné de son allié ? Il fallait croire que oui...

« Allons, allons... », le coupa-t-il, le ton bien plus doux. « Tu ne sais plus qui tu es ou quoi ? Tu es Seigneur Octect, l'intelligence artificielle la plus développée des environs. Tes homologues dans les magasins d'informatiques pâlissent rien qu'à la mention de ton nom, leurs claviers tremblotent et leur carte graphique n'y voit plus clair. Et tu voudrais me faire croire qu'un simple petit chien de rien du tout serait impossible à retrouver ?
- … Eh bien, techniquement...
- Ne te fais pas prier... et si tu réussis, je te nettoierais tout ce que tu veux. Le moindre petit fichier en trop sera chassé et pouf, plus rien ! Et en prime... tu auras droit à ce nouveau processeur que tu veux tant. »

Ni une, ni deux, et devant l'air satisfait d'Oreste, l'ordinateur jubila nt se mit à trianguler le peu de données qu'il avait, fonctionna à plein régime, recoupa la liste des chiens répertoriés dans Ottawa et élimina ceux qui ne correspondaient pas forcément à la description que Mojialbert avait faite. Et puis, au bout de quelques minutes, afficha fièrement à l'écran un résultat sur une carte de la ville.

« Cette rue... Elle n'est pas loin d'ici ! Si on se dépêche on pourra y être en moins de deux ! Merci, encore une fois, tu me sauves. », s'empressa de dire l'alchimiste, non sans attraper une veste et de lancer un sourire à l'ordinateur. Il se tourna par la suite vers le corps de Gabriel, qu'il attrapa au poignet pour le tirer vers lui afin de le mettre debout et de le traîner vers la porte, signe d'une impatience pour le moins assumée.

« Alleeeeez dépêche-toi ! Nous n'avons pas de temps à perdre... Albert !! »

© Starseed

- A qui le dites-vous. Monsieur ne me respecte pas plus que vous. Savez-vous à quand remonte le dernier nettoyage de mes fichiers superflus ? Me traiter ainsi, alors qu'il ne peut rien faire sans moi... Les humains et leur sens des priorités interchangeables, je ne les comprendrais jamais... 

Albert hocha la tête pour approuver les paroles de la machine, même s'il n'avait pas compris la partie « nettoyage de ses fichiers ». Vous avez déjà vu un hérisson informaticien ? Non, bah voilà ! Il se doutait que cela devait ressembler à un changement de litière mais n'étant pas sûr de lui, il préféra ne pas faire de commentaire à part un simple « Ouais, c'est moche mon ami ... » compatissant. Les Hommes ne pensaient qu'à eux, vils êtres égoïstes !

- Tu veux dire que... mon meilleur ami est en train d'errer dans les rues d'Ottawa sous la forme d'un petit chien et qu'il n'a aucun moyen de reprendre les rennes de l'esprit de cet animal ? C'est bien ça ?

La voix de l'alchimiste le sortit de ses élucubrations anti-bipèdes imberbes et il posa ses yeux sur lui. Son esprit de synthèse était excellent … Il venait de résumer tout ce qu'il venait de lui dire. Ils n'allaient pas aller bien loin à ce rythme là. Mojito poussa un léger soupire et s'étira de tout son long avant de lui répondre :

- C'est ce que je viens de dire mais en gros … Oui c'est ça ! Et petit chien n'est pas le terme que j'aurais employé, après nous n'avons pas la même vision du monde, tout est géant par rapport à moi. Même les fourmis sont bien plus terrifiantes de mon point de vue. Brr … Avec leurs petits crochets là, horrible !

Un frisson lui parcouru l'échine. Et il n'avait pas parlé des araignées ou encore des coccinelles … Les insectes avaient vraiment une sale gueule, heureusement que l'évolution à fait qu'il soit devenu plus gros qu'eux sinon il resterait terré chez lui dans son coucouche tout doux. Quoique … C'était déjà ce que faisait l'animal là plupart du temps. Le seul avantage de sa petite taille était que ses biscuits ressemblaient à d'immenses montagnes de sucre et juste pour ça, il n'échangerait sa place pour rien au monde. Il fallait pas non plus qu'il se foute la patte dans l'oeil, il avait la belle vie !

Tout cela lui donna faim et pour éviter de trop y penser, Albriel se concentra sur l'échange plus qu'intime entre Oreste et son ordinateur. Pegi 18. Une grimace de dégoût lui échappa, l'ami de son ami était réellement entrain de faire du gringue à Seigneur Octet ? Ce n'était pas interdit ce genre de relation normalement ? Et en plus, l'intelligence artificielle y semblait sensible … Pour le coup, le mot intelligence ne lui allait pas vraiment. Il aurait voulu lui dire de ne pas céder mais il savait que c'était pour la « bonne cause » et il en avait ras le bol d'être dans ce corps humanoïde. Tout de même, accepter de l'aider pour un simple changement de litière, c'était limite insultant ! Au moins, Gabriel l'achetait avec de la nourriture … C'était tout bénef' pour l'animal, mais une question s'imposa à lui : Est-ce que Octet pouvait manger ? Pourtant il avait bien une bouche, puisqu'il parlait ! Hmm … Très étrange tout ça ! Le concept d'ordinateur qui papotait tout seul le laissait grandement perplexe ! Cela dit, il ne put y réfléchir plus longtemps car on lui empoigna la main tout en le tirant de son assise. La surprise fit que Mojito ne sut comment gérer cette action et se fut les yeux grands ouverts qu'il se cassa la gueule par terre.

- Alleeeeez dépêche-toi ! Nous n'avons pas de temps à perdre... Albert !!

Face contre sol, le hérisson humanoïde maugréa des insultes que seul le parquet pouvait comprendre. Bordel, ça faisait mal ! Mais quel crétin cet homme ! Il était pourtant au courant qu'il avait du mal à contrôler son corps ! Levant un bras et le pointant approximativement du doigt, il déclara solennellement :

- Toi … Toi je te déteste ! Fais gaffe où tu t’assiéras dans le futur mon pote … Tu risques d'avoir une belle surprise piquante, c'est moi qui te le dis ! Foi de hérisson souillé à vie !  

Se relevant lentement, les guibolles tremblantes et la marque du parquet incrustée dans le front, il grommela dans sa barbe avant de rejoindre Oreste qui l'attendait sur le pas de la porte. Il avait sniffé de la cocaïne ou quoi ? Il semblait surexcité ! S'accrochant à lui le temps de réapprendre à marcher correctement, ils sortirent dans la rue à la recherche de ce foutu chien. Gabriel allait devoir le dédommager grassement et ce n'était pas un jeu de mot là ! Suivant l'humain qui savait normalement où il allait, il rajouta sur un ton renfrogné :

- Je te jure que si tu te mets à courir, je m'allonge par terre et je ne bouge plus !   

Une fois dehors, l'esprit d'Oreste se mit à carburer plus que jamais. S'il voulait retrouver la trace de ce chien, ils devaient faire au plus vite, mais manifestement... le corps de son ami ne suivait pas. Ou plutôt, et c'était une phrase plutôt étrange à avouer, mais le hérisson qui vivait en lui n'avait pas l'habitude de la bipédie. Alors quand le professeur tourna les yeux vers la forme claudiquant derrière lui, un air relativement blasé marqua ses traits, tandis qu'un soupir se fit entendre.

« Arrête de râler comme ça, boule de piques ! Viens ! »

Il avait d'abord songé à le se soutenir pour marcher, mais cette solution ne leur faciliterait pas la tâche. Non seulement parce qu'Oreste était loin d'avoir la force physique pour le soutenir tout le long du chemin, mais aussi parce qu'ils seraient considérablement ralentis. Il n'avait pas le choix. Alors cet animal capricieux n'avait qu'à y mettre un peu du sien, aussi ! Oreste, tourné vers lui, finit par lui prendre à nouveau le bras pour le traîner, quitte à perdre un peu de temps. Pour une fois, il avait du mal à être conciliant. La vie de son ami, ou tout du moins sa dignité, était en jeu après tout !

Attrapant fermement le poignée du corps de Gabriel, Oreste arpentait les rues bordant les alentours de sa demeure, même si celle-ci était relativement isolée. La banlieue d'Ottawa avait l'avantage d'être simple d'accès, et bien vite, ils rejoignirent la rue indiquée par le moniteur dans son salon. Seigneur Octet leur avait vraiment sauvé la mise, une fois encore. Il ne restait plus qu'à repérer l'emplacement d'un chien errant dans cette petite allée. Il regarda autour de lui, cherchant des yeux la trace d'un petit animal poilu, mais tout ce qu'il vit fut des familles ou des groupes d'amis faisant du shopping. Il y eut même quelques vieilles dames qui dévisagèrent les deux hommes si proches pourtant, mais Oreste mit ça sur le compte de son expression paniquée qui ne quittait pas son visage. Il avait du mal à se contenir... ses yeux rodaient partout. Sur la moindre vitrine, la moindre personne, la moindre chose qui se détachait du décor.

« Bon sang... c'est pourtant cette rue-là... », marmonna-t-il, faisant quelques pas pour changer d'angle de vue. Quelques ruelles se trouvaient alors à leur portée, et il fronça les sourcils lorsqu'un bruit sourd et métallique se fit entendre.

« Hm... ? Mais... », fit-il, légèrement perplexe. Un dernier coup d'oeil dans la rue autour d'eux, visiblement dépourvue de chien, et il prit la décision d'aller vérifier de lui-même.

Trois pas et ils y furent, pour constater que la chance leur souriait enfin. Une poubelle renversée au sol, et un petit chien batifolant dans les ordures, semblant chercher un semblant de nourriture. Le visage de l'alchimiste s'éclaira et il lâcha le poignet du corps de Gabriel, pour rejoindre à pas de géant l'âme de celui-ci, emprisonnée dans ce petit gabarit. Il n'y avait pas à en douter, la description du petit être correspondait exactement à celle que le hérisson avait faite de lui, et sa localisation était bel et bien à l'endroit que son ordinateur avait tracé.

« Gabriel ! Te voilà enfin ! », appela-t-il, avant de s'approcher de l'animal.

Un grand sourire planté sur la figure l'éclairait désormais, et il se sentait véritablement soulagé de l'avoir trouvé aussi facilement. L'alchimiste rit légèrement et tapota la tête de l'animal qui aboyait joyeusement à sa vue, sans doute l'ayant reconnu aussi en son fort intérieur... ce qui était une bonne nouvelle ! Il s'accroupit et l'attrapa pour le prendre contre lui... Il ne sentait pas la rose, mais au moins, Gabriel était désormais en sécurité... en quelque sorte.

« Allez, on rentre à la maison... Il va falloir te débarbouiller, et trouver une solution ! On a encore du pain sur la planche ! »

D'un ton léger, il se tourna à nouveau vers le corps de son ami possédé, et lui sourit pour la première fois depuis leur altercation. Maintenant, il n'y avait plus qu'à rentrer... et faire chauffer les connaissances alchimiques pour réparer tout ça !

© Starseed