Oreste ► Quand la culture se mêle à l'éducation.

VISITE SCOLAIRE

oreste deslaurier && aladár balász

Une collaboration entre l'université d'Ottawa et la National Gallery. Liaison entre l'éducation et la culture, point positif la ville canadienne. Cela fait quelques années que le directeur du musée, Aladár, a accepté cette proposition, choisissant les oeuvres qu'il souhaite intégrer avec quelques professeurs qui lui permettent de savoir si la réalisation est possible ou non. Etudiant en art mais également en ingénierie, ainsi que parfois d'autres sections entre dans la course pour ce projet qui semble plaire à tout le monde. Cette année, la nouvelle fondation Louis Vuitton située à Paris a tapé dans l'oeil du Djinn. L'architecture design de ce bâtiment est particulièrement appréciée et son idée est simple, il souhaiterait une reproduction miniaturisée et en métal blanc de ce chef d'oeuvre. Un nouveau défi à relever pour l'université, bien qu'il est persuadé que rien n'est impossible. La placer dans l'entrée est une hypothèse tout à fait réalisable, tant la grandeur ne dépasse pas certaines mesures qu'il devra faire calculer par ces fameux étudiants. Encore une idée qui va lui donner cette réuputation d'homme difficile en affaire, mais il sait ce qu'il veut exposer et ce qu'il ne veut pas. Et cette oeuvre, il ferait tout pour l'avoir afin qu'elle trône dans le hall d'entrée l'année prochaine.

L'organisation d'une visite scolaire est prévue pour ce jeudi matin. L'université a confirmé, puisque les dates doivent correspondre pour tout le monde afin que les étudiants ne ratent pas d'heures de cours trop importantes. La National Gallery est fermée pour la visite, réservée pour les professeurs et leurs étudiants le temps d'une avant-midi. Trois parcours sont prévus tandis que le même nombre de guides est prévu afin que personne ne se marche dessus, permettant à chacun de voir l'exposition de David Altmejd dont sa fameuse oeuvre, The Eye, particulièrement appréciée par Aladár. La seconde partie de la visite est dédiée au photographe Andreas Gursky, dont sa fameuse oeuvre Madonna. La créature surnaturelle a du batailler pour réussir à avoir cette exposition sur les photographies de cet artiste, mais il a réussi et en est très fier, malgré les critiques qu'il entend des nombreux visiteurs qui ne semblent pas vraiment l'apprécier. Bien entendu, tout le monde passerait par l'atrium, endroit où se trouve le bassin d'eau et où l'on peut apercevoir l'étage inférieur puisqu'entièrement fait de verre. Et petite visite du centre, avec sa chapelle Rideau et son architecture agréable.

Un communiqué, envoyé par le service communication à l'université, détaillait précisémment l'organisation de la journée de visite. Un petit-déjeuner offert par la National Gallery serait tout d'abord prévu dans le grand hall, endroit apprécié par les visiteurs au vu de son architecture et de sa luminosité puisqu'il n'est fait que de verre. Une rapide présentation serait faite et ensuite, les visites pourraient commencer.

Vêtu d'un costume couleur crème, Aladár fait son entrée dans le grand hall où se termine les derniers préparatifs. Plusieurs tables rondes sont présentes, recouvertes de nappes blanche et leurs chaises assorties et entourant un buffet bien garnés, centre de la pièce. Un rapide coup d'oeil permet au Djinn de balayer la pièce tandis qu'il regarde ensuite la montre accrochée à son poignet. Elevant la voix, il se fait entendre par le personnel présent qui se stoppe instantanément afin de l'écouter. « Il serait temps d'accélérer la cadence ! Nos invités arrivent dans moins de vingt minutes! » Les trois guides font leur apparition. Aladár s'approche d'eux afin de leur donner les dernières directives et d'être sur qu'ils connaissent chacun le parcours à effectuer pour que personne ne se marche sur les pieds. L'heure tourne, les guides se placent côté à côté derrière le directeur qui fait ouvrir les portes du grand hall afin de sortir devant, pouvant ainsi saluer ses hôtes d'une avant-midi. D'ici quelques minutes, tout le monde devrait arriver. Des étudiants sont déjà présents. Ils semblent attendre leur professeur, ce qui permet au Djinn de passer son oeil pevers sur toutes ces nouvelles têtes qui trônent devant la National Gallery.

“Everything you can imagine is real.” ― Pablo Picasso

Bien qu'habitant Ottawa depuis son premier cri, Oreste ne s'était pratiquement jamais rendu de lui-même dans le musée le plus imposant de la ville. Il y en avait pourtant tout un tas à la disposition des locaux, jusqu'au musée de la poste, situé en banlieue proche ! Mais le fait est que le jeune héritier Deslauriers, du haut de ses quarante-deux ans, ne s'était que vaguement intéressé à la culture artistique qui composait son beau-pays. Il n'était pas du tout réfractaire à toute formes d'art, bien au contraire, il n'avait juste jamais pris le temps de se poser et d'admirer le patrimoine pictural qui pouvait joncher le sol canadien. Les vagues apports culturels, il les avait eu via des sorties scolaires comme celle à laquelle il participait aujourd'hui. Mais aussi grâce à son ex-femme, beaucoup plus portée sur les loisirs autour de ce domaine qui lui ne pouvait l'être. Le nombre d'expositions, de sorties, de concerts où Hécate l'avait emmené... Sa tête en bourdonnait encore.

Seulement, en ce jour de septembre, ce n'était pas par pur but récréatif qu'il se rendait à la National Gallery. En effet, on l'avait informé que cette année, une partie de ses étudiants avait été choisie pour collaborer avec le musée au sein d'un projet nouveau, une sorte d'oeuvre qui mettrait en avant de nouveaux talents. Et comme il s'agissait d'une structure assez complexe et difficile à monter, l'administration s'était dit qu'un professeur agrégé en physique serait l'idéal pour apporter sa griffe. Parfois, la logique des autres le dépassait vraiment... Mais sans vraiment savoir pourquoi, Oreste avait accepté. Sans doute parce que cela apporterait un vent de fraîcheur à sa manière d'appréhender ses élèves, mais aussi et surtout parce qu'il avait besoin de se changer les idées. Se concentrer sur son travail était ce qui lui réussissait le mieux pour l'instant, alors autant accepter toutes les propositions lui tombant dessus...

Bon. Toutefois, bien qu'il soit partant pour ce projet, ça ne lui donnait pas une autorité légendaire. S'il arrivait à maintenir ses étudiants calmes pendant ses cours, faisant preuve de suffisamment de professionnalisme pour cadrer ces futurs ingénieurs, ce n'était pas la même chose en terrain neutre. Le centre-ville, c'était leur endroit, the place to be pour des jeunes gens comme eux, et s'y rendre dans le cadre de leurs études ne les ravissait pas vraiment. D'autant que la plupart d'entre eux venaient à peine de mettre les pieds à la fac, fraîchement sortis du cocon du lycée, et c'était cette faune-là à laquelle Oreste faisait particulièrement attention. On ne sait jamais ce qui pouvait se tramer au sein de leur esprit d'adulescent...

Une fois sur place, enfin, tous sortir du car qui les avait conduit jusqu'ici et qui reviendrait les chercher en fin d'après-midi. Cette même après-midi qui avait été banalisée pour permettre aux participants du projet de se familiariser avec les lieux et de trouver un peu d'inspiration. L’œuvre devait être prête le plus rapidement possible, il n'y avait donc pas de temps à perdre.
Les élèves rentrèrent plutôt sagement dans le bâtiment, sans doute calmé par le côté inconnu des lieux et par la perspective de sauter les cours. Même si, en soi, le projet compterait pour leur diplôme de fin de cycle...
A l'intérieur, le calme était de mise cependant, et Oreste lui même se trouva quelque peu décontenancé par l'ambiance qui régnait. Légèrement surpris, il finit par atterrir, sortant de sa transe temporaire pour se diriger vers l'homme qui avait pris contact avec eux une semaine plus tôt. Il l'avait reconnu immédiatement.

« Ah, bonjour ! Je suis le professeur Deslauriers, le représentant de l'université, pour le partenariat !... Monsieur Balász, c'est ça ? »

Il ajouta une poignée de main ferme avec sa salutation, ainsi qu'un sourire des plus sincères. Sourire, c'était bien quelque chose qu'il savait faire.Mettre ses problèmes de côté lorsque les choses en valaient la peine était une priorité.

« Désolé du retard notre bus s'est... comment dire... un peu perdu. Mais nous sommes là maintenant ! »

Bien sûr, de là à avouer que le GPS s'était emballé à sa simple présence dans l'autocar et qu'il avait du se concentrer suffisamment pour éviter que l'engin ne les envoie en Arkansas... ça, il se garderait bien de le dire !

©Pando

Tout est prêt, seule l'arrivée des étudiants et de leurs professeurs se fait attendre à présent. Aladár, devant l'entrée avec les trois guides derrière lui, sortit une cigarette de son paquet afin de se l'allumer. Fumer lui permet de patienter, chose qui ne le dérange pas vraiment bien qu'il soit adepte de la ponctualité. Plusieurs étudiants attendent devant la National Gallery, sans qu'aucun professeur ne semble les rejoindre. Terminant sa cigarette, le Djinn se retourne vers ses employés. « Rentrons, nous les attendrons à l'intérieur ! » Un ton sec et désagréable venait d'être utilisé, confirmant le changement d'humeur du Directeur. Pour passer le temps, il fit mine d'inspecter une dernière fois les lieux, sans pour autant trouver quelque chose à redire. Tout a été fait comme il le souhaitait, suivant à la lettre les instructions qu'il avait communiquées quelques jours auparavant. Pointilleux, minutieux, il déteste par-dessus tout que quelque chose ne soit pas parfait à son goût. Certains employés, ou plutôt anciens employés, s'en souviennent encore puisqu'ils travaillent à présent dans une galerie de seconde zone qui ne possède aucune renommée, mise à part peut-être celle du quartier dans lequel elle se trouve.

Un brouhaha se fait entendre à l'extérieur, obligeant Aladár à se retourner afin de voir l'entrée prise d'assaut par une horde d'étudiants boutonneux. Le Djinn soupire, ne trouvant pas son bonheur dans cet amas d'hormones, encore bien souvent en ébulition. Un homme arriva face à lui, se présentant comme le professeur Deslauriers et représentant de l'université pour cette journée de découverte culturelle liée à leur futur partenariat. Il lui tenda la main, membre que toisa le Directeur quelques secondes avant de la lui serrer. Les interactions sociales, il n'aime pas ça mais il est obligé de céder. C'est le protocole et même s'il n'est pas pour, il se doit de le respecter. S'excusant rapidement du retard, il expliqua ce dernier simplement : ils s'étaient perdus avec le bus qui accompagnait certains étudiants à la National Gallery. Aladár sourit, un sourire rapide qui disparu tout aussi rapidement qu'il était apparu. Il répondit tout d'abord à la question de ce professeur. « Bienvenue à la National Gallery Professeur Deslauriers. En effet, je suis votre homme, Directeur Aladár Balász ! » Toisant rapidement les jeunes qui se trouvaient dans le grand hall du musée, il reporta très rapidement son regard sur l'homme face à lui. « Passons l'éponge sur votre retard, bien que je ne puisse comprendre comment aucun des étudiants ainsi que vous-même ne connaissiez le chemin jusqu'ici ! Le bâtiment est imposant et visible ! » Un sourire complaisant apparut sur son visage, mécontent de ce manque d'organisation. « J'aime l'organisation et la ponctualité ! Faites-en sorte d'arriver à l'heure lors de nos prochaines entrevues ! » Prochaines entrevues qui seraient toutes liées au projet commun entre l'université et le musée.

Quittant le professeur sans dire un mot, Aladár monta sur l'estrade qu'il avait fait monter afin d'être visible de tout ce petit monde. Quelques minutes d'attentes passèrent, jusqu'à ce qu'un silence religieux pèsent sur l'assemblée. Haussant le temps afin d'être entendu par tout le monde, il commença. « Bienvenue à la National Gallery ! Vos professeurs vous en ont sans doute touché un mot, vous êtes ici pour une future collaboration entre nos deux établissements ! Cette journée vous ai offerte afin de vous rendre compte, par vous-même, vers quoi nous allons ! Pour commencer, nous vous invitons à ce petit-déjeuner offert par nos soins ! Ensuite, nous commencerons les visites ! Bonne appétit ! » Bref discours afin de démarrer la journée, et détendre l'atmosphère. Aladár regarda tout ce petit monde se diriger vers le buffet afin de se servir. Que ce soit un petit-déjeuner anglais avec oeufs et bacon ou plutôt français, avec des viénoiseries, tout était présent en plus de plusieurs boissons, chaudes et froides. La cellule communication avait bien travaillé, ce qui plait au Directeur. Attendant que tout le monde soit servi, il se rend à la table du Pr. Deslauriers afin d'y prendre place. Aladár n'a pas pris de nourriture, ne souhaitant pas s'alourdir pour les prochaines visites. « Etes-vous seul à accompagner les étudiants ? Nous avons prévu trois parcours différents, mais nous pouvons tout aussi bien rassembler tous les étudiants pour un unique itinéraire si personne n'est présent pour vous épauler. » Quelques secondes de répit, mais il ne lui laisse pas le temps de répondre qu'il reprend déjà, légèrement plus chaleureux sans pour autant paraître agréable. « e petit-déjeuner vous plait-il ? » Simple question de courtoisie.

“Everything you can imagine is real.” ― Pablo Picasso

Le moins que l'on puisse dire, c'était que le directeur du musée était quelqu'un de... bavard. Et de vraiment très avenant, peut-être un peu trop au goût du professeur. Face aux monstres de charisme, il avait énormément de mal à s'imposer, séquelles d'une timidité affligeante dont il a été pourvu bien des années. Pourtant, ce n'était pas faute d'enseigner à une myriade d'élèves tous plus dissipés les uns que les autres, et même si l'autorité n'était pas son fort, il arrivait tout de même à se faire respecter. Mais face à ce Balász, et surtout devant ses reproches latents, Oreste se sentait comme un gamin de dix ans que l'on gronderait pour une faute qu'il n'avait pas commis. Au contraire, même ! C'était bel et bien grâce à lui que le bus était arrivé à bon port... Mais bon. Il n'en fit pas grand cas. Après tout, l'important c'était d'être arrivé, non ? Alors, quelques poignées de minutes de plus ou de moins...
Oreste se contenta de sourire pour toute réponse, avant d'ajouter :

« Nous ferons notre maximum, c'est promis. »

Sans plus de cérémonie, il jeta un regard circulaire à ses étudiants qui, groupe désordonné, constituait une masse imposante au sein du hall. Hall qui, pour Oreste, se rétrécissait. Bon sang... Il n'avait vraiment pas eu de chance. Lui qui détestait les endroits bondés ou les foules amassées, il était servi. Soupirant profondément, il tenta de calmer son angoisse naissante qui, au creux de son ventre, lui donnerait des douleur viscérales s'il ne s'en occupait pas maintenant. Se mettant un peu à l'écart, il murmura, yeux close, une formule durant quelques instants. Rien à voir avec de l'alchimie, mais simplement pour se recentrer sur lui-même, et tenter de se reprendre.
Il finit par rejoindre les autres approximativement trente secondes plus tard, alors que le directeur déclamait un discours de bienvenue. Les bras croisés, Oreste l'écoutait autant que les autres élèves, mais il pâlit légèrement (encore plus que d'habitude à vrai dire) lorsqu'il mentionna le petit-déjeuner gratuit. Oh, seigneur...
A peine le speech terminé que les yeux de ces gamins brillèrent de mille feux devant le buffet. Et il fallait bien avouer qu'il y en avait pour tout les goûts. Mais les voir s'y précipiter avec tant d'ardeur finit par arracher un sourire, puis un rire au professeur. La fougue d'une telle jeunesse le ravissait tout autant qu'elle l'inquiétait parfois...

Il se résolut finalement à se joindre à l'hystérie générale causé par un peu de nourriture, et quant à lui, ne prit qu'un café. Manger était loin d'être l'une de ses activités favorites, surtout lors des périodes où sa malédiction le faisait encore plus souffrir que d'habitude. Et, malheureusement, il ne les choisissait pas, ces dites périodes. Cela aurait été bien trop simple... Même si ses talismans le protégeaient du pire pour l'instant, il n'en restait pas moins difficile pour lui de vivre de manière tout à fait normale. Aussi, incapable d'avaler quoi que ce soit d'autre qu'un liquide noir (comme devaient sans doute l'être certains de ses organes...), il restait silencieux à sa table, écoutant les élèves parler entre eux de tout et de rien. Surtout de rien.
Ça, c'était jusqu'à ce qu'Aladàr ne le rejoigne, évidemment. Les deux seuls adultes ici discutaient entre eux, et restaient les seuls vrais maîtres ici. Seulement, Oreste aurait bien aimé pouvoir avoir un véritable échange avec lui, plutôt que d'ouvrir et refermer la bouche chaque fois qu'il croyait pouvoir en placer une ! Quand il eût l'occasion de répondre, il usa de ce sourire de façade dont il avait l'habitude et prit enfin la tangente.

« Ah, eh bien... Aujourd'hui, oui, je suis seul avec eux. Mes collègues viendront la prochaine fois, ils ne pouvaient pas tous se libérer ce matin. Mais ne vous en faites pas, une fois que leur attention est capté par quelque chose, ils sont très facilement gérables. Un peu comme durant votre discours, d'ailleurs. », déclara-t-il, avant de boire une gorgée de café. Un temps d'arrêt, puis il reprit : « Quant au petit-déjeuner, je ne m'y attendais pas vraiment. On peut dire que c'est une délicate attention... les étudiants ont l'air de beaucoup apprécier ! »

Il éludait la question sans vraiment s'en rendre compte. Après tout, lui aussi trouvait cette idée très bonne, et s'il avait été dans de meilleures conditions physique, sans doute aurait-il fait un sort aux petites chouquettes avant qu'elles ne disparaissent dans l'estomac de ses premières années. Il jeta un coup d’œil aux dits étudiants à nouveau, occupés à se goinfrer et à se demander ce qu'ils allaient bien pouvoir voir. Une question qui turlupinait un peu le professeur également, qui se tourna à nouveau vers l'autre homme assis à ses côtés.

« Du coup, quelle est la suite des opérations ? Quels genres de secrets votre musée abrite-t-il ? »

©Pando