Willow n’avait encore jamais ressenti une douleur aussi vive. Même pas après deux divorces. Même après avoir été une jeune mère, avoir quitté sa famille, travaillé son corps au quotidien et vécue dans une certaine souffrance, celle des danseuses ou gymnastes de hauts niveaux… mais mentalement comme physiquement, ce qui vibrait en elle était inédit. Dans le mauvais sens du terme. Ce que Darwin venait de lui infliger était insupportable. Elle ne s’était jamais encore rendu à l’évidence, pas jusqu’à ce matin du moins. L’amour avait toujours été vache avec elle, la frappant une fois pour un mec immonde qui avait péri dans les flammes, punition justifiée dont elle était l’auteure. Et puis, une deuxième fois, plus douce, plus idyllique… peut être trop. Un amour sage perdait vite de sa saveur… Mais cette fois, c’était différent. Elle l’aimait avec une force dont elle ne se croyait pas capable, surtout pas après tant d’années passés à ses côtés, et qui s’était révélée peu à peu depuis quelques semaines. Mais d’évidence, ce n’était pas réciproque. Darwin avait été clair… Et revenir en arrière semblait alors à l’Alchimiste, une chose impossible. Faire semblant ? Non… c’était trop fort pour qu’elle puisse mettre ses sentiments de côté pour en revenir à une amitié si fusionnelle. Alors voilà… s’en était fini. Elle ne le reverrait plus… et demeurerait effondrée, avec la certitude d’avoir perdu un fragment de son âme en même temps qu’elle l’avait perdu lui. Et pourtant, elle ne pouvait pas faire demi-tour… Darwin devait déjà avoir tourné la page. Il était immortel, et n’avait clairement pas besoin d’elle pour continuer de vivre comme il l’entendait. Alors que son absence semblait déjà cruelle pour Willow, qui le réclamait déjà, et semblait manquer de lui comme l’on manque d’oxygène.

Au volant de sa vieille voiture qu’elle avait pris après avoir y avoir jeté des affaires en vrac, quittant le manoir sans perdre une seconde, Willow n’arrivait pas à se calmer. Si le souffle lui manquait, elle se sentait surtout désorientée, incapable d’avoir les idées claires. Ces dernières allaient toutes vers Darwin, et le cœur qu’il lui avait brisé. C’était fou d’ailleurs, comme elle pouvait ressentir les éclats dans sa poitrine, comme si réellement il avait éclaté dans son carcan de chair. Conduire dans cet état était dangereux, elle le savait … mais elle voulait mettre de la distance entre elle et lui, le plus vite possible. Et par reflexe, elle conduisit directement jusque chez son frère. La route lui sembla interminable, alors que par espoir, elle jetait souvent un œil sur son portable qu’elle gardait a vu… Mais qu’il appel !! S’il appelait, elle reviendrait, c’était certain. Willow n’avait jamais rampé devant personne, n’avait jamais plié l’échine et pourtant, pour lui … elle n’aurait eu aucun mal à le faire. Si seulement il voulait la rappeler à lui, elle irait. Mais le silence du téléphone était juste l’écho de celui de Darwin. Voila... c’était fini. Fini… pour de vrai. Il trouverait certainement une autre personne pour la remplacer et le distraire. Willow ne cessait de se le répéter, laissant ses larmes exprimer toute l’amertume et la désolation qu’elle pouvait éprouver devant l’indifférence du Stryge. Si bien qu’après s’être garée devant le domicile de son frère, l’Alchimiste s’effondra longuement, la tête appuyée sur le volant pour enfin éclater en sanglot.

Il lui fallut bien longtemps, avant de se calmer et sortir de la voiture. Les yeux rouges et enflés, elle n’avait plus l’énergie et la vigueur qu’on lui voyait souvent quand elle remontait l’allée. Darwin avait soufflé sur sa flamme, l’avait éteinte. Maintenant, elle avait besoin de son frère… c’était tout ce qu’elle voulait pour le moment. Se laissé bercer par Oreste, même s’il restait silencieux, qu’il ne savait pas quoi dire. Simplement sa présence et son soutien, elle verrait le reste plus tard. Trimballant son sac jusqu’à la porte, elle renifla avant d’ouvrir la porte et d’entrer comme si elle était chez elle. Une habitude qui cette fois-là semblait la rassurer, puisqu’au moins elle savait trouver ici la chaleur dont elle avait désespérément besoin. Mais rapidement, Willow fut surprise par deux choses. D’abord, l’odeur qui régnait ici. Un mélange de plantes, aux vapeurs fortes et amers qui semblaient couvrir un parfum plus rugueux, plus inquiétant. Quelque chose qui ne lui plaisait pas. Et puis, c’était aussi la présence de Gabriel qui la perturbait… et son visage surtout. L’expression qui se dessinait sur ses traits fatigués, anxieux… Willow en lâcha son sac, fermant la porte avant de se tourner vers l’Alchimiste si proche d’Oreste.

« Gabriel ? Qu’est-ce que tu fais là ? »  

Elle ne savait pas si c’était l’instinct, ou son état proche de la crise de nerfs ou de la perte totale de contrôle qui la poussait à se sentir déjà si tourmentée. Son cœur fit une embardé, prouvant qu’il pouvait encore battre. Mais Willow semblait deviner que quelque chose n’allait pas…

« Il est où Oreste ? »  

- Gab' je commence à fatiguer … Je sais, mais va falloir tenir ! Je vous interdis de m'abandonner vous deux, pigé !?

Serrant la mâchoire, Gabriel, exténué par l'effort, changeait pour la troisième fois le linge froid recouvrant le front de son ami. Tout s'était passé très vite. Un coup de téléphone inquiétant de la part d'Oreste puis plus rien. Juste le silence. Il s'était douté qu'il venait à nouveau de faire une crise mais une angoisse peu commune l'avait submergé et il avait rappliqué rapidement non sans prendre un grand nombre d'ingrédient et ses grimoires magiques. L'alchimiste avait eu raison, cela avait été la crise de trop. Foutue malédiction ! Il lui était impossible de l'en débarrasser malheureusement mais il pouvait au moins faire en sorte que son état se stabilise. Le cubain, malgré le fait qu'il venait d'une famille de médecin, n'était pas spécialisé dans le domaine de l'humain mais grâce à ses recueils familiaux il arrivait tant bien que mal à combattre la mort qui planait malicieusement au-dessus de son meilleur ami.

Et pour se faire, il avait sorti le grand jeu. Gabriel jeta un œil au petit corps inanimé du hérisson pour vérifier son état à lui aussi, maintenue en vie par un sortilège dessiné à la craie sur le sol. Il tenait bon, parfait. Il avait eu besoin de fusionner avec lui pour que son âme soit complète et pour qu'il puisse jouir pleinement de ses pouvoirs, résultat d'une combinaison qu'ils n'avaient jamais expérimenté avant mais qui semblait fonctionner pour le moment. Physiquement, cela donnait un côté amusant à ses yeux vairons à présent, mais mentalement il se sentait plus puissant. Malgré ça, on pouvait lire une extrême inquiétude mélangée à une vive concentration dans son regard, pataugeant un peu avec toutes ces formules et potions qui ne lui étaient point familières pour soulager la douleur du Physicien. Physicien qui, dans les vapes, parvenait difficilement à rester éveillé. Il fallait qu'il tienne bon, à tout prix !

La chambre de son ami ressemblait à un magasin d'alchimiste, rassemblant du bric à brac magique éparpillé de partout et sentant diverses plantes qui mijotaient dans un coin pour apaiser l'esprit en vrac d'Oreste. En gros, c'était le bordel mais le cubain n'était pas reconnu pour son sens de l'organisation et la situation était bien trop grave pour s'en préoccuper. Gabriel fouilla dans tout son barda à la recherche d'un onguent et une fois en sa possession, il l'appliqua en cataplasme sur les étranges marques noires recouvrant son torse. Nécrose ? Il ne pourrait le confirmer mais cette pommade résorberait ces traces inquiétantes le temps d'un rétablissement qu'il espérait rapide. Une fois cette action terminée, il se massa la nuque et soupira longuement de fatigue. Une pause. Il fallait qu'il fasse une pause sinon il n'allait pas tenir plus longtemps. Vérifiant d'une main sur sa joue l'avancée de la fièvre, il fut soulagé de voir qu'elle avait presque disparue. Pas totalement, mais c'était déjà ça ! Il tenta ensuite de se relever, ses muscles engourdis par si peu de mobilité et dû prendre appuie sur le lit pour se mettre debout. Cela faisait combien de temps qu'il était là, à son chevet ? Deux heures, trois heures ? L'alchimiste regarda l'heure et se fut avec grande surprise qu'il découvrit que cela faisait presque six heures … Et que du coup, il venait de faire une belle nuit presque blanche. C'était plus de son âge tout ça …

- Tiens bon Oreste, je descends juste quelques minutes le temps de boire un peu et de finir les potions.

L'endormir n'était pas une bonne solution, certes cela lui aurait empêché de souffrir ainsi mais il avait besoin de le savoir toujours présent avec lui. Et puis, il avait fait en sorte que la douleur soit moins vive. D'un pas peu assuré, le cubain quitta la pièce et apprécia la fraîcheur du couloir avant de descendre les escaliers à toute vitesse. Faire une pause ne voulait pas dire prendre son temps et lambiner ! Cela dit, il fut coupé dans son élan en apercevant une silhouette connue dans le salon. Oh non … Non, pas maintenant. Mauvais timing. Mierda, Willow ! Ralentissant le rythme de sa marche, il vint vers elle, les traits tirés et anxieux.

- Gabriel ? Qu’est-ce que tu fais là ? Il est où Oreste ?

Ses yeux vairons cherchèrent un point invisible dans la pièce pour éviter d'affronter son regard. Pourquoi les situations déjà difficiles s'aggravaient toujours encore plus ? Tout d'un coup, il en voulait à Oreste juste avant de s'en vouloir d'avoir pensé qu'il lui en voulait (vous suivez?) de ne rien avoir dit à la jeune femme. C'était sa sœur ! Elle avait le droit d'être au courant … Et l'apprendre de cette manière là était bien pire que pendant une conversation posée avec lui. Surtout que maintenant, l'alchimiste ne pouvait plus lui mentir car elle allait de toute façon faire face à la vérité et lui demander de partir, aussi gentiment soit-il, était inconcevable. Cherchant timidement et avec beaucoup d'hésitation ses mots, il lui répondit calmement, connaissant l'oiseau en face de lui :

- Ton frère est … gravement malade, je suis là pour le soigner. Avant que tu ne te précipites dans la chambre, je te demanderais juste de ne pas t'affoler ni faire trop de bruit. Par contre, peux-tu m'aider à monter les potions s'il-te-plaît ? J'en ai pas mal de prêtes et deux mains supplémentaires me sera très utile.

L'entraînant dans la cuisine, il essaya de rester calme et posé pour ne pas l'inquiéter plus puis lui donna plusieurs fioles à amener en haut. Ses yeux captèrent les siens, rougis et gonflés par sûrement des larmes. Willow venait de pleurer ? Fronçant les sourcils, il pouvait lire sur son visage de l'inquiétude causée par sa révélation mais surtout une profonde tristesse. Miséricorde … Ce n'était pas le bon jour pour elle, la pauvre. Posant une main sur son épaule, il lui demanda dans un murmure qu'il voulait rassurant malgré tout ce qu'elle avait dû endurer :

- Est-ce que ça va aller, Willow ?

Chercher le pourquoi de sa présence n’était pas vraiment ce qui importait à Willow. En réalité ce n’était pas trouver Gabriel ici qui l’avait immédiatement troublé. L’alchimiste était un ami fidèle pour Oreste, célibataire de surcroît (HAHA) tout comme son frère et donc, il n’était pas étonnant de les savoir l’un chez l’autre, sans doute pour combler leur solitude. Même si franchement, Willow avait parfois des soupçons sur leur simple ‘amitié’, au regard de leur comportement respectif… bref. Là n’était pas le problème. Le problème était surtout dans l’expression qu’abordait Gabriel, qui avait frappé Willow en un regard. Si elle ne connaissait pas beaucoup Gabriel, du moins personnellement, elle était certaine d’une chose : c’était la première fois qu’elle ne lui voyait aucun sourire et au contraire, apercevait une mine si grave sur son visage. Elle en eut presque la nausée. Quelque chose n’allait pas…

Ce qui se confirma bien vite lorsqu’il approcha en silence, pour se planter devant elle. Willow le toisa d’un air défiant, ayant pertinemment conscience que peu importait la teneur de ses propos, elle n’était pas du tout prête à les recevoir… Levant le menton avec arrogance, par reflexe surement, l’alchimiste recula d’un pas. Comme s’il était un ennemi. Et comme si cela allait l’aider à le faire taire ! Qu’il ne dise rien et la laisse encore un peu dans l’illusion que les choses n’allaient pas définitivement voler en éclat. Mais Gabriel parla, pour la réduire au silence elle aussi. Un silence qui était bien rare, venant d’elle. « Ton frère est … gravement malade, je suis là pour le soigner. Avant que tu ne te précipites dans la chambre, je te demanderais juste de ne pas t'affoler ni faire trop de bruit. Par contre, peux-tu m'aider à monter les potions s'il-te-plaît ? J'en ai pas mal de prêtes et deux mains supplémentaires me seraient très utiles. » Gravement malade … comment ça, gravement malade ? Il avait chopé quoi ? Une angine, comme Dada (déchirement) ? Une trachéite ? Ouais ça c’était quand même hyper hard… Mais Willow avait beau se taire, et essayer de se convaincre que rien n’était plus grave qu’un gastro dans le cas de son frère, elle n’avait qu’à jeter un œil du côté de Gabriel pour comprendre que non… Que c’était nettement plus grave. De son côté, l’homme au hérisson (qui d’ailleurs brillait par son absence, à première vue) lui avait fichu des potions plein les mains, sans qu’elle ne s’en rende compte. Coincée dans une dimension ou elle n’arrivait même plus à souffrir de son cœur brisé par Darwin, tant c’était à présent l’état d’Oreste qui l’inquiétait. « Est-ce que ça va aller, Willow ? »

Et elle réalisa enfin que non … elle ne vivait pas un cauchemar mais était bel et bien dans la vraie vie. Sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, Willow secouait la tête, les yeux dans le vide. « Non », faisait elle, sans arriver à sortir quoi que ce soit d’autre à Gabriel qui pourtant semblait attendre une réponse. Et puis, comme si soudainement Willow réalisait ce que l’alchimiste venait de lui révéler, revenant à la surface … elle laissa rouler les potions sur le plan de travail de la cuisine. Elle n’avait alors plus qu’une idée en tête, voir son frère. Elle devait le voir, maintenant, dans la seconde ! Ce besoin s’était fait si violent, qu’elle en avait la tête qui tournait, et titubait presque dans le couloir alors qu’elle rejoignait peu à peu l’escalier en courant. Gabriel était un menteur ! Il exagérait… gravement malade tu parles ! Il avait juste une constitution un peu fragile, rien de plus. Mais au fond son frère était un roc (c'est un pic c'est un cap que dis-je c'est un cap c'est une péninsule – fallait bien une allusion au pif !), un Deslauriers ! Gabriel exagérait, oui oui, c’était cela. Rien ne pouvait l’abattre, son grand frère… hein ?

« Oreste ?! »

Sa voix était presque méconnaissable tant elle vibrait d’angoisse. Willow se sentit perdue l’espace de quelques secondes. Elle en oublia où était la chambre de son frère… avant d’y débarquer comme une furie. Et la vision qui s’imposa alors à elle lui fit rater quelques battements, figeant son corps dans l’encadrement de la porte. Il était étendu, alité… pire que cela même. Il avait l’air tout simplement mourant. Longtemps Willow resta immobile sur le pas de la porte à l’observer d’un air de stupéfaction total. C’était tellement improbable de le voir ainsi. Elle ne réalisait pas. Comment pouvait-elle d’ailleurs ? Accepter de voir son frère yeux rougis, lèvres sèches et la peau… presque jaune ! Devant une image pareil à la TV, Willow se serait écriée sans émotions ‘Alors lui il va clamser sa race dans deux s’condes !’. Mais là… non impossible à accepter. Elle se trompait, et Gabriel aussi ! Oreste ne pouvait pas se trouver dans cet état catatonique d’agonie certaine… Plutôt crever elle-même, que d’accepter ça. Son cœur sembla soudainement se remettre en marche, lui imposant une douleur qui lui arracha un gémissement plaintif mais lui permit aussi d’enfin bouger. En quelques pas, Willow s’approcha du lit et, à nouveau au bord des larmes, trouva simplement la force de venir s’étendre doucement à côté de lui, s’accrochant à son pyjama usé et imbibé de la transpiration fiévreuse d’Oreste. Elle n’osait plus le regarder à présent… Et préférait fermer les yeux.

« S’il te plait … dis-moi que c’est pas grave ! C’est juste… quoi un p’tit rhume qui a mal tourné ? Pfff t’es plus fort que ça quand même… hein ? »

Un sanglot la secoua, mais elle le retint. Parce que bien sûr, Willow savait qu’il ne s’agissait pas d’un rhume. Elle refusait de croire qu’il allait si mal pourtant, persuadée comme le sont parfois les enfants, que la mort ne peut certainement pas frapper un proche. Mais elle tremblait pourtant sous ses larmes qui n’avaient que faire de ses yeux clos, qui elles semblaient avoir conscience déjà, qu’il fallait dès à présent veiller son frère.

« Oreste… qu’est-ce que tu as ? Frangin… dis-moi… »

Il avait rêvé d'autre chose.
Une vie simple et sans contrainte. Sans secrets, remplie de projet, d'amour, et de joie. Il aurait pu vivre pleinement son histoire, une existence qu'il aurait tracé de sa propre volonté. Oh, bien sûr, les obstacles auraient été sur sa route, mais n'y-avait-il pas plus grande fierté que celle de les outrepasser ? Sa force aurait été là, constante, prête à le soutenir et le rendre victorieux. Il aurait aimé, si longuement, si passionnément, et il aurait peut-être eu des enfants. Il les aurait vu grandir, devenir meilleur de jour en jour.

Oh oui, que cette vie aurait été belle.

Mais il ne pourra plus en rêver.

Il le savait.
Oreste Deslauriers allait mourir aujourd'hui, en laissant derrière lui les traces d'un passé inachevé.

L'alchimiste alité ne pouvait plus bouger depuis quelques jours, les yeux remplis de larmes fiévreuses fixant le plafond de sa chambre lorsque ceux-ci n'étaient pas fermés, affaiblis par la douleur. C'était étrange. Il avait l'impression que depuis que la malédiction avait enfin repris le dessus, il avait cessé de mentir. A soi-même, et aux autres. Enfin... enfin l'ombre qui le poursuivait depuis trois ans venait de l'attraper, et de révéler au monde quel était son véritable état.
Quel dommage. Il avait tant cru pouvoir fuir indéfiniment. Il était bien présomptueux, avec ses dopes, ses potions et ses sortilèges.
Mais il n'aurait pas pu échapper éternellement cette épée de Damoclès. Et elle venait de lui transpercer le crâne en tombant sur lui, déchirant ses certitudes et le cœur de ses proches.

Ses proches...

Dans le flou qu'était devenu son champs de vision, il avait senti la présence de Gabriel à ses côtés. Il avait réussi à le contacter tant bien que mal après son départ du bal. Et surtout après avoir senti que le punch qu'il avait bu avait causé chez lui des vertiges bien trop importants pour être occultés. Cette fois... c'était sérieux. Et son ami était bien le seul à pouvoir l'aider. Anthéa était partie. Toute sa confiance ne résidait que dans son meilleur ami, celui qui partageait ce secret, qu'il sentait parfois à bout de souffle depuis qu'il lui prodiguait ces soins. Si ses forces avaient été suffisantes, Oreste l'aurait certainement repoussé quand il avait senti que les heures passées sur son cas ne servaient plus à rien. Son ami épuisait sa magie en vain.

Le silence dans sa demeure le préparait au pire. Oreste était pourtant résolu. Des années qu'il se savait condamné. Dans le tiroir de sa table de nuit résidait toujours le testament qu'il avait rédigé un soir où la morosité était à son paroxysme. Il possédait bien peu de choses... mais voulait que ses proches en jouissent malgré tout. Pour Gabriel. Pour Flynn. Pour Anthéa. Pour Willow... Pour Hécate.
Quand son ami quitta les lieux un instant, les yeux brûlants d'Oreste se fermèrent quelques secondes, ne serait-ce que pour avoir un peu de repos. Dans son esprit passa le sourire de sa femme retrouvée, la lointaine, celle qui ne savait rien de ce qu'il était en train de se produire. Il était tout de même soulagé d'avoir pu lui parler avant de s'en aller.
Beaucoup de personnes succédèrent à ce visage, ses amis, ses connaissances, des collègues... puis, plus lentement, les traits de sa mère, son beau-père, ceux de son père... et de ses sœurs, plus jeunes. Il comprit que le film de sa vie s'étalait le plus doucement du monde derrière ses paupières closes... lourdes comme du béton.

Pourtant. Un sursaut de vie précipita son faible cœur vers le haut, battant contre sa poitrine nécrosée.
Une voix l'avait rappelé.
Et ses yeux livides confrontèrent ceux, paniqués, de la dernière jeune femme qu'il attendait en ces lieux.

« … Willow... ? »

Il n'y croyait pas. Elle ne devait pas être ici. Pas aujourd'hui. Pas maintenant.

« Mais... pourquoi... es-tu là ?... »

Les larmes trouvèrent une échappatoire pour rouler sur ses joues creusées. Il n'avait plus la force de mentir pour la protéger. Jamais, plus que jamais... son âme était mise à nu.

« S'il te plaît... ne me regarde pas... »

Il passa une main sur son visage. Ses plaintes ne servirent à rien. Sa voix basse, rauque, entrecoupée de toussotements, ne couvrait en rien celle de sa sœur qui s'était blotti contre lui. Il percevait un peu de sa chaleur... sans pouvoir la lui rendre. Et elle voulait savoir. Savoir pourquoi bientôt elle devrait avoir à affronter la perte de son frère.

« Une faë m'a maudit il y a trois ans... j'ai cru pouvoir tenir bon... le dissimuler mais… je suis désolé. Je suis désolé... Je suis désolé... »

Il ne parvenait pas à la regarder quand sa voix, proche du chuchotement, mourra dans l'air en répétant ses excuses en boucle. Il tenta de bouger sa main, le plus lentement possible, pour saisir la sienne et la serrer faiblement. Qu'elle était douce...

« … Willow... Je ne pourrais pas rester avec toi. Ce n'est plus possible... pardonne-moi, petite sœur. »

Garde de moi un souvenir radieux, je t'en prie. Ton frère un peu bêta, un peu maladroit... mais qui t'aime plus que tout.

Les fioles roulèrent encore sur le plan de travail alors que Willow avait déjà disparu de la cuisine. Gabriel échappa un léger soupire en retenant les potions d'une main pour ne pas qu'elles se brisent sur le sol. Il comprenait sa réaction et s'il ne l'avait pas retenu, c'était parce qu'il n'en avait pas le droit. Dans sa situation, il aurait fait la même chose. Elle devait savoir, c'était avant tout sa sœur, il ne fallait pas qu'Oreste l'oubli. L'alchimiste décida donc de rester quelques minutes en bas pour les laisser discuter tranquillement mais aussi pour reprendre des forces qui commencèrent à lui manquer. La fatigue lui piquait les yeux et lui engourdissait les membres si bien qu'il vacilla lorsqu'il voulu faire quelques pas pour se remplir un verre d'eau.

- Tu forces trop Gab', fais attention à toi sinon tu risques d'y passer ! Je le sais Moji', mais je n'ai pas le choix, je dois aider mon ami tu le comprends ça ? A force de vivre avec vous, les humains, oui je ne suis qu'obliger de comprendre … Mais bon, t'épuiser à la tâche de la sorte n'est pas non plus une excellente idée. Ta magie n'est pas à la hauteur pour ce genre de soin, tu n'es pas médecin mais vétérinaire donc je … Si c'est pour dire ça, je préférerais que tu te la fermes, je n'ai pas besoin d'entendre ça maintenant ! La priorité c'est de maintenir son état et de réfléchir à une solution.

Le petit hérisson se tut, ne voulant pas envenimer les choses déjà bien assez compliquées. C'était rare de voir le cubain aussi rigide et sec dans ses paroles et cela ne présageait rien de bon. Alors le silence fut de mise et seul le cliquetis des fioles en verre résonnèrent dans la pièce. Après s'être désaltéré et avoir rassemblé tous les liquides magiques, il rejoignit la chambre où se trouvait à présent les deux Deslauriers. Il arriva sur une phrase du malade qui ne le laissa pas indifférent :

- … Willow... Je ne pourrais pas rester avec toi. Ce n'est plus possible... pardonne-moi, petite sœur.

Gabriel fronça les sourcils. Comment son ami pouvait-il tenir un tel discours ? L'espoir était et devait être toujours présent, baisser les bras de la sorte ne pouvait qu’accélérer le processus sinistre d'abandon de soi. Ses yeux vairons se posèrent sur Oreste, et sans le lâcher du regard, il posa son butin non loin de lui et répliqua avec véhémence :

- Arrête de dire des conneries Oreste ! Tu vas rester avec nous, on trouvera une solution ! Tant que je vivrai, ton état restera stable alors mon petit père, tu vas me faire le plaisir d'ouvrir la bouche juste pour avaler cette potion ! Gabriel, tu commences à t'énerver, calme toi s'il-te-plaît … Sinon tu sais comment ça va finir.

Pour une fois, l'animal avait raison … Se mettre en colère était tout sauf une bonne idée, car avec la fatigue et le poids du fardeau de son meilleur ami, il risquait de déraper assez rapidement. L'alchimiste savait qu'il lui était difficile de contenir sa rage alors, après avoir soufflé un bon coup, il retrouva un semblant de sourire tout en faisant boire une potion à Oreste. Elle avait pour but d'apaiser sa douleur et de faire baisser sa fièvre, ce qui se vérifiera dans quelques minutes, le temps qu'elle fasse effet. Il s'approcha ensuite de Willow, pour la prendre par les épaules et la tirer délicatement hors du lit :

- Désolé mais je dois soigner ses blessures. Il y a une chaise là-bas, installe-toi près de lui si tu veux. Fais attention de ne pas m'écraser hein ! Je me trouve juste à côté ! Mojito ...

Secouant doucement la tête sous les paroles du hérisson, il continua ses opérations tout en restant concentré. Dans sa bulle, dans son monde, il fit un rapide check-up de sa réserve de magie qui avait bien diminué mais qui restait tout de même potable sans qu'il se mette en danger. Parfait. Gabriel se frotta les mains pour les chauffer tout en récitant des formules hispaniques apprises à la volée dans le recueil familial puis les apposa sur son torse pour accentuer l'effet du cataplasme étalé juste avant. Son regard se dirigea ensuite vers Willow, avait-elle été mise au courant ? Il se refusait d'en parler tant qu'elle ne le serait pas. Ce n'était pas à lui de lui dire...

« … Willow... ? » Cette voix… c’était celle de son frère ? Willow n’arrivait pas à croire qu’elle semblait si faible, si lointaine qu’elle l’entendait à peine. Lentement, l’Alchimiste semblait réaliser quelle terrible épreuve elle aurait bientôt à subir. Mais elle n’arrivait pas à comprendre, rien ne faisait sens ! Pourquoi est-ce que d’un seul coup… sans préavis, Oreste tombait si gravement malade ? Avait-elle été si aveugle pour qu’il lui cache quelque chose de si important ? Apparemment oui. Maudit sois-tu Willow… toi et ton égoïsme. « Mais... pourquoi... es-tu là ?... S'il te plaît... ne me regarde pas... » Comment pouvait-elle obéir à cette faible injonction de sa part. Willow au contraire, ne parvenait pas à détourner son regard, scrutant chaque ride de fatigue, chaque détail que ce visage décharné voulait bien lui montrer. A la cherche d’indices qui la mènerait vers une vérité terrible qu’elle aurait préféré ignorer. « Une faë m'a maudit il y a trois ans... j'ai cru pouvoir tenir bon... le dissimuler mais… je suis désolé. Je suis désolé... Je suis désolé … Willow... Je ne pourrais pas rester avec toi. Ce n'est plus possible... pardonne-moi, petite sœur. » Sans peine, elle avait senti la main d’Oreste dans la sienne, aussi légère qu’une brise printanière. Et pourtant si chétive qu’elle n’avait aucun effort à faire pour s’en dégager. Mais bien au contraire, Willow la serra dans la sienne, doucement… parce qu’elle avait l’impression qu’un rien pourrait le faire souffrir. Mais elle ne réalisait pas encore… Willow n’arrivait toujours pas à donner du sens à ce qu’il disait. C’était tellement absurde ! Comment Oreste pouvait-il seulement croire qu’il allait la laisser ? Ne plus rester avec elle… c’était… aberrant. Et improbable. Accepter le départ de son frère lui semblait alors impossible. Mais sous l’effet du choc, devant cette révélation qu’elle enregistra pourtant bel et bien, Willow restait simplement abasourdit, et désorientée. La tête posée sur l’épaule de son frère, elle fixait le vide devant ses yeux et demeurait pensive, gênée par des raisonnements qui lui paraissaient toujours aussi impossibles.

Et puis, Gabriel fit éclater sa bulle de doutes et d’obscurités, venant contrer les paroles d’Oreste avec une éloquence qu’elle ne lui connaissait pas. « Arrête de dire des conneries Oreste ! Tu vas rester avec nous, on trouvera une solution ! Tant que je vivrai, ton état restera stable alors mon petit père, tu vas me faire le plaisir d'ouvrir la bouche juste pour avaler cette potion ! » Elle l’observa longtemps, avant de contempler son frère boire la fameuse potion. Elle semblait totalement perdue, loin de percuter. Si bien que Gabriel eut la possibilité de la manipuler aussi facilement que si elle avait été faite de tissus… « Désolé mais je dois soigner ses blessures. Il y a une chaise là-bas, installe-toi près de lui si tu veux. » Willow le laissa l’arracher de la proximité de son frère, quitte son chevet, sa main, et elle se fit obéissante. Les membres tremblants, la respiration bruyante, elle baissa la tête en signe de docilité et s’en alla s’installer sur le fauteuil qu’il lui avait désigné, d’où elle l’observa d’un air hagard. Elle n’y croyait toujours pas… ne voulait pas réaliser, et demeurait en plein déni alors qu’elle secouait la tête de gauche à droite. Elle ne voulait pas. Elle refusait.

Mais le regard de Gabriel vers elle fut comme une révélation. Ce n’était ni une blague, ni un cauchemar… c’était la réalité. Et Oreste allait mourir. Willow pris une inspiration longue et entrecoupée de sanglots alors que ses yeux à nouveau, se chargeaient de larmes lourdes et abondantes. Puis un gémissement, alors qu’elle tentait de se relever avec maladresse. Son corps ne suivait plus. Il avait été le premier à subir le contrecoup de cette vérité insoutenable que son esprit tentait encore de rejeter. Mais en vains… Willow ne pouvait pas ignorer l’état d’Oreste, elle ne pouvait pas fermer les yeux sur ça. Et encore moins sur une évidence douloureuse : était impuissante.

« Non … non ! C’est pas possible mais… Oreste, tu peux pas mourir. Tu peux pas me laisser ! »

Lentement, elle était parvenue à se lever pour avancer vers le lit d’un pas fort peu assuré. Il ne restait alors rien de Willow, de son paraitre ou de ses allures insolentes et puériles. De sa fierté… ou ne serait-ce que sa force de caractère. Elle n’était plus rien, juste une gamine qui pour la première fois de sa vie se retrouvait anéantit par un événement qu’elle ne pouvait ni fuir, ni affronter. Après avoir baigné Oreste d’un regard horrifié et suppliant, c’est vers Gabriel qu’elle tourna ses yeux empreint de la même expression. D’un geste toujours aussi piteux, Willow sembla prendre appuie sur l’épaule de l’Alchimiste pour arriver jusqu’à lui sans choir.

« Gabriel… qu’est-ce qu’on peut faire ? Je… j’ai jamais appris l’alchimie, je ne peux pas t’aider … pour ça. Mais je ferais tout ce que tu veux. Je ferais tout, tu entends ? N’importe quoi ! »

Même mourir. Oui même mourir, elle l’accepterait si Oreste pouvait s’en sortir. Lui, il le méritait. Willow implorait aussi bien en parole, qu’en attitude. Car si elle avait saisi les vêtements de ce grand type, c’était surtout parce qu’elle sentait son corps la lâcher, ses jambes notamment. Si bien qu’elle s’effondra contre lui, sanglotant à nouveau sans plus rien retenir. Elle qui toujours se tenait droite, par orgueil ou impertinence semblait avoir tout abandonné. Le corps secoué de pleurs, elle révéla des yeux rouges vers Gabriel pour souffler d’une voix brisée :

« Par pitié… par pitié il faut que tu le sauves… C’est mon frère… »

Elle n’était plus bonne qu’à cela. Supplier, à genoux s’il le fallait. A vendre son âme pour apaiser la douleur de son frère, et pour qu’il ne les quitte pas.

Combien de mois avait-il passé à essayer de comprendre ? Combien de jours la culpabilité avait-elle pris le pas sur sa raison, le détruisant petit à petit, l'incitant à accepter cette punition pour avoir osé ôter la vie d'un enfant ? Combien d'heures et de pleurs s'étaient-ils écoulés, au fil des années ?
La maladie faisait perdre la notion de temps à Oreste, si bien que l'espace, lui aussi, n'était plus réduit qu'à une myriade de couleurs et de sons ténus. La voix de Gabriel lui parvint comme un signal d'alarme, de quoi se raccrocher un peu pour ne pas tomber dans le vide. La potion qui glissa entre ses lèvres prit effet immédiatement, alors que le liquide s'insinuait dans ses muscles, ses organes, son âme et cette essence qui le formait, lui, un petit être magique sur cette planète si grande.
Mais plus que ce soin, c'était ses mots qui prirent un écho salvateur en lui. Bien qu'il n'était pas d'accord avec son meilleur ami. Il ne voulait qu'il se donne tant de mal. Si ses proches venaient à perdre la vie pour le sauver, alors il n'était plus question pour Oreste de se battre.
Eux, il n'était coupable de rien.
Ils n'avaient pas à subir cette souffrance qui le rongeait.

C'était sans doute idiot, mais Oreste restait persuadé que ses erreurs avaient été légitimes. Éloigner ceux qu'il aimait de son propre malheur permettait de graver en lui de belles images pour lorsqu'il sera parti. Il était loin de vouloir contempler ces visages éplorés, rongés de pitié et de peine, alors qu'il fermerait les yeux pour la dernière fois. C'était pourquoi il avait d'abord décidé de vivre ça seul, avant que petit à petit, certaines oreilles se trouvèrent prêtes à entendre ce lourd secret. Mais il avait mis un point d'honneur à préserver celles de Willow. Ne jamais lui dire, ne jamais rien gâcher, profiter d'elle sans penser à ce qui l'attendait. Il avait agi ainsi aussi bien avec ses soeurs qu'avec sa propre épouse. Dans un geste de protection démesuré pour ces femmes qui, en un sens, colorait son existence.

Et pourtant, ce jour-là, tout ses efforts furent réduits à néants.

L'expression sur le visage de Willow lui donnait le vertige, et malgré sa présence, il se sentait malheureusement dériver loin d'elle. Loin de ce qu'elle voulait de lui. Loin de ce qu'il venait de lui avouer, de cette réalité qui les blessa tout les deux.
Elle souhaitait qu'il reste. Qu'elle et lui parviennent à être soudés, comme le frère et la sœur qu'ils avaient toujours été, sans véritablement le voir. Le corps de la jeune femme contre le sien, reliés mains à mains, lui prodiguait cette chaleur qu'il commençait déjà perdre petit à petit, avant que Gabriel ne l'éloigne pour se concentrer sur les soins de son ami. Oreste voulait bouger. Oreste voulait sortir de ce lit, rassurer Willow, lui dire que tout ça n'était qu'une vaste blague et se prendre une claque pour toute réponse.
Tout. Oreste voulait tout faire que les larmes de sa petite sœur cessent de couler en son coeur. Quitte à mentir encore, et encore, et encore.
La bercer d'illusions était bien moins douloureux que la séparation.

Quand elle se redressa, son aîné tenta de faire de même, le corps fébrile appuyé sur ses coudes, les bras tremblotants sous l'effort qui lui demandait trop d'énergie, alors que quelques jours en arrière, il débordait de santé. Une santé trafiquée, qui aujourd'hui, perdait toute sa force et sa vigueur face. Les masques tombaient. Aussi bien celui d'Oreste que celui de Willow, agrippée à Gabriel, l'implorant de toute son âme de sauver son frère. Elle n'avait rien de plus que ses yeux rougis de larmes pour combattre cette vérité implacable.

Ce fût peut-être à cet instant précis qu'il comprit l'évidence.

Il n'était pas seul dans cette histoire. Il ne l'avait jamais été. Aveuglé par la peine, il avait mené cette croisade sans prendre en compte ses conséquences. Ni ceux qui resteraient, après tout ça, si jamais tout cela venait à prendre fin.

Mais il n'était rien sans eux.
Absolument rien.

Cette idée le frappa. Le frappa si fort que ses propres larmes se mirent à couler sans retenue. Il ne parvenait plus à la regarder. Ni elle, ni Gabriel. Ses propres mots restaient bloqués dans sa gorge.

Il était simplement meurtri que tout cela se termine de cette manière.

-Non … non ! C’est pas possible mais… Oreste, tu peux pas mourir. Tu peux pas me laisser !

Nous y étions. Willow venait de réaliser l'ampleur de la situation. Gabriel serra la mâchoire, donnant tout ce qu'il pouvait pour maintenir son ami en vie mais cela ne sera point suffisant. Plus sa magie le quittait, plus son espoir de le sauver s'amoindrissait. Il ne pouvait lutter contre une malédiction, encore moins jetée par une Faë. Cependant, il ne pouvait lâcher l'affaire, c'était Oreste merde. Il fallait une solution concrète mais seules des idées abstraites flottaient dans son esprit. Réfléchir. Rapidement. Un coup d'oeil rapide sur son recueil qui ne lui serait d'aucune utilité, ses mains tremblaient sur le corps meurtri par tant d'années de douleur, de subterfuges. Souffler. Il devait respirer, se calmer et éviter de tomber dans le piège vicieux du désespoir. L'alchimiste se sentait obligé de rester fort pour les deux Deslauriers brisés. Un pilier, voilà comment il se voyait mais hélas, il ne l'était pas. Sa seule force restait son sourire, éteint en ce moment même. Beaucoup admirait son mental d'acier, sa joie de vivre omniprésente après tout ce qu'il avait enduré mais ce n'était qu'un masque, une carapace pour cacher sa détresse interne. Gabriel semblait intouchable, imperturbable … Mensonge. Il senti un poids sur son épaule, la jeune femme venait de le rejoindre.

-  Gabriel… qu’est-ce qu’on peut faire ? Je… j’ai jamais appris l’alchimie, je ne peux pas t’aider … pour ça. Mais je ferais tout ce que tu veux. Je ferais tout, tu entends ? N’importe quoi ! Par pitié… par pitié il faut que tu le sauves… C’est mon frère…

Et là, la vérité éclata. En même temps que ses larmes. Rien. Il ne pouvait rien faire. Ses pouvoirs ne pouvaient rivaliser avec ses maux et cette révélation brisa le peu de confiance qu'il avait. Gabriel laissa ses bras glisser le long de son corps, le visage dévasté et démuni. Ses yeux fixèrent les blessures, ayant de plus en plus de mal à faire le point à cause de l'eau embrumant sa vue avant qu'un hoquet le saisisse et le fasse plaquer sa main contre sa bouche. Oreste allait mourir. Par sa faute. Par sa faiblesse et son manque de connaissance. Il allait perdre son meilleur ami, son confident, celui qui a toujours été là pour lui. Et aujourd'hui, il ne pouvait pas lui rendre la pareille. Ses jambes vacillèrent et il dû faire un effort incroyable pour se maintenir debout. Gabriel tourna lentement son regard vers Willow. Que lui dire ? « Non je ne peux rien faire, ton frère va mourir » … Il ne pouvait en aucun cas lui balancer ça, de plus il en n'aurait pas la force. Et c'est à ce moment précis qu'il comprit le long silence d'Oreste sur son état. Certaines vérités n'étaient pas bonnes à dire, celle-ci en particulier. Il avait du vivre avec ce fardeau, cette épée de Damoclès aiguisée juste au-dessus de son crâne. Epée qui allait malheureusement bientôt s'abattre sur ce pauvre homme en fin de vie. Gabriel venait aussi de prendre réellement conscience de ce destin funeste. Alors il balbutia quelques mots à l'encontre de Willow, fort étonné de pouvoir encore aligner des phrases entre deux sanglots :

- Je … Je ne sais pas. Gabriel, ne mens pas. Tu n'en as pas le droit ! Je ne peux pas … JE NE PEUX PAS ! Bon, je vais le faire à ta place alors … Willow … Non, ferme là ! On ne peut rien faire, juste l'aider à partir sans qu'il ne souffre, je suis désolé.  

Gabriel ferma les yeux. Le hérisson avait parlé. La sentence venait de tomber, tout comme le silence. Même les pleurs de l'alchimiste semblaient s'être éteints devant la violence de cette affirmation. Il se reposa sur l'animal, son air devenant plus grave et fermé à toute expression. Bien sûr que tout cela l'attristait mais malgré le fait qu'il ait vécu parmi les Hommes, son sens du rationalisme restait implacable. Pour lui, la mort n'était pas aussi tragique, ce n'était qu'une étape inévitable. Il prit doucement les mains de Willow avant de l'attirer vers lui pour l'étreindre. S'excuser ne servait à rien, il fallait seulement qu'elle sache qu'elle n'était pas seule pour surmonter cette épreuve.

- Cette malédiction est bien trop puissante … Impossible de la contrer … ou de la transférer ailleurs. Je suis tellement désolé. Oreste …

Il laissa la plus jeune des Deslauriers pour s'installer auprès de son ami, les yeux gonflés par la fatigue, la tristesse mais aussi la honte. Serrant sa main, il se mit a émettre de la magie pure, créant une sorte de bouclier de soin autour de lui. C'était dangereux pour un débutant comme Gabriel, mais il pouvait au moins faire ça. Soigner ses blessures tuméfiées, adoucir sa peine, annihiler sa douleur. L'optimiste cubain venait de disparaître pour être remplacé par un homme enragé de ne rien avoir pu faire. Tous ces efforts, en vain. Tout au fond de lui, il espérait qu'une chose : Qu'un miracle sauve son ami alors il se mit à prier, en silence, ce dieu qu'il avait férocement mit de côté lors de la mort de Tali. Peut-être que cette fois-ci, le divin l'entendra et agira ...