Impossible, c’est bien le mot et pourtant, j’essaie d’imaginer que la raison donnée tient la route. J’essaie de me remémorer toutes ces choses qui auraient pu se passer sous mon nez et que j’ai trouvées étranges sur le moment, avant de passer à autre chose, sans trop me poser de questions. Maintenant, je m’en pose. Beaucoup trop. Notamment sur ce que j’ai vu récemment : Alan. J’ai cru devenir complètement dingue à parler seule dans la rue, mais sur le moment, ça m’a fait du bien. Même si notre conversation n’était pas réelle, je me plaisais à croire que je pourrais renouveler l’expérience, par besoin. Etait-ce si irréel que ça ? Je me ronge l’ongle, nerveuse, tout en l’écoutant parler avec tant de plaisir de surnaturel, sans arriver à placer un seul mot tant je suis déboussolée par la nouvelle. L’envie de me pincer pour ouvrir les yeux, quitter ce qui peut s’avérer être un rêve, m’effleure l’esprit, mais me quitte au moment où je sens ses doigts me caresser mon poignet. Ca a le don de m’apaiser, en même temps que de faire battre mon cœur plus rapidement. Ca m’a tellement manqué. J’ai longtemps rêvé un moment comme celui-ci et j’étais loin d’imaginer que ce serait aussi naturel, comme au premier jour.

Un alchimiste, me répété-je, silencieusement. Je sais de quoi il s’agit, mais entre ce que j’ai lu dans les livres et la réalité, je dois être encore un peu à côté. Ce qui me semblait être une vaste blague il y a quelques minutes, commence à prendre un autre sens. Je suis loin de tout comprendre, mais… Une partie de moi a vraiment envie de le croire, de croire à toutes ces nouvelles choses dont j’apprends l’existence. Une démonstration. L’inconnu fait peur, mais je ne l’arrête pas et baisse les yeux vers cette tasse qu’il entoure de sa main. Je cesse d’un coup de ronger mon ongle, pour placer ma main entièrement sur mes lèvres, les yeux ronds, à la vue de la matière qui change, du liquide qui n’a plus la même couleur. Je reste interdite, sans défaire mon regard du verre. Je cligne une fois, puis une deuxième. « Est-ce que c’est… Comment… » Les mots restent bloqués tant la surprise est là. Hésitante, je réagis enfin et approche ma main du verre que je saisis avec délicatesse, comme si d’un seul coup, je pouvais le briser. L’intérieur est bien blanc. Rien à voir avec le café qu’il y avait il y a quelques secondes. Pour m’en assurer, surtout réaliser, je me permets d’en boire quelques gouttes et repose le verre face à lui, avant de reposer ma main à sa place initiale. Sur ma bouche. Je n’arrive pas à en revenir. Il s’est passé quelque chose, là, en face de moi. Ca n’a rien à voir avec les tours de magie que l’on peut voir à la télévision. C’est encore plus impressionnant que ça. « Ca l’est. C’est… impressionnant. C’est complètement dingue. » soufflé-je, dans un murmure, en jetant discrètement un coup d’œil autour de nous. J’ai tellement peur qu’on puisse remarquer ce qu’il a fait, qu’on puisse nous entendre, aussi. Pas par honte, ou quelque chose comme ça, non. Juste… que je n’ai pas la moindre envie qu’on lui fasse du mal. « Alors… Tu es, en quelque sorte… Un magicien. » Non, pas en quelque sorte. C’est bien ce qu’il est. Mon Homme - parce que ça l'est toujours - est un Magicien. Un Alchimiste. Je place ma main à plat sur la table, m’approchant autant que ça m’est possible, de lui. « Tu transmutes les matières ? C’est incroyable. » Malgré le fait que je sois légèrement effrayée par ce monde qui se découvre, je suis tellement soulagée de connaître la véritable raison de notre séparation, qu’il s’agisse de ça, qu’il n’y ait jamais eu aucune autre femme. Ca me rendait folle de l’imaginer, d’y songer. « J’ai… tellement de questions. Est-ce que… Est-ce que je peux ? » Une nouvelle fois, mes yeux se posent sur les gens du bar et deux fois plus discrète, je reprends : « Est-ce qu’on pourrait aller ailleurs ? Maintenant que je sais, j’ai tellement de choses à te demander. » Ca grouille dans mon esprit. Impossible que je reste comme ça, sans m’aventurer là-dedans. J’ai besoin d’en savoir plus, de comprendre, mais la question à laquelle il m’est nécessaire d’avoir une réponse sort : « Oreste. Pourquoi cette séparation… ? » En huit ans de relation, il a toujours été ce qu’il est, ce qu’il me montre. Alors… Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé il y a trois ans ? Sans pouvoir m’en empêcher, je glisse ma main de son bras à son visage que j’effleure du bout des doigts. « Tu m’as tellement manqué. » J’en avais conscience, mais c’est encore pire maintenant que le vide qui s’est formé en moi durant ces dernières années, se rempli peu à peu. Cet homme que j’aimais déjà… Je croyais que c’était impossible de faire plus, mais après une telle révélation, après qu’il m’ait prouvé à quel point il m’accordait sa confiance, je comprends un peu plus que le mot impossible n’existe finalement pas et me surprends à l’aimer davantage.

J’abandonne sans hésiter nos deux boissons, suivant de près Oreste à l’extérieur, me raccrochant à son bras pour ne pas le perdre une nouvelle fois, comme si ce simple geste suffirait à ne plus le voir disparaître, mais aussi pour retrouver une part de notre proximité d’antan. Je ne suis pas encore certaine que l’occasion se présente de nouveau demain, alors j’en profite autant qu’il m’en laisse la possibilité, même si… Tout mon corps, mon âme, ne désire que lui demander cette chance d’être de nouveau près de lui, de récupérer cette place que je culpabilise d’avoir délaissé. Si j’avais su qu’il s’agissait de ça, de magie, peut-être aurais-je pu le rassurer, mais sans indice, il m’était inconcevable de croire en cet univers. J’aurais aimé un signe, rien que ça. Peut-être que j’en ai eu plein, d’ailleurs, que j’étais trop fermée à ce monde pour les voir ou les comprendre. Le regard dans le vague, j’observe autour un point devant moi, avant de me focaliser sur nos traces laissées dans la neige, tandis que j’attends impatiemment, douloureusement, les raisons de cette séparation. C’est long. J’ai le cœur qui bat un peu plus à chaque seconde qui passe. Il aborde enfin le sujet, me touchant aussitôt lorsqu’il est question de punition. Ma gorge se noue, tandis qu’il s’arrête et qu’il se place face à moi. « Oui, bien sûr. Je me souviens de tout. » Comment aurais-je pu oublier ? J’ai eu la peur de ma vie, ce jour-là, pensant qu’il était arrivé quelque chose de grave à Oreste et ça a été le cas. Pas à lui, physiquement, il allait bien, mais psychologiquement, c’était autre chose. Quant à cet enfant… J’ai eu tellement de peine. J’avais mal avec lui. Mais j’étais loin d’imaginer qu’il y avait eu un retour de bâton. Comment aurais-je pu imaginer qu’une malédiction jetée par la mère du défunt soit la cause de son teint pâle ? Cette séparation n’est en rien liée à une autre femme, ni à son manque d’amour pour moi. La raison, c’est justement qu’il m’aimait tellement, beaucoup trop pour faire face à ça.

Je ferme les yeux au contact de sa main sur ma joue, me focalisant sur chaque doigt qui la caresse, alors que mon cœur se resserre un peu plus à chaque souvenir que j’ai de nos derniers moments, à chaque image que j’imagine de sa vie d’après moi, de la souffrance qu’il a pu ressentir. « J’aurais tellement aimé être là, auprès de toi. » dis-je, en rouvrant mes yeux que je plante dans les siens. Je les sens brillants, humides, mais je contiens toutes les gouttes salées qui menacent de couler. « Je suis désolée, j’aurais dû insister plus que ça. » J’aurais aimé ne pas signer. Si je pouvais revenir en arrière, c’est certainement une chose que je n’aurais pas faite, préférant le rassurer. J’aurais aimé le prendre dans mes bras et lui souffler que tout allait bien se passer, qu’il n’était pas seul. Je fais un pas supplémentaire vers lui, brisant ainsi toute la distance entre nous, prenant appui sur la pointe des pieds pour atteindre plus aisément son cou, là où je respire son odeur qui m’a tant manqué et que je m’efforçais de ne pas oublier en parsemant sur quelques vêtements son parfum, là où enfin, je dépose un baiser. « Dis-moi qu’elle l'a annulée, que sa colère est un peu retombée. » J’ai la réponse en face de moi, mais aussi dans ma tête, dans mon cœur qui pleure la suite des évènements. Mes doigts se resserrent sur son manteau, puis glisse sur son pull sur lequel ils s’accrochent. « Il y a bien quelque chose qu’on puisse faire. » Je suppose qu’ils ont cherché, lui, mais aussi ceux qui l’entourent et qui font partie du même monde, mais je me dois d’insister. Je n’y connais rien, je n’ai aucune notion de ce nouveau monde et je ne pense pas lui être bien utile, mais s’il faut faire des recherches, n’importe quoi, je peux être là. « Je t’ai perdu il y a trois ans, je ne veux pas te perdre encore une fois, définitivement. » Je préfère qu’il ne soit pas avec moi, plutôt que de le savoir six pieds sous terre, enfermé dans une boîte, sans pouvoir sentir sa présence, le voir, le toucher. « Je t’aime tellement. » Plus que n’importe qui, plus que n’importe quoi, plus que ma propre musique qui, pourtant, est très importante à mes yeux, mais à côté de Lui, ce n’est rien du tout. Je survis à travers mes notes, mais Oreste me fait vivre. Sans lui, je ne suis qu’une femme avec un cœur qui s’est arrêté de battre.

Ces trois mots. Je les ai attendus pendant trois ans, les imaginant, espérant qu’il me les susurre à l’oreille et je suis réellement soulagée de les entendre, mais ils me sont aussi très douloureux. Je n’ai eu aucune réponse à mes questions, à savoir s’il y avait quelque chose que l’on puisse faire. Son silence veut-il remplacer une réponse négative qu’il ne souhaite pas prononcer pour ne pas me blesser ? Ou alors, cherche-t-il encore les bons mots pour m’expliquer ce qui se passera par la suite ? J’ignore tellement de choses de ce monde magique que ce ne serait pas étonné qu’il cherche des termes plus simples pour remplacer les vrais.

Le cœur battant, j’espère jusqu’au bout avoir raison, mais il n’en est rien. Lorsqu’il m’entoure de ses bras, j’enfouis mon visage au creux de son cou et lâche mes sacs dans la neige et passe mes bras autour de son cou, me hissant sur la pointe des pieds pour m’accrocher à ce moment. Mes doigts se crispent sur sa nuque, tandis que je me mords les lèvres pour retenir mes larmes que je sens monter et qui menacent de couler dès lors qu’il m’assure que tout va bien se passer. J’essaie, vraiment, d’y croire, parce que c’est tout ce qui me reste. L’espoir d’un lendemain auprès de lui, d’une vie partagée à se chamailler pour des broutilles, de nos caresses, de ses sourires… Ou encore de toutes ces choses surprenantes qu’il a encore à m’apprendre. D’un nouveau nous, tout simplement. Alors, j’acquiesce d’un signe de tête, sans prononcer un seul mot, profitant encore un peu de son odeur enivrante qui me manque subitement une fois l’étreinte terminée.

Afin de ne pas l’inquiéter plus sur mon état actuel qui est lamentable. Au moins intérieurement… Mon cœur saigne, me brûle de l’intérieur, mais je m’efforce de sourire. Ma tête me le demande, mon cœur ne cesse de me crier de le supplier de rester encore et de ne pas m’abandonner une nouvelle fois. Je ne quitte pas des yeux ses mains dans les miennes qui referment un morceau de papier. « Ah. Alors j’imagine que les longs messages vocaux sur ta messagerie où j’essayais de parler sans en trouver le courage ont dû parvenir à une personne qui doit penser que je la harcèle. » dis-je, avec une pointe d’humour, pour détendre l’atmosphère, pour me détendre aussi. « Ca me ferait plaisir, Oreste. Enfin, je veux dire… J’aimerais qu’on se revoie, moi aussi, évidemment. » Je me hisse une nouvelle fois sur la pointe des pieds pour une dernière étreinte, plus courte cette fois-ci et je me penche vers mes paquets que je récupère. « Appelle-moi. Mon numéro n’a pas changé. » Pour une raison évidente. J’espérais qu’il me recontacte, même si je ne l’admettais pas toujours. Je dépose un dernier baiser sur sa joue, effleurant celle-ci avec le bout de mon nez durant quelques secondes, avant de faire un pas en arrière et me retourner, prenant la direction opposée à celle que je dois prendre, la tête vide, les joues devenant humides.

Il m’a promis que ça se passerait bien. Pourtant… Pourtant, cette impression que nos retrouvailles se sont en fait transformées en adieu me resserre le cœur.