Pour savoir s’il va y avoir du vent, il faut mettre son doigt dans le cul du coq.
Entre les ailes de son aimée, Eros avait l'impression d'être hors du temps. Il observa les plumes se refermer sur lui avec un admiration qui n'était pas feinte et son sourire ne faisait que grandir à mesure que le désert s'éclipsait derrière le noir duveteux qui caressait presque ses joues. Il avait ignoré bien sur, la déclaration de Jez'... non elle n'était pas un monstre, quand bien même c'était ce qu'elle ressentait au fond d'elle. Autant que l'humaine qu'il avait épousé, sa rousse était d'une beauté irrationnelle à ses yeux... et elle le demeurerait toujours. Ses ailes ne faisaient que la rendre plus impressionnante, et souligner sa majesté nouvelle. Même si elle était aussi le symbole fort de son immortalité, et donc la personnification des angoisses d'Eros quant à leur avenir commun. Mais la comparaison de Lemmy, elle était juste... magnifique. Que cela vienne aussi sincèrement d'une inconnue eut le don d'émouvoir l'Alchimiste qui lui adressa un bref regard reconnaissant à travers le plumage. C'était cela, Jezabel était stellaire. Et quand sous la voute céleste Eros lui déclarait sa flamme (toutes les trois secondes, donc), elle restait lumineuse et inaltérable autant que ses cousines qui planaient au-dessus d'elle. Son sourire revint malgré le minois affligée de Jez' qui s'excusait encore, mais qui reprenait aussi des couleurs ! A croire que les paroles d'Eros, mais aussi la sincérité de leur nouvelle compagne de route avaient fait mouche !
« Mais ! »
Il observa en riant sa femme s'envoler. Non seulement il était parfaitement nul en compétition, mais en plus (Adria pouvait confirmer) il laissait toujours les autres gagner. C'était systématique ! Alors il ne prit pas même la peine d’accélérer le rythme de ses pas et fixait simplement d'un air épaté et ... parfaitement con, le vol élégant de sa femme. Même quand elle se rata lamentablement, pour finir le cul en fajitas du désert de l'autre côté du véhicule, il se contenta de rire comme un damné avant de s’assurer quand même, qu'elle ne s'était pas pris une taule douloureuse...
« Qu'est-ce que tu veux que je gagne contre une telle cascadeuse... »
Il était déjà dans le véhicule quand Jez' y grimpa à son tour, amenant de la poussière (depuis ses fesses MIAM) sur le siège conducteur. Et il acquiesça vivement à la remarque de la Stryge, il fallait véritablement qu'elle s'exerce ! Mais c'est une petite voix qui le fit ensuite sursauter, alors qu'il cherchait désormais frénétiquement d'où cet étrange son pouvait venir. Il n'avait jusque-là pas vu que leur amusante blondie n'était plus sur le siège arrière... A vrai dire il avait profité du spectacle qu'offrait Jez' jusqu'au bout. Mais lorsqu'il eut l’occasion d’apercevoir la petite créature moirée s'envoler du bras de la Stryge pour chahuter dans ses cheveux roux, la fascination revint à la charge marquer ses traits. Les couleurs qu'elles offraient toutes deux n'avaient pas de comparaison. L'espace d'une seconde, il eut un regard à l'arrière pour vérifier qu'il s’agissait bien de Lemmy. Et il reste silencieux un moment le temps d'écouter la minuscule fée dispenser ses conseils en matière de haut-vol avant de s'exclamer, peut-être un peu trop fort :
« Mais regarde-moi cette petite crapule ! Elle fait un bruit d'enfer ma parole ! Écoute ça Jez', on dirait un p'tit coucou ! »
Et le voilà parti à tendre de doigt vers la bestiole pour lui chatouiller le ventre. Délicatement, comme si elle était en sucre... Bien sûr, il connaissait bien les Pixies et savait qu'elle était solide comme un roc. Il en était parfois infestés à la boutique mais celle-ci était merveilleuse, à embrasser le bout de nez de sa femme, à voleter habillement autour d'elle... en plein milieu de ce désert. N’empêche que justement, ils commençaient à flamber sous son chapeau de paille...
« Alors les filles, que décidez-vous ? On reprend la route vers quel horizon ? »
Avec la bonne humeur que Jez' affichait, il semblait évident que Lemmy ferait partie du voyage. Il l'espérait réellement d'ailleurs, cette petite était une bénédiction. Tant que joie brute, de rire clair et de musique en une seule personne était chose rare et la rendait précieuse. Aussi Eros appréciait sa compagnie et demeurait serein quand à ce genre d'influence sur Jezabel.
Ses ailes se rétractèrent dans quelques craquements écœurants pour ne faire plus qu'unes avec sa silhouette. Elle serra les dents en les sentant s'égarer sous sa peau, se fondre avec son échine. Le processus était loin d'être une partie de plaisir et, la plupart du temps, Jezabel ne pouvait s'empêcher de hurler. Sans doute était-ce pour cette simple raison qu'elle ne les sortait que très rarement. D'ailleurs, elles ne s'échappaient que lorsque sa nature désirait se montrer enfin à la face du monde. Heureusement pour elle, si sa faim était omniprésente, ses attributs, eux, semblaient bien vouloir écouter ses volontés. Elle esquissa une moue à demi boudeuse en direction de son mari, alors qu'il s'approchait, la mine à la fois inquiète et amusée. Elle déplia ses jambes, puis se hissa de nouveau sur ses pieds, non sans parer un vertige gentillet, une main agrippée à la portière du véhicule. Elle papillonna des cils pour se remettre les idées en place et lui adressa un sourire timide. - J'ai mal aux fesses. Mais, prendre la place du conducteur la consola bien rapidement. Elle posa les mains sur le volant chaud sous ce soleil assassin et gloussa comme le ferait une fillette ravie que l'on cède enfin à ses caprices. Jezabel, c'était ça. Elle réclamait, boudait, jusqu'aux tressaillements de son époux qui, finalement, ne parvenait jamais à lui refuser quoi que ce soit bien longtemps. Elle lança un regard franchement rieur à Eros qui, lui, se trouvait désormais du côté passager. Elle aimait conduire. Mais, elle devait bien l'admettre, elle était à l'image de ses clichés sur les femmes: un danger public au volant.
Un bourdonnement digne de celui d'un insecte lui fit froncer les sourcils. Elle chassa d'abord l'air, d'une main hasardeuse dans quelques soupirs agacés. Elle détestait les bestioles. Elle pesta une énième fois, juste avant d'entendre une voix claire et fluette ronronner près de son oreille. Jezabel écarquilla les yeux, puis fit subitement volte face pour constater l'absence de la petite blonde qu'ils avaient ramassé sur le rebord de la route. - Seigneur, lâcha-t-elle, stupéfaite. Elle n'en croyait pas ses mirettes, mais c'était bel et bien Lemarchand qui virevoltait autour d'elle, telle La Fée Clochette. Elle croisa un bref instant le regard d'Eros, partagée entre la crainte et l'émerveillement. Si son mari lui avait montré mille et une facettes de ses dons, Jezabel était encore loin de tout connaître de l'univers qui l'entourait. Et pour preuve, elle ignorait que de si petites créatures existaient. Elle sourit, un peu gauchement, à la jeune fille qui semblait danser dans ses cheveux et, laissait miroiter quelques lueurs féeriques. Elle se mordit l'intérieur de la joue, comme elle le faisait chaque fois qu'elle se laissait dépasser par les événements. Lemarchand offrait un spectacle digne d'une rêverie enfantine. La rousse esquissa l'ombre d'un rictus pour, finalement, sourire pleinement. - Tu es... si petite, souffla-t-elle. La petite blonde se posa alors sur son bras et, Jezabel le releva à hauteur de son visage pour mieux la contempler. - Tu ressembles... à une libellule. Et elle gloussa doucement, charmée par ce qu'elle avait sous son nez.
Peut-être que certaines choses valaient la peine d'être vue, finalement. Il suffisait de poser les yeux sur Lemarchand pour en avoir la certitude. Elle approcha doucement son index, un peu fébrile, pour effleurer sa petite tête, avec toute la précaution du monde pour ne pas lui faire mal. - Un jour, toi et moi, on ira voler ensemble... et tu m'apprendras à atterrir, déclara-t-elle avec émotion. Grâce à cette petite blondinette absolument adorable, Jezabel se sentait spéciale, loin de ce monstre carnassier auquel elle se comparait sans cesse. Il y avait eu le regard qu'Eros avait porté sur elle lorsqu'elle avait déployé ses ailes et maintenant, celui-même qu'elle portait, présentement, sur Lemarchand. Elle inspira profondément l'air autour d'eux. La faim s'était terrée. Elle ignorait pour combien de temps mais, cela n'avait pas d'importance finalement. Pour aujourd'hui, elle serait ce qu'elle était, sans peine, ni tabou. Aujourd'hui, elle serait Jezabel, elle serait un être spécial. - Allons-y, nous avons encore de la route, annonça-t-elle dans un sourire, tout en installant prudemment la petite Fée sur son épaule. Et elle démarra la vieille Chevrolet dans une avalanche de fumée et de sable chaud.
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