Putain, mais qu'est-ce que j'ai l'air con ! Qu'est-ce que j'ai bien pû faire pour en arriver là ?

Voilà ce que se répétait Willy Kaniethi depuis plusieurs minutes, une bonne grosse demi-heure à vrai dire, en se préparant devant la glace. D'ici quelques temps il devrait prendre son service dans un fast-food connu dans le monde entier, le seul endroit où il avait pû trouver du boulot sans trop avoir à manipuler les personnes. Pourquoi se gêner alors qu'il était un Stryge, direz-vous, pour la simple et bonne raison que l'amérindien était encore loin de maîtriser ses capacités, même s'il avait dépassé la centaine d'années. La dernière fois qu'il avait tenté, ça avait tourné à la catastrophe, l'être humain l'avait prit pour un psychotique pervers et avait ameuté la population aux alentours.

En uniforme sombre, cheveux tressés en deux couettes de chaque côté du visage, la casquette visée sur la tête, Willy soupira pour la milième fois en observant son reflet dans la glace. Passer des heures dans un restaurant low cost qui sent la graisse à des kilomètres en compagnies d'humains qu'il pourrait bien vider de leur sang le rendait déjà malade. Mais il n'avait pas le choix. Pour être en sécurité il lui fallait un toit, pour avoir un toit il lui fallait de l'argent et pour avoir de l'argent, il lui fallait un travail. Cycle vicieux pourri des règles de l'humanité.

- T'es trop mignon avec tes tresses ! Je peux te mettre des plumes dans les cheveux la prochaine fois ?

La réaction normale de Willy aurait été de dire "va crever" à sa charmante et idiote collègue caissière et de lui sauter à la gorge, mais niveau discrétion, ce n'était pas top. Si bien qu'il se contenta d'un sourire qui voulait surtout dire "tu me touches je te bouffe". Cependant, son attention fut attirée par la présence de quelque chose, ou plutôt quelqu'un qui... était différent pas pareil. Et aussitôt Willy Kaniethi lâcha d'un ton morne et septique :

- Sur place ou à emporter ?

Quand le carcajou avait les crocs… rien ne lui résistait. Talisman protecteur ou non Siam ne pouvait que céder à ses appels au secours. Surtout que si lui avait faim, fatalement elle aussi… la loose. Mais trop occupée à nourrir les pingouins au zoo, la jeune femme avait longtemps ignoré les hurlements sauvages de son alter-ego pour finalement ne plus pouvoir les ignorer. La méga dalle ! Et là, on parlait vraiment du genre de faim qui pouvait seulement être contentée par un bon gros Mcdo gras, histoire de se complaire dans la malbouffe. Huuum rien que d’y penser, la jeune femme en frémissait. Et même s’il fallait reprendre la voiture et changer de quartier, pas de problème ! L’appel de la frite était bien trop intense pour être mise à mal par quelques minutes dans sa Peugeot trop moche, qui s’émiettait à moitié passée la barre des 90 km/h. Après une certaine hésitation de type Drive/PasDrive, la Berserker gara son carrosse dont le parechoc tomba encore une fois par terre après extinction du moteur et s’engouffra dans le fast-food du diable.

Si l’option ‘caisses’ lui avait semblé être une bonne solution (pour ne pas être tentée de prendre un repas pour Gabriel et Moji qui tentaient vainement ensemble de faire un régime), maintenant qu’elle voyait la file d’attente, Siam n’était plus certaine d’avoir fait le bon choix. Mais c’était l’heure de pointe… normal. Aussi soupira-t-elle longuement, avant de trainer ses bottes en caoutchouc dans l’une des files, au hasard, tout en ignorant les regards des gens qui jugeaient sa dégaine. Bah quoi, il avait jamais une soigneuse animalière ? Ils étaient choqués de voir autant de logo du zoo sur une seule (petite) personne ? Ou alors, c’était de voir une petite blonde dans un manteau et des bottes trop grands pour elle, et qui trépignait de faim… ouais sans doute plutôt ça. On aurait dit un schtroumpf épileptique. Mais après avoir fait preuve d’une patiente infinie, Siam aperçut enfin le saint graal, sous forme d’un jeune caissier à l’air un peu morne et aux cheveux tressés. C’était marrant comme look tiens ! Mais à peine eut il ouvert la bouche qu’elle répondait vivement.

« A emporter ! »

Bon d’accord, elle cédait… et prendrait aussi de quoi rassasier les estomacs de Gabriel et Mojito. Le hérisson devait déjà sentir que quelque chose se préparait… il avait du flaire pour ça. A moins que cela ne soit Gabriel, qui avait un instinct certain aussi en ce qui concernait la nourriture. Mais avec le lien qu’ils partageaient, Siam était incapable de savoir de qui venait ce don de Foodvision. Quoi qu’il en soit, la jeune femme enchaina en s’appuyant négligemment sur le comptoir.

« Alors se sera déjà un Happy Meal, avec cheeseburger, flotte, frites et fruits… Avec le jouet pour fille. Ensuite un menu Golden avec un CBO, des potatoes, un ice tea et un croc macdo en plus, c’est mon père… il est gourmand. Et moi … Un maxi best-off avec Minute Maid, frites et… un wrap poulet et… Bon fait péter trois Mcflurry daim cara ! »

Si elle avait tressauté à chaque aliment elle observait aussi le serveur qui n’avait pas vraiment l’air dans son assiette. Si bien qu’elle ajouta, aussi bien par pure empathie que parce qu’elle s’inquiétait de sa commande (et le carcajou aussi) :

« Ca va mon gars ? »

C'était dingue comme les humains pouvaient aimé cette bouffe grasse et immonde qui lui donnait envie de vomir chaque fois qu'elle lui passait sous le nez. Il avait déjà essayé, enfin, fait semblant alors que sa bimbo de collègue lui avait proposé de prendre leur pause déjeuner ensemble, et franchement... ses papilles n'étaient pas habituées. Willy préférait leur laisser cette malbouffe. Enchaînant les commandes les unes après les autres, enfouissant bien au fond de lui son envie de gerber alors que passaient sous son nez (trop) fin, les burgers saturés en gras, le Stryge s'enfonçait un peu plus dans la morosité, même si une odeur, différente des autres parvenaient à frayer son chemin parmis toutes les autres. Si bien que lorsqu'une jeune femme, au look de... nettoyeuse d'égoût ou... nettoyeuse de cage pour animaux, un truc comme ça, d'où semblait émaner l'odeur agréable et différente.

- Sur pl... Très bien, je vous écoute...

Au fur et à mesure qu'il tapait sur la caisse la commande, Willy haussa légèrement les sourcils. "Ne pas faire de commentaire... Ne pas faire de commentaire..." Et pourtant, il en mourrait d'envie, juste une petite vanne, rien de grave, rien de méchant. Non. Son comportement froid auprès des clients lui avaient déjà valut plusieurs avertissements en si peu de temps. Le "jeune" Stryge hocha la tête et commença à préparer la poche, tout en jetant quelques coups d'œil à la jeune femme. Elle avait quelque chose de particulier. Enfin, avant qu'elle ne lui parle. Chose extrêmement rare chez les clients.

- Euh... oui... Merci... Sympa, le... look... "je viens déboucher vos égoûts".

Willy serra les dents à sa propre connerie et préféra tourner le dos à la cliente pour secouer les frites dans le bac.

Siam avait peut-être enchainé un peu trop vite pour le p’tit monsieur. Mais son enthousiasme était compréhensible non ? Elle allait pouvoir nourrir père et hérisson, son impatience était donc justifiée. Contrairement aux paroles que le jeune homme en face lui jeta directement dans la face. « Euh... oui... Merci... Sympa, le... look... "je viens déboucher vos égoûts »La Berserker en resta pantoise quelques secondes, le temps sans doute que les mots la percutent et qu’elle réalise qu’il venait officiellement de se foutre d’elle. Non mais sérieusement ? Son sourire se figea, alors qu’elle l’observait détaler comme un lapin vers le bac à frites. Et en plus il prenait la tangente ? C’était une blague ? A l’intérieur de Siam, le Carcajou grondait de colère… il n’aimait déjà pas la présence des gens, tournait en rond, insupportablement, dès qu’elle entrait dans un lieu public… Mais encaisser une moquerie dans ce genre le rendait parfaitement irritable, et il n’avait aucune peine à transmettre son état de colère à Siam qui elle aussi tombait rapidement dans le ressentiment.

Elle se mit à le fixer, puis tourna la tête à droite pour voir que la serveuse de la caisse d’à côté était partagée entre le rire et le jugement. C’est ça, marrez-vous ! Mais bordel c’était quoi le délire, ils pouvaient bien parler avec leurs tenues eux… elle sentait peut être le mammifère marin, mais c’était préférable à l’huile de friture dégueulasse !

« C’est moi où il vient de se foutre de ma gueule alors qu’il porte des tresses de petite écolière avec sa casquette Mcmoche posée sur le sommet de son gros crâne de p’tit malin ? Il se croit drôle ? »

Elle n’attendait pas de réponse de la part de la caissière, et avait surtout parlé suffisamment fort pour que le type l’entende. La mine un peu sombre, elle observait à présent ce dernier et attendait qu’il revienne vers elle pour s’occuper de son cas. Parce qu’elle avait beau être sympa, parfois légèrement effacée, Siam n’en restait pas moins une Berserker à fleur de peau, possédant un alter-ego hostile et imposant.

« T’as un souci avec ma dégaine ? Parce qu’on peut certainement en parler et se filer des conseils mutuel, tu ne penses pas ? Y’a aussi pas mal à dire sur ton look… tu ne connais pas Obélix ? Lui aussi il a une super coupe de cheveux, comme la tienne, mais il sert jamais personne … Après c’est un choix de vie. »

Willy sifflotait en remuant le bac à frites avant de dresser les oreilles en entendant la voix de la cliente, mais surtout en sentant sa colère. Enfin, non, ce n'était pas de la colère, mais plus un truc dans le genre. Lentement, il se tourna vers elle et l'écouta parler en fronçant un peu les sourcils. Obélix ? C'était qui celui-là ? Est-ce que c'était une vanne ça aussi ? Genre, une blague comme il venait de tenter ? En jetant un rapide coup d’œil à sa collègue, qui avait toujours un petit sourire entre le fendage de gueule et l'assurance d'une défense en cas de débordement de cliente hystérique. Toujours sans comprendre ce qu'elle disait à propos des look, surtout que niveau tenue, il n'avait pas le choix. Et pareil pour la coiffure, il ne pouvait pas vraiment faire autrement. Les tresses, c'était le meilleur moyen pour respecter le règlement posé par son patron. Remplissant les sacs pour la commande à emporter, le "jeune" Stryge se racla un peu la gorge.

- Je n'ai pas de soucis avec votre dégaine. C'était juste une blague. Pour être... je ne sais pas, agréable. Pour plaisanter un peu. Il n'y avait rien de méchant. Mais je ne connais pas d'Obélix. Où est-ce que je pourrais le voir ? S'il a des tresses lui aussi, on pourra être copains.

Bon, sa dernière phrase était une nouvelle tentative de blague pour détendre l'atmosphère, même si, vu ce que ça avait été quelques minutes plus tôt, ce n'était peut-être pas une bonne idée. Enfin, sa collègue, elle, était morte de rire. Willy trouvait ça un peu exagéré vu qu'il avait à peine fait une petite blague qui prêtait juste au sourire, mais bon. Si cette jeune personne brillait par son intelligence et sa personnalité, ça se saurait. Pour éviter cependant de se faire arracher la figure et peut-être de se faire manger, du moins, il y aurait eu tentative puisque de toute façon, il ne se laisserait pas faire, l'Amérindien alla s'occuper des desserts et des boissons avant de revenir vers la cliente, ne sachant pas si elle allait arracher sa main alors qu'il lui présentait les sacs.

- Voici votre commande, et pardon si je vous ai blessé. C'était vraiment de l'humour.

Rapidement, le "jeune" Stryge fouilla dans sa mémoire et dans les trucs débiles que sa geôlière avait pût regarder quand il était enchaîné à ses côtés, ne sachant pas si là encore, la blague allait passé. Surtout que c'était encore plus risqué.

- Et saluez les tortues ninjas pour moi.

« Je n'ai pas de soucis avec votre dégaine. C'était juste une blague. Pour être... je ne sais pas, agréable. Pour plaisanter un peu. Il n'y avait rien de méchant. Mais je ne connais pas d'Obélix. Où est-ce que je pourrais le voir ? S'il a des tresses lui aussi, on pourra être copains. » Siam l’écoutait presque distraitement, tant elle devait contenir la bête, largement plus furax qu’elle. Le carcajou tournait en rond dans l’âme de sa Berserk, et grattait pour en sortir afin de foutre la correction de sa vie à ce petit crétin qui semblait vouloir se marrer. Mais à ses dépens. Enfin d’après ce qu’il venait de lui dire c’était juste pour rire, mais il avait rebondit sur sa propre débilité en la relançant quand à Obélix. Pour le coup, Siam resta pantoise. Est-ce qu’il tentait encore une fois faire de l’humour ou était vraiment un imbécile fini ? Siam se posait donc cette question infiniment importante –non en vrai, elle s’en foutait un peu- alors qu’elle ajoutait simplement en guise de réponse et en désignant le badge que portait donc « Willy » :

« Vous êtes nouveau non, ‘Willy’ ? J’ai pas la prétention de savoir ce que les clients aiment se prendre dans la nouille en plus de leur commande, mais je doute que ce genre de vanne soit le kiffe de la majorité d’entre eux. Donc un conseil… faut pas recommencer. »

Siam ne savait pas s’il avait vraiment entendu puisqu’il s’activa ensuite sur sa commande. Sans doute n’avait-il pas envie de s’éterniser avec une cliente vindicative qui n’appréciait pas l’humour à placer entre l’élève de maternel et le gros beauf de banlieue. Mais clairement, ce n’était pas son truc. Quand il revint cependant, la Berserker détecta sans peine une certaine forme de crainte, une gène qui la força à se radoucir un peu. Oui… après tout il n’avait pas l’air très méchant. Juste un peu… con ? « Voici votre commande, et pardon si je vous ai blessé. C'était vraiment de l'humour. »

« Mouais… »

Bon d’accord… elle avait sans doute exagéré. Comme toujours, elle partait au quart de tour et ne prenait pas le temps de peser le pour ou le contre. Juste, elle embrayait direct quitte à se prendre un mur, ce qui littéralement était déjà arrivé plusieurs fois… Avec une certaine méfiance, Siam paya sa commande avant de saisir le sac que lui tendait le type non sans lui décrocher un regard mi-hostile mi-désolé. Il avait un drôle d’air quand même… le genre d’air qui se disait sincère mais qui cachait quand même un truc. Et après avoir tourné les talons, ce fut la révélation : « Et saluez les tortues ninjas pour moi. » Ouais non en fait, il était juste con ce petit !

« Mais sérieusement ? … Bon laisse tomber. Le ringard ! »

Sans stopper son chemin, Siam s’en alla, commande en main et bien décidée à prendre le Drive la prochaine fois en espérant qu’il ne se pointe pas à la commande. Mais étant donné qu’il était à côté de la plaque, elle doutait un peu de son avenir au sein de ce fast food… pensée qui la rendit étrangement, un peu triste. Bon, il avait été gauche, et pas marrant, mais pas méchant sommes toutes ! Haussant les épaules, la Berserk oublia pourtant vite son altercation avec le ‘Willy’ qu’elle ne pourrait pas sauver (et pour une fille qui s’occupe des orques au zoo, c’est quand même un comble !), pour s’en allez nourrir deux autres fauves qui n’avaient rien à voir avec son carcajou intérieur.

Fin –RDV à l’évent !-