Il y était. Le froid de Janvier mordait ses joues, et ses mains râpées ne décollaient pas du tissus du fond de ses poches. Ottawa vrombissait toujours au rythme des pas des passants, encore plus depuis que Noël était passé. La vie reprenait son cours alors que la petite bulle magique causée par la venue de la fin de l'année venait de rompre. Pourtant, le cœur de Selen était loin d'être à la fête. Ces événements avaient été marqués d'une douleur sans précédent.

Après qu'il soit parti seul du bal de la Cour des faës, il avait erré des heures et des heures en ville, sous la lumière protectrice de la lune. Il avait marché tant et tant que bientôt, la lisière de la forêt entourant la capitale s'était présentée à lui. Elle, et ses bois enchanteurs, ceux qui semblaient l'appeler au repos de l'âme et de l'esprit. Il n'avait pas hésité une seconde, et y avait répondu favorablement en s'engouffrant entre les arbres baignés de nuit. Le Qilin en lui s'exprimait si fortement qu'à la manière d'un autre, il l'avait laissé s'exprimer. Ses bras et ses jambes avaient disparus pour laisser place à deux paires de sabots, son corps s'était allongé, couvert d'écailles et de fourrure étrange. Deux bois avaient orné son crâne animale, et ce fût ainsi qu'il avait passé les trois derniers jours, sous cette forme, à cogiter. Et à s'oublier, un peu, laissant les affres de la ville hors de cette nature.

Dissimulé, Selen s'était ressourcé. Mais fatalement, ses pensées étaient revenues sur ce qu'il s'était produit entre lui... et Siam. 
Siam.
Rien que l'évocation de ce nom dans son esprit le rendait fébrile. Jamais encore il ne s'était sentit si confus par rapport à quelqu'un. Même son frère aîné ne réussissait pas cet exploit et pourtant, c'était le plus ambigu des êtres dans son cercle social. Mais Siam... elle, il n'avait peut-être finalement jamais réussi à la comprendre.

Et si cette idée lui convenait quelques jours auparavant, il n'était plus question de cela aujourd'hui.

Il avait retrouvé forme humaine vers sept heures du matin. L'homme parcourut ensuite les kilomètres qui le séparaient à nouveau de la ville, sans se soucier de la contrainte et de la distance que cela offrait, ni de l'allure qu'il arborait dans son espèce de costume débraillé. Passant chez lui pour se changer, il s'attarda au salon, endroit qu'il n'avait pas vu depuis un bon moment. Sloan devait être mort d'inquiétude... comme en témoignaient ses milliers de textos que Selen n'aperçut qu'une fois de retour parmi les humains. Pauvre petit, il avait dû se faire un sang d'encre...

Mais malheureusement, ce n'était pas la priorité de Selen pour l'instant.

Une fois l'affaire de sa disparition éclaircie auprès de son apprenti, le plus dur pouvait alors commencer. Il quitta le salon plus tôt ce jour-là, sur les coups de quatre heures de l'après-midi, faisant confiance au gamin pour tout ranger.
Il devait aller voir quelqu'un.
Peu importe si elle n'était pas chez elle en ce moment, il attendrait sur son paillasson. Mais il devait lui parler. Ils se devaient se parler.
Il se rendit alors dans le quartier de Sandy Hill, sur Canterbury Road, connaissant l'adresse et le numéro de l'appartement par cœur, les yeux rivés droit devant lui. Sa détermination était sans faille... jusqu'à ce qu'il se retrouve devant la porte d'entrée. Il resta quelques minutes à se mordre les lèvres, les poings serrés, presque blanchis, par le froid et sa peur naissante.

Allez. Fais pas l'con et toque. De toutes façons t'as rien à perdre.

Cette pensée le guida, et lui permit de prendre sa décision. Finalement, son poing cogna doucement trois fois contre la porte, et ce n'est que lorsqu'elle s'ouvrit que tout ses principes, toute sa force, et toute sa détermination à connaître la vérité se manifestèrent dans un simple :

« ... Yo. »

Le prélude de beaucoup de choses à venir... même si elle lui fermait la porte à la gueule.

Peut-être pour la centième fois de la journée, Siam releva faiblement la tête de son oreiller pour consulter son téléphone. Pour s’assurer qu’il avait encore de la batterie, et que si elle ne recevait pas de nouvelles de Selen, c’était parce qu’il n’en envoyait tout simplement pas. Trois jours. Dans une vie, c’était bien peu… et pourtant depuis leur dispute au bal, les heures semblaient lourdes de conséquence, chacune d’elles l’éloignant un peu plus du Qilin. Ce qu’elle avait dit, ce qu’il avait répondu, chaque mots que le Faës avait prononcé et surtout, avec l’expression froide et cinglante qu’elle lui avait inspirée… tout cela tournait en boucle dans l’esprit de la jeune femme. Sans cesse… cela ne s’arrêtait pas une seconde. Et repenser à la manière dont elle avait réagi lors de l’entrevu avec le journaliste du Daily Fairy… A cet instant précis, alors que sa mémoire la travaillait à nouveau, Siam se recroquevilla sur son canapé qu’elle ne quittait plus depuis l’absence de Selen dans sa vie. Son silence était sans équivoque. Et plus qu’une simple séparation, c’était une véritable déchirure qu’elle subissait alors. Siam sera un peu plus Chowcralen dans ses bras, fourrant son nez dans l’étrange fourrure verte de la créature qui remuait pour se caler aussi, tout en gazouillant de bonheur. Mais il était d’un faible réconfort… devant le sentiment de dévastation qui habitait la Berserker.

Pour couronner le tout, Gabriel était aux abonnés absents. Siam n’avait pas réussi à le voir, et pourtant, elle avait besoin de lui. Besoin de son ‘père’ pour qu’il la rassure, qu’il la console… lui préparer un chocolat chaud comme la première fois qu’ils s’étaient vus, lui dire que tout irait bien ou simplement, être là pour sécher ses larmes. Mais il n’était pas là, et en un sens c’était peut-être mieux ainsi. Parce que Siam ne savait pas comment justifier son comportement envers Selen… pas à Gabriel qu’elle savait être un farouche défenseur de l’amour, même s’il avait perdu le sien. Il ne pourrait certainement pas comprendre la jeune femme, son raisonnement, sa décision. Peut-être alors, valait-il mieux rester seule, pour cicatriser loin du regard que le monde pourrait porter sur sa personne. Mais la perte du Qilin, Siam avait déjà ne jamais pouvoir s’en remettre.

A nouveau, elle s’était mise à pleurer contre la peluche bel et bien en vie, qui émit un sifflement de désapprobation… ou d’inquiétude avant de se mettre à parler en Arabe, comme à son habitude. Mais Siam ne prit pas la peine de l’écouter et de le comprendre, préférant le garder contre elle pour épancher un peu de l’amertume et de la culpabilité qui la hantait. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallut qu’elle le retrouve ? Il avait eu mal, elle l’avait blessé… et elle s’était infligée une balafre bien plus profonde encore. Et tout était de sa faute. Parce qu’elle avait ignoré au départ, les effluves de sentiments qui lui parvenaient de manière lointaine lors de leurs retrouvailles, devenant de plus en plus écrasantes par la suite. Jusqu’à l’étouffer.

Mais c’était comme ça. Siam n’avait pas réussi à gérer… Et maintenant elle devait simplement faire face à ce vide considérable qu’il laissait. Attendre que son tourment ne s’apaise un peu, pour reprendre le cours d’une vie hanté par l’ombre d’un Dragon à qui elle avait fait du mal, pour éviter de s’en faire d’avantage à elle. Peu importait sa souffrance, Siam restait persuadée qu’elle avait fait le bon choix. Ainsi, elle s’était évité une humiliation… qui aurait été plus cruelle encore. Alors qu’elle se calmait un peu, remontant la couette qu’elle avait descendu jusque-là pour s’y vautrer avec Chowcralen, on frappa à la porte. Pendant un moment, elle ne bougea pas. Enfin Gabriel prenait la peine de venir la voir ! Immédiatement, elle sentit un poids s’envoler, Siam se déchargeait déjà sur lui, sa présence seule suffisant à la soulager. Mais après plusieurs secondes de silence, la Berserker émit un faible lamentation en se redressant, molle comme une gamine de 5 ans qui ne veut pas se lever pour partir à l’école…

« Maaaaaaaaaais Gabriiiiiel pourquoi tu ne prends pas tes clés ? Tu ne crois pas que j’suis trop maaaaaal pour bouger là ? Espèce de sale alchi-chiant … j’espère que tu as pris les… »

Sucreries… La Berserker avait à peine eut le temps de jeter un œil derrière la porte qu’elle venait d’ouvrir, qu’elle reconnue son odeur, d’abord. Et ensuite, sa carrure. Ce n’était pas Gabriel, s’était Selen… Il y eu alors, quelques secondes de flottement pendant lesquelles Siam ignora être en pyjama, les cheveux en bataille et probablement le nez rouge d’avoir pleuré (encore) peu de temps auparavant. Elle le fixa juste, d’un œil rond exprimant une surprise véritable. Une étincelle de stupéfaction, mêlé à une allégresse intense se diffusa dans son corps, son âme, chavirés par sa simple présence. Son primitif « ... Yo. » avait fait vibrer Siam jusqu’au fin fond de sa personne, et réveillé le carcajou qui déjà devenait agressif envers elle. Pour qu’elle ne le trahisse pas encore, qu’elle ne le blesse pas, et qu’elle le marque enfin comme l’alter-ego le désirait depuis le départ. Etait-il possible d’aimer si fort et de souffrir autant ?

Une seconde encore seulement, et Siam lui aurait adressé un sourire. Mais elle se reprit rapidement… Ses résolutions étaient toujours les mêmes. Il devait sortir de sa vie, même si c’était la pire chose qui pouvait lui arriver. Vivre aux côtés de Selen sans l’avoir ‘pour elle’, feignant une amitié simple et sans arrières pensées était inconcevable.

« Ah … c’est toi. »

Siam adopta alors son attitude froide, détachée, et croisa les bras après avoir toisé le Qilin à sa porte.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Il me semble pas que tu aies oublié des trucs ici… »

Eh bien... voilà. C'était maintenant ou jamais. De toutes façons, il n'était pas venu pour rien, et s'il n'obtenait pas de réponse aujourd'hui à ce qu'il s'était passé entre eux le soir du Bal, plus jamais il ne ferait d'efforts. Ses yeux bleus, délavés de son escapade dans la forêt, confrontaient ceux de la jeune femme qui venait de lui ouvrir. Les sens de Selen étant particulièrement développés, sa phrase avant qu'elle ne croise son regard n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Elle, elle était mal ? No shit, Sherlock. Il tentait d'oublier sa colère qui recommençait à lui murmurer à l'oreille quand elle commença à arborer ce ton sec avec lui. Il n'était pas là pour une énième dispute, bien que cet horrible sentiment d'injustice le titillait jusqu'à le rendre dingue.
Bordel. En quoi était-il fautif, au juste ?
D'accord, son propre comportement n'avait pas été exemplaire lors de la soirée, mais il s'était justifié de cela plus d'une fois. Et au fond, sans doute le regrettait-il, car cette personne, ce Alan, il n'y pouvait sans doute rien si la Mort était si sensible pour le Qilin. Selen était persuadé que ce pauvre gamin parti trop tôt ignorait même cet aspect de cette race de faë...
Mais celui de Siam... Aaaah, celui de Siam était un vrai mystère. Un mystère parfaitement désagréable dont Selen n'avait plus la patience d'attendre les tenants et les aboutissants. Il trouverait la réponse par lui-même, et tant pis si c'était douloureux, tant pis s'il devait se mordre les doigts par la suite. La souffrance, ça ne dure qu'un temps. L'incompréhension, elle, peut durer toute une vie. Et les secrets... il les avaient en horreur.

« Ouais, c'est moi, et pas Gabriel. Ça te dérange ? »

Sa question n'avait pas d'autre but que de piquer au vif les nerfs de la Berserker. Pour lui montrer qu'il n'était pas ressorti indemne de ce qu'il s'était passé, malgré son flegme apparent. Il n'y avait que ses yeux qui exprimaient toute sa peine et son désarroi. Il n'y avait qu'eux pour qu'elle puisse comprendre, si tenté qu'elle veuille bien y plonger les siens.

« Non, j'ai rien oublié. Mais ça n'empêche pas que je suis quand même venu chercher quelque chose. Tu permets ? »

D'un mouvement de main, il avait poussé davantage la porte pour entrer à l'intérieur sans le consentement de la jeune femme, déterminé plus que de raison. A vrai dire, sa raison, il l'avait laissée dans les bois. Ces jours passés seul lui avaient au moins permis de se ressourcer... et de ne plus prendre le temps d'hésiter. Sans vraiment voir l'appartement, il lui jeta un coup d'oeil circulaire. Sans doute pour s'assurer que la jeune femme était seule. Ne couinait sur le canapé que l'espèce de mini-machin vert qui ne le portait pas dans son cœur malheureusement, mais là, c'était le cadet de ses soucis. Dos à elle, il observait la créature grognant, non sans un certain dédain, ce qui était plutôt rare de la part du Qilin.

« Putain, Siam, sérieusement. »

Il finit par se tourner vers la blonde, son ton trahissant son impatience. Il ne supporterait pas une seconde plus sans savoir la vérité. Il en fallait beaucoup pour venir à bout de son attitude détaché... mais il fallait croire que la Berserker était douée pour ça.

« Est-ce qu'un jour tu vas me laisser comprendre ce qui te passes par la tête ? »

La fixant, il prit place que l'accoudoir du canapé, exactement comme s'il était dans sa propre demeure. Les bras croisés, il ne quittait pas la blonde des yeux.

« Je suis venu savoir la raison pour laquelle tu me détestes autant. Qu'est-ce que j'ai fais de mal ? Dis-le, bordel. J'peux tout entendre ! »

Tout en parlant, il était parfaitement conscient de son culot et du courage qu'il lui avait fallu pour s'imposer ainsi. Au fond, très au fond, il tremblait un peu de connaître ses raisons. Mais il n'avait pas fait tout ce chemin pour rien.

« Et je ne partirai pas de là sans avoir de réponse. Allez. J'attends. »

« Ouais, c'est moi, et pas Gabriel. Ça te dérange ? Non, j'ai rien oublié. Mais ça n'empêche pas que je suis quand même venu chercher quelque chose. Tu permets ? » Non justement, elle ne lui permettait pas. Et ce pour plusieurs raisons. La plus difficile, était évidemment le fait qu’elle n’assumait absolument pas sa présence. Il était un indésirable, elle ne pouvait pas se confronter à lui parce qu’il lui faisait mal. Siam pensait, à tort visiblement, que leur dispute au bal, tout ce qu’elle avait pu lui dire pour l’éloigner avait suffi. Elle le déplorait d’ailleurs, et vivait depuis un véritable enfer. Mais avait-elle vraiment le choix ? Encore une fois, elle était persuadée que non. Quitte à souffrir, autant choisir l’option qui restait la moins douloureuse, hein ? Et la Berserker savait que c’était celle-ci : ne plus le voir. Couper les ponts avec lui et demeurer loin de lui serait sans aucun doute bien moins difficile à supporter que de le côtoyer toujours… Evoluer en parallèle de son existence pour ne jamais en faire parti comme elle le désirait. Et elle le désirait tant … que cela devenait insoutenable.

Seulement, il ne lui laissa pas le temps de réagir ou de rassembler suffisamment de force de volonté pour le congédier une bonne fois pour toute. En vérité, Siam n’arrivait plus à retrouver sa détermination, qui pourtant restait farouche. Toute sa hardiesse semblait s’envoler sous le regard horriblement dur et opiniâtre que le Qilin affichait. Pourtant, elle lui en avait vu des expressions… mais celle-là, jamais. C’est sans doute alors par surprise, et dans la confusion de ses pensées, de ses sens mêlés à ceux de son alter-égo qui cherchait toujours à accroitre plus son pouvoir de persuasion sur elle, que Siam eut la faiblesse de le laisser entrer. Et maintenant, qu’était-elle censée faire ? Il était à peine entré sur son territoire, que déjà elle paniquait. Férocement, elle mordit dans sa lèvre inférieure pour s’empêcher de pleurer et claqua la porte avec force.

« Bah oui je t’en prie vas-y ! Fait comme chez toi ! Tu veux un cacao aussi avec ça ?! »

La colère vibrait dans sa voix, alors qu’elle approchait de quelques pas, furieuse de cette intrusion mais surtout devant une réalité plus inquiétante : elle perdait ses moyens. La surprise et les expressions tristes et blessées qui passaient sur le visage de Selen jouaient en la défaveur de la Berserker. Mais elle ne pouvait pas faire machine arrière, c’était stupide ! Seulement, la voix de Selen claqua à son tour dans les airs, la figeant, et l’intimant au silence. « Putain, Siam, sérieusement. Est-ce qu'un jour tu vas me laisser comprendre ce qui te passes par la tête ? » Elle fronça les sourcils, alors qu’il se tournait vers elle pour s’installer sur un accoudoir du canapé. Qu’aurait-elle donné pour avoir la capacité physique, et la taille de se confronter à lui et le foutre littéralement dehors ! Mais non, Siam était piégée. Et elle sentait bien qu’elle n’avait pas la force de lutter longuement. Ses derniers jours l’avaient mise à rude épreuve, elle était éreintée et accablée… c’était peut-être la confrontation de trop. Mais la dernière sans doute, du moins elle l’espérait. Alors Siam n’avait plus qu’à rassembler ses dernières munitions, pour tirer à vue, et clore définitivement cette douloureuse expérience avec Selen. Alors, elle releva la tête, semblant déjà plus résolue, une hardiesse impertinente sur le visage pour faire face au Qilin qui reprenait la parole. « Je suis venu savoir la raison pour laquelle tu me détestes autant. Qu'est-ce que j'ai fais de mal ? Dis-le, bordel. J'peux tout entendre ! Et je ne partirai pas de là sans avoir de réponse. Allez. J'attends. »

Si elle avait montré à nouveau de la résolution quelques secondes plus tôt, Siam sembla un instant ébranlée par ce qu’il venait de dire. Le détester … Par le ciel, que c’était difficile de l’entendre. Elle avait donc atteint son objectif, mais elle se sentait minable et vide. Pourtant, c’était logique… et elle devait continuer dans cette voie.

« Écoute moi bien, j’ai pas envie de rester avec toi à bavaser Selen ! Je crois que j’ai été suffisamment clair l’autre soir non ? J’ai juste pas envie de te voir, j’ai pas envie de te parler. Ce que je veux c’est que tu me foutes la paix ! »

Si elle avait l’air furieux, Siam sentait surtout son cœur imploser devant ses propres mots. C’était cruel, et s’était surtout un mensonge. Tout était faux… En son for intérieur, aussi bien le carcajou qu’elle-même souhaitait laissé sortir des émotions et une vérité bien différentes. Mais elle les retenait et se faisait même un devoir de le faire.

« J’ai été stupide de te recontacter. On n’a jamais été fait pour s’entendre… »

Mais c’était trop dur… si dur qu’elle en lâcha quelques larmes, qu’elle tenta de faire passer pour de la colère en peignant une expression irritée et dédaigneuse sur son visage. Puis elle secoua la tête, avant de soupirer comme quelqu’un qui en a sa claque de discuter avec un mur, ou qui se désintéresse de la conversation avant d’ajouter non sans entendre sa propre voix trembler :  

« Maintenant, si tu veux rester ici à attendre libre à toi. Mais je ne te donnerais rien. Et si tu ne t’en vas pas, alors c’est moi qui me casserais … A toi de voir. »

Siam avait parlé plus posément qu’auparavant, le son de sa voix s’éteignant un peu vers la fin. Pour finir dans un souffle. Parce qu’elle était lasse de se battre contre elle-même, et qu’un adversaire de plus, Selen qui plus est, ne l’aidait pas à reprendre courage. C’était trop difficile… Et Siam voulait simplement qu’il parte. Si bien qu’elle se décala sur le côté, désignant la porte d’un geste ferme bien que son regard continuait de fuir le Qilin…

C'était étonnant.
De ses longues années de vie, Selen pensait n'en avoir tiré que le meilleur, malgré quelques échecs qu'il avait appris à relativiser. Au fil du temps, le chemin de son existence s'était égrainé de manière harmonieuse, ne menant la créature que vers le simple fait de s'élever, encore, toujours plus haut. Sans prétendre être le plus fort, le plus agile, le plus intelligent. Simplement être celui qu'il avait envie d'être, sans se poser de questions.
Ainsi, il n'avait jamais saisi l'opportunité de s’apitoyer sur son sort quand pourtant la vie lui imposait de reculer, de redescendre. Non. Selen, lui, ignorait la douleur, jusqu'à ce qu'elle explose dans sa poitrine comme une digue qui lâche.

Siam, elle, était parvenue à cela. A briser cette spirale vertueuse. A le faire douter, et tomber. En soi... c'était un exploit.

Ses mots le frappèrent aussi durement que des poings arrachant ses écailles, une par une. Sans qu'il ne puisse rien faire, la jeune femme blonde avait rétorqué à chacune de ses propres répliques, sans lui laisser de marge de manœuvre. Devant son regard perdu, elle s'évertuait à lui faire comprendre que tout ce qu'ils avaient traversé ensemble n'était qu'une vaste et stupide erreur, que tout ce qui composait le Qilin devait sortir de sa vie d'une manière ou d'une autre.
La violence que Selen recevait de la part de la Berserker était sans égale. Et pourtant, les deux âmes étaient séparées, aucun contact physique ne les rapprochait. Rien. Il n'y avait déjà plus rien.

Boom. Boom.
Selen baissa les yeux, laissa la colère se distiller petit à petit dans chacune de ses cellules magiques, l'enveloppant lentement sans qu'il ne lui résiste. De tout les pores de sa peau s'échappait la lutte contre cette injustice qu'il ne comprenait pas, et qu'elle refusait de lui expliquer. Assis sur le rebord du canapé, il sentait celui-ci se dérober sous son poids. Où était-ce sa souffrance qui pesait si lourd ? Le Qilin ne parvenait pas à mettre de mots sur ce qu'il se passait au fond de lui. Mais ce qui était certain, c'était qu'elle, cette simple Dame, cette femme à la mentalité étrange, venait de le perdre.
Boom.
Boom...
Bientôt, son cœur cessa cependant de s'affoler.
Il accepta.

« … Ok. »

Cela sonna comme un claquement de fouet. Le dernier que l'on donne avant d'abattre la bête. La voix de Selen était bien différente de celle qui résonnait habituellement, plus chaude et prompt à la tendresse. Non, cette fois-ci, aucune trace de douceur ne pouvait se lire dans le langage sec de la créature.
Il se leva, tentant de résorber l'envie de qui lui piquait les yeux. Cette notion unique qu'était les pleurs, Selen ne s'y était jamais laissé aller. Les larmes coulaient rarement sur ses joues creusées par le déclin des années, et pourtant, ce jour-là, ses prunelles bleu passé brillaient. Il confronta une dernière fois le regard de Siam mais déjà celle-ci avait disparue derrière un voile tremblotant. Le flou provoqué le sanglot montant dangereusement dans sa gorge le faisait s'adresser à un fantôme.
Mais c'était tout ce qu'elle voulait, après tout.
Qu'il ne soit plus qu'un spectre, alors qu'il les avait en horreur, hantant une partie de son existence pour ne plus jamais resurgir.
Il ne dit plus grand-chose, en passant près d'elle pour rejoindre la porte. Si ce n'est l'essentiel. Les derniers mots qu'il lui adressera.

« J'espère que ta vie sera bien meilleure sans moi. Adieu, Siam. »

Ainsi soit-il, alors. On fait comme ça ?
Tu prends mon cœur... et tu le broies.

« … Ok. » L’acceptation. C’était à croire que finalement, il avait été très facile de convaincre Selen. De lui faire croire qu’elle ne l’aimait pas, qu’elle le méprisait, et que véritablement elle ne voulait plus de lui dans sa vie. Soit Siam était d’une pertinence exceptionnelle dans ses paroles pour qu’il puisse gober une telle aberration, soit le Qilin était plus candide encore qu’elle l’imaginait au départ. Parce que même elle n’y croyait pas. Alors qu’elle tentait de mettre le plus de crédibilité possible dans ses actes et ses paroles. Mais c’était faux. Tout sonnait faux… Il n’y avait rien là-dedans qui pouvait être considéré comme honnête. Il n’y avait qu’à voir son expression, qu’à écouter sa voix trembler et constater que son regard le fuyait autant que possible pour voir qu’elle mentait. Que la Berserker n’était pas en accord avec son alter-ego, et encore moins avec elle-même. Elle resta donc immobile, fixant le sol en désignant la porte alors que Selen lui, semblait perdre pied et chercher au contraire son regard. Petit à petit, la résignation semblait s’installer chez lui, comme chez elle. Mais cette résignation-là était cruelle. Elle faisait capituler Siam dans la douleur de ce qu’elle estimait être la séparation la plus tragique de sa vie. Et pourtant, la Berserker en avait perdu des gens… des amis, des proches, durant sa vie. Elle avait été brisée de multiples manières, c’était fait souffrir également, au gré de ses espoirs déçus.

C’était aussi, et peut être à cause de cela qu’elle restait immobile sans oser le contempler. Et pourtant, elle avait fini par le faire. Juste une seconde, pour croiser un regard qui n’allait pas le moins du monde au Qilin. Qui semblait lui aussi opprimé par la stupeur de ces pseudo révélation. Mais il y avait bien autre chose que Siam pouvait y lire. Etait-ce vraiment des larmes qui brillaient dans les yeux de Selen ? Elle n’avait pas bien regardé, Siam n’avait pas voulu voir. Mais elle savait. L’espace d’un instant, elle resta interdite devant l’intensité de cette peine qu’il dégageait. Quelque chose encore une fois, vint la heurter, avec force. Bien sûr… elle lui avait fait mal. Mais pour être honnête, Siam n’aurait jamais pensé une seule seconde qu’il semblerait être si mal. Presque … souffrir autant qu’elle. « J'espère que ta vie sera bien meilleure sans moi. Adieu, Siam. » Et cette phrase, autant que le ton qu’il employa lui glaça le sang. Adieu. N’était-ce pas ce qu’elle avait cherché ? Si, bien sûr que si. Elle voulait qu’il s’en aille, pour pouvoir ensuite reconstruire une existence vide, sans sa présence… mais où elle n’aurait plus besoin de lui mentir pour cacher ses sentiments. Qu’y avait-il de pire, que de devoir côtoyer une personne aimé si intensément, sans espoir de recevoir cette même émotion en retour ? Surtout que l’amour qui vibrait en elle vis-à-vis de Selen était vraiment issus d’un brasier qui avait traversé les ans. Impossible de l’ignorer, impossible de l’éteindre, il fallait donc faire avec. Jusqu’alors, Siam avait été persuadée qu’il n’y aurait sans doute rien de pire que de devoir dissimuler ses sentiments… ce qui l’avait conduit à cet instant précis. Celui où Selen lui disait adieu, et passait à côté d’elle, l’âme en peine, pour s’en aller puisque telle était la volonté de la Berserker…

Mais Siam c’était trompée. Il y avait en réalité bien pire. Le voir partir, malheureux, et blessé de croire qu’elle ne l’aimait pas. Qu’elle le détestait. Que cette petite fille qu’il avait sauvé un jour de la solitude ne lui vouait ni respect, ni reconnaissance le tourmenterait sans doute longtemps. Et cela, Siam ne l’assumerait pas. Au final, peu importait ce qu’elle ressentait et quel incroyable mal la rongerait encore dans les mois à venir, Siam réalisait enfin. L’imaginer accablé était bien la pire des choses. Ca, elle ne se le pardonnerait pas.

« Attends… Attends … »

Sa voix avait à peine réussit à percer le silence de son départ. Lui qui était à présent si proche de s’en aller… Siam souhaitait maintenant plus que tout le retenir, et son alter-ego pour une fois n’intervenait pas. Elle était consciente de ce qu’elle faisait, et exécuta son geste avec une volonté très claire de le retenir encore un peu. En quelques secondes et quelques pas, la Berserker avait réduit la distance qui les séparait. Elle avait presque courut, si bien que l’élan la propulsa contre le corps du Qilin qu’elle entoura de ses bras avec force, le front contre son dos.  Puis elle ne bougea plus… Siam profita de son odeur, de sa chaleur. D’un contact qu’elle aimait tant et qu’elle savait à présent plus qu’éphémère. Et s’en savoir très vite privé la fit éclater en sanglot, et trembler tout contre lui.

 « Je pourrais pas aller bien sans toi Selen… Mais je suis pas certaine de pouvoir être heureuse non plus, si tu es là. »

Quitte à ce qu’il parte, à ne plus le revoir, autant lui épargner les doutes et les remords. Autant le ménager un peu, et qu’il sache … qu’il devait se retirer de sa vie parce qu’elle l’aimait justement trop. Qu’elle ne le haïssait, ou ne le méprisait pas… La vérité faisait mal à Siam, mais éviterait sans doute à Selen de passer par une période aussi difficile que lorsqu’elle l’avait laissé, des années plus tôt. Gardant son front contre le dos du Qilin, et les yeux obstinément fermés, Siam tenta de reprendre le souffle qui lui manquait. Les longues secondes filèrent, sans qu’elle ne bouge, ou n’ajoute quoi que ce soit… puis elle souffla simplement une vérité qui lui coûtait tant d’avouer :

« Je peux pas vivre heureuse si tu ne m’aimes pas. »

Peut-être qu'il ne rêvait pas. Ou peut-être si, mais subitement, il venait de glisser dans un autre univers. Son songe tombait, lentement, doucement vers quelque chose de plus inattendu, et peut-être... peut-être... qu'il aurait une fin heureuse.
Selen avait déjà la main sur la poignet de la porte lorsqu'il sentit les deux bras fins de la Berserker s'enrouler autour de lui. Comme un étau l'empêchant de commettre l'irréparable erreur. Une erreur qu'il n'avait pas perçu comme telle pourtant, de prime abord, puisque Siam s'évertuait à le chasser de sa vie. Mais alors... Pourquoi ? Pourquoi le retenait-elle ? Pourquoi ces mots ? Pourquoi ces sanglots dans sa voix qui, alors que le Qilin persistait à n'entendre que la douleur des termes qu'elle employait, tremblait depuis l'instant où Selen avait franchi le pas de sa porte 

Son cerveau était chamboulé, tout autant que son cœur qui ne comprenait plus ce qu'il voulait. Mais la présence soudaine de Siam contre son dos le perturba plus que ce qu'il s'attendait. Non... en réalité, il savait pourquoi il ressentait ça. C'était parce que Siam, Blondie sauvage, était l'une des seules capable de faire de son âme une véritable piste de montagne-russes. Ils étaient bien peu à y parvenir, et elle... elle... autant se l'avouer. Depuis son tutorat, il savait que cette gamine resterait spéciale à ses yeux. Même après son départ. Même si elle le traînait six pieds sous terre. Même si elle le repoussait jusqu'au bout de monde.
Il n'arrivait pas à lui en vouloir.
Il n'y parviendrait jamais réellement.

La tête baissée, les yeux écarquillés comme si son étreinte l’étouffait, Selen ne bougea pas tout de suite. Il prit conscience de ce qu'elle venait de lui avouer. Avec ou sans lui, elle ne serait pas heureuse... mais elle ne voulait pas qu'il parte pour autant. Une énigme qui faisait écho dans son esprit perdu.

« Siam... ? », murmura-t-il, la voix légèrement coupée par l’incompréhension. « Tu... mais... je... »

Impossible pour lui d'articuler une phrase intelligible. Alors, au-lieu de parler, il préféra agir, comme à son habitude. Les mots, à son sens, n'avaient pas de portée véritable quand il les disait. Mais il absorbait ceux des autres tel une éponge. Et ceux de ses proches, particulièrement. Ainsi il bougea pour défaire l'étreinte et se tourna vers elle, confronta son regard au sien, embué de larmes.

Nouveau coup au cœur.

« Siam... », déclara-t-il dans un chuchotement, se laissant envahir par une intimité soudaine. « Je... ne partirai pas. Je vais rester ici... tu l'sais, hein ? »

Doucement, fébrilement, ses mains cagneuses se hissèrent tandis qu'il parlait. Pour venir encadrer le visage de la blonde en se posant sur ses joues veloutées. Il essuya une larme, contact léger sur la pulpe de son pouce, léger comme l'était Siam, léger comme il voulait que leurs deux cœurs soient.

Et il continua à parler. Cherchant, pour une fois, un impact quelconque dans ses propres mots. Qu'ils soient arme de construction massive.

« Aide-moi à comprendre, s'il te plait... je veux pas te laisser... j'y arrive pas. Je n'y arriverai jamais... »

Devant elle, il ne parvenait plus à imposer cette aura de froideur qu'il avait cultivé quelques minutes plus tôt. Ce n'était plus possible. Petit à petit, son armure se brisait en sanglots égales, tandis qu'il fixait ses yeux avec difficulté.

« Parce que je... »

Pour qu'au final, il n'avoue, détournant le regard vers le bas, et laissant l'émotion le submerger.

« … Parce que j't'aime trop pour continuer à prétendre le contraire... »

Le silence qui prit place entre eux deux après son aveux était pour Siam, le plus assourdissant de tous. Elle savait que dans cet élan de faiblesse qui l’avait amené à renoncer à sa fierté, elle laissait aussi un peu de son âme. Maintenant, il était trop tard. Elle avait elle-même emprunté un chemin dangereux. Celui de la vérité qu’elle restait pourtant persuadée de ne pas pouvoir révéler à Selen. Mais … au final, et lorsque l’on prenait conscience de la situation… la jeune femme n’avait de toute manière, plus grand-chose à perdre. Parce qu’il allait partir de toute façon. Lui tourner le dos, et retourner à une vie plus calme, sans elle… et qu’il ne pouvait pas se lester d’un fardeau aussi imposant et gênant qu’étaient les sentiments de Siam à son encontre. Pour lui sans doute, cela n’avait pas de sens. Que la gamine dont il avait décroché le tutorat, dont il s’était occupé très jeune, puisse l’aimer, le désirer même… et avec autant de force. Vouloir de lui bien plus qu’une relation aussi simple qu’une amitié résultant d’un lien comme celui qu’ils avaient eu autrefois. C’était même peut être, une idée plus que saugrenue. C’était peut-être pour Selen, une vérité déroutante et même… sordide et répugnante.

Et dans ce silence, Siam fermait les yeux, respirant l’odeur du Qilin dont elle avait souhaité s’imprégner, qui la faisait tant vibrer, et calquant sa respiration sur la sienne… qui était bien plus qu’irrégulière. « Siam... ? Tu... mais... je... » Il ne comprenait pas, et c’était sans doute normal. Siam venait simplement de lui avouer qu’elle ne pouvait pas être heureuse avec ou sans sa présence et se paradoxe n’était pas le plus simple à saisir ou concevoir. Pourtant, c’était exactement le cas. Dans l’état actuel des choses… Siam ne pouvait être que malheureuse, peu important l’issue de leur conversation. Elle ne pourrait plus le revoir, c’était trop douloureux dès lors. Et puis, il bougea enfin, se tournant vers elle en maintenant une certaine proximité entre eux. Les bras de Siam retombèrent le long de son corps, mollement… sans qu’elle ne montre plus d’opposition que cela. Et le regard brillant de Selen lui, sapa ce qu’il lui restait de volonté et de courage si bien que, même détourner les yeux, la Berserker ne le fit pas encore. « Siam... Je... ne partirai pas. Je vais rester ici... tu l'sais, hein ? » Par reflexe, elle secoua la tête de manière négative, et baissa la tête.

« Faut pas que tu restes, justement… je veux pas… »

Elle semblait paniquer, chercher des excuses, des explications… mais elle sursauta soudainement en sentant les mains de Selen lui prendre doucement le visage, et essuyer les larmes qui coulaient encore sur ses joues rosies par l’émotion de ses aveux. Ce simple contact sembla la chagriner plus encore, puisque ses yeux se plissèrent devant l’affluence de nouvelles larmes, alors qu’elle tentait vainement de fuir le regard, si intense du Qilin. « Aide-moi à comprendre, s'il te plait... je veux pas te laisser... j'y arrive pas. Je n'y arriverai jamais...  Parce que je... Parce que j't'aime trop pour continuer à prétendre le contraire... » Si les mots la touchèrent, ils la blessèrent plus encore. Il l’aimait, ça elle le savait. Mais ce n’était pas de cet amour-là dont elle avait besoin.

« Mais ça suffira pas Selen… tu comprends pas ? »

D’un geste plus modéré que les précédents, Siam repoussa Selen et se dégagea de son emprise. Puis elle sembla plus résignée qu’autre chose… plus éteinte que jamais également. Car il était à présent trop tard pour revenir en arrière et le chasser sans explication. Même si c’était de plus en plus difficile pour elle… Siam l’aimait. Et à un point tel qu’elle préférait souffrir le martyr devant cette séparation, subir un regard de dégout, ou de jugement de sa part plutôt que de le savoir en peine, et vivant dans l’incompréhension totale vis-à-vis de ce qu’elle lui avait imposé. Un nouveau silence les sépara, alors qu’elle semblait perdue à son tour, et osciller entre deux états. Celui de tristesse harassante qui la rendait si faible devant lui, et une résignation qui l’abattait tout autant. D’un geste pourtant furieux, elle essuya ses larmes avant de se laisser tomber sur une chaise, à la table du ‘salon’ non loin de l’entrée. Puis elle renifla, soupira… et tenta d’amorcer un bout d’explication bancale, alors qu’elle avait l’air à présent d’une personne n’ayant plus un espoir au fond du cœur. Il ne lui restait plus rien qui ne lui permette de sourire et d’affronter la situation. Juste… Siam se laissait couler. Et parler n’avait plus de sens… pourtant, elle le faisait. Pour lui… Mais certainement pas pour elle.

« J’ai pas envie de rester ton amie … je veux pas être juste… cette gamine que tu as élevé y’a longtemps. Je sais ce que tu penses… que j’ai pété un plomb, que c’est dégueulasse… pire peut être. Alors, soit gentil… il faut que tu partes. J’arriverais vraiment pas à supporter de te voir encore… Je veux pas avoir non plus à supporter ton jugement… »

C’était décousu, mais au moins il pourrait se vanter d’avoir obtenu le maximum de ce qu’elle pouvait donner. Siam n’avait plus de volonté à présent. Elle était assise en travers de sa chaise pour rester face à lui, mais semblait ne plus pouvoir soutenir son propre poids. Ses larmes et ses tremblements eux… n’avait pas cessé. Surtout qu’elle semblait sur le point de parler à nouveau. Pendant un instant, les mots ne sortir pas… elle peinait alors à maitriser le son de sa voix, son souffle se bloquant dans sa gorge. Et puis… enfin, alors qu’elle sanglotait à nouveau et plaquait ses mains sur ses cuisses en frottant nerveusement ses mains sur son bas de jogging, elle lâcha dans un souffle :

« Moi … je t’aime pour de vrai. »

Puis, elle ferma les yeux… pour ne pas avoir à subir la réaction de Selen. Et éviter d’avoir ce souvenir de lui, qui lui briserait le cœur plus violemment encore que son absence. Celui de son regard… devant cette révélation qui lui semblait si honteuse.