Le mâchoire s'était refermée sur ses côtes, dans un grognement sourd des deux bêtes qui s'affrontaient. L'ours pouvait la tuer, juste en refermant la gueule sur ses flancs, d'un simple coup de crocs, et tout serait terminé. Dans un dernier sursaut de rage et pour sauver sa vie, la louve donna des pattes arrières, lacérant la tête de l'ours qui la maintenait encore. Elle faisait claquer ses canines au plus près des oreilles de l'autre bête, pour tenter d'en attraper une et le faire lâcher prise. Elle sentait son souffle saccadé, sifflant. S'il ne la lâchait pas maintenant, elle mourrait.

Des sirènes retentirent au loin et en quelques secondes ce fut la cohue.

Alrun se retrouva au sol, couchée sur les flancs, haletante, souffrant le martyre, du mal à respirer. A travers le brouillard qui flottait devant ses yeux, elle percevait des jambes et des pattes qui courraient en tout sens. Elle fut bientôt aveuglée par la lumière de torches agressives. A peine consciente de ce qui se passait, elle trouva quand même le moyen de faire comprendre à la louve qu'elle devait se lever et fuir, le plus loin possible. Les policiers aperçurent seulement une queue aux poils gris qui disparaissait furtivement au coin de la rue.  

La jeune femme reprit forme humaine et retrouva ses vêtements un peu plus loin, dans un sac bien dissimulé derrière une brique non scellé d'un vieil immeuble. Tremblante de douleur plus que de froid, elle enfila tant bien que mal ses habits et tituba à travers la ville pour rentrer chez elle. Elle sortit son portable de sa poche et appela la Salamandre. Mais après quelques sonneries dans le vide, elle dut se rendre à l'évidence, la boutique était fermée. Beth devait être chez elle. En portant une main à ses côtes, elle grimaça et retint un cri de douleur. Retirant sa main, elle vit le sang et déglutit, sur le point de paniquer. Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait une raclée lors d'un combat clandestin, mais jamais à ce point. Elle n'avait jamais combattu un ours non plus. Ce soir, elle ne toucherait rien.

Arrivant sur une avenue principale, elle héla un taxi. Elle monta à l'arrière de la voiture et donna l'adresse de l'alchimiste. Pas question d'aller à l'hôpital.

Elle tenta de ne pas tâcher les siège de l'auto et descendit après avoir payé le chauffeur. Respirant de plus en plus mal, elle chancela vers l'immeuble, s'approcha de l'interphone et chercha le nom de la jeune femme. Elle la trouva au 12ème étage. Manquant de s'évanouir, Alrun espéra que l'immeuble avait un ascenseur. La porte était ouverte, alors elle entra sans sonner à l'interphone. La viking n'avait plus les idées très claire.

Elle fut soulagé en trouvant l'ascenseur, y entra et appuya sur le 12ème étage. Elle dut se tenir à la rampe pendant l'ascension. Elle sentait la sueur lui perler au visage pendant les longues secondes qui l'emmenaient dans les étages. Enfin, la cloche de l'ascenseur retentit, les portes s'ouvrirent et elle chercha l'appartement de la jeune femme. Heureusement, les noms étaient écrits sur les portes.

Alrun s'écroula en face de la porte de Beth, le long du mur après avoir appuyé sur la sonnette. Elle espérait que la jeune femme était chez elle et qu'elle avait entendu la sonnette. Puis elle laissa son esprit sombrer dans l'inconscience, épuisée par tout le sang qu'elle avait perdu sur le trajet.

Dans sa demi-conscience, la jeune femme sentait qu'on l'aidait à se lever et qu'on l'emmenait quelque part. Trop faible, épuisée, elle se laissa faire et la louve aussi. Elle s'écroula sur un canapé peut-être et grogna de douleur, l'air expulsant de ses poumons difficilement. Elle s'effondra totalement avant d'entendre Beth se diriger vers la salle de bain pour ramener de quoi soigner la Berserker, ni l'entendre revenir près d'elle. Elle reprit connaissance bien plus tard dans la soirée.

Elle émergea lentement, ouvrant à peine les yeux sur une lueur douce, percevant une musique agréable non loin d'elle. Elle gémit en voulant bouger et remarqua qu'elle était quasiment nue sous une couverture qui ne lui appartenait pas. Elle n'était pas du genre pudique, mais elle ne se sentait pas suffisamment proche de la jeune femme pour lui montrer son corps... habituellement, ses spectateurs étaient des hommes. Elle remonta la couverture jusqu'au menton et chercha dans la pièce la présence de l'alchimiste.

-Salut... lacha-t-elle simplement. Désolée d'avoir débarqué comme ça. J'aurai pas dû... Elle se mit à tousser, ou du moins essaya de tousser mais sa toux se termina vite en gémissement et grimaces de douleurs. Putain de merde... il m'a cassé des côtes, l'enfoiré ...

Le processus de cicatrisation avait déjà dû commencer, mais pour les os brisés, la convalescence serait plus longue. Elle ne pourrait pas combattre avant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, quant à danser prendrait autant de temps... on ne dansait pas avec des côtes cassées.

Son regard tomba sur des fringues que la jeune femme avait probablement sorti à son intention.

-Je peux ? lui demanda-t-elle en montrant du menton les habits. C'est qu'elle ne tenait pas à rester nue toute la soirée sous un plaid ! Et puis elle avait faim et il flottait dans l'appartement une insidieuse odeur de viande saignante à souhait.

Après que Beth l'ait invité à se mettre à son aise, elle était allée dans la cuisine et Alrun entendit des bruits d'assiettes et de couverts. Elle en profita pour se lever avec précaution pour s'habiller. Les fringues de Beth étaient simples et elles avaient le mérite d'être à sa taille. Alrun eut du mal à passer la chemise à cause de ses côtes douloureuses mais y parvint finalement. Elle pensa qu'elle avait bien besoin d'une douche ou d'un bain, mais elle n'avait pas envie que Beth refasse les pansements tout de suite. Elle attendrait d'être rentrée chez elle. Elle se rassit prudemment sur le canapé avec une grimace de douleur qu'elle tenta de dissimuler à la jeune femme et reçut avec plaisir le plateau sur ses genoux. Elle n'aimait pas spécialement qu'on la chouchoutte ainsi mais elle devait bien avouer que la fatigue et la douleur la rendaient faible... elle détestait cela.

Elle jeta un furtif regard à la jeune femme, en hochant la tête pour la remercier du repas. Il n'y avait bien que Beth qui l'avait vu dans cet état, devant qui elle acceptait de se montrer un peu plus la femme qu'elle était au fond, ne laissant pas le monde être au courant. Mais le fait que Beth soit une alchimiste était un problème pour Alrun. Qu'elle lui demande n'importe quoi et Alrun obéirait, sans broncher, sans même hésiter. C'était là son talon d'achille.

Pour l'heure, elle mordit à pleines dents dans un morceau de viande qu'elle avait découpé avec force et grimaces dû à la douleur dans ses côtes. Elle soupira d'aise en sentant la viande saignante fondre sur sa langue et se délecta du goût en déglutissant. Elle mangea avec appétit, d'une part parce qu'elle était affamée, d'autre part pour faire honneur au repas que la jeune femme avait préparé pour elle, et la remercier de son aide.

-Ils m'ont fait combattre un ours les salauds.  D'habitude ils me font affronter des pumas, des loups ou des renards. Mais un ours ! Je ne m'y attendais pas, je me suis laissée surprendre par sa force. Je ne referai pas la même erreur. Ajouta-t-elle, sous-entendant par là qu'elle recommencerait les combats dès qu'elle le pourrait, et qu'elle demanderait à affronter de nouveau son adversaire de ce soir. Une conduite imprudente sans doute, mais elle s'en fichait. La louve réclamait son combat et sa victoire.

-Non merci, pas de thé. J'ai l'habitude de boissons un peu plus fortes... mais je suppose que tu as pas ça dans tes placards. Un café ça ira bien. Sinon, laisse tomber.

Elle engloutit le dernier morceau de viande, reposa les couverts sur l'assiette et le plateau sur la table basse devant elle. Toujours en grimaçant, retenant son souffle.

-T'inquiète pas pour moi, Beth. La louve fera toujours tout de façon à ce qu'on s'en sorte en vie... bon j'avoue ce soir on l'a échappé belle, mais je suis en vie ! termina-t-elle avec un sourire amusé, presque de défi. Et puis si je lui enlève ça, ça risque de devenir compliqué...

Elle entendit presque le grondement sourd de la louve dans sa tête comme pour la mettre au défi de tenter de la brider plus. Alrun secoua la tête, chassant le grondement inaudible par les autres, et tenta de se mettre debout...

-Je veux pas abuser de ton hospitalité, je vais...

"Je vais y aller", voulait-elle dire, mais elle retomba lourdement dans le canapé, s'arrachant un cri de douleur qu'elle réprima aussitôt en serrant les mâchoires, se tenant les côtes. Cette fois Beth pouvait parfaitement entendre le grondement sourd car il venait de la gorge d'Alrun, qui sous la douleur et la frustration que cela engendrait, était sur le point de laisser la Fureur l'emporter...

Elle sentait déjà ses os craquer pour changer de place, de forme et de longueur. Elle sentait son coeur et sa respiration, sifflante, s'accélérer, elle entendait le grondement prendre en puissance à mesure que la transformation approchait. Il n'y avait plus de musique douce, ni de lumière tamisée pour l'apaiser, il n'y avait plus l'odeur de la viande ou de l'encens pour la ravir. Il n'y avait que la douleur et la rage d'avoir été battue, de se sentir faible.

Puis soudain, elle sentit une main fraîche sur son front, une main sur son épaule. Elle perçut la voix douce et posée d'une Alchimiste formuler une requête. La bête s'apaisa, Alrun soupira, sembla mieux respirer, reprendre le contrôler. Sa vision redevint claire, ses battements de coeur réguliers. Et elle comprit.

Elle rejeta violemment la main de Beth, et sauta du canapé pour s'éloigner de la jeune femme d'un bond, le plus loin possible d'elle et de son pouvoir, de son influence plutôt.

[color:45b0= #ff3366]-Ne me touche pas. Jamais, tu m'entends ? Tu n'as... tu n'en as pas le droit. Pas toi... l'alchimiste... Tu sais très bien... je ne... RAAAh ! éructa-t-elle finalement, perdant les mots dans sa colère, et sa peur.

Elle tourna en rond dans l'appartement, sans trop savoir quoi faire. Le simple fait d'être debout lui faisait tourner la tête, lui lacérait les flancs, lui coupait le souffle. Elle ne pouvait plus respirer. Elle se tint les côtes de ses deux bras, et glissa au sol. Elle pâlit de plus en plus, jusqu'à devenir presque bleue, cherchant l'air à pleine gorgée sans le trouver. Elle suffoquait. Un poumon était touché... ou alors c'était la terreur de perdre sa liberté, tout simplement.

Son regard croisa soudain celui de la jeune femme, elle qui se rapprochait le plus d'une amie jusque là, et ce fut comme si elle venait de se faire piquer.

Elle se leva d'un bond, faisant taire la douleur et sortit rapide comme l'éclair de l'appartement. Avant que Beth ne put la rattraper, elle était déjà dans l'ascenseur. Quelques minutes après, elle avait disparu dans la noirceur de la nuit, sans laisser la moindre trace de son passage, que quelques gouttes de sang coagulé au sol.