Il le regarde. Il a l'air d'un gosse qui s’approprie égoïstement l'espace, juste une seconde et tout s'efface, pour laisser place à autre chose. Un autre royaume, une compagnie de fous qui dansent pour le bonheur de l'enfant-roi. L'opéra obéissait à ses caprices les plus insensés, et même celui de courir sur ces tables, même celui de hurler face à cette vie qu'il jalousait et qui battait faiblement dans le cœur d'Oreste... Tout cela parût légitime aux yeux de l'alchimiste. Alan avait été emporté dans la fougue d'une jeunesse incertaine. A lui souriait une vie des plus douces, bercée de musique. Désormais, il ne pouvait qu'écouter celle de sa petite sœur qui hantait les lieux, poupée de chair et de beauté.

La position du professeur le rendait mal à l'aise, aussi physiquement que mentalement. Courir à son tour, hurler à son tour, laisser ses poumons s'emplir d'une air trop rare et crier, crier jusqu'à ce que l'on prenne pour un malade, crier jusqu'à lui-même se rendre malade. Il avait envie de sentir de lésions dans sa gorge, d'irrévocables stigmates qui l'empêcheraient de pleurer et de dire la vérité sur sa condition. On ne voulait pas qu'il s'en aille. On ne voulait pas qu'il perde. Mais lui, depuis si longtemps... il avait perdu le goût à la vie.

Bercé dans son propre petit monde, à l'instar de son ami spectre qui lui faisait découvrir le sien. Ce qu'il était en train de vivre, c'était un petit moment gravé entre la vie et la non-vie, l'instant sacré qui s'étale entre deux secondes de trop. Il savait qu'il ne pourrait jamais revivre quelque chose de similaire, si bien que la présence d'Alan constituait un voyage à elle-seule. Il y avait cette douleur, bien sûr. Une plainte si lourde qu'il perçu dans les mots et les cris du jeune homme figé dans le temps.

Oreste en avait presque pitié. Ça le rendait triste, d'éprouver avec autant de force une compassion telle à l'égard de l'ancien violoniste. Cette compassion même qui faisait écho à sa propre condition. Cette compassion qu'il aurait voulu s'accorder si... il n'était pas si dur envers lui-même.

« Alan... »

Murmure tremblant. L'émotion le poursuit, arrache à ses yeux leur pétillement habituel. Le professeur s'approche, dans son par-dessus râpé, dans toute son empathie, et écarte les bras maigres, les écarte si fort qu'il pourrait se briser à l'instant.

« Viens. »

Ce n'est pas un ordre, c'est une promesse. Dans un geste faussement précis, Oreste entoure le garçon de ses bras, d'une protection presque tendre. Il ne s'attendait qu'à une peau froide, un aspect mortuaire qui confirmerait que ses joues roses ne sont qu'illusion. Mais non. Au fond du jeune homme brûle un feu glacé que l'alchimiste veut attiser. Réconforter. Et dans cet étreinte, tout ce qu'il espérait, c'était qu'Alan comprenne qu'il n'était plus seul à errer. Ils pouvaient être deux à l'éprouver, et à vouloir le dépasser si tenté qu'il le veuille.

« Pleure, si tu veux. Tu en as le droit. Je suis là... »

Il fallait qu'il évacue. Tout ce qu'il ressentait, tout ce qu'il avait besoin de dire. Toute ces notes qu'il ne pourra plus jamais jouer mais qui sont pourtant là, creusées au sein de son esprit, multiplié de concert et de regards d'enfant de douze ans. Ceux qui se perdent dans les couloirs...