Quelque chose d'inhabituel s'installe entre eux alors qu'il la tient, la domine et la courbe sous son corps. A cet instant Lem est belle, avec ses cheveux d'or, ses yeux clairs et son corps élastique. Belle et vulnérable, jusqu'à ses joues délicatement empourprées. Cette chose croit, jusqu'à la douleur et Jesse réalise soudain ses propres gestes, ses propres mots alors qu'un instant, fragile et fugace, il l'a désirée. La mordre, la posséder. La marquer comme sienne. Mais Lem est son amie, sa soeur. Et ce désir imprévu lui fait peur, parce qu'il n'aime pas les femmes mais qu'il a désiré un instant sa meilleure amie. Et alors qu'elle le berce, il ne la désire que plus. Il voudrait qu'elle l'aime aussi, parce que ce serait plus facile. Mais Lem est une enfant dans un corps de femme. Lem est sa meilleure amie

Une meilleure amie qui le repousse et minimise sans cesse sa douleur. Rien de négatif ne peut atteindre Lem, pour le meilleur comme pour le pire. Et c'est bien ce qui, dans ce moment affreux, lui a donné une seconde envie de lui faire mal comme il a mal. De la contraindre, de la posséder, de la boire. De goûter ce sang terrifiant et promesse de tellement de délices. Le goût du sang du Leprechaun lui revient en mémoire et il se force à écarter ce souvenir qui le terrifie. Cet instinct qui le pousse à cette seconde à enfouir son visage dans ce cou de lait et à sentir la salive lui venir à la bouche.

Et c'est cet instinct épouvantable qu'il combat chaque jour, né de son besoin de sang autant que de tous les sentiments enchaînés au fond de son coeur. Ce qu'il se refuse à être et a devenir. Alors il la lâche, la repousse presque durement, sans dire un mot, quitte l'eau en s'enveloppant dans un peignoir comme l'on se drape d'une barrière. Il lui en veut : parce qu'elle ne pense jamais à rien. Elle est la lumière, toujours radieuse, immuable. Et il est l'ombre et les ténèbres. Il a peur de lui-même, de cette colère qu'il ressent, exacerbée par le fait que son sang de fée sent si délicieusement bon et qu'il est affamé. De l'insouciance de leurs retrouvailles il ne reste rien. Parce qu'elle ne comprend rien à rien et qu'il n'est qu'un épouvantable idiot.

Jesse se réfugie dans son dressing où chaque affaire est alignée par couleur et taille avec un soin terrifiant, fuyant Lem et ses propres pulsions presque sexuelles qui l'horrifient. Est-ce que c'est inscrit dans son sang corrompu, de faire le mal ? Il s'y refuse depuis une longue année. Il se maîtrise et se muselle. Et pourtant, ne vient-il pas de manquer de mordre et de prendre celle qui est comme sa petite soeur ? A cet instant Jesse sait qu'il va devoir aller chasser. Il aimerait tant parfois, que Lem comprenne le poids de cette malédiction qu'on lui a infligé. Mais elle n'est qu'une Faë. Que peut-elle savoir de la souffrance des Stryges ?
Il reste un moment claquemuré dans son dressing, assis au milieu de paires de chaussures si vernies qu'il peut se voir dedans, les genoux remontés contre sa poitrine, essayant de calmer sa faim. Il devrait se trouver quelqu'un. Mais qui ? Si le fait qu'il aime les hommes se faisait savoir, il pourrait tout perdre. Toute cette richesse qui lui permet de protéger Lem. D'en faire sa princesse gâtée et chérie. Tout ceci lui permet d'être son protecteur. Et s'il perdait tout, lui-même n'aurait plus nulle part où aller, sans ressources ni logement... Tout ce qu'il possède ne lui semble qu'un mirage qui peut disparaître au moindre faux pas. Il danse sur le fil d'un rasoir.

Enfermé à double tour, il n'émerge de ses pensées qu'au bout d'un temps aléatoires, s'étant coupé de la réalité. Il enfile une chemise de flanelle bordeaux et un pantalon noir. Il doit chasser, boire. Sa tête tourne. Enfin, il sort. Il sent que Lem n'est pas loin.
"Je sors." Dit-il seulement d'un ton plat en prenant ses clés sur le guéridon et enfilant ses chaussures trop vernies.