Le jeune Stryge se refusait à mourir, mais n'avait paradoxalement fait qu'opposer une résistance passive, cherchant à fuir plutôt qu'à se confronter à l'autre inconnu. La téléportation lui donnait des sueurs froids : il pourrait le suivre n'importe où, même au maximum de sa vitesse de vol, il suffisait qu'il ne le perde pas de vue. C'était raté pour s'enfuir par le ciel, songea Jesse.
L'autre lui assura qu'il allait le tuer - comme s'il n'avait pas remarqué... - et Jesse se débattit contre l'aspect séduisant de cette idée, cette envie tapie dans ses viscères qui lui donnait envie d'abandonner la lutte, de le laisser le tuer comme on l'avait tué un soir de mai... Mais il ne voulait pas de cette faiblesse, de cette pulsion suicidaire qui lui rongeait le cerveau. Si Lem n'avait pas été là, sans doute se serait-il laissé faire...

"Alors quoi ? Il faut bien que je me nourrisse, je n'ai pas demandé tout ça, moi." La colère pris le pas sur la peur : il n'avait pas choisi, ça non. On l'avait violé, on l'avait tué puis abandonné. Il ne savait ni qui, ni pourquoi. Comme s'il avait juste été au mauvais endroit et au mauvais moment. C'était ce qui rendait sa nouvelle nature si insupportable : il n'avait que des pourquoi et aucune réponse possible. Une torture subtile et délicieuse que celui qui lui avait fait ça devait savourer comme l'on savoure un grand cru.
Quand l'autre se téléporta plus vite que la pensée dans le dos de Jesse, ce dernier sentit les mains se poser sur ses ailes. NON ! Elles étaient ce qu'il avait de plus précieux. C'était la seule chose qui lui permettait d'accepter sa nature. Le garçon était tout naturellement un virtuose du vol, né de son goût pour la liberté et les grands espaces. Si on le clouait au sol, il en mourrait de désespoir.

Face à la menace qu'on s'attaque à cette seule et unique part de lui qu'il aimait, les forces du jeune Stryge se décuplèrent. La colère pris le pas, une colère brûlante, née de ses tripes même.
"Fais-le et ce sera la dernière chose que tu fera de ta vie !" Rugit le Stryge, soudain enragé. Pas ses ailes. Tout mais pas ses ailes. Autant le tuer. "Tue-moi plutôt, ça m'est égal." Le désespoir le plus sombre l’étouffait. Il rua pour tenter de chasser l'autre mais il était bien accroché aux os fragiles. Il essaya de battre des ailes de toute leur force mais elles étaient malgré tout plus faibles que toute autre partie de lui.
Quel sadique pourrait vouloir les lui arracher ? Les plumes étaient douces sous les doigts et pourtant si finement ciselées qu'on aurait pu les croire sorties de l'atelier d'un sculpteur de génie.
"Alors quoi ? Tu ferais ça ? C'est pas moi le monstre, c'est toi. C'est toi qui prive une pixie de son compagnon. C'est toi qui veux me tuer." Persifla Jesse.

Tout en parlant, le jeune Stryge s'était déporté vers le bord du toit. Il évalua les risques en une fraction de seconde. Se jeter dans le vide contraindrait à coup sûr l'autre à se téléporter. Il pourrait bien se briser les os mais cela régénérerait. Au pire des cas, l'autre se romprait le cou. L'idée lui déplaisait et il espérait qu'il choisirait plutôt de se sauver. Sans signe avant coureur, Jesse se laissa tomber en arrière depuis le toit, le chasseur toujours accroché dans son dos, priant que la hauteur soit suffisante pour qu'il ait le temps à la fois de se débarrasser du type et d'ouvrir ses ailes pour ralentir sa chute. C'était un pari risqué. Mais alors qu'il tombait, il était beaucoup trop tard pour réfléchir...

♦♦♦♦

Il tombait et c'était tant pis. Il sentit l'autre l'agripper au cou et se retrouva brusquement bien plus proche du sol, téléporté en même temps que l'autre. Ils heurtèrent le bitume avec un bruit mou, le jeune Stryge amortissant sa chute avec le Faë, se retrouvant catapulté en avant d'une ruade de ce dernier, s'éclatant littéralement sur le trottoir quand l'autre type l'envoya valdinguer. Il reste là, le nez contre le bitume, essoufflé. Son portable, tombé de sa poche pendant sa chute tomba non loin, hors d'usage.
Un peu sonné, le jeune homme pensa fort à Lem. Il avait envie de pleurer sur ce monde qui lui voulait tant de mal alors qu'il n'avait rien fait d'autre qu'essayer de survivre.

Le portable inutilisable le remplit de chagrin, songeant qu'il lui faudrait rapidement en racheter un, parce que Lem pourrait vouloir l'appeler, lui envoyer un message...
Il ne se préoccupa pas immédiatement du chasseur, rentrant ses ailes dans son dos pour éviter qu'on les lui saisisse de nouveau. Il s'était égratigné les bras, les paumes de ses mains étaient en sang. Heureusement il cicatrisait déjà mais ses vêtements n'étaient plus que des chiffons plein de trous et de sang.
Reprenant ses esprits, il tourna le regard vers le chasseur, toujours sur le dos alors que lui-même se relevait prudemment.
Il se mordilla la lèvre inférieure, hésitant entre fuir pendant qu'il en avait l'opportunité mais... Mais l'autre n'avait pas l'air de se relever...

Mort d'inquiétude, le jeune Stryge s'approcha prudemment de l'inconnu - au cas où il s'agissait d'une ruse, sondant ses sentiments pour sentir sa douleur. La peur le prit, en miroir et il boitilla douloureusement vers l'autre homme.
"Pourquoi tu ne t'es pas téléporté plus loin... Je ne voulais pas te blesser..." Gémit Jesse, sincèrement inquiet à présent. Il se tordit les mains, voyant son téléphone inutilisable pour appeler les secours, lui donnant envie de pleurer. Les larmes lui montèrent aux yeux et il renifla piteusement mais se refusa à les laisser couler par une petite fierté bien vaine à cet instant.

"Est-ce que je dois appeler une ambulance ? Quelqu'un ? Tu régénère ?"
Il ne savait même pas ce qu'était ce type - juste qu'il n'était ni une Stryge, ni un Pixie - l'odeur de Lem était par trop familière.

La peur sincère qu'il éprouvait, à la fois de ce type qui voulait le tuer et à la fois d'avoir peut-être blessé si gravement quelqu'un transparaissait dans les yeux cobalt et Jesse se mordit plus fort la lèvre.
"Pourquoi tu ne t'es pas enfui..." Gémit-il de nouveau, les mains tremblantes à présent que l'adrénaline retombait. Il avait tellement peur... Il voulait que Lem soit là, rentrer à la maison et se blottir contre elle. Mais Lem était en vacances et son absence fut ce qui ajouta à son stress.
"Dis-moi ce qu'il faut que je fasse... Je ne veux pas que tu meures... Je n'ai jamais voulu ça..." Il tournoyait comme une girouette en pleine tempête, dérisoire et inutile, avec toutes ses propres plaies, chaque mouvement douloureux malgré sa régénération rapide.
Pourtant à cet instant, il ne se préoccupait que de ce type qui pourtant, voulait sa mort...

Jesse ne sait que faire. Son portable hors d'usage ne sera pas d'un grand secours pour appeler une ambulance mais il le ramasse quand même et le fourre dans sa poche malgré son état déplorable. Lui qui espérait juste se débarrasser de son adversaire est servi : son plan a beaucoup trop bien marché et n'importe quel Stryge en aurait profité pour boire ce type comme on avale une canette de redbull... Mais Jesse ne veut tuer personne. Son contrôle de sa faim est étrangement développé. Ca et le vol. Le reste ? Il est nul. Mais il imagine que c'est déjà pas mal, que de savoir se contrôler quand on a dû apprendre ce qu'on est sur le tas.
Il a l'habitude de se contrôler : il vit, dort, se lave avec une Pixie, dont l'odeur du sang est juste affolante, alléchante et promesses de délices gustatifs orgasmiques.
Mais Jesse ne veut pas prendre le sang de sa sœur de cœur. Jamais. Elle est son tout, il ne veut pas devenir si vil qu'il l'utiliserait comme garde-manger. Ceci explique sans doute sa rare volonté lorsqu'il est question de sang. De plus, il a bu un peu plus tôt. Il n'est pas de ces êtres goulus qui ne sont jamais rassasiés. Cela a suffit pour raviver ses forces et calmer la faim la plus basique.

Lorsque son adversaire le saisit alors qu'il est penché sur lui, Jesse ne bronche pas. du sang passe sur ses lèvres, odeur aguicheuse, mais il ne réagit pas, ne se les lèche même pas, ne s'autorise pas une seule seconde de penser au délice que ce serait de goûter ce sang. Le type sent comme Lem mais en différent. c'est peut-être un Faë ? Mais quant à dire quelle espèce... L'autre ne doit pas être très disposé à lui parler de sa vie non plus.
Alors, quand l'autre l'envoie bouler, Jesse revient à la charge, déterminé.
"Je ne te laisserais pas comme ça. Et si tu tombes sur un de mon espèces et qu'il te bouffe ? Hein ? T'es vraiment du genre abruti !" La voix du jeune homme est plus ferme, plus assurée. Il s'est rapproché, palpe un peu les côtes douloureuses tout en roulant des yeux. "C'est bon, fais pas ta farouche, je vais pas te manger."
Il renifle un instant, avant d'ajouter : "Tu es quoi ? Un Faë ? Mais tu n'as pas l'odeur des Pixies..." Il passe son bras sous les épaules du chasseur, l'aide à se relever avec prudence, le soutient plus solidement qu'il en a l'air. "Je ne bois pas le sang de Faë. Je ne bois que celui des humains. Jamais pour les tuer. Je ne sais pas ainsi. Ma copine est une Faë, une Pixie. Jamais je ne mangerais son espèce. Ca ne se fait pas."

Il parle pour essayer de détourner un peu le type de sa douleur. Il avise un banc public un peu plus loin, et y guide le chasseur, l'aidant à s'y asseoir. C'est déjà mieux que de rester allongé par terre comme ça...
"Au fait, je m'appelle Jesse." Dit le Stryge avec calme. "Reste là, je vais chercher ton putain d'arc si tu promets de ne pas me transformer en hérisson."
Jesse boîte un peu, il a mal partout mais il sort quand même ses ailes et, s'envole rapidement sans effort, rejoignant le toit dont il s'est laissé tomber, ramassant l'arc avant de revenir se poser près du banc, tendant l'arme au Faë. Il commence à fatiguer aussi et rentre de nouveaux ses ailes dans son dos. Il est en guenilles mais tant pis, il essaiera de rentrer en volant, pas sûr qu'il puisse trouver un taxi dans son état. S'il arrive à voler sur cette distance - ce fut douloureux rien que pour récupérer l'arc.

Jesse est en effet un drôle de Stryge.

Un leprechaun, c'était quoi ça ? Lorsque l'autre lui dit son espèce, le Stryge eut un instant l'image des lutins grincheux qui peuplaient soit disant le pays de Galle et dont on avait bercé son enfance, dans la campagne anglaise. Il se retint de rire, se mordant l'intérieur des joues, mais l'amusement dansa dans les yeux bleu profonde, malgré la gravité du moment. Il en conçu un amusement de gamin à qui l'on dit que les contes de son enfance sont bien réels. Mais le côté profondément grincheux de ces lutins collait presque comiquement à la tête revêche de celui qui lui dit s'appeler Maxence.

Vu l'état du leprechaun, Jesse n'était pas trop inquiet qu'il la lui fasse à l'envers : va bander un arc avec des côtes en bouille. Mais il préférait être prudent. Le voyant le toiser, avec son précieux arc en main, le Stryge demeura stoïque. Il se sentait un peu frustré qu'on lui rappelle encore qu'il n'était qu'un Stryge.
"Tu sais j'ai un scoop pour toi : chez les humains, il y a des connards de psychopathes et des putains de hippies. C'est un peu pareil pour tout : les gens sont des gens, au delà de leur appartenance à un groupe."
Jesse était sage, dans le fond. Les gens étaient des gens. Chacun avec des qualités, des défauts... Il y avait des connards partout.

Quand l'autre lui annonça se téléporter pour rejoindre son ami malade, le jeune Stryge hocha la tête. Inutile de rester là à tailler le bout de gras. Cela ne soignerait personne et finirait par attirer l'attention.

"Okay." Fit simplement Jesse, le corps tout aussi douloureux que celui de son agresseur. Il avait hâte de rentrer. Il savait qu'il ne sortirait plus avant que Lem revienne - et si elle ne revenait pas avant des mois elle le retrouverait tout sec dans son lit, comme une momie. Il ne proposa rien à Maxence : il espérait tout autant que l'autre ne jamais le recroiser.

Lui-même déploya ses ailes alors que le Leprechaun disparaissait, prenant son envol, douloureusement, jusqu'à rejoindre son quartier....

[Clos merci pour ce rp ♥♥]