Pourquoi rester là quand tout ton corps hurle le danger ? Pourquoi s'infliger une compagnie aussi sinistre et flippante ? C'était un peu comme danser avec le diable.
Une drôle de danse, un pas chassé-croisé.
Et quand l'autre femme lui asséna qu'elle sentait l'animal, Merry se renfrogna, yeux plissés, bouche boudeuse. Colère et peur se disputaient la primeur de ses émotions. Elle ne voulait pas céder de terrain mais la louve, elle voulait fuir l'odeur morbide et capiteuse. Quelque chose qui clochait, de trop gros, de trop dangereux. Un prédateur plus fort encore ?
"Que devrais-je dire de vous ?" Fit la Louve en reniflant, renfermée, barrée dans ses retranchements. "Pauvre fille, peut-être mais je ne sens pas la morgue." Sous sa peau, le poil de louve. Dans ses yeux, comme un avertissement : ne me pousse pas plus, où je te mordrais, quoi que tu sois, quitte à me casser les crocs. Finalement, elle n'avait pas nié, la louve, dont la voix prenait des grondements de grand fauve, animale.

A la mention de son nom de famille, comment aurait-elle pu se détendre ? L'avait-elle à ce point suivi, la garce ? Au point de savoir où elle habitait et jusqu'à son nom ? Elle n'aimait pas ça, vraiment pas. Et devant la franchise, se tendit, de pierre, bien que pas littéralement, elle.
Lui faire l'amour et ne plus jamais la recroiser ? Merry pris un air narquois, consciente à cette heure de jouer avec avec le feu.

"La seconde partie pourrait bien plus me plaire que la première." Ricana-t-elle. Ne plus jamais croiser cette femme - ou quoi qu'elle soit - serait assurément une bonne chose. Quant à faire l'amour avec, Merry était vierge de corps mais pas d'esprit. Ce n'était pas tant que la drague soit faite par une femme qui la dérangeait que la profonde sensation d'avoir à faire avec une cinglée. Une psychopathe soignée comme dans les films d'horreur, qui allait la mutiler et exposer ses membres artistiquement disposés après l'avoir baisée.

Buvant un peu de pepsi, elle fixait Mara, en chien de faïence. Coucher avec quelqu'un... Elle avait repoussé cela chaque fois, depuis qu'elle avait failli dévorer son mec. Pauvre tarée qu'elle était. Mais en face d'elle, il y avait cette femme au moins aussi cinglée qu'elle-même.
"Je ne suis pas lesbienne. Et je ne suis pas une pauvre chose qu'on va baiser et jeter. Mais du sexe sans lendemain, pourquoi pas ?"

Un long frisson remonta sa colonne et elle fixa Mara, comme si elle allait se jeter sur elle pour la bouffer. Des années solitaires. La peur, l'excitation de faire une chose interdit, voir suicidaire. Si l'autre était une putain de psychopathe, elle tenait peut-être la clé du repos... éternel ?
Droite et fière, la bouche plissée en une moue entre la provocation bravache et la méfiance, elle ajouta encore :
"Mais vous payez."
Elle en avait bien plus les moyens qu'elle, assurément. Quitte à crever dans un môtel, autant y aller à fond.

La situation prêtait au rire tant qu'à l'absurde et Merry sentit son échine frissonner quand cette diablesse de femme mit à nu si aisément les émotions qui la crucifiait. Lui jetant un regard torve, elle renifla légèrement, agacée de son attitude si maniérée et glaciale. Quant à la mention de son métier, Merry n'eut qu'une remarque, plissant un peu le nez avec une vague nausée : "Charmant, votre job." Dit-elle, tout en n'étant pas vraiment dupe au final de cette excuse qui ne justifiait en rien cette aura, cette fragrance désagréable. Elle même était agressive comme une bête acculée dans un coin sombre, mais pas encore trop inquiète pour fuir ventre à terre face à ce danger possible. Tout dans cette femme lui hurlait que c'était une foutue psychopathe qui découpait des filles anonymes après les avoir suivies et abordées dans un lieu quelconque...

Alors pourquoi est-ce qu'elle suivit, quand Mara prit les devant d'aller régler l'addition de plats qu'elles n'avaient qu'à peine touché, comme autant d'argent jeté par les fenêtres, à l'image du généreux billet qui payait sans doute deux fois leurs consommations. Elle ne prit qu'une dernière gorgée de sa boisson pour la route, l'estomac trop noué pour seulement songer qu'elle avait faim. Enfilant son blouson par dessus son gilet banal, elle prit son sac sans vraiment regarder autour d'elle, consciente d'être un sujet de curiosité, au mieux. Un objet de commérages, au pire. Qu'est-ce qu'elle était en train de faire ? Il y avait dans sa démarche, qu'elle voulait assurée, l'ombre d'une hésitation. Elle passa pourtant bravement la porte, prenant une grande goulée d'air extérieur, comme en apnée depuis le début de la scène surréaliste. L'impression de faire quelque chose de complètement fou lui barrait l'estomac d'une étrange excitation, toute coupable. Face à cette tarée, elle espérait que sa propre anomalie passerait pour moins présente. Et elle songeait qu'il n'y aurait nul abandon de sa part dans une étreinte avec Mara, donc moins de risques de perdre le contrôle et de sentir à nouveau la transformation et le goût de la chair. A moins que tout ça n'ai été qu'un bad trip à cause de l'alcool ? Avec les années cela devenait de plus en plus flou.

La voiture sur le trottoir la fit rouler des yeux. Tout dans cette femme, jusqu'à sa caisse, puait l'argent. Enfin, ce serait peut-être la seule chance de sa vie de rentrer dans un pareil petit bijou de technologie aussi ne se fit-elle pas prier et monta-t-elle en voiture, bouclant sa ceinture. Le cuir était si confortable qu'elle avait l'impression d'être dans un fauteuil. Un instant, Merry ressembla plus à ce qu'elle était habituellement : une jeune femme un peu paumée mais aux yeux brillants d'un émerveillement candide.  Elle baissa sa garde une petite seconde, toute occupée qu'elle était à ressentir le délicat vrombissement du moteur et regarder la ville défiler. Elle oublia un peu que Mara allait sûrement essayer de la découper dans un môtel glauque.
Si le monde était vénal, elle en était la digne fille à cette heure, simplement contente au fond de faire un tour dans une si jolie voiture, n'osant pas trop poser ses doigts ailleurs que sur ses genoux, regardant son quartier s'éloigner dans le rétroviseur. Un peu comme ces images de films où l'on vends aux filles des rêves irréalistes, fait de princes venus les chercher sur leurs blancs chevaux. A présent la voiture tunnée avait remplacé le cheval mais l'idée était la même. Il n'y avait bien que dans les films pour midinette que le plus beau gosse du coin ramassait les livres de la fille banale. Elle poussa un soupir, se réfugiant dans sa bulle, les lèvres incurvées sur une moue un peu rêveuse qui rendait son visage plus doux. Cela ne durerait qu'un bref instant mais il y avait l'émerveillement d'une enfant dans les yeux bleus, qui brillaient des mille lumières et néons de la grande ville.