“Mesdames et messieurs, chers passagers, l’avion amorce en ce moment sa descente, je répète, l’avion amorce sa descente. La température extérieure est actuellement de 12 degrés et il est dix-huit heures heure locale. En espérant que vous ayez fait un bon voyage, l’équipe de Brittain Airlines se joint à moi pour vous souhaiter un agréable séjour à Ottawa.”

Robert Ketton leva les yeux de son livre en entendant la voix grave et chaleureuse du pilote qui résonnait dans les hauts parleurs pour la première fois depuis le début du voyage. Réprimant un bâillement tenace, il se cala un peu plus confortablement dans son siège en vue de l’atterrissage imminent et jeta un coup d’œil circulaire, curieux de voir comment s’en sortaient les autres passagers de l’avion.
Son voisin de droite, un homme entre deux âges aux tempes grisonnantes et parcourues de petites rides - sans doute plus dues au stress qu’à l’âge - pianotait impatiemment sur l'accoudoir de son siège, une lueur d’agacement dans le regard. Robert l’observa un peu plus longuement ; s’il se souvenait bien, cet homme n’avait eu de cesse de questionner les hôtesses de l’air dans un anglais plus que rude, les invectivant quant à la médiocre qualité des services par rapport aux compagnies suisses qu’il choisissait d’ordinaire. Un insecte eût sans doute été moins bruyant et agaçant. Il avait maintes fois cherché le regard approbateur du jeune alchimiste pour poursuivre ses imprécations et autres maladroites insinuations, sans jamais rien trouver que l’indifférence teintée de mépris que Robert réservait à ceux qui ne savaient qu’haranguer sans but.
Heureusement, les autres passagers avaient vite pris la mesure du dérangement qu’occasionnait ce trouble-fête aux allures de grand négociant étranger : rapidement, ils avaient tous opté pour une ignorance froide et mesurée, une caractéristique des hommes et femmes dotés d’assez de manières pour ne pas se salir les mains et la réputation dans une insignifiante rixe, quand bien même ils en auraient tous les droits.
Ses yeux rassasiés de cette petite inspection de derniète minute, Robert s’avisa qur son verre vide faisait violemment gronder son estomac assoiffé et appela une hôtesse. Celle ci, ignorant également l’agaçant voisin, se présenta tout sourire et remplir le verre du jeune homme d’un vin au rouge particulièrement sombre : un Bordeaux parmi les plus fins au monde. Ce faisant, elle prit la librté d’annoncer au jeune homme l’imminence de l’atterrissage.

“Je vous remercie pour votre sollicitude, très chère” répondit Robert de sa voix la plus suave, désireux sans doute d’effacer la gêne lccasionnée par ce compagnon de voyage par trop épuisant. Il eut le plaisir de voir les joues de la jeune femme - très charmante au passage - se colorer de rose tandis qu’elle s’éloignait pour servir d’autres passagers avides d’un rafraîchissement….ou juste de regarder son joli minois avec une librique concupiscence. La chair est faible, disait saint Augustin, et ces hommes aux mains baladeuses ne démentissaient guère ses propos terriblement prophétiques en cet instant. Heureusement, la pression engendrée par la manœuvre du pilote eut aisément raison de ces quelques coquins et ils durent vite se concentrer sur leur propre personne pour ne pas risquer de se trouver mal, ce qui en aurait, à coup sûr, fait jaser plus d’un. De son côté, l’alchimiste consulta une dernière fois la feuille de route laissée par lord El-Melloi, son supérieur au sein de l’association. Il lui avait conseillé d’engager un chauffeur dès sa sortie de l’avion afin de se rendre dans le quartier où se trouvait l’appartement de fonction qu’il occuperait jusqu'à la fin de sa mission, puis de prendre rapidement contact avec une jeune alchimiste de la ville dont lui étaient fournies les coordonnées. Avec un sourire, Robert rangea la missive dans son enveloppe et se leva après tous les autres pour récupérer sa sacoche et sortir de l’avion qui venait de se poser.

Ainsi que l’avait annoncé le capitaine, la température était assez fraîche pour n’être pas dommageable et le ciel avait une belle couleur rougeoyante tandis que le soleil couchant le caressait de ses rayons. Robert se félicita rapidement d’avoir choisi ce vol pour quitter Londres ; voir un tel spectacle ne pouvait que le rasséréner après avoir passé une journée entière dans cette gigantesque boîte de métal à l’aspect grossièrement imité des des oiseaux. Il consulta rapidement sa montre ; le seul gadget qu’il s’était autorisé à posséder pour d’évidentes raisons d’adaptation à l’heure : Dix-huit heures huit. Parfait. Ils quittaient tout juste le long corridor d’accès à la zone de débarquement et pénétraient dans l’aéroport à proprement parler. Une fois les comptoirs de douane passés, chacun se dirigea vers ses bagages et Robert se prit à apprécier la prévenance d’El-Melloi qui lui avait même indiqué comment contacter un chauffeur de taxi. Il jouissait d’une bien étrange réputation à l’Association : tous pensaient que cet esprit un peu décalé qui refusait de vivre avec son temps ne savait pas se débrouiller avec la technologie moderne. Une terrible méprise qu’il prendrait sans doute le temps de corriger plus tard, s’il en voyait l’intérêt.

Sa valise en main, il se rendit dans la première boutique d’informatique et acheta un téléphone jetable tout ce qu’il y a de plus banal ; il fallait bien s’adapter aux difficultés de la mixité avec les humains sans pouvoirs, n’est ce pas ? Ses doigts pianotèrent rapidement le numéro du service de taxis qui, fort heureusement, n’était pas encore saturé. Une voix masculine visiblement épuisée lui confirma que son taxi l’attendait devant l’aéroport, il s’y rendit donc sans tarder et trouva le chauffeur au volant de ce qui semblait être une berline de très bonne facture. L’homme, qui portait des lunettes de soleil, les redressa sur son front et l’accueillit avec un sourire confiant.

“Monsieur Ketton ? Je suis chargé de vous conduire à votre appartement. Ne vous en faites pas pour le paiement, tout a déjà été pris en compte. Je vais vous aider à ranger cette valise, si vous le permettez”

Souriant face à cette tournure très prévisible des événements, l’alchimiste laissa l’homme charger sa valise et prit place à l’arrière du véhicule, de nouveau absorbé par ses pensées. La lettre mentionnait une jeune femme qu’il lui fallait contacter afin d’en apprendre plus sur sa cible ; sans trop en avoir l’air, il s’enquit de ses coordonnées auprès du chauffeur. Celui-ci haussa très légèrement un sourcil en direction du rétroviseur brasué sur son passager et répondit sans trop se presser

“Mademoiselle Ellyn Collins ? Il me semble que ce nom ne m’est pas inconnu. À ce que j’ai compris, elle est souvent dans le quartier commercial. Vous voulez aller y faire un tour ?
Non, ça ira merci, répondit Robert d’un air un peu distrait, conduisez-moi à l’appartement, je me chargerai de l’y convier.
Bien monsieur.”

Pianotant de nouveau sur son téléphone, Robert saisit le numéro laissé dans la lettre et lança l'appel, les yeux entrouverts comme s'il espérait ne pas s'être trompé de numéro. Sans attendre de savoir s'il était tombé sur la messagerie ou non, il dit précipitamment :

"Bonjour, mon nom est Robert Ketton et je suis envoyé de Londres pour un travail assez particulier. Un de mes "employeurs m'a donné votre numéro : Lors El Melloi. J'espère que vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que nous nous rencontrions dans un endroit assez xalme et sympathique. Puis-je donc vous inviter à dîner au restaurant de votre choix ?"