Face your Fears | ft. Wilhelmina

FACE YOUR FEARS

I'm no one, dancing with the devil.

La brise fend l'atmosphère, se faufile entre les murs et soulève des nuages bruns sur le bitume. Elle est fine et frêle, et, pourtant, personne n'est en mesure de la stopper. Elle est intouchable. Et bon nombre d'êtres le sont aussi, en ce bas-monde qui ne cesse de le surprendre. Jay fait partie de ces créatures dites surnaturelles. S'il n'a jamais compris la moindre information provenant de la Communauté Magique, la Reine peut néanmoins lui laisser la satisfaction d'avoir essayé l'intégration. Oh, de nombreuses années se sont écoulées depuis cette époque où il tenta de comprendre ce qu'il était vraiment. Descendre dans cette ville qui lui était grande ouverte fut un véritable challenge pour son âme en perdition. Après l'Afghanistan, après toutes les épreuves qui lui furent infligées, il devait, en plus, affronter ce qu'il était lui-même. Accepter le Grizzli. Accepter son Totem, ce mot qu'il apprit ce même jour, en voyageant parmi les créatures. Un monde qui lui fit l'effet d'une douche froide. Lui qui ne croyait en rien à ces autres êtres étranges, lui qui pensait être l'incarnation de ce genre de change-formes des films des années quatre-vingt-dix. Être le seul ? Il n'y a jamais cru. Mais de là à recréer tant d'entités, il n'y aurait pas pensé. Lorsqu'il a découvert ce monde et ses habitants, il n'a pas pu. Il a fait demi-tour. Trop, c'était trop, pour cet homme quelque peu terre-à-terre.

Aujourd'hui, le Loukout Bar lui fait de l'oeil. Il a bien évidemment pensé à fuir cet endroit, filant à travers les souterrains pour échapper à la lumière du jour, et demeurer dans un bar où le temps ne compterait plus. Il a pensé abandonner, une fois de plus. Mais Valerica est simplement impossible à oublier. Malgré les potentielles issues, et les potentielles fuites qui lui furent offertes, il ne lâcha jamais. Il devait, et il doit encore, suivre Valerica. L'utopie se forge dans sa tête, selon laquelle ils seront un jour réunis. Mais il ne parvient plus réellement à l'étendre dans son crâne. Elle s'amoindrit, avec le temps qui court. Alors il ne cherche même plus à en finir, à partir, une bonne fois pour toutes.

« Un double whisky, s'il vous plaît.. »

A sa place se positionnait Valerica, le soir où il rencontra Diane. Le soir qui bouleversa sa version des choses, et son implication dans la vie de sa soeur. Et bien qu'il tenta de tourner, retourner les faits dans sa tête, il ne put se résoudre à laisser la mort l'emporter. Le verre le ramène à la réalité et, pendant un instant, il observe la surface de l'alcool miroiter. Seigneur. Il aurait pu se tourner vers Dieu, au lieu de se tourner vers la bouteille. Le serveur sert une femme, à une table derrière lui. D'un regard bienveillant, et sans pensée aucune, il tourne la tête pour observer le client qui s'y trouve. Ou plutôt, la cliente. Une cliente qui ne lui est pas étrangère. Ce visage, il le reconnait. Cela fait des semaines, des mois, qu'il apparaît partout où il va. Qui est-elle, il l'ignore, et la base de données de l'Armée ne put lui cracher un nom. Dossier confidentiel. A croire qu'elle est quelqu'un qu'on ne peut toucher. Mais lui s'en fiche, et alors qu'il croise son regard, une soudaine pulsion s'empare de lui. Il se lève, son verre en main, pour mieux venir s'installer devant elle.

« Veuillez me pardonner pour cette soudaine intrusion, Madame. Je suppose que de nombreux hommes ont déjà tenté ce genre d'approche mais, rassurez-vous, je ne viens nullement en quête de vos charmes.. »

Elle est magnifique, c'est indéniable. Mais au-delà de cette façade, il est persuadé qu'elle cache bien des secrets.

« Je préférerais, et de loin, comprendre pourquoi vous semblez être partout où je me trouve. Je doute du fait que vous soyez intéressée par une quelconque aventure avec un alcoolique, alors que voulez-vous ? »

FACE YOUR FEARS

vous êtes le fils d'un démon et d'une pucelle ?
Vous avez plus pris de la pucelle.

Quelques minutes avant que Jay n’entre dans le bas, la Stryge l’avait devancé. Elle avait deviné son objectif et à force d’étudier ses faits et gestes, elle semblait être en mesure d’anticiper ses besoins et ses objectifs. Elle avait alors simplement décollé son corps d’un mur en briques d’où elle l’observait arriver de loin pour traverser la rue et passer la porte du Loukout Bar. Les vapeurs d’alcools lui avaient littéralement donné un haut le cœur. Mais elle avait continué, un pas après l’autre, à avancer en balayant l’endroit du regard. Une table lui sembla idéale, légèrement en retrait et pourtant proche du bar où elle se doutait que le militaire viendrait s’accouder. Mina ignora les paroles, les regards qui glissèrent sur elle malgré l’agressivité fort peu virile de quelques soulards. Habituellement, c’était le genre d’endroit qui la mettait mal à l’aise, qu’elle fuyait pour retourner au plus vite dans le calme de sa demeure, et à sa vie de solitaire mélancolique. Mais pas ce soir. Ce soir, c’était divertissement ! Il y avait quoi, quelques semaines maintenant qu’elle n’avait pas été fouiner dans la misérable existence de Jay pour éviter de se confronter à la sienne. C’était toujours plus drôle chez les autres… Mais au fil du temps c’était devenu une véritable manie. Depuis qu’elle avait appris sa présence à Ottawa la Stryge nourrissait une hâte impatiente de se confronter à cet enfant qu’elle n’avait jamais connu, et à cause duquel elle avait arraché la vie de son fils sous l’influence d’un coup de sang. Qu’elle ne regrettait pas…

Mina poussa un soupire en s’installant à la table qu’elle se destinait, passant devant un charmant petit couple qui semblait aussi en convoiter l’intimité. La gargouille leur adressa un large sourire qui était tout, sauf désolé avant de claquer des doigts pour faire venir le barman jusqu’à elle. Un cocktail de jus de fruits… Il y avait plus épique, mais elle ne buvait pas. Et puis enfin, le cliquetis de la poignée se fit entendre et l’homme entra. Elle ne l’observa pas, mais suivit son évolution avec une délicieuse excitation. C’était comme attendre le dénouement d’une de ces connes émissions de téléréalité, mais en direct live. Cette fois Mina en était l’actrice et la productrice. Elle tissait lentement ses toiles sournoises autour de Jay sans qu’il ne s’aperçoive réellement de ce qui lui pendait à la poire. Mais cette fois, y avait des chances pour qu’il la remarque. Et l’espoir qu’il le fasse lui donnait l’impression d’être une enfant un matin de Noël ! Bien évidemment, Mina pouvait bousculer les choses, les accélérer à sa guise… Mais ainsi, les choses auraient été puissamment moins amusantes. Comme souvent, il commanda un double whisky. Que d’originalité ! L’homme que Wilhelmina observait ainsi était grand, l’allure morose bien que bien bâti. Il semblait fort physiquement, mais quelque chose transformait son charisme par de la médiocrité… C’était pourquoi la Stryge aimait le filer également. C’était plutôt des rencontres ponctuelles. Des regards croisés au détour d’une rue, une présence toujours discrète et furtive avant qu’elle ne se dérobe. Et c’était vraiment plaisant… Car si jamais l’Allemande n’avait toléré l’existence de ce petit-fils, ce dernier la brulait dans l’alcool et la déchéance des bars. A quelle fin ? Mina avait plusieurs explications à cela. Les informations qu’elle détenait sur lui étaient suffisantes pour se douter de la décrépitude qui animait le cœur et l’âme de ce mortel… Et puis enfin, le regard de Jay se tourna vers elle, qui l’ignorait superbement en faisant mine de siroter son cocktail avec innocence. Tu m’as vu… tu m’as reconnu je le sais… Quelle ne fut pas la jubilation intérieure de Wil’ quand enfin, l’homme s’arracha du comptoir pour venir jusqu’à elle ! Et voilà, c’était l’heure de déballer son cadeau…

« Veuillez me pardonner pour cette soudaine intrusion, Madame. Je suppose que de nombreux hommes ont déjà tenté ce genre d'approche mais, rassurez-vous, je ne viens nullement en quête de vos charmes.. » Deux prunelles étonnées se fixèrent sur lui… une confusion feinte, bien évidemment ! « Je préférerais, et de loin, comprendre pourquoi vous semblez être partout où je me trouve. Je doute du fait que vous soyez intéressée par une quelconque aventure avec un alcoolique, alors que voulez-vous ? » Elle fronça légèrement les sourcils, le détailla comme un individu qu’elle voyait pour la première fois avant de secouer la tête à la manière de quelqu’un qui s’excuse.

« Pourquoi est-ce que je voudrais quoi que ce soit ? Je suis là, à boire un verre pour me distraire après une journée trop longue… Je ne vois pas qui vous êtes, Monsieur. Je suis navrée. »

Puis elle lui adressa un grand sourire, une expression claire et affable alors qu’elle posait son verre sur la table et le repoussait de quelques centimètres du bout des doigts.

« Mais je ne suis pas contre un peu de compagnie. Une légère conversation peut être. »

Son regard changea à cet instant précis. Il devint plus intrusif, plus sirupeux alors qu’elle le braquait dans ceux, tout aussi austère que les siens, de Jay. Jusque-là elle n’avait fait montre que d’une image d’ingénue. Une façade relativement avenante qui à présent se changeait en quelque chose de bien moins agréable. Parce que son impatience était telle qu’elle ne parvenait pas à jouer d’avantage la comédie. Mina appuya son dos contre le fauteuil où elle se trouvait assise, croisa les jambes et toisa quelques secondes son descendant pour enfin lâcher placidement :

« Comment va ta mère … La Polonaise ? Je serais ravie de l’apprendre six pieds sous terre. »

Face your Fears | ft. Wilhelmina

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