Peu de temps après sa mort, Owen s'est demandé s'il était maudit depuis le jour de sa naissance, comme si une mauvaise fée s'était penchée sur son berceau et l'avait inondé de ses sorts néfates. Mourir ivre mort à vingt-et-un ans, renversé par une voiture, n'est pas une fin digne d'un conte de fées. N'avoir même pas le droit de goûter au doux repos de la mort lui semble être une punition. Sans doute était-il trop mauvais, Owen. Sans doute aurait-il dû taire ses ardeurs et suivre la voie habituelle : ne pas abandonner l'école, ne pas suivre les délinquants, ne pas critiquer le fonctionnement familial. Devenir un jeune homme normal. Et ne pas rencontrer Sloan. Est-ce que leur vie aurait été différente si Owen l'avait croisé en ayant conservé toute son innocence juvénile ? Si Owen n'avait pas appartenu à un gang, ne se serait-il pas contenté d'être un ami avec qui sortir et passer du bon temps ? Certes, peut-être qu'à l'heure actuelle, le jeune homme serait toujours persuadé de ne voir qu'un ami en lui. Du moins son cœur ne le torturerait pas comme il le fait en cet instant.
Car Owen connaît peu de choses qui sont pires que la mort.
Et cette souffrance dans sa poitrine lui donne envie de mourir une seconde fois.
Avec des si, on referait le monde. Toutefois, Owen est plein de regrets, empli des regrets profonds que l'on ne peut avoir que lorsqu'on n'a plus le choix. Lorsqu'on ne peut plus rien faire. Lorsqu'on a cessé de vivre. En réalité, Owen est décédé longtemps avant de rendre son dernier souffle, il était en suspens depuis un moment. Il n'a pas changé d'un pouce son mode de vie, depuis qu'il a quitté le gang. Il était déjà une âme en peine avant son propre trépas, errant dans un état second à la recherche du sens de son existence.
Toutes ces souffrances, toutes ces douleurs inavouées ont affiné sa haine, le faisant totalement basculer dans les ténèbres.
Mais si le monde est noir, alors Sloan est sa lumière.
Et comme lui-même appartient à l'obscurité, le simple fait de le voir lui brûle les rétines.

Owen ne désire pas dire tout cela à Sloan. Lui donner la clé de l'explication, ce serait l'accuser. Owen n'a pas envie d'imposer ses sentiments à l'humain ; et surtout, il ne veut pas lui imposer sa mort sur la conscience. Ça n'a jamais été son truc, les explications, comme le dit Sloan, mais aujourd'hui, le moment est encore plus opportun.
Pourtant, il l'observe, Sloan, il s'approche de lui, il plonge ses iris dans les siens, et Owen se sent coupable de tous ces mensonges et de ces sous-entendus. S'il le pourrait, il scellerait leurs retrouvailles par l'entremise de leurs lèvres. Mais c'est impossible. Alors le Sidh se contente de lever sa main glacée et de la poser doucement contre la joue de Sloan. Même vivant, ses mains étaient toujours froides ; à l'époque, il trouvait cela amusant.
« Je ne suis plus le même. » Et pourquoi ne parvient-il pas à contrôler le mouvement de son pouce, qui s'amuse à caresser la joue de Sloan ? « Ne me demande pas de t'en parler, s'il te plaît. Ça ne te plairait pas. Disons que je me suis perdu en chemin. »
Il ne lui dit strictement rien, et peut-être est-ce le plus terrible. Owen ne se rend pas compte que cela sonne comme une décision arbitraire, ou comme une forme de défiance vis-à-vis de son ami. Alors que non. Owen veut simplement porter seul ce fardeau.
« En revanche, je t'aime toujours comme avant. Ça, ça ne changera pas. Mais je ne peux pas t'imposer ma présence, alors mieux vaut qu'on s'ignore et que je reste dans mes propres illusions. Tu me comprends, n'est-ce-pas ? Tu vois ce que je veux dire ? »
Bien sûr que non, il ne verra rien, Sloan. C'est facile à dire pour Owen, il sait pertinemment ce qui se cache au fond de son cœur. Mais il n'a jamais parlé de ses sentiments à Sloan et... eh bien, c'est simple, il a simplement peur. Il sait déjà que la situation est un peu trop bizarre, qu'il s'agit d'une forme d'aveu en soit et...
Oh, mais pourquoi vit-il encore ?