L'Art de la Connaissance...

Sonja & Piotr

Je ne suis pas là depuis longtemps. Et pourtant cette ville, ces couleurs, ces odeurs, commencent à devenir familières. C'est intéressant... car avec mon pays natal, on ne peut pas faire plus différent. Ottawa respire la joie de vivre, là où Moscou, avec le temps, m'est apparu sectaire et étouffant. C'est sans doute cette raison qui a poussé Mikhail à s'enfuir avant moi. Aujourd'hui, je comprends pourquoi il n'a jamais voulu rentrer...
En tout cas, on peut dire que le climat est en tout point le même. Je ne m'attendais pas à retrouver autant de neige que ce que l'on peut avoir dans les plaines de Russie. C'est amusant de voir comme elle scintille différemment ici, à la lumière des magasins ou des réverbères décorés... et, dans ce quartier précisément, à la lueur des stands verts et rouges.
Mes pas m'ont guidé jusqu'ici, alors que les dédales tortueux de la ville étaient pour moi un mystère il y encore quelques semaines. Je crois que je commence à m'habituer un peu à tout ça... à cette langue étrange, à cet alphabet bien différent de ce que j'ai connu. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir fréquenté des étrangers lorsque je travaillais encore à l'Opéra du Bolchoï mais je crois que je ne suis définitivement pas très doué pour tout ce qui concerne la linguistique. Par contre... pour ce qui est de ma propre langue... c'est une autre affaire.

De toutes manières, aujourd'hui, je ne suis pas là par hasard. J'ai rendez-vous avec quelqu'un de précis, qui justement, est là pour régler mon problème de décalage. Car il est plus que temps que j'apprenne à dompter l'anglais, que diable ! Surtout si je compte poser mes valises ici définitivement... chose que je n'ai pas encore tout à fait établi.

Avançant dans les allées du marché de Noël qui semble avoir pris le quartier de Sandy Hill à bras le corps, je tente de ne rentrer dans personne alors que mes furètent partout, happés par l'ambiance qui règne. L'endroit est bondé, autant de gens que d'échoppes différentes, certaines sentent même des odeurs agréables telles que le pain d'épices ou... un parfum de fromage fondu ? Curieux...
Plus je marche, et plus je me rapproche du point de rendez-vous. Une fontaine, plutôt large, qui orne la fin du marché temporaire. Elle est visible de loin... au moins, elle me sert de point de repère pour ne pas me perdre dans la foule, ou dans la contemplation de toute cette agitation. Quand enfin j'y parviens, la cohue est loin derrière moi, et ce n'est pas compliqué de trouver celle qui m'attends. « Sonja ! Priviet ! », lance-je, agitant la main pour que la jeune femme m'aperçoive.

Un coup d'oeil à ma montre m'indique que je suis à l'heure. Comme toujours. Plutôt mourir que d'arriver en retard à un rendez-vous.
Je ne sais plus vraiment comment j'ai connu cette femme à la chevelure rousse, brillant dans la nuit tombante d'Ottawa. C'était quelques jours après mon arrivée, le hasard sans doute. Et comme il fait bien les choses, de fil en aiguille, nous avons noué une relation proche. J'ai appris qu'elle venait aussi d'un autre pays, chose dont je ne me serais jamais douté vu son anglais parfait. Alors... c'est naturellement que je lui ai demandé de m'apprendre. Ne serait-ce que pour cesser de passer pour un imbécile impotent chaque fois que j'ouvre la bouche. « Je espérer que toi ne pas attendre depuis longtemps ! »
Elle avait vraiment du pain sur la planche...

L'art de la connaissance...

Pourquoi les humains, et les Faës aussi tiens, aiment tant Noël ? Je comprenais sans trop de mal pourquoi les enfants appréciaient tellement Noël. Il y avait ce côté mystérieux à la fête, même pour ceux assez vieux pour ne plus croire au Père Noël. Il y avait cette ambiance de fête qui plaisait tant au plus jeune, les sucreries, les décorations et bien entendu : les cadeaux. Et c'était normal quand on avait six ans d'être plus qu'excité à l'idée de trouver un cadeau pour soit en se levant le 25 décembre, que ce soit une surprise ou pas. Mais je maintenais que cela l'était un peu moins quand on avait trente ans. Déjà le côté mystérieux de la fête, on savait que ce n'était qu'une invention des adultes. Ensuite, les sucreries... ouais nan je savais que pas mal de gens encore à cet âge adoraient les sucreries. Les décorations voilà des années que je ne comprenais plus l'excitation que cela créait. Oui sur, c'était très joli et j'appréciais de voir les guirlande lumineuse dans les arbres mais à ce point peut être pas. Et puis surtout, on savait que tout cela n'était qu'une machination des adultes pour plaire aux enfants. Je n'avais pas d'enfants à qui faire partager cela, peut être que j'aurais eu une autre vision alors. Mais du coup : pourquoi est-ce que tous les adultes sans enfants sont au tant embarqué par Noël ? Nan je comprenais vraiment pas. Soupirant, j'enfouissais le bas de mon visage dans mon imposante écharpe. Au moins personne ne verrait que je faisais la grimace même si je doutais que mes yeux me trahissaient en parti. En même temps... J'aurais vraiment pas eu besoin de venir au marché de noël si je n'avais pas décidé de moi-même de donner rendez-vous ici à Piotr. En même temps, il était nouvellement à Ottawa et, même si la magie de noël et moi c'était pas ça, je devais avouer que j'avais dans mes premiers temps ici adorait qu'on me fasse visiter le marché. D'ailleurs, j'avais acheté mon cache-nez ici l'an dernier, de même que mon bonnet. Pas que j'en avais réellement besoin, le froid me faisait pas au tant de mal et de gêne qu'aux « vivants » mais je les trouvais jolis et ça me permettait de me fondre dans la masse. Enfin là, je devais plutôt zizaguer pour éviter les gens qui ne regardaient pas où ils allaient. Attention. J'aidais la petite chose de moins d'un mètre de haut qui m'avait percuter à se remettre sur ses pieds et secouait sa peluche pour en retirer les saletés. Tiens. La petite sourit et, sans me prêter plus attention, repartir en courant vers... sa mère j'espère. Ouais peut être que pour un petit bout pareil j'aurais su faire semblant d'aimer Noël. Mais bon, ce n'était pas comme s'il me restait plusieurs siècles de Noël à vivre, je trouverais le temps d'apprécier cette fête un autre jour.

Jetant un coup d'oeil à ma montre, ou plus exactement l'horloge de mon téléphone, je vis que je n'allais pas tarder à être en retard. Et il était hors de question que je laisse le pauvre russe tout seul au milieu de cette foule... dangereuse. Nan c'est dangereux la foule franchement. Bref, je me hâtais un peu pour rejoindre la fontaine qui se trouvait à un bout du marché, pas celui par lequel j'étais arrivé. J'étais sur place depuis seulement quelques secondes quand des intonations qui n'avaient rien d'anglaise me parviennent à l'oreille. Je me retourne en souriant et rendais son signe de la main à Piotr. Je souriais rapidement et déposais la bise sur ses deux joues. Je viens à peine d'arriver. Je haussais les épaules, de bien meilleure humeur, maintenant que j'étais plus seule pour affronter cette folie qu'on appelle Marché de Noël. Si ma vie était un jeu vidéo, ça serait définitivement un niveau particulièrement pourri à finir qui reviendrait souvent ce genre de chose. J'espère que tu n'attends pas depuis longtemps. Je n'avais pas besoin de préciser que je reprenais sa phrase parce qu'il savait très bien ce que je faisais là : lui apprenait à mieux parler la langue de notre pays d'adoption. Je me souvenais de sa surprise quand il avait su que l'anglais n'était pas non plus ma langue maternelle. Bon c'était sur, si j'avais d'abord appris à parler Ecossais, l'anglais n'avait jamais été loin. Et la transition était beaucoup plus facile pour moi que pour lui. Est-ce que tu as des achats à faire ? Ou tu as seulement prévu de te promener? Ce qui était assez drôle c'était que je ne faisais jamais au tant d'effort de réflexion pour parler anglais qu'avec lui. Peut être bien parce que je savais que mes erreurs de langage risquaient pas d'apprendre mal aux autres. Mais le problème n'était pas de faire la conversation, j'étais assez douée finalement à ce jeu là. Moi, j'ai promis à sœur de ramener des choses qui se mangent. Chose dont le jeune homme avait probablement rien à faire c'était sur. Lui faisant signe de me suivre, je l'attirais vers la cohue de la foule à la hauteur des premiers stands.

L'Art de la Connaissance...

Sonja & Piotr

Du peu que je savais d'elle, je trouvais Sonja terriblement agréable. Il émanait de la jeune femme une étrange aura, comme reposante, et extrêmement bienveillante, qui m'avait capté immédiatement. Peut-être était-ce parce que je me considérais encore comme un chiot perdu sans collier dans cette immense ville inconnue, ou peut-être parce que je souffrais encore des raisons de mon départ soudain. Mais en tout cas, je devais bien avouer que c'était rafraîchissant de passer du temps auprès d'elle, ne serait-ce que pour profiter de son sourire. Je le ressentais comme fragile, ou éphémère. Comme si, bizarrement, il pouvait disparaître d'une seconde à l'autre. Et que je me devais d'en profiter le plus possible.
Je lui rendais alors, ce sourire, quand elle me l'offrit à mon approche. Et je riais légèrement devant la correction qu'elle apportait à ma phrase. Elle n'était pas là pour rien, après tout ! Ces achats au marché devaient faire office d'exercice particulier pour que je puisse interagir avec les autres en faisant le moins de fautes possible en anglais. Ce qui, en soi, était quelque chose de particulièrement compliqué.
« Ha, ha... Oui... désolé. Toi avoir sacré travail ! », dis-je, plaisantant déjà. Bien que c'était plus handicapant qu'autre chose, j'étais déterminé à changer ce fait. Et dans un mois, je parlerais couramment leur langue, si bien qu'on me confondrait avec un natif. Ouais... je pouvais toujours y croire, en tout cas. Mais il y avait du pain sur la planche.
Me fendant de quelques pas, je marchais aux côtés de la jeune femme rousse, quittant la présence rassurante et dépeuplée de la fontaine pour rejoindre les allées bondées entre les étales s'étendant sur l'immense marché. Je n'avais rien de différent par rapport à la population présente, et pourtant, je me sentais terriblement étranger. Je n'avais qu'une envie : m'enfuir à tire d'ailes, littéralement. Mais je ne devais pas, non, j'étais ici pour une bonne raison, et Sonja venait indirectement de me la rappeler : « Oh, peut-être acheter choses oui. Bratja vouloir petites statuettes rappelant Russie, il n'a pas pu venir. », répondis-je, avant de me reprendre, me maudissant moi-même d'être aussi peu attentif à ce qui sortait de ma bouche. « Non, pas Bratja... Frère. Petit frère ! »

Je la suivais alors dans la foule, mes yeux papillonnant sur la moindre des choses ornant les échoppes de bois et autres stands colorés. Dans mon esprit, je savais parfaitement comment nommer ces choses-là. Elles possédaient toutes un équivalent russe, mais j'ignorais comment le retranscrire dans cette belle et si mélodieuse langue qu'était l'anglais. Celle qui se ponctuait de mille et un « f*ck » dans le moindre programme télé sur lequel je tombais. Drôle de chose, vraiment. Mais nous avions la même chose de l'autre côté de l'océan, sur les plaines d'un certain Vladimir...
Mon regard s'arrêta alors subitement sur un stand différent des autres. Du cyrillique. Oh, bon sang, du cyrillique. Je m'en retrouvais paralysé, d'un sourire j'exprimais toute la nostalgie qui m'envahit à la vue de ces lettres. « Sonja ! Pouvoir aller là ? », lançais-je, alors que je n'attendais même pas l'approbation de la rouquine pour me fendre un chemin parmi les visiteurs. Arrivé devant l'amoncellement d'objets et de parfums si chers à ma mémoire, je m'empressais de demander, dans ma langue maternelle, si la jeune vendeuse n'avait pas de ces fameuses petites statuettes en bois dont Mikhaïl, mon frère, raffolait. Mais devant le regard affolé de la jeune fille, sans doute pas plus vieille qu'une poignée de vingt années, j'en conclue avec malheur qu'elle ne parlait en rien ma langue maternelle et que même devant tout ce qui représentait le folklore de mon pays natal, j'allais avoir recours à un effort surhumain. « Euh... » Je jetais vers Sonja un regard affolé, avant de soupirer et de me tourner à nouveau vers la vendeuse. « Euh... Je... ça être argent... beaucoup ? » La nervosité ne m'aidait pas vraiment à formuler une phrase intelligible... et le regard médusé de la vendeuse non plus. J'avais beau désigné les fameuses statuettes sur une étagère derrière elle, elle ne semblait pas comprendre... bon... j'avais vraiment besoin d'aide, sur ce coup-là.