La nuit était noire lorsque je me téléportai dans l'appartement. Tout était calme, silencieux, son occupant dormait certainement à cette heure. J'étais sous ma forme de Sidh et mon pouvoir d'invisibilité m'empêchait d'être vu par qui que ce soit. Mes pieds ne touchaient pas le sol, je flottais silencieusement à quelques centimètres de la terre ferme. Je n'avais même pas besoin de bouger les jambes pour avancer, je glissais tout simplement par ma seule volonté. Sans gêne, je pris le temps de regarder partout dans le salon, regarder les bibelots et fouiller les placards et armoires. Ma curiosité perverse faisait que je me renseignait toujours sur les vivants que je hantais. J'avais tout à fait conscience de violer l'intimité de l'homme qui habitait ici en fouinant ainsi dans ses affaires, mais ça m'était égal. Cet homme avait tué sa femme et son enfant. C'était un secret, il n'avait pas été inquiété et cet événement tragique avait été dissimulé en accident. Cet homme était un lâche, un assassin. Des gens bien perdaient la vie mais n'obtenaient jamais justice. Je n'avais pas eu justice, j'avais dû l'exercer moi même en renaissant à nouveau après ma mort. Mais je n'étais plus vivant, j'étais une entité tout autre... Le mot vengeance revenait en boucle dans mon esprit détraqué, c'en était presque devenu une obsession. Je me téléportai au premier étage de l'appartement pour arriver dans une salle de bain. De même, je fouillais consciencieusement les placards tout en y mettant un savant bazar. Je voulais qu'il sache qu'il avait été visité. J'eus une inspiration soudaine et ouvris à plein régime les robinets de la baignoire et du lavabo. Puis je bouchai les évacuations d'eau. Un joli dégât des eaux dans ce si bel appartement serait mon premier cadeau de la nuit. Avec un peu de chance, l'eau s'infiltrerait par le sol pour faire tomber la pluie dans le salon juste en dessous. Sur mon visage s'imprima un sourire des plus démoniaques, j'étais décidément un véritable magicien du mal et un emmerdeur de première.
Glissant avec discrétion, je me dirigeais vers la chambre. Le bruit d'eau de la salle de bain ne l'atteignait pas et il y régnait encore un silence paisible. L'homme semblait dormir d'un sommeil profond. Je m'approchai du lit, il était plutôt beau gosse en plus. Mais ça n'allait pas l'empêcher de passer un très mauvais moment... Dans le tiroir de la table de nuit, je découvris une boîte de préservatifs toute neuve, décidément Madame avait bien vite été remplacée... Cette découverte alimenta ma volonté, et de ma main de spectre je caressais délicatement le visage de l'homme. Le geste physique était léger et protecteur, mais dans le même temps je lançai une véritable attaque mentale sur l'esprit de ma victime. Je distillais des hallucinations dans ses rêves. Mon pouvoir ne faisait pas dans la dentelle, je pouvais sentir son esprit soudainement à l'agonie comme traversé de mille aiguilles glaciales. Je fis en sorte que les cris de sa femme et de son enfant résonnent dans sa tête. « Nathanaël !! » criait sa femme en hallucination dans l'esprit de la victime. J'organisais une véritable cacophonie de cris de douleur enfantins pour renforcer l'effet macabre de mon hallucination.
La crispation de son visage m'indiqua qu'il allait se réveiller. J'étais toujours invisible. Déchaînant mes pouvoirs je refroidis la chambre d'un coup. A tel point qu'une légère couche de givre recouvrit bientôt la fenêtre. Le spectacle allait commencer. J'empoignai la lampe de chevet pour la lancer au travers de la chambre. Elle alla s'écraser sur un miroir qui se brisa en morceaux.
Le propriétaire de l'appartement était à présent réveillé de la pire des manières possibles, je pouvais lire la frayeur sur son visage. Glorifier ainsi la peur m'emplissait toujours d'un plaisir sadique. Je souriais à présent, d'un sourire si cruel qu'il n'avait plus grand chose d'humain. Utilisant un grand classique des films d'horreur, j'allais actionner la poignée de la porte à toute vitesse. Comme si quelque chose voulait entrer. Je ramassais ensuite un morceau du miroir brisé, coupant comme un rasoir, pour le lancer en direction de sa tête. Il arriva là où je l'avais décidé, à savoir juste à un cheveu de son crâne. J'aurais presque pu lui trancher l'oreille en visant légèrement plus sur le côté.

Momentanément un peu fatigué pour avoir ainsi déchaîné mes pouvoirs. Je fis donc une petite pause pour scruter ma victime. J'étais juste en face du lit, et il ne pouvait pas me voir. La nuit était encore loin d'être finie et le beau monsieur devant moi allait très certainement la trouver très longue... Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, évidemment celui-ci semblerait venu de nul part pour ce vivant.

Les humains étaient étranges, le plus souvent si prévisibles et malléables, mais parfois il se trouve qu'ils arrivent encore me à surprendre même avec mes 985 années au compteur. Certes, il fut un temps où j'ai été humain tout comme eux, mais cela remontait à si longtemps... Il ne devait plus rester grand chose de mon ancienne humanité. Je ressentais encore énormément d'émotions que l'on pourraient qualifier d'humaines, mais celles-ci étaient corrompues par mes sombres pensées lorsqu'elles n'étaient pas tout simplement détraquées par le poids des siècles qui avait eu tendance à m'assécher le cœur. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de les envier un peu, ils étaient vivants. Si je cherchais à ressentir des choses c'était pour me sentir vivant justement, et quoi de mieux que la haine pour servir de carburant...
Il se trouve que l'homme en face de moi serait de ceux qui parvenaient encore à éveiller mon intérêt. Tout avait commencé comme la plupart des gens que j'avais hanté au cours de ma longue existence. Je pouvais sentir la peur envahir son esprit, tétaniser ses muscles et le mettre à ma merci. J'aimais l'expression de pure terreur sur leur visage lorsque ceux-ci réalisent qu'ils vont passer un moment des plus désagréables. Tout leurs pires cauchemars réalisés. Le pauvre petit essayait désespérément de se réchauffer en soufflant dans ses mains, c'en serait presque mignon si ce n'était pas si pathétique.
Soudainement, je le vois s'affairer pour enlever son pendentif. Dans un moment pareil, à savoir d’extrême danger pour son petit cul, il se soucie de cette breloque ? Réaction tout à fait risible. Je ne cachai d'ailleurs pas mon hilarité et mon rire résonnait encore dans la pièce. Mon regard se posa d'ailleurs un instant sur la chose, un pendentif très ancien, j'en avais pas vu de pareil depuis des siècles... Monsieur serait-il de vieille famille ou bien collectionneur ?

A ma grande surprise, une sorte de bulle légèrement bleutée apparut autour de l'homme. Comme si celle-ci était destinée à le protéger. Je réalisai qu'il s'agissait d'un champ de force et instinctivement j'eus un mouvement de recul devant cette étonnante invocation. Ainsi je n'avais pas du tout affaire à un humain ordinaire, mais il était quoi au juste ? Cette découverte imprévue compliquait grandement les choses, mais rendait le défi plus intéressant.
Je me souvins qu'il existait des humains dotés de capacités surnaturelles, on leur donnait bien des noms mais étaient souvent appelés alchimistes. J'avais appris leur existence pendant la Renaissance en Europe, et cela faisait très longtemps que je n'en avait pas croisé sur ma route.
Je n'avais absolument plus envie de rire à présent, et mon inactivité momentanée sembla rassurer ma victime. Je pouvais sentir que je perdais mon emprise de peur sur son esprit. Il se lança même dans une bravade qui me laissa pantois. Cet enfoiré m’appelait Casper ! Me comparer moi, spectre ténébreux de première classe, avec cette sorte de larve blanche sortie d'un film navet des années 90 ?? Je ne manquai pas de hausser les sourcils devant son audace. Décidément le mec en face de moi était soit stupide, soit suicidaire pour me traiter de la sorte. Voire même un peu des deux.
Non content de me blesser ainsi dans ma nature de Sidh, il continua en me mettant au défi de me montrer, de ne plus agir caché. L'idée était alléchante , je devais le reconnaître. De plus, je devais aussi avouer qu'il avait un sacré culot qui devait être récompensé. Dans une pitoyable démonstration de pouvoir, il fit flotter les débris au sol tout autour de lui. C'était trop mignon...« Très bien... Fini de jouer... » C'est la première fois que je m'adressai à lui directement et ma voix était calme mais pleine de défi. Tout d'abord, il s'agissait de se débarrasser de l'hideuse lumière projetée par sa lampe de chevet survivante au massacre. J'avais ainsi l'occasion de lui montrer une autre facette de mon pouvoir...

Les ombres présentes dans la chambre se mirent peu à peu en mouvement et gagnaient en puissance sous mon contrôle. Elle s'agrandissaient et semblaient presque prendre forme. L'ombre sous le lit se rependit telle une énorme flaque de pétrole pour envahir le sol de la pièce. « Cette faible lumière n'est rien face à mes ténèbres. » Les ombres se jetèrent ensuite sur la source de lumière sous la forme d'un petit tourbillon et il ne fallut que peu de temps avant que l'ampoule ne se brise sous la pression. La chambre tomba dans l'obscurité la plus totale.
Je décidai de garder le silence pour apporter un petit effet à mon entrée, obéissant à ma volonté mon charme d'invisibilité se dissipa. J'apparus donc face à lui sous ma forme d'Ombre. Tout mon corps semblait dégager une pale lueur blanche. Ce n'était pas une lumière douce et aimante, au contraire mon aura lumineuse était majestueuse mais froide, emprunte de cruauté. Sans vouloir me vanter, je pense pouvoir dire que mon ancienne beauté humaine était maintenant magnifiée dans la mort. Mes cheveux semblaient plus beaux que jamais et mon visage était d'une blancheur de porcelaine. Ainsi, je pouvais même passer pour plus jeune que mes éternels dix-huit ans. Une brume argentée tournait lentement en orbite à mes pieds et me permettait de flotter, ce nuage magnifique était cependant strié de volutes d'obscurité menaçante. « Me voici. Qu'en penses-tu ? »demandais-je avec un petit sourire. Je jouais un peu avec lui c'est vrai mais j'avais aussi envie de savoir ce qu'un vivant pourrait penser d'une apparence de Sidh. J'étais curieux d'avoir son avis. « Je vois que tu n'es pas un humain ordinaire. Tu es quoi pour savoir faire ça ? » Je hochai légèrement la tête pour montrer son champ de force. Je souhaitai avoir le cœur net sur ce qu'il était. De plus, je restais aussi à l’affût du moindre geste brusque de sa part. Si ça se trouve, ce misérable insecte allait décider de m'attaquer... S'il osait faire ça il allait voir ce qu'il en coûte de s'en prendre à moi...