Les festivités avaient donc pris place à Ottawa. Comme chaque année, Oreste regardait tout ça d'un œil distant, bien qu'il comprenait l'effervescence qu'elles suscitaient. Il n'avait jamais vraiment aimé les manèges... depuis une mauvaise expérience au lycée. Être resté coincé dans une attraction n'était pas une expérience très agréable, mais lorsqu'il s'agissait d'être bloqué, la tête en bas, dans un wagon de montagnes-russes qui refusait de redémarrer... là, ce fût d'autant plus traumatisant pour le jeune alchimiste de l'époque. Et puis, ces derniers temps, il n'avait pas vraiment le cœur à s'amuser. S'il aurait volontiers accompagné des amis pour prendre part à la fête dans d'autres circonstances, cette année, l'homme ne se voyait apprécier cet événement qu'à distance, l'esprit vrombissant au rythme de la musique de foire et des cris d'enfants, tandis qu'il apprécierait la plus réconfortante des tisanes.

C'était, bien sûr, sans compter sa merveilleuse famille. Ou tout du moins, la plus jeune de ses sœurs. Pas moyen de jouer à l'ermite en paix, il avait fallu que Willow s'en mêle et le traîne hors de sa tanière pleine de médicaments, de potions et d'ingrédients étranges. Et encore... tout cela aurait été éventuellement tolérable si elle n'avait pas tenu à respecter à la lettre la règle imposée cette année, donnant droit à des bonus alléchants.

« Tout le monde nous regarde... Non ? »

Évidemment que tout le monde les regardait... la timidité d'Oreste était mise à rude épreuve. Willow, affublée d'une tenue traditionnelle digne des plus beaux nanars bollywoodiens, ne pouvait s'empêcher d'être aussi exubérante que d'habitude. Mais cette fois-ci, elle y ajoutait une petite touche indienne du plus bel effet... Et son frère aîné ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. Sa propre tenue le couvrait déjà suffisamment de ridicule comme cela...

« J'en reviens toujours pas que tu aies deviné ma taille de vêtements... et que tu aies eu une idée pareille. Enfin, non, ça... ça ne m'étonne pas vraiment... »

Franchement. Une princesse indienne et un matador. Il n'y avait vraiment qu'elle pour penser à une telle combinaison... même si, en tout état de cause, cela aurait pu être pire. Elle aurait pu le forcer à parler avec un accent espagnol ou défier en duel de corrida n'importe quel passant... Et Oreste priait intérieurement pour qu'elle n'ait jamais l'éclair de génie de lui proposer ce genre de choses. Alors que les deux Deslauriers arpentaient les allées et autres stands, une question subite vint à l'esprit du professeur, alors qu'il se tournait vers sa sœur :

« Ton ami ne vient pas, lui ? »

Halloween ! L’heure des crimes, des bonbons, des citrouilles et des PQ jetés sur les maisons… le seul moment de l’année où il était possible de faire peur aux sales gosses, sans se prendre les parents mécontents à rosser derrière, double effort. Non, là c’était nécessaire, gratuit, et si Willow avait jusqu’alors prit grand soin de faire hurler les mômes avec application pour leur piquer leur récolte, cette fois c’était très différent. Parce qu’elle avait eu envie, sans comprendre vraiment pourquoi, de faire sortir le Yeti-nose de sa tanière roussie pour lui faire découvrir le monde. Ou du moins, Ottawa, sa ville de naissance qui sans doute lui semblerait bien différente en cette nuit du 31 octobre. L’ambiance était festive généralement, et Oreste-yeux-de-chien-sur-bord-de-route trouverait sans doute de quoi s’amuser un peu ! Et puis, il fallait l’avouer, elle avait plaisir à passer du temps avec son grand frère, alors elle n’avait pas lésiné sur les moyens matériels d’abord, et puis sur l’énergie mise au profit de la réussite du projet : le convaincre. Il n’avait pas eu trop le choix pépère, alors que son ultime argument avait été ce putain de singe pour lequel Willow avait réservé la meilleure baby sitter du bled.

Et ouais, elle voulait vraiment son frère. En matador qui plus est ! Il avait de l’allure le bougre ! Fière du résultat alors qu’elle marchait à côté de lui (ou plutôt avançait en effectuant spontanément des mouvements de type Bollywoodiens), une corde solidement attachée à la ceinture intérieure de son saari vert et bleu. La classe merde ! Elle avait même l’accessoire ultime ! Shivaache. Gabriel avait bien voulut lui céder pour la soirée, à condition qu’elle ne la fasse pas boire. Ni fumer. Ni monter dans une attraction. Ouais il n’était vraiment pas fun ce mec-là ! Mais bon au moins elle avait sa vache sacrée, et l’avait paré de couleurs, de perles et de colliers qui dégoulinaient de son cou et de ses cornes pour la rendre encore plus vénérable et glorieuse qu’elle ne l’était déjà aux yeux du meilleur (con) ami de son frère. « Tout le monde nous regarde... Non ? » Rajustant son diadème après plusieurs tours sur elle-même trop vigoureux, Willow repassa convenablement la corde de Shivaache et leva les yeux au ciel après tout ça. Grand dieu… il avait l’air totalement apeuré le chiot. Ne prenant pas la peine de répondre, elle écouta son frère couiner comme une fillette une fois encore. « J'en reviens toujours pas que tu aies deviné ma taille de vêtements... et que tu aies eu une idée pareille. Enfin, non, ça... ça ne m'étonne pas vraiment... »

Gnagnagna… PUSSY. Sauf que la suite eut le don de lui causer un étouffement sauvage, alors qu’elle entamait un sublime Jhankar qui pour le coup, fut avorté. « Ton ami ne vient pas, lui ? » Merde… il allait être trop classe celui-là ! Son sourire ne s’était pas éteint, mais son visage s’était figé dans une expression presque austère. Oh putain, le Joker Hindi ! Elle tourna la tête lentement vers son frère, et quelques mètres plus loin un gosse hurla dans le giron de sa mère. Vive Halloween.

« Il doit être quelque part à tripoter ses danseuses Ô combien moches et sans talents… Je crois qu’il fait de la pub pour son cabaret. Grand bien lui fasse… »

Mais rapidement, elle chassa l’image de Darwin au milieu des sublimes créatures qui bossaient pour lui pour servir avec malice à Oreste :

« Quant à toi, c’est l’heure de faire coucou frangin… Au lieu d’avoir l’air d’un matador qui se serait pissé dessus. Un peu de cran Oreste, ou Shivaache te plante une corne au cul pour faire plus horrifique. »

Arquant un sourcil face à la brusque réaction de sa sœur suite à sa question, Oreste écouta sa réponse et haussa les épaules, non sans un demi-sourire qu'il garda pour lui. Depuis l'incident avec cette fichue statue, les rapports entre l'alchimiste et le stryge n'avaient pas vraiment changé, et sans être au beau fixe, on pouvait dire tout au plus que les deux hommes se toléraient. Quand ils ne se regardaient pas en chien de faïence... Il restait persuadé qu'il avait eu une mauvaise influence sur Willow, ou que tout du moins il n'avait rien fait pour la contenir un peu. Alors, savoir que pour une soirée, une seule minuscule poignée d'heures, sa sœur ne traînerait pas dans ses pattes... Eh bien, cela ne pouvait que le ravir.

« Sans doute... Si tu le dis. »

Il connaissait assez peu les activités professionnelles de Saltzman, et n'avait pas vraiment envie d'en savoir plus. Ce qu'il faisait dans son cabaret resterait dans son cabaret aux yeux du professeur qui n'était pas vraiment un adepte de ce genre d'endroit... Et des dérives qu'il pouvait entraîner. Particulièrement ermite, le vieux physicien. Et coincé, aussi.

On ne pouvait pas vraiment dire que l'aîné de la fratrie soit totalement à son aise dans cette foire, la quantité de décibels dans l'air excédant son seuil de tolérance. Et la présence d'une vache meuglant son désarroi n'aidait pas. Oreste était encore à se demander comment Willow avait bien pu faire pour convaincre son meilleur ami de lui prêter Shivaache pour un soir en connaissance de cause. Il savait combien Willow était excentrique et imprévisible... Sans doute aura-t-elle usé de l'hypnose. Encore. Il soupira à l'idée que sa sœur se servait de son don de naissance à tort et à travers, ses frasques impactant même son travail... et peut-être même, ses propres amis.
Alors qu'il était plongé dans ses pensées, ses yeux se tournèrent vers la bête à cornes couverte de tissus, parures et autres bijoux de pacotilles qui l'auraient tout droit propulsé jusque dans un temple indien si Willow ne l'a tenait pas au bout d'une corde. Il échangea un regard désolé avec l'animal qui sembla le lui renvoyer... A croire que fréquenter Gabriel l'avait fait déteindre sur lui. Si le technokinésiste se mettait à parler aux animaux à son tour... Il n'était pas rendu.

Quand sa petite sœur se tourna brusquement vers lui, il fut pris de court et fronça légèrement les sourcils face à son sourire taquin, tandis qu'il croisa les bras sur son costume tout doré et tout en écussons :

« Enfin, Willow... Tu sais bien que ce n'est pas mon genre, et- 
- Oh putain regarde ! C'est pas monsieur Deslauriers avec la vache ?! »

Mais il fût coupé dans son élan par un groupe d'étudiantes qui passèrent dans le coin. Ses étudiantes. Celles-là mêmes à qui il donnerait cours lundi matin, le plus normalement du monde... et  celles-là même qui gloussaient en prenant en photo leur professeur en tenue de torero clinquant, accompagné d'une princesse indienne.
Oreste soupira. Cria un peu à l'intérieur, aussi. Mais se fendit d'un beau sourire, saluant légèrement les jeunes demoiselles d'un petit signe de la main.

« Bonsoir... »

Elles finirent par passer leur chemin, non sans se dire qu'il fallait forcément retweeter ça dés qu'elles seraient rentrer. Et l'alchimiste se mit à planifier, dans son esprit, comment utiliser au mieux son don afin d'effacer toutes traces de réseaux sociaux de cette magnifique invention qu'était internet...
Quelle soirée. Vraiment.

Qu’est-ce qu’il pouvait l’agacer quand il lui sortait ses phrases toutes faites à la con… « Si tu le dis. » Raaaaaaah ! Lentement, Willow avait encore une fois fermé les yeux, un geste qu’elle exécutait presque systématiquement quand elle était en présence de son frère, et comme si ne plus le voir suffirait à effacer un peu son agacement. Mais c’était efficace apparemment, puisqu’un semblant de sourire se ficha sur son visage alors qu’elle surprenait le regard d’Oreste vers Shivaache. Elle se retint de lui faire remarquer, sans vouloir manquer de respect à la vache en question, que les regards bovins étaient rarement bienheureux et qu’il ne fallait pas la prendre en pitié. Qu’il s’occupe déjà de ses miches celui-là !! Shivaache avait elle-même donné son accord à Gabriel (ce qui ne cessait d’étonner Willow qui avait longtemps préféré croire que Gabriel restait constamment sous héroine), et avait été ravie à l’idée d’être promenée et parée de la sorte ! Tu parles, c’était une vraie dame la Shivaache, et son frère était un gros nose naze. Mais si son sourire avait eu l’air clairement forcé jusque-là, l’intervention de jeunes femmes lui rendit toute sa grandeur. Willow se redressa, tendant l’oreille pour entendre l’ensemble des conversations de ces filles qui vraisemblablement étaient des étudiantes d’Oreste.

Professeur Oreste, mais … déjà, ça, c’était quelque chose d’hilarant. Le mec tenait à peine sur ses deux jambes, foirait ses expériences, faisaient exploser sa piaule, et couinait pour un rien. Et il était Professeur. Voilà qui était l’un des plus grands mystères de l’univers, plus encore que le suaire de Turin ou Conjuring. Mais si Willow aimait taquiner son frère… elle n’appréciait certainement pas que d’autres fassent de même. Et tandis qu’elle restait dernière l’alchimiste, Willow se mit à fixer la jeune personne qui tenait un téléphone portable dans les mains. Va y, fait ta maline… prend cette photo…. La fille riait toujours quand elle croisa le regard que lui adressait Willow, et elle fut prise d’un sursaut. Ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait croiser Jack Nicholson en tenue traditionnelle Hindi… Accompagnant son regard meurtrier d’un sourire de pantin maléfique, Willow ne cessa de fixer sa victime qui elle avait perdu le goût de rire devant cette fabuleuse rencontre. Son prof semblait être le cadet de ses soucis, surtout quand en s’éloignant, elle se retourna une dernière fois vers Willow qui lui adressa son œil le plus psychopathe alors qu’elle passait son doigt sur sa gorge en signe de menace. Putain, ces jeunes… même pas besoin d’hypnose ! Elle devait avoir l’air d’un véritable Gremlins quand enfin la petite bande s’éloigna, laissant Oreste légèrement dépité.

Lui donnant un petit coup d’épaule, Willow lâcha pour tenter de lui rendre un peu le sourire :

« Aller frangin, au moins tu seras le prof le plus swag de ta foutue université de cul serrés ! Tu veux monter sur Shivaache et aller faire un tour du côté des jeux vidéo histoire de parler à des copines ? »

Ouais, elle parlait bien des machines, puisqu’il était celui qui pouvait murmurer des choses si cochonnes aux circuits électriques qu’ils en cramaient spontanément. Ce qui était sans doute un truc méga top quand il s’agissait d’une machine à sous… A noter ! Mais en attendant, Willow se contenait d’adresser un sourire bien plus vif à son frère, consciente qu’il faisait un effort pour passer du temps avec elle (du moins dans ce décors-là) mais souhaitant aussi qu’il profite de sa soirée.

Quand il vit les étudiantes détaler presque comme des lapins à qui on aurait coupé toute raison de vivre, Oreste fronça les sourcils, prit d'un doute énorme. Tournant les yeux vers sa petite sœur, il lui sembla qu'il arborait un regard bien trop sévère pour la situation donnée. Qu'importe ce qu'avait fait Willow pour le défendre, ça n'allait sans doute pas arranger ses affaires... Mais le jour où il arriverait à lui faire comprendre que la vie ne fonctionnait pas comme un dessin-animé en technicolor, les poules auraient sans doute des ailes en forme de dents. Ou quelque chose du style...

« Le plus swag... Mon Dieu, on croirait entendre mes premières années. Ils ont tout un vocabulaire que je ne comprends pas... », lança-t-il en levant légèrement les yeux au ciel.

Puis, à la suite de sa réponse, jeta un regard vers la vache dont il avait jusque là oublié l'existence. Un nouveau soupire, avant de croiser les yeux déterminé de Willow. Décidément, le plus malin pour s'en tirer était de rentrer dans son jeu... et de tenter de s'amuser. Youpi.

« Monter sur cette vache. Mais bien sûr. Tu as raison, on ne sait jamais ! Peut-être qu'elles vont revenir pour filmer un peu tout ça, histoire d'avoir de quoi... « buzzer » sur la toile. Parfois, je me demande vraiment comment tu peux trouver ce genre d'idée, Willow... », maugréa-t-il, flattant légèrement le flanc de cette pauvre Shivaache qui n'avait rien demandé à personne. Tout autant qu'Oreste, en réalité. Oreste qui sentait ses forces s'épuiser avec cette cacophonie environnante, Oreste qui n'avait pas la moindre envie de révéler son état de faiblesse à sa sœur. Mais qui, par la force des choses, avait un peu le tournis, et toussa sans raison apparente. Il ne voulait pas que Willow sache. Qu'elle le prenne pour un vieux lascar coincé incapable de s'amuser, c'était une chose. Qu'elle soit au courant pour ce mal qui l'incombait depuis des années... c'en était une autre.

Mais avant qu'il ne puisse entamer une seconde quinte de toux, un bruit étrange se fit entendre vers des stands plus en avant. Le sol tremblait légèrement sous un vrombissement obscur, et les passants semblaient aussi désemparés que pouvait l'être le professeur.

« … Tu entends ça ? »

Bien sûr qu'elle l'entendait ! Et elle pût bientôt le voir, aussi. Comme lui. Un... tank.

Putain mais … mais il était CHIANT ! La réponse qu’il venait de lui faire ne plaisait absolument pas à Willow qui à mesure qu’Oreste maugréait comme un vieux crouton, laissait son regard s’assombrir un peu. Lui qui pourtant, avait été aussi lumineux que pétillant alors qu’elle ne souhaitait que le dérider un peu après cette rencontre importune. C’était quoi son problème au final ?! Il lui en voulait de l’avoir entrainer à Halloween, de sortir un peu au lieu de dépérir chez lui avec un singe abruti ? Non, c’était sans doute qu’il était en colère, parce qu’à cause d’elle il ne pouvait pas être en train d’émietter ce qu’il restait de sa foutue baraque de merde… Putain, il faisait chier, chier, chier ! Si Oreste jusque-là pouvait se vanter d’obtenir de Willow un comportement plus tempéré qu’habituellement, la docilité de sa petite sœur fut violemment shooté par une vague de défiance et d’irritation. Si bien que les vibrations du bitume sous ses pieds, annonçant la présence certaine de Darwin sur son tank ne l’énervaient pas, ne la réjouissaient pas… la laissaient de marbre quelques instants. Juste le temps de gratouiller Shivaache d’un air terriblement agacé.

« Oui j’entends mon p’tit pote. Mais ce que j’entends surtout c’est que tu me gave tellement avec ta mauvaise humeur de gros naze périmé que j’ai les dents du fond qui baignent ! »

Willow leva fièrement son menton, signe ultime d’ignoration face à son frère à qui elle n’aimait pas parler ainsi. Mais trop vexée pour le moment, l’Alchimiste se fichait bien d’avoir ou non, été méchante ou blessante à son tour. Il fallait que ça sorte. Merde quoi ! Willow avait conscience de ne pas être facile tous les jours, d’avoir ses humeurs et ses délires… il fallait bien d’ailleurs, sinon la vie serait aussi chiante que celle d’Oreste, tiens. Mais s’il ne pouvait pas voir que sa petite sœur se pliait un peu beaucoup en quatre pour qu’il prenne l’air et essaye de s’amuser un peu – et accessoirement détendre l’atmosphère après la rencontre avec les étudiantes – et bien qu’il aille se faire foutre un œuf ! Aussi adressa-t-elle un regard plein de dédain, très contrariée aussi, à Oreste alors qu’elle grimpait souplement sur Shivaache et s’y installait en amazone.

« Franchement tu me gonfles Oreste. Si tu veux pas rester, si c’est si insupportable que ça de s’amuser juste un peu… ou alors impossible parce que tu es avec moi qui suis qu’une pauvre idiote tarée… tu rentres, mais tu me parles pas comme ça. Ciao… »

Et elle fit une légère tape sur le dos de la vache qui, avec l’aide de Gabriel avait accepté de devenir une monture sacrée l’espace de quelques heures. Si elle espérait un peu qu’Oreste la suive, Will’ préférait clairement que le rabat-joie se fasse la belle… enfin, à moitié. Parce que dans quelques minutes, la jeune femme trouverait sans doute le moyen de culpabiliser. Chiotte de famille. Elle s’en alla lentement, mais surement, d’une démarche bovine qui pouvait sembler élégante quand l’on voyait l’ensemble du tableau… mais plus à partir du moment où Willow avait levé le bras pour saluer la foule en pas-délire alors qu’elle passait au milieu de cette dernière. Et pourtant, c’était une vision des plus ravissantes… haha ! Bientôt, les vrombissements se firent plus forts, le son mécanique du tank se rapprocha et Shivaache accéléré sous la demande de Willow qui arrivait bientôt en galopant, confortablement installée sur le royal bovin. Et le tank apparut enfin dans son champ de vision.

« Et la lumière fut… »

Putain que ouais… le gars avait repris sa forme de Stryge, qu’elle trouvait plutôt pas mal en version cage aux folles ! Le mec était à moitié à poil sur son tank, la peau et les ailes saupoudrées de paillettes et il luisait presque sous les lumières que la ville avait installé pour Halloween. C’était presque divin… presque. Elle salua quelques danseuses avec un mépris évident, puis une autre avec plus de chaleur et même un sourire appuyé. Puis Willow fit de grand signe à Darwin, frétillant à dos de vache avec une expression des plus enthousiastes, et hurla après avoir cherché Oreste dans la foule derrière elle, sans succès.

« Ouuuuh ouuuuuuuuuuuh !! DARWIIIIN !!! »

- Allez les moules ! On se secoue le popotin et on monte sur le char ! Quoi ? Il est pas normal mon char ? Il est top moumoute ouais ! Et ben, si t'es pas contente, la prochaine fois tu le feras toi même le véhicule hein ? Comme si j'avais le temps de foutre des décorations sur un vieux tracteur pourrav' ... Quelle idiote, j'vous jure ... !

Soupirant devant la stupidité de cette danseuse heureusement compensée par sa forte poitrine, il grimpa à son tour sur son char improvisé qu'il avait galéré à trouver. Pour tout vous avouer, il s'agissait d'un tank ... Ouais un vrai tank de guerre c'était pas grave la classe ça ? Avec chauffeur intégré en plus ! Vous savez, avec un peu de persuasion on arrivait à obtenir tout ce que l'on voulait ... C'était triché certes mais vraiment très pratique. Être un stryge ça déboîtait des culs de poney ou de Nuck' pour les connaisseurs (Un se reconnaîtra parmi vous) ! Allez, dernier check-up et en avant pour la fameuse fête d'Halloween d'Ottawa ! Parfait, tout était parfait, comme à chaque fois. De la démesure de partout, comme Darwin aimait. Ce dernier ne passait jamais inaperçu, il détestait ça d'ailleurs … Être le centre d'attention était son dada (Haha …) surtout devant une foule si nombreuse. Habillé d'un simple pantalon noir, le reste de son corps brillait de mille feux, couvert de paillettes dorées allant même mettre en valeur ses immenses ailes blanches immaculées et lissées pour l'occasion. Pourquoi s'embêter à acheter ou à créer un costume lorsque l'on était déjà un "monstre d'Halloween" ? Cette fête parlait d'eux, alors ils pouvaient très bien prendre leur vraie apparence et faire croire à ses ignares de mortels sans capacités spéciales que ce n'était qu'un déguisement !

Le patron du cabaret vérifia une dernière fois que toutes ses esclaves sessuelles ses danseuses étaient là : "Gros tétés", "Gros boule", "Gros boule II", "La 16/9", "DivaBoobs", "Basmati", "Dédé" ... Dédé ? Qu'est-ce qu'il foutait là lui ? Mais ... Il était entrain de peloter ses filles ! Personne n'avait le droit de le faire, à part lui et ses clients gras, vicieux et plein d'oseille ! L'attrapant par la peau du cou (pour ne pas dire autre chose), l'immortel le balança dans le tank, côté chauffeur, puis lui gueula de se tenir à carreau s'il ne voulait pas finir en Hachi Parmentier pour Koupl Jack, son dévoué et fidèle toutou. Ben ouais, il n'avait pas trouvé mieux pour les conduire ... L'armée, c'est plus c'que c'était. Après cette petite altercation qui lui fit perdre quelques paillettes et de la patience, il pointa du doigt droit devant lui et s'écria :

- EN AVANT GUINGAMP ! ... Note à soi-même, Ne plus jamais dire cette expression de pécore... Bon ben ... ALLONS-Y ! 

Le tank démarra dans un brouhaha infernal et phénoménal, se dirigeant trèèès lentement (mais surement) vers les festivités. Pour sûr, Darwin allait avoir des ennuis avec le maire, voire tout le pays entier mais bon, ce ne sera ni la première, ni la dernière fois. Il se souvenait très bien de l'engueulade "presque" convaincante d'un caporal ou d'un général (un gradé qui pétait plus haut que son cul quoi) quand il a dérobé en douce des armes et des grenades pour faire une reconstitution de la seconde guerre mondiale dans son jardin. C'était une après-midi GRANDIOSE ! Dommage qu'il ait été le seul survivant et qu'il ait dû tout nettoyer de lui même, ses domestiques ayant malheureusement péri durant l'assaut final. Le sang sur le gazon, c'est chaud patate à faire disparaître !

Une musique de fête foraine (pour ne pas dire Vogue car je ne voudrais pas perdre les pécores que vous n'êtes pas) le sortit de ses pensées. Enfin, ils y étaient ! Le monde commençait à affluer, regardant l'étrange spectacle avec de grands yeux admiratifs ou étonnés ou "maahkilékonluiilaecraségégémoncanichemoche". Ouais, fallait s'attendre à quelques dégâts matériels avec un tel engin ... Prenant la pose tel un Napoléon posté sur sa dune de sable du Sahara (l'Histoire n'a jamais été son fort ... Plutôt un comble pour lui non ?), il salua son public, un grand sourire béat collé sur ses lèvres. Que le stryge aimait être aimé et vu ! Il ne manquait plus que Willow à ses côtés pour parfaire cette soirée qui d'emblée semblait géniale. La jeune femme avait préféré faire sortir son ermite de frère de sa tanière, que dieu la bénisse pour ce geste aussi débile que suicidaire ! M'enfin, c'était charitable de sa part ! Darwin allait faire une croix sur sa pote de connerie quand il l'entendit gueuler parmi le bas peuple. OH MON DIEU, GENIAL !!! Il se tourna et la vit ... Elle était de toute beauteeeey en Basmati, chevauchant une ... Vache ? OH PUTAIN UNE VACHE !

Sans plus attendre, il sauta de son trône de fer (Lawl) et se précipita sur Willow en la soulevant comme une plume et la faisant tourner, tourner, tourner jusqu'à ce qu'il réalise qu'il était sous sa forme de Stryge donc légèrement un peu trop violent pour une "simple" humaine. La reposant sur ses gambettes sans pour autant la relâcher, l'immortel se mit à la secouer un peu, complètement surexcité :

- Willoooow !! Tu es magnifique, et mon dieu cette vache ... REGARDE MOI CETTE VACHE ! Elle est grandiose ! Magique ! Sublime ! FANTASTIQUE ! Aaaaah je suis trop méga content de te croiser ! T'as vu mon tank ? Il est cool mon tank hein ? Moi je l'adoooore mon tank ! Oooh merde ... Il faut mettre cette vache sur ce tank ... IL LE FAUT ! Et toi ... Ce costume est juste parfait ! Bon ... Je vois pas trop le rapport avec Halloween mais baste, il te va à ravir. Et ton frère ? T'en as fait quoi ? Il n'a pas voulu venir ? Oooh ... Nooon il est là le frérot !   

Parlant comme un dégénéré et foutant des paillettes partout sur Willow, il se mit à fixer Oreste avec un petit air presque désolé.

- Laisse moi deviner, c'est Willow qui t'as obligé à mettre ce costume et qui t'as trainé ici hein ? Allez, maintenant que t'es là, souris et amuse-toi ! Fais pas ta tronche de cake, c'est HALLOWEEEEEN !

Il secoua ses ailes, donnant une bifle pailletée à plusieurs passants, et se mit à sautiller sur place vraiment de trop, trop, trop, [...], trop bonne humeur ... Bon courage !

Alors ça. Peut-être n'avait-il pas réalisé tout de suite combien son humeur était sincèrement massacrante, ou que la réalité dans laquelle il évoluait actuellement pouvait en être affectée. Habitué à vivre seul, ou tout du moins entouré d'intelligences artificielles pouvant supporter les aléas de ses bugs humanoïdes sans aucun soucis, Oreste n'avait pas toujours conscience que ses congénères de chair et de sang pouvaient mal prendre la chose. Et à plus forte raison, les seules personnes qu'il ne voulait pas vexer étaient bien celles faisant parti de sa famille, biologique ou non. Il connaissait le caractère de Willow, cette boule d'énergie qu'elle était devenue. Et parfois... la collision des éléments chimiques opposés entraînaient des explosions majeures. Comme l'eau et le potassium...
Mais même s'il avait l'habitude de se heurter à la douleur, il refusait que sa sœur la subisse. La blesser était hors de question. La panique agita son cœur, le fit battre aussi à bâtons rompus contre les parois de sa cage interne. Encore plus lorsqu'elle s'exprima et le gronda. Il se sentit un peu mourir, là, en une seconde.

« … Attends Willow, reviens ! Excuse-moi ! »

Mais rien n'y fit. Le temps qu'il réagisse, qu'il comprenne, au milieu de la foule, elle s'éloignait déjà, trônant sur le bovin. Le monde le bouscula, mais il tint bon, et continua de la poursuivre, et s'il n'arrivait pas à la rejoindre physiquement, il comptait sur ses mots pour la percuter. Le choc imminent des badauds amateurs de jeux de fléchettes l'empêchait pourtant de l'apercevoir, et de ce fait, cette vague humaine pourtant fendue au-loin par Shivaache se refermait sur lui, l'engloutissant.
Il finit par profiter d'une pause dans le mouvement de masse pour jouer des coudes, ne faisant pas attention au fait que la totalité des personnes présentes s'étaient comme arrêter de respirer. Levant les yeux vers la princesse hindi de contrefaçon qui lui servait de petite sœur adorée, il s'adressa à elle plus clairement, malgré son ton entrecoupé de souffles appuyés. Sa santé ne lui permettait pas ce genre de choses... mais c'était pour la bonne cause.

« Willow... Écoute, je suis désolé, je ne voulais que tu le prennes mal. Et je n'aurais pas du dire ça, je suis vraiment le pire des grands frères... Je sais que ça partait d'un bon sentiment de me faire venir ce soir... et pour ça je te remercie, mais... tu m'écoutes ? Hé oh ?... Oh bon sang... »

En effet. Il était temps pour Deslauriers d'ouvrir les yeux, et pas que sur son attitude. Le bruit de toute à l'heure, sourd, vrombissant, s'était soudainement rapproché, et le tank le produisant avec, bien entendu. Un tank jonché de danseuses qui venait de faire son entrée tonitruante au sein des allées, et en son sommet... Un Darwin au mieux de sa forme. De sa vraie forme... Le Stryge se pavanait grisé et pailleté, et apparemment son humeur semblait aussi vive que les scintillements sur sa peau. Après avoir littéralement fait s'envoyer en l'air sa sœur en la faisant tournoyer comme un dingue, il s'intéressa à Oreste et son air paniqué dépeint sur le visage... d'une manière étrangement sympathique, compte tenu de leur relation.

« Euh... Bonsoir, Darwin ? Vous êtes très... brillant, ce soir. », se força-t-il à répondre, suivant du regard les sautillements de l'ange noir qui semblait décidément d'un enthousiasme plus qu'excessif. Dans un effort suprême, il se permit même de lui sourire. Il avait déjà ruiné l'ambiance une fois... pas deux. « Je vois que vous aimez mettre les petits plats dans les grands... Je n'aurais jamais imaginé que vous soyez aussi fêtard ! »