Franchement les soirées sans Darwin, c’était un peu la mort… Seule dans l’immense manoir de ce dernier, Willow tournait vite en rond. C’était vraiment pathétique. Mais il fallait bien que la créature s’occupe du Cabaret, et si au départ l’Alchimiste avait profité de ses occasions pour organiser des fêtes scandaleusement dépravées dans la demeure de Rockcliffe Park, autant dire que depuis un certain temps elle avait une flemme incroyable rien qu’à l’idée de devoir se lancer dans de tels préparatifs. La flemme, ou simplement pas le moral. Alors, elle se contentait simplement de trainer dans les bars de la ville, où de squatter le Cabaret. Et c’était le cas ce soir.

Dans cette optique, elle avait joliment fait pigeonner son décoté, histoire d’appâter les portefeuilles bien garnis et se faire un peu ‘d’argent de poche’.  Certes, étant donné la fortune de Darwin, qui l’entretenait généreusement, Willow n’avait pas réellement besoin d’un vulgaire fond de monnaie. Mais faire les poches des gentils petits riches d’Ottawa était une distraction dont elle ne se lassait pas. Contrairement aux conversations idiotes, comme celle qu’elle supportait depuis près d’un quart d’heure non sans picoler shot sur shot pour faire passer la pilule (celle d’Anthéa, également). La gonzesse avec qui elle ‘parlait’, ou plutôt qu’elle écoutait d’une oreille parfaitement distraite se nommait Ginny… ouais Ginny. Déjà, mauvais point quoi ! C’était la dernière danseuse de Darwin, elle était chiante et fort peu agréable à regarder tant elle bloblotait du soutif dans des fringues trop serrés. Qu’est-ce qu’il avait foutu le Dada avec ça ? Ok il en fallait pour tous les goûts mais les goûts de merde, elle ignorait qu’ils avaient une place au Cabaret. Willow regardait alors la chair des seins de Ginny, trembloter dangereusement à mesure que ses paroles prenaient de l’ampleur. Jusqu’au moment fatidique où Willow crut bien que les pamplemousses ne résisteraient plus longtemps à l’envie de se faire la belle. Prise d’une semi-panique à cette idée, l’Alchimiste coupa la parole à la jeune femme d’un geste cinglant pour déclarer sans vergogne :

« Écoute Ginny, c'est pas parce que tu te tapes pleins de mecs que t'es belle tu vois. Les mecs quand ils sont en galère ils peuvent jouer au foot avec une canette de soda. Faux cheveux, faux ongles, faux seins, faux bronzage. Dit sur ton cul y a marqué "Ikea" ? T’es escamotable ? »

Merde au bout d’un moment ! Elle avait l’air d’être le genre de meuf à qui on racontait sa vie ? Surtout qu’elle tirait une tronche de six pieds de long, et se tapait des cernes moches qu’elle n’avait même pas pris le temps de planquer avant de se pointer au Cabaret. Prenant le Mojito (hommage à son amoureux du moment)  à moitié vide qu’un client moche lui avait offert, et remontant son bustier noir, Willow se laissa glisser du tabouret pour se retrouver nez à nez avec le moche en question… Et déjà à moitié ivre, se sentant même étrangement confuse, Willow tenta péniblement de remettre ses idées dans le bon ordre. Sans succès.

« Si tu veux m’inviter à prendre un verre, fait moi une lettre de motivation et on verra après... A bah noooon l’es déjà donné le verre… Qu’elle est coconne Willow ! Qu’elle est coconne haha. »

Bah oui apparemment, qu’est-ce qu’elle était conne ! Anthéa le pensait, alors pourquoi est-ce que cela ne serait pas la vérité ? Mais rapidement Willow perdit le fil de ses propres pensées, divagants sur un flot incessant d’autres raisonnements plus ou moins parasites. Jusqu’au moment où le type se montra bien trop empressé, glissant ses mains de sales crados sur le corps de la jeune femme qui elle semblait ne plus avoir réellement la jugeote de le rejeter.

« Mais va-y dégage connard t’es trop moche pour qu’on te parle ! Lâche mon cul, faut paaayer… payer tu entends ? Tu as du biff ? Bah ouais en gros j’suis une pute, mais je baise pas… donc en gros je sers à rien tu vois… que même ma sœur elle m’aime pas. Hey bordel tu m’emmènes où là ? »

Oh putain… le mec était réellement en train de l’attirer dans un coin là ? En mode tranquille ? Elle aurait aimé l’hypnotiser, lui foutre un coup sur la tête ou simplement avoir la force de se dégager de son emprise mais d’un seul coup, la vérité la frappa. Elle était faible… oh merde… on l’avait drogué ? Ce connard avait foutu un truc dans son verre ? Mais non !! Pas possible… Forçant sur son don, celui-ci se dérobait sans cesse, la laissant alors sans défenses, et incapable de quoi que ce soit.

Encore une folle soirée qui s'annonçait au cabaret ! L'alcool coulait à flot,  les danseuses faisaient leur show sous les yeux libidineux des spectateurs … Mais le patron des lieux semblait contrarié, certains disaient même que son sourire légendaire était absent. Pour cause, cela faisait un petit moment que Darwin observait la scène, tapi dans son coin. Son regard ne quittait pas cet homme qui osait toucher Willow sans aucune retenue. Qu'il le fasse avec ses danseuses après l'avoir grassement payé, soit pourquoi pas, mais qu'il lève la main sur son amie, là c'était intolérable. Il n'avait pas agi tout de suite pour ne pas perturber ses autres clients et surtout, pour avoir la confirmation que ce n'était pas « volontaire ». L'alchimiste faisait souvent du gringue pour attirer les hommes et se faire un peu d'argent mais là, elle avait l'air totalement démuni face à ce pervers dégueulasse. Pourquoi n'utilisait-elle pas son don ? Que se passait-il ? Pourtant ce n'était qu'un simple humain. Peut-être qu'elle avait trop bu ou … que cet enfoiré l'avait drogué !

Ne tenant plus, le stryge parcouru la distance qui les séparait d'un pas rapide, le visage trahissant une certaine colère qu'il arriva cependant à maîtriser une fois à leur hauteur. Une main sur l'épaule du type qui se ressert au fil des secondes, un sourire un peu forcé affiché sur son visage, une voix faussement détachée … La panoplie du gars qu'il ne fallait faire chier :

- Et bien mon gars, qu'est-ce que tu fais ? Tu vois pas que la madame ne veut pas ? Puis tu n'as pas besoin de forcer les choses toi … T'es un beau gosse non ? Regarde moi cette veste et ce costume ! De la grande qualité hein ? Tu sais l'inconvénient avec ce genre de tissu ? Son sourire disparut en une fraction de seconde, C'est que ça brûle ! Alors tu vas retirer tout de suite tes sales pattes de cette femme ou j'me fais griller ta bite sur ton corps en flamme … Pigé ?

Repoussant vivement l'homme qui se prit un mur au passage, Darwin l'oublia très vite pour se préoccuper uniquement de Willow qui ne semblait pas en très bon état. Il gigota sa main devant son visage pour vérifier qu'elle était toujours bien parmi eux mais son regard de bovin décédé lui confirma qu'elle était loin. Ben merde alors ! C'était bien la première fois qu'il la voyait dans cette stase presque légumaire. Le stryge la secoua un peu pour la réveiller, franchement pas rassuré et voulu aller lui chercher un verre d'eau sauf que l'autre débile l'en empêcha. Dans un élan de courage … Enfin de stupidité extrême, il tenta de lui asséner un coup de poing en règle que l'oiseau de nuit évita de justesse. Il cligna des yeux, abasourdi par ce geste ridiculement vain mais se reprit très rapidement, le regard sombre et la mâchoire serrée. Ce connard allait morfler ! Déjà pas très jouasse à la base, la rage poussait l'immortel à se transformer mais conscient que la moitié de ses clients étaient humains, il se retint avec beaucoup de mal. Il se contenta simplement de répliquer, attrapant son bras et le faisant virevolter pour qu'il se retrouve dans son dos non sans un craquement sinistre. L'angle du membre maltraité faisait peur à voir et l'agresseur poussa un hurlement étouffé par la main de Darwin sur sa bouche ainsi que le bruit ambiant. Le dominant de tout son être, il posa sur lui un regard empli de dédain et déclara d'un ton qui ne lui était pas familier du tout :

- Écoute connard, ici c'est moi l'patron ! Alors si tu tiens un tant soit peu à ta vie, je te conseille de décarrer rapidement de ce cabaret direction hôpital pour te faire remettre ton bras dans le bon sens. Sinon c'est moi qui t'y envoie mais directement à la morgue et en plusieurs morceaux !

Tout le monde voyait le stryge comme quelqu'un d’inoffensif, un bon gars certes un peu con mais toujours souriant. Sauf que … Ben non, au fond c'était une ordure ultra-protectrice envers ses proches. Étonnant hein ? Il lâcha sa victime, lui donnant un coup de pied au cul en passant puis le regarda s'en aller en titubant non sans un sourire victorieux. Petit con va ! Tout en se frottant les mains, son attention retourna sur Willow qui semblait être revenue sur Terre. Bien, c'était un bon signe ! Cela dit, il ne comprenait pas comment son amie avait pu se faire avoir aussi facilement. Puis c'était quoi ces grosses cernes ? Toujours très inquiet, le romain tapota sa joue et lui demanda avec douceur :

- Ca va ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Bordel mais comment tu as pu te faire droguer, toi l'experte en coup tordu ? Bon c'est fini maintenant, il est parti et je m'assurerai personnellement qu'il ne refoute pas les pieds ici ! Viens, on va dans une loge, on sera plus tranquille pour discuter ...

Chose dites, chose faites, Darwin l'entraîna dans une pièce plus tranquille et lui servit un grand verre d'eau avant de s'asseoir près d'elle. Quelque chose n'allait pas et ce n'était pas que cette histoire de pervers attoucheur. Non, il le savait. Il connaissait Willow par cœur ...

L’altercation qui venait d’avoir lieu, Willow ne l’avait pas vu venir. Et elle n’avait pas non plus eut la force de l’observer avec attention, son esprit était bien trop entravé par ce qu’elle pensait de manière lointaine, être de la drogue. C’était quand même assez dingue de ne même plus pouvoir se formuler une phrase de manière claire, de ne plus sentir ses membres et d’être incapable de réagir promptement aux choses. C’était sans doute un peu cela, qu’une personne ressentait après son hypnose. Une sorte de brouillard épais qui vous rendait incapable de voir les choses les plus élémentaires, ou d’agir selon votre propre volonté. Comme quoi, il avait raison Mimitoss avec son attaque ‘Entrave’ de merde … c’était vachement efficace. En attendant, l’Alchimiste pataugeait gravement dans une marée noire interne et semblait incapable de prendre conscience ce qu’il se passait autour d’elle. Sa vision elle aussi, était trouble, et la voix de Darwin lui parvenait comme à travers une vitre d’aquarium. Elle comprenait juste qu’il était en train de s’en prendre au type louche… Ce qui était vraiment une bonne chose puisqu’elle était bien incapable de se défendre, même pour le pincer méchamment le cul… une horreur.

Dans le fond, et même si elle se sentait mal au point de rester difficilement debout, l’intervention de Darwin lui fit une sorte d’électrochoc. Et ce, même si elle ne voyait à peine, tandis qu’il passait une main devant ses yeux… La tête de Willow partie en arrière, à la manière d’un chaton (moche, puisque la tête de l’alchimiste était pas vraiment mignonne à cet instant et ressemblait plutôt à celle de Java the Hunt…) qui s’endort, et fut rattrapé de justesse par un autre type derrière elle. Mais qu’est-ce qu’il foutait Darwin ? Il la faisait valdinguer dans tous les sens comme un vulgaire culbuto ? Clairement, elle avait l’impression d’être le maire-boule du monde de Oui Oui, et sachant que son surnom à elle était justement Wiwi, il fallait peut être voir un certain rapport entre les deux… En attendant, sa vision ce fit presque plus claire, au moment où elle cherchait désespérément Darwin pour se raccrocher à lui, le seul en qui elle avait confiance… Le seul qui avait pris sa défense, et qui la prendrait sans doute toujours. Même si elle était chiante. Même si elle était insupportable et matérialiste et manipulatrice… même si tout. C’était son Darwin qui maintenait le bras du type dans le dos, l’air menaçant et grave. Mais cette expression sur le visage du Stryge… elle ne la lui avait jamais vue, et quelque part à l’intérieur d’elle même, Willow sentit quelque chose céder. Il était vraiment son héro… depuis toujours.

« Darwin … »

Un effort surhumain lui permit de se dégager des bras de l’autre type qui lui avait évité une chute. Il avait été sympa celui-là, et avait cherché à savoir si elle allait bien. Mais le regard brumeux de la jeune femme n’avait pas quitté Darwin et son esprit entier tendait vers lui. Ce qui était compliqué, mais pas tant que cela puisqu’elle était incapable actuellement, de se concentrer sur deux choses à la fois. Par chance, il vint à sa rencontre et Willow parvint alors à s’effondrer à moitié dans ses bras, alors qu’il cherchait à se rassurer sur son état. « Ca va ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Bordel mais comment tu as pu te faire droguer, toi l'experte en coup tordu ? Bon c'est fini maintenant, il est parti et je m'assurerai personnellement qu'il ne refoute pas les pieds ici ! Viens, on va dans une loge, on sera plus tranquille pour discuter ... » Discuter ? Mais discuter de quoi ? Elle s’était juste faite avoir comme une débutante, et en payait le prix. Une erreur, un instant de distraction sans doute alors qu’elle repensait à sa ‘conversation’ avec Anthéa avait permis à un gros dégueulasse de verser quelque chose dans son verre dans le but de se faire un plaisir de connards lâche et trop taré pour séduire une fille de manière ‘naturelle’. Voilà ce qu’il y avait. Mais d’une voix pâteuse et basse, Willow ne répondit que quelques mots à Darwin alors qu’elle l’a maintenait contre lui pour l’aider à marcher vers les loges des danseuses :

« Je sais pas… j’suis pas en forme ces temps-ci, j’dois couvrir un truc. »

Mais ouais, il allait le croire ça Darwin ! Willow santé-de-fer, qui ne chopait même pas les angines du Stryge même quand il lui éternuait dix fois dessus et qu’elle léchait ses cuillères. En attendant, elle se laissa dégouliner dans un fauteuil une fois arrivée à destination, ne tenant vraiment plus sur ses guiboles, se recroquevillant presque autour d’un coussin moelleux. Par honte, par pudeur aussi… d’être si vulnérable devant Darwin. Willow prit cependant le verre d’eau qu’il lui tendait, de ses deux mains tremblantes, se redressant un peu pour ne pas s’en mettre partout… ce qui ne fut pas une réussite.

« J’ai mal à la tête … »

Encore une fois, elle semblait sur le point de faire un malaise, et lâche le verre d’eau qui tomba sur la moquette de la loge. Mais si elle l’avait lâché, s’était surtout parce qu’elle avait peur… et tendait sa main vers Darwin qui était le seul à pouvoir la rassurer (ouais évidemment qu’il est le seul, y’a personne d’autre alors faut pas prendre le melon trololo !), et l’unique être dont elle avait véritablement besoin pour aller mieux…

- Je sais pas… j’suis pas en forme ces temps-ci, j’dois couvrir un truc. 

Oui bien sûr ! Et lui s'était tapé la reine Elizabeth première du nom lors d'une petite escapade en Angleterre … Wait … Non mauvais exemple. Cela était peut-être arrivé finalement, il ne se souvenait plus très bien. Enfin tout ça pour dire que le stryge ne la croyait pas. Parfois, Darwin se disait que Willow était Wonder Woman, baste le fait que le costume lui irait à merveille, il ne l'avait jamais vu malade ni abattue. Même lui n'arrivait pas à la suivre par moment et la voir ce soir dans cet état le laissa perplexe et inquiet. Oh oui, s'il y avait bien une chose qui perturbait le vieil immortel, c'était le silence de son amie. Trop de calme tuait le calme, surtout quand on y était pas habitué. Elle semblait éteinte voire en panne, ses yeux planants dans le vague. Le salaud lui avait donné une dose de cheval ou quoi ? D'ailleurs s'il retombait un jour sur ce bâtard, il le pendra par les couilles sans aucune hésitation. Darwin n'avait que très peu d'estime pour la vie d'autrui mais celle de Willow était une rare exception. S'en prendre à elle, c'était s'en prendre à lui … En résumé, cela revenait à une mort lente et douloureuse qui ferait reculer le plus masochiste des masochistes.

Signifiant son mal de tête, Wiwi échappa le verre d'eau qui se rependit sur la moquette rouge de la loge. C'était de famille de faire tomber les récipients ? Manquait plus que Flynn renverse son bol de chocapic en sa présence et tout le monde y sera passé. Secouant légèrement la tête, Darwin se baissa pour le ramasser et fut soulagé de voir qu'il était entier. Pas qu'un banal verre cassé soit une tragédie mais nettoyer ce genre de sol était aussi chiant que de récurer le chiotte d'un restaurant de tacos aux recettes douteuses. Bien évidemment, ce n'était pas le patron qui s'occupait de ce genre de chose mais il savait très bien que si le ménage était mal fait, il s'en prendrait une nouvelle fois à la pauvre employée en charge de cette tâche. Donc pour sa vie et les nerfs du stryge, valait mieux que rien ne traîne sur le sol. Alors qu'il se relevait, une main vint le couper dans son élan et ses yeux louchèrent sur ce membre sauvage. Son regard se posa ensuite sur la propriétaire de ce bras et il put lire une grande détresse sur son visage. Mais bordel, il se passait quoi ? Il n'aimait pas ça, vraiment pas du tout ! La drogue ne faisait pas tout, il y avait autre chose mais quoi ? Même quand son premier mari avait tristement brûlé dans sa caravane (RIP lawl), la jeune femme avait le sourire aux lèvres. Les sourcils froncés, Darwin laissa à nouveau le verre rouler sur la moquette sans plus s'en soucier et attrapa la mimine de son Bro qui semblait à la limite de l'évanouissement.

Une de ses mains passa sur sa joue qu'il tapota légèrement pour vérifier qu'elle était toujours consciente puis dans un geste d'une douceur qui lui était peu commune, il l'attira vers lui pour la serrer dans ses bras. Réconforter les gens, c'était pas vraiment son truc mais il l'avait tellement vu le faire à son égard, qu'il en avait retenu l'essentiel. Le câlin, ok. Bien que tout cela soit un peu inédit pour lui, il se surprit à l'effectuer avec un naturel déconcertant. Darwin Titus Saltzman se serait-il trouvé une nouvelle qualité ? A voir ! Sans la lâcher, il laissa de côté son naturel phrasé de dégénéré du bulbe pour lui demander, plus calmement :

- Willow, tu me fous un peu les pétoches là ! Raconte-moi, qu'est-ce qu'il se passe ? Oreste a encore fait exploser sa baraque ? Putain, on dirait que je cause à une morte … S'il-te-plaît, dis moi !

Oui bon, pour le tact et la politesse, on repassera ! Mais le stryge était sincère, il commençait réellement à baliser pour elle. La fixant en attendant qu'elle lui réponde enfin, il poussa un léger soupire. C'était bien la seule personne sur cette vaste planète qui arrivait à le mettre dans cet état d'inquiétude aiguë … Maudit soit cette femme à qui il tenait tant !

Oh putain la gerbe… Le type l’avait vraiment drogué donc. Connard de petite tapette de merde. Pour sûr, si Willow lui tombait sur le râble à l’avenir, il ne resterait plus grand-chose de ce chaud lapin dégelasse. Mais la chance semblait être avec lui ce soir, puisque non seulement l’Alchimiste s’était faite avoir en beauté, mais en plus, les effets de la drogue brouillaient sa mémoire ? Elle ne semblait déjà plus en mesure de se souvenir du visage de trou du cul. Chiasse… Mais pour l’instant sa préoccupation première restait le vertige qui la saisissait. La loge tournait affreusement autour d’elle, histoire de lui filer envie de dégobiller sans doute. C’est sûr qu’à ce stade, se souiller avec du vomit semblait vraiment la cerise sur le gâteau LeNôtre, une espèce de perfection, le summum du glamour… Mais elle était mal en point, vraiment. Même lorsqu’elle fermait les yeux, Willow distinguait chacun de ses sens qui prenaient un malin plaisir à vriller comme pas possible, la laissant dans un état réellement proche des vapes. Un beau verger de pommes s’étendaient à ses pieds (et là, Kassim vient de finir…) et elle ne demandait qu’à tomber dedans pour s’y rouler et rester pénard un instant, loin de son malaise physique, mais surtout sans plus penser à Anthéa, qui était finalement la source de ses ennuis.

Mais une main sur sa joue l’arracha à son verger (retire le ‘r’ et c’est magique) imaginaire et à son placebo de bienêtre. Une main qui, elle s’en aperçu en rouvrant les yeux, était bien celle de Darwin. De qui d’autre d’ailleurs ? Comme si elle pouvait s’attendre à voir la gueule du concierge en face d’elle ? Même si bon… Rusard avec un côté affriolant ! Darwin lui, l’était bien plus. Qu’il était beau, lorsque l’inquiétude semait du désarroi sur son visage, le rendait si sérieux. Une expression qu’elle ne lui avait encore jamais vu, et Willow espérait que la drogue ne la faisait pas bader au point de lui créer de méchantes petites illusions. Parce que ce regard qu’il avait la faisait presque frémir, surtout en réalisant, dans le lointain de sa conscience estropiée, qu’il le destinait à elle seule. Et puis, il la serra dans ses bras. Un geste qui cette fois la fit soupirer, et la secoua si fort qu’elle sembla y voir un peu plus clair quelques secondes avant de repartir dans les méandres de pensées parfaitement chaotiques. Mais elle s’accrochait à lui. Respirait son parfum qu’imprégnait sa chemise, cette odeur qu’elle connaissait si bien et qui avait désormais le don de l’apaiser ou d’éveiller un désir certain. Willow ne voulait voir la vérité en face (comme Rusard), mais depuis Halloween quelque chose avait changé dans sa relation avec Darwin. Du moins, du côté de l’Alchimiste puisque le Stryge lui, semblait égal à lui-même en toute circonstance… créant un malaise  de temps à autre lorsque Willow souhaitait voir ses marques d’affections comme… plus qu’affectueuses. Mais là dans ses bras, la jeune femme se sentait si bien. La chaleur qu’il lui transmettait semblait suffit à l’apaiser, et maintenir son attention et ses pensées qui convergeaient toutes vers lui… Si bien qu’elle ne se sentait plus mal, juste étourdie. Puisqu’il était là, elle ne craignait plus rien. « Willow, tu me fous un peu les pétoches là ! Raconte-moi, qu'est-ce qu'il se passe ? Oreste a encore fait exploser sa baraque ? Putain, on dirait que je cause à une morte … S'il-te-plaît, dis moi ! »

Il n’y avait rien de pire que de se sentir vulnérable. Willow détestait cette sensation, pire encore que la douleur ou le chagrin, qui lui rappelait à quel point elle n’était qu’un être faible et sans intérêt. Comme l’enfant qu’elle avait été autrefois. Pas digne d’être aimée ou respectée au sein de sa propre famille, parce qu’elle faisait volontairement le choix de ne pas être Alchimiste. Devant Anthéa, elle avait parfois l’impression de se retrouver petite, confinée dans une attitude qui ne lui convenait pas et étouffée par les regards désapprobateurs. Surtout quand après un silence de plusieurs jours, Willow finissait par s’en prendre gratuitement plein la mouille. Voilà ce qu’elle avait fui des années durant : la famille, et les obligations liées à cette dernière. Pourtant, elles avaient été proches autrefois, bien plus que Willow ne l’avait été avec Oreste. Elle lui avait confié son enfant avant de disparaitre… d’accord. Il y avait de quoi la blâmer. Mais maintenant qu’elle était revenue, qu’elle faisait des efforts et cherchait le pardon de son frère et de sa sœur, Anthéa avait-elle le droit de la poignarder ainsi ? Non. Surtout pas après l’avoir accueilli avec bienveillance. Surtout pas après avoir ignoré les souffrances qui avaient poussées Willow à disparaitre. On lui faisait toujours des reproches, mais on ne s’intéressait jamais. Et c’était bien cette ignorance qui la faisait tant souffrir. Car Anthéa était sa sœur, et Willow ne pouvait malheureusement pas faire une croix sur elle.

Cherchant à nouveau la chaleur de Darwin, l’Alchimiste posa sa tête sur son épaule et ne desserra pas son étreinte. Elle semblait un peu plus calme, bien que totalement perdue entre ses sentiments à l’égard d’Anthéa, et ceux qu’elle nourrissait maintenant pour Darwin, exacerbés par la tendresse qu’il lui accordait soudain. Pendant un moment elle ne parla pas, cherchant en quelque sorte une manière de s’exprimer sur un sujet qui créait chez elle blocages évident.

« J’me suis disputée avec Anthéa. »

Putain elle avait vraiment l’air d’une gosse quoi. ‘Me suis disputée avec Anthéa ghanjrgnhqjrg’ super … esprit cours de récrée ! Bon, après, elle faisait un peu comme elle pouvait. Mais au fin fond de son désespoir, elle ignora ses pensées parasites en essayant de rassembler le peu de clarté qui lui restait pour s’exprimer avec le plus de raison possible :

« Je comprends pas… elle m’a agressé. Et… Darwin tu sais comme je suis, tu me connais. Je suis peut être une sale conne qui mérite des baffes, mais j’ai pas de mal à voir les limites quand je les franchis, ou quand je suis en tort … ou que la baffe en question est justifiée. Mais là… j’ai rien fais et… j’aimerais comprendre mais j’y arrive pas. »

Willow semblait découvrir l’abattement dans sa propre voix, et voilà, maintenant son œil goutait sur la chemise de Darwin qui sentait si bon. Pleurer… Oh PUTAIN ! Elle pleurait ? Non elle chougnait tout au plus, et en silence. Parce que dans sa gorge quelque chose restait coincé et que malgré son envie d’éclater en sanglot qui se faisait vibrante, elle n’y arrivait pas. Parce qu’elle était bien, contre Darwin qui la protégeait. Il n’y avait donc aucune raison de pleurer, au contraire ! Prenant une inspiration tremblante, Willow frotta sa joue contre l’épaule du Stryge, une fois encore au bord de décoller. Elle semblait soudainement écrasée par une fatigue immense, qui alourdissait ses paupières jusqu’à les clore tout à fait. Et son esprit lui, sa conscience du moins, se faisait la belle. Preuve qu’elle se trouvait déjà à la lisière du sommeil.

«  Je ne peux compter que sur toi… »

… mon Dadou. Parce qu’elle l’aimait, et ce n’était pas peu de le dire.

- J’me suis disputée avec Anthéa.  Je comprends pas… elle m’a agressé. Et… Darwin tu sais comme je suis, tu me connais. Je suis peut être une sale conne qui mérite des baffes, mais j’ai pas de mal à voir les limites quand je les franchis, ou quand je suis en tort … ou que la baffe en question est justifiée. Mais là… j’ai rien fais et… j’aimerais comprendre mais j’y arrive pas.  

Aaah la famille. Heureusement que la sienne se limitait à Willow ainsi qu'à Kassim et que ces derniers ne lui prenaient quasiment jamais la tête, sinon cela ferait belle lurette qu'il se serait barré en Papouasie pour élever des ornithorynques ! Anthéa … Le stryge ne la connaissait pas des masses mais sa froideur et sa façon de regarder son amie faisaient en sorte qu'il ne la portait pas dans son cœur. Bien au contraire. Oreste c'était différent car malgré son côté empoté et légèrement ennuyant, il traitait sa sœur comme telle et ne lui rabâchait pas sans cesse sa longue disparition et ses défauts qui faisaient d'elle un tout. Qui faisaient Willow. Il était si simple de cracher à la gueule les torts des autres quand on oubliait les siens. Faible, voilà comment il considérait sa sœur. Mais maintenant il comprenait pourquoi l'alchimiste s'accrochait à lui de la sorte, pourquoi elle pleurait en silence contre son épaule. Ce n'était pas la drogue, ni la fatigue … Juste le contre-coup de la méchanceté d'Anthéa. Si elle était là devant lui, l'immortel lui aurait fait bouffer sa langue de vipère en lui faisant savoir que son comportement était misérable. On ne parlait pas de la sorte à sa famille, encore moins à Willow.

Sa mâchoire se serra mais ses gestes restèrent tendre, caressant à présent ses cheveux pour tenter de la calmer un peu. Une douceur légèrement troublante pour le carnassier qui, sous ses airs de connard, arrivait à apaiser la jeune femme. Peu de personne pouvait se vanter d'avoir vu le côté sensible de Darwin qui tâchait bien de le dissimuler. Se montrer compatissant était une preuve de faiblesse pour lui, n'aimant pas se laisser marcher sur les pieds. Mais là, c'était différent. Tout était différent. Aucune âme sur cette foutue planète n'avait le droit de blesser l'alchimiste sous peine d'être transformée en barquette de viande.

- Dis pas de connerie, Willow ! Ce n'est pas toi la conne dans cette histoire … Je ne connais pas les détails de votre dispute mais pour que tu sois dans cet état, c'est qu'elle a vraiment déconné. Si je la croise, elle va m'entendre cette connasse ! Sa frigidité, je vais la péter à coup de torgnoles dans sa gueule … Elle comprendra enfin ce que souffrir veut dire ! C'est peut-être ta sœur, mais y'a des limites à ne pas franchir avec moi … Et là, elle a posé les deux pieds en dehors de ces dernières.  

Son ton oscillait entre la menace et la froideur que l'on pouvait aussi lire sur ses traits. Darwin se mettait très rarement dans des états pareils mais lorsque Willow était la protagoniste principale d'une emmerde qu'elle ne méritait pas, son masque de gentil petit déconneur se brisait pour laisser place à l'abjecte démon qui sommeillait dans ses entrailles. On ne naissait pas stryge, on mourrait stryge et dès lors, il devait vivre avec cette instabilité constante qui le poignarde à chacune de ses respirations. La vieillesse faisait qu'il était bien plus simple de se contrôler mais une partie de son être restait sombre et un rien pouvait la raviver. L'immortel était bien loin de cette perte de contrôle absolue mais il ne fallait pas jouer avec lui. Ni avec elle. Son regard se posa sur cette dernière qui semblait petit à petit tomber au creux des bras de Morphée, chose qui le rassurait un peu. Qu'elle dorme. Qu'elle oublie l'espace de quelques heures sa tristesse … A son réveil, tout ira mieux, Darwin en était persuadé.

- Je ne peux compter que sur toi…

Ses quelques mots à peine murmurés firent sourire l'ange noir qui la décolla de lui pour l'installer sur ses cuisses. Après tout, Willow n'avait pas tort. Depuis leur rencontre, il avait été là pour tous les événements de sa vie. Les meilleurs comme les pires. Tous, sans exception. Et il comptait bien que cela continue, jusqu'à ce que sa mortalité prenne le dessus sur leur amitié. Rien est éternel malheureusement et les stryges se devaient d'être fort lorsque l'un de leur proche mourrait de vieillesse. Alors c'était pour cela que Darwin refusait de voir les larmes coulées le long de ses joues, de laisser ses lèvres sans sourire et son regard non enjoué. Parce que Willow c'était ça, un soleil qui vous éblouissait et vous brûlait si vous n'essayez pas de la comprendre, de l'aimer telle qu'elle était. De l'aimer. Il fallait être fou pour l'apprécier à sa juste valeur et la folie de l'immortel n'était plus à prouver. De l'aimer. Idiot qu'était cet être millénaire pour ne pas se rendre compte à quel point ce soleil l'avait rendu aveugle. Aveugle d'amour …

- Et bien, cela est amplement suffisant tu ne crois pas ? Allez, dors maintenant … Je serai là à ton réveil, comme toujours.