Un instant de paix. Un moment d'une grande quiétude. Parler de cet enfant à naître a le don d'apaiser l'Alchimiste qui aurait voulu ne plus être quelques heures auparavant. Car cette vie en devenir, cette vie qui avait tant besoin d'eux, était une force à se battre. Une motivation plus grande, plus absolue que toute la souffrance qu'il pouvait ressentir. Il avait été faible. Assailli par l'alcool et ses vieux démons, il avait laissé son corps se soumettre à la matière quant il pouvait faire l'inverse. Voir Avalon manipuler l'alchimie avec autant d'adresse, à la hauteur de ses sentiments, il ressentit une fierté immense qu'elle l'accepte comme ami, qu'elle soit avec lui à travers cette épreuve atroce, et qu'elle lui ait sauvé la vie. Il n'était pas capable de manipuler le fluide comme elle. Ou peut être l'était-il mais n'avait-il jamais essayé, tout simplement. Se contentant d'user de ses connaissances pour la Grande Oeuvre sans jamais utiliser ses pouvoirs autrement. Et puis il songe, avec une évidence rare qui s'impose à lui. Sa peinture. N'est-ce pas sa propre façon d'utiliser son fluide ? De tordre la matière à sa volonté ? De laisser ses émotions passer d’immatérielles à palpables ? C'était peut être cela, sa façon à lui d'utiliser le fluide, de laisser l'alchimie le guider. Cela dont Mara l'avait privé jusqu'alors.

Il comprenait. Il comprenait pourquoi la souffrance l'empêchait de peindre. Il comprenait que ce n'était affaire d'inspiration, non. Seulement du contrôle de son alchimie. Ses sentiments pour la rousse l'avait coupé de son fluide, l'avait privé de contrôle. Non seulement sur lui mais aussi sur toute la matière qui l'entoure. Alors il pense à Diane. Cette poupée déliquescente perdue dans sa fureur d'aimer ce qui fait mal. Il pense à Avalon, destructrice au nom de l'amour. Peut être lui aussi était-il fort ? Peut être serait-il capable de devenir redoutable en dominant sa souffrance pour en faire quelque chose de plus pur, de plus beau ? C'était ainsi qu'il était sorti des abysses et du néant autrefois. Pourquoi ne serait-il pas autant aujourd'hui ? Et c'est encore à cet enfant qu'il pense. Lui qui n'aurait jamais la chance de connaître le bonheur d'être père, y ayant renoncé il y a bien longtemps, quand Caroline était partie. Il contemple Avalon dans sa maternité future, et il pense à son ex-femme fuyant avec leur amour au creux de ses entrailles. C'est son amie qui le sort de sa torpeur, lui inspirant une fierté immense dans ses paroles douces. Sa tête contre son épaule immense, même voûté et affaibli, elle trouvait encore du réconfort près de lui. Et il en fut flatté. Soulagé même. Il soupire.

"J'aime Charles. C'était le prénom de mon père. Un homme bien. Ou Hadrien. Cet enfant sera un conquérant, je le sens. Avec toi pour mère, il sera capable de tout."

Et elle le prouve en le maternant à nouveau. Elle décrispe ses muscles ankylosés, déploie ses jambes immenses pour le faire s'allonger dans la soie propre. Elle recouvre son corps nu couvert de plaies du draps fin et d'une couverte moelleuse. Il ne fait pas froid, pourtant Heathcliff tremble. La peur de l'abandon le prend encore à la gorge et secoue tout son corps de cette angoisse mortifère qui ne le quitte pas. Mais Avalon reste. Elle s'allonge à ses côtés, soutient son regard faible et vide, colle presque son front au sien. Il ferme les yeux, sentant son souffle caresser son visage comme le ferait celui d'une mère qui chantonnerait une berceuse. Il se sent bien. Ni heureux, ni épanoui, non, juste en paix. Le bout de ses doigts fourmillent, et il perçoit le fluide revenir en lui, animer ses extrémités. Il sourit dans la pénombre et pose sur Avalon un regard qui vaut un million de remerciement. Un regard bien plus précieux encore car ils se comprennent sans échanger un mot. Finalement, elle brise leur silence complice pour lui demander d'être ce qu'il ne sera jamais pour Caroline. Son bras entoure doucement les épaules d'Avalon et il l'attire contre lui dans un étreinte chaste. Il s'abreuve de sa chaleur, de sa force, de son espoir pour guérir de ses maux intérieurs. Sa voix est presque un feulement quand il lui répond.

"Il a le don. Je le sens déjà. Je le perçois. Et je serais le plus heureux des hommes de t'aider à faire de cet enfant un Alchimiste digne, et un homme épanoui. Je ferais tout ce qui sera en mon pouvoir pour ton fils, Avalon. Vraiment. Et ... je sais que j'abuse de notre amitié, tu peux refuser bien entendu mais ... est-ce que tu accepterais de m'aider à retrouver ma fille ?"

Lentement, Heathcliff sent les méandres du sommeil s'emparer de lui. Il s'abandonne à l'étreinte de Morphée comme à celle d'Avalon lovée contre lui. Il sent son coeur battre contre le sien, il sent sa chaleur douceâtre, il perçoit la présence de cet enfant à naître, et puis le fluide qui court partout dans son corps. Ce mélange de sons apaisants et de sensations reposantes le portent au bord d'un sommeil réparateur tant mérité. Il n'a pas envie de lutter même s'il a tant de choses à dire à sa tendre amie, tant de projets à faire avec elle, tant de promesse qu'il doit tenir. Il sera pour cet enfant le père qu'il n'aura jamais, le soutien dont il aura besoin, le guide pour apprivoiser son pouvoir. Il honorera son serment car il aime déjà ce bébé, il l'aime comme il l'aime l'idée de sa fille, égarée quelques parts loin de lui. Il l'aime avec l'espoir qu'un jour il finisse par le tenir dans ses bras. Cet enfant à naître extirpe ses idées mortifères aussi vigoureuses que sa mère et c'est dans un cocon d'amour et de tendresse qu'il s'endort enfin. Il ne sent pas Avalon s'en aller. Il ne sent pas non plus le regard qui se pose sur lui, au fond de la chambre, et qui ne le quitte pas depuis des heures. Il ne présage aucunement combien cette soirée changera sa vie à jamais. Car pour l'instant, sa respiration se calme, son rythme cardiaque se régularise alors que les lèvres entrouvertes, il s'abandonne au repos.