Merci à Zohra pour cette superbe idée qui a remporté le concours ! ▬ Une expérience aurait mal tourné ? C'est peu dire ! Car Ottawa semble ce matin baigner dans une étrange brume aux teintes lavandes, plongeant la ville dans une atmosphère surnaturelle. Et pour cause, cette nuit une bande d'Alchimistes s'amusaient à prouver leur talent les uns au autres. Le nez dans les grimoires, mais la tête ailleurs... et là, c'est la boulette ! Une explosion, une onde de choc et cette brume rependue sur toute la ville qui n'augure rien de bon. Ce matin, vous vous réveillerez certainement comme chaque jours de votre vie... mais avec une sensation désagréable, une gène  : Celle d'être dans le mauvais corps. Et voila que c'est le cas ! Enfermé dans une enveloppe charnelle qui n'est pas la votre, c'est la panique ! Qu'il s'agisse de votre compagne, votre petit copain, une amie, un voisin... votre boss... Il va falloir éviter de faire une connerie à votre tour !



Prendre le bus si tôt, avec une météo pareille restera sans doute l’acte le plus idiot de votre vie. Pour ce qui est de la jeune rousse, il semble que cela ne soit pas très étonnant… Mais pour le Stryge, c’est plus coton. Enfin… reflexe imbécile oblige, vous avez sans doute pensé être en total sécurité dans un véhicule conduit par un professionnel. Et vous avez été les seuls, vraisemblablement, puisque le nombre de quiches assises dans le fameux bus se résume à vous deux. Pas moyen d’avancer dans cette purée. Le chauffeur lui-même à couper les gaz, et plié bagage en hurlant comme un goret. Sans vous vous à ce qu’il faut croire, car au moment où vous voulez sortir vous aussi, vous vous rendez compte que la porte est fermée… blague. Pourtant, la brume semble s’infiltrer dans le bus, grimpe sur vous comme un serpent et emplie vos poumons. Vous tressaillez… ce n’est pas naturel ça ! Ca ne sent pas bon !! Un bref regard vers la personne enfermée avec vous, et vous tournez de l’œil… Pour vous éveiller quelques minutes plus tard soit avec une tignasse rousse sur la tête, soit avec une moyenne de deux têtes de plus qu’habituellement… Attention aux vertiges !

Lorsqu'Ashley rouvrit les yeux, elle avait faim, le genre de faim rampante qui donne envie de dévorer le premier truc plus ou moins comestible qui nous tombe sous la main. Cette brume, qui avait su piquer sa curiosité matinale, avait dû la laisser inconsciente un bon moment. L'homme qui se trouvait auprès d'elle au moment de l'incident... Il allait bien ?

La petite bondit sur ses deux pieds, et une douleur soudaine dans le haut de son crâne lui arracha un grognement surpris, étonnamment rendue plus grave par la faim. Ses prunelles sombres se levèrent vers le toit du bus, et la demoiselle se retrouva avec le nez frôlant la paroi métallique. Elle avait dû se cogner la tête en se relevant trop brutalement.

... Wait. What ?

La brume. Elle avait dût rendre les objets plus petits, ou les êtres vivants plus grands. C'état la seule explication logique. Pour elle, ce ne serait que peu problématique, au vu de sa taille enfin bénéfique. Mais pour d'autres, comme cette homme immense qui l'accompagnait et sur lequel son regard se posait enfin... à la longue tignasse rousse... à la petite robe d'été...

Et au parfum floral, doux et odorant qu'elle ne se souvenait pas avoir mis, mais qui lui creusait l'appétit...

La-demoiselle-plus-si-demoiselle demeura un instant parfaitement silencieuse, cherchant à comprendre ce qu'elle avait sous les yeux. Puis, elle baissa le menton, observant la chemise qu'elle portait, les immenses mains qui en sortait, constatant le poids en trop dans son pantalon et, enfin, ces jambes interminables qui lui donnaient quelques vertiges.

Un sourire amusé étira ses lèvres, qui furent bientôt francies par un petit rire incontrôlable. Un son innocent, qui résonna pourtant comme une explosion au creux de ses oreilles, lui arrachant un grimace. Ouch. D'accord. Ouïe fine. Faire gaffe.

Ashley s'assura que son alter-égo n'avait pas besoin d'aide pour se relever, avant de s'appuyer à l'un des nombreux poteaux du bus. Vraiment, elle avait connu des situations bien plus graves et alarmantes, d'où son laxisme. Mais tout de même...

- C'est une façon peu commune de faire connaissance. Je suis Ashley. Nouveau sourire.

Ne souhaitant pas répéter son erreur douloureuse, la petite-géante avait cette fois murmuré. Son regard balaya rapidement la scène extérieure. Malgré ses sens qu'elle devinait plus aiguisés, elle ne discernait presque rien au travers l'épaisse brume. Un plan - que l'on devine soit débile, soit dangereux - commençait déjà à prendre quelques formes floues dans son esprit abîmé.

- Je ne peux que présumer que l'effet sera temporaire, mais en attendant...Ses yeux se recentrèrent enfin sur son corps. C'était bien la première fois qu'elle devait baisser les yeux pour s'adresser à quelqu'un. Tout va bien ?

Un regard à donner des cauchemars la força à rattraper le coup. Ça commençait bien.

- Enfin, je veux dire... Relativement bien ? Rien de cassé ?

Excepté l'orgueil. Mais chut, faut pas rire. Il (elle ?) pourrait mal le prendre.

Il s’était précipité, le brouillard mauve.  Se ruant jusqu’à leurs carcasses pour les engloutir. Alaric s’était rué dans ce maudit bus, sentant le danger par ses sens. La gargouille avait alors admiré avec une appréhension toute inédite les voiles pourpres et surnaturels s’insinuer entre les sillons et autres ouvertures du bus. Un juron craché entre ses lippes fines, et il avait senti avec une impuissance détestable toute cette foutue magie lui picoter les membres.

Puis le néant.

Un,
Deux,
Trois,
Lever de rideau.

Une douleur à la tête. Une migraine étrangère qu’il sent frapper sa caboche avec insistance. Son premier réflexe et de porter ses serres à ses boucles. Mais ce qu’il découvre alors est le premier pas vers la suspicion. Trop de cheveux. Trop de longueur. Alaric râle entre ses dents, découvrant une voix bien trop fine, trop aiguë. Diantre, mais par quel sortilège ? … Il fronce les narines, avise le plafond du bus et l’extérieur. Il a changé de place ? Le Rousseau se redresse maladroitement, sentant ses réflexes le quitter rapidement alors qu’il trébuche un peu en se vautrant. Ses mains s’agrippent à la glace, lui permettant d’aviser deux minettes minuscules aux ongles roses.

« - … Bordel …

Une voix de femme.
Il a une putain de voix de femme.

L’idée ne fait qu’un tour dans sa cervelle avant qu’il n'analyse rapidement la situation. Et c’est avec effroi qu’il se détourne, avisant … Lui-même. Son propre reflet qui s’agite, se cogne la tête et se penche vers lui avec un ... sourire. Alaric l’ignore. S’ignore en reculant, lèvres retroussées. Il est prêt à feuler, mais se souvient rapidement d’avoir avisé une petite rouquine à l’air innocent. Seule autre passagère du colosse de fer.  Autant demander à un chaton de rugir.

- Dégage ! qu’il crache d’une voix trop fluette, repoussant 'sa' patte géante pour se frayer un chemin entre lui/elle et se faufiler dans le couloir du bus.

Il est de mauvais poil, de très mauvais poil. Le voilà dans le corps d’une naine aux pulsions étranges. Ca commence à chauffer. Il avise le bout de ses petits doigts, et analyse rapidement une gerbe d’étincelles timides.

- T’es un Phoenix ?  qu’il demande lentement en … S’observant.

Il doit lever la tête pour aviser son propre corps qui remue devant lui, comme par une magie noire et vicieuse. Alaric a échangé de corps avec un morpion cracheur de feu.

- Répond ! » qu’il rugit, son ton condescendant et abrupte contrastant mortellement avec les vocales douces de son hôte.

Cette carcasse vide qu’il habite déjà avec mépris.

Au moins, se voir d’un autre œil lui permet de certifier ce qu’il a toujours pensé, il a de l’allure. Mais certainement pas avec cette expression affreusement mièvre.

Ohlala. Ça commençait bien. Ashley inclina la tête, observant son propre corps se déchainer avec colère. Visiblement, l'homme prenait la situation avec bien moins de calme qu'elle. Il allait finir par se -par la- blesser, avec ces conneries. Pourtant, la jeune femme refusa d'entrer dans son jeu. Tu veux t'exciter, très bien, mais fais le seul. Elle ne parvenait tout de même pas à se fâcher. La peur pouvait produire toute sorte d'effets chez les êtres vivants. Pour ce qui était de ce qu'elle présumait être un Stryge... Elle n'en savait rien. Et la rouquine n'avait pas spécialement envie de le laisser continuer pour le découvrir. D'autant plus que les étincelles qu'elle avait aperçues au bout de ses doigts n'étaient pas là pour la rassurer.

- Calme-toi un peu...

Le ton était doux, contraste saisissant avec la condescendance ridicule de son interlocuteur. Après tout, son but n'était pas de l'énerver davantage.

- Oui, je suis un Phoenix. Je ne compte pas te faire de mal, même lorsque je retrouverai mon corps. En attendant, il faut te calmer. Tu ne peux pas contrôler les flammes sans savoir faire apparaître les plumes, mais sachant qu'on ne sait rien de cette brume, vaut tout de même mieux éviter les étincelles.

Son immense main passa dans cette chevelure bien trop courte. La petite-géante ne parvenait tout simplement pas à être à l'aise dans ce corps. Toutes ses notions de distance étaient bouleversées. Elle avait cette stature plus imposante et parvenait malgré tout à se sentir plus... Vulnérable.

- Je présume que tu es une Stryge ?

Ça pouvait aussi expliquer sa nervosité. Les rapports entre leurs deux races n'étaient pas très chauds, si on pouvait se permettre le jeu de mot. Et puis, mieux valait le faire parler. Comme ça, au moins, il pouvait pomper et se calmer un peu. Essayer, du moins.

Le Phoenix s'avança vers l'avant du bus, tentant de ne pas trop bousculer son partenaire de mésaventure. Sa patte se posa contre la surface froide et vitreuse de la portière, et ses sourcils se froncèrent dans l'espoir de percer le mur violet face à elle. Sans succès. Si seulement elle avait ses ailes, elle pourrait peut-être tenter de disperser un peu le tout. Et elle n'avait aucun moyen de contrôler celles de son hôte, ni la vision que les humains en auraient. C'était trop risqué.

Ses méninges s'arrêtèrent de tourner un instant, et son regard désormais bleuté se posa sur son corps. Difficile de nier qu'elle était petite, désormais, même si cette simple pensée la rebutait.

- Maintenant, je sais que tu es nerveux, mais tenter de me faire peur pour te calmer, c'est une mauvaise stratégie. Et ça fonctionnera pas. Tu contrôles rien, et tu es tout petit. NE PAS GRIMACER. Alors si tu devenais un peu plus vivable et qu'on tentait de trouver une vraie solution ?

Parce que bon, si la méthode douce n'avait aucun effet, valait mieux tenter de sortir la méthode forte. En temps normal, ça ne fonctionnerait pas. Cette fois, l'orgueil de l'homme avait déjà été mis à mal. Les piques étaient moins difficiles à trouver. La Faë s'installa et croisa les jambes, songeuse. Cette brume devait forcément venir de quelque part. Peut-être qu'en trouvant la source, ils arriveraient à quelque chose. Autrement, un quelconque moyen de produire du vent pourrait au moins aider à dégager la vue.

- ... Ou alors on attend que ça passe. Une magie aussi puissante ne peut pas durer éternellement.

Il enrage. Une ponctuation d’exaspération qu’il contient à l’intérieur de la petite gorge lui gonfle les joues alors qu’il agite l’anatomie dans laquelle il est coincé. Des gestes brusques, et vifs. Mais pas hystériques. C’est pourquoi l’incompréhension déforme ses traits lorsque la rouquine … Lui, sa carcasse à la voix soudainement bien trop fine et délicate, lui quémande de s’assagir. Et lorsqu’elle lui assure ne pas vouloir lui porter atteinte, le stryge temporairement Phoenix s’esclaffe. Alors là, celle-là, elle est bonne.

« - J’ai pas peur de toi, le microbe.

Ironie crasse. Pour le moment, la naine, c’est lui. C’est effroyable ce qu’elle est courte. Tellement minime. A moins que ça soit lui, qui soit plus gisant qu’il l’imaginait. Ardu à dire, il n’a pas été que brièvement petit et rapidement considéré comme un véritable colosse. Dès l’âge de quinze ans. Alors tout voir du bas, ça le fait extravaguer à foison. Saloperie de mioche.

- Comment tu contrôles ça ? qu’il demande d’un ton autoritaire. Il n’a pas de temps à perdre.
Et la voilà qui lui renvoie l’ascenseur. Un Stryge et un Phoenix qui échangent de corps, ça commence comme une mauvaise blague.

- Oui, je suis un Stryge. Et on est déjà transformés, qu’il rétorque en lui jetant un coup d’œil en coin. Ce brouillard ne doit pas vraiment faire davantage. Dans le cas contraire, on serait déjà mort. Enfin …


Petit coup d’œil en sa direction. A ce sujet, le palpitant qui bat dans sa poitrine et anime ses veines bombées d’hémoglobine est un véritable trouble, pour lui. Le Rousseau grimace, peu enclin à montrer cette petite faille.

- C’est ce qui va arriver si ça perdure, qui devrait t’inquiéter, qu’il ajoute pour faire bonne figure. Moi, je suis déjà mort.

Et sans même attendre, il pousse son propre corps sur les sièges et avec une force étonnante, pour la taille de son hôte.

- Et pour ton information, la torche, je ne suis ni effrayé, ni inquiet. Tu loges dans 1500 ans d’âge. J’ai vu pire. »

La gargouille se détourne lentement vers le siège conducteur où il distingue la place vide. Plus de chasseur, soit. La chevelure rousse sur son crâne vole sur ses épaules alors qu’il cherche le bouton de l’ouverture automatique. Un souffle singulier l’alerte, signe que les issues viennent de se défaire et de dévoiler un monde fait de brouillard et de chimères.

- Comment tu contrôles ça ?

- Tu parviendrais à m'expliquer comment tu sors tes ailes et tes crocs ? Moi non plus.

Oulah. Il fallait qu'elle se calme un peu. Ce n'était pas son genre de devenir agressive. Pour le coup, ce grand gringalet commençait à lui tomber un peu sur le système, avec son attitude à la noix. Enfin. C'était probablement presque terminé, et ils ne se reverrait plus jamais, après. Pas vrai ?

Blablabla, je suis déjà mort, niark niark niark. Un fin soupire lui échappa. Il en fallait beaucoup pour faire flipper Ashley. Or, pour l'instant, elle se portait parfaitement bien. Ce n'était pas ce genre de phrases qui lui ferait peur. Même s'il était vrai que tout ça avait un côté... Troublant. Dérangeant. Temporaire, surtout, il ne fallait surtout pas l'oublier. Et toujours prier. Et puis... 1500 ans, quoi. Vieille babiole.

Calme-toi. Il t'a simplement poussée. C'est rien.

La jeune femme prit une grande inspiration, avant de lorgner vers les portes désormais grandes ouvertes. C'était pas une bonne idée. Vraiment. Mais, en même temps, ils ne pouvaient pas demeurer éternellement dans ce bus, qui, avec les sens décuplés empruntés à la Stryge, sentait... Je vous laisse imaginer. C'est avec une tentative de dignité que la demoiselle sortit donc, son regard se baladant aux alentours avec suspicion. Elle finit par se tourner vers... Elle. Lui. L'autre, là.

- Tu connais un endroit à peu près scellé, où la brume ne s'infiltrera pas ? J'imagine que si on évite le contact, l'effet finira par se dissiper.

M'enfin, c'était qu'une simple connaissance de base tirée sans vergogne à Dr House, mais ça lui semblait logique. Ashley leva les yeux vers les toits, tentant de percevoir si la brume s'y rendait ou restait plaquée au sol comme dans un mauvais film. Difficile à dire. Elle devrait bondir pour aller voir, mais elle avait bien trop peur de se viander comme un caca. Remarquez, ce ne serait pas elle qui souffrirait, en théorie.

Néanmoins, sa capacité d'attention d'un petit chiot refit rapidement surface, et la demoiselle se tourna d'un bond vers son alter-égo, les prunelles pétillantes d'espoir et d'une joie difficilement explicable. Un but. Une simple petite demande, toute bête et gentille. Rien de grave. Vraiment.

- Dis. J'ai toujours rêvé de porter quelqu'un sur mon dos, mais tu te doutes qu'avec ma taille, c'pas évident. Alors...?

Elle sautillait maintenant comme une puce. Un grande puce de 1500 ans, mais une puce. Allez, quoi. Ça lui éviterait de marcher en petits talons...