« Luke… T’exagères. Sérieux, t’exagères. C’est la dernière fois, t’as compris ? Va vraiment falloir que t’arrêtes tes conneries… » Il la rendait dingue. Il la rendait folle. A chaque fois, c’était le même discours. A chaque fois. Et à chaque fois, les mêmes conneries. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à l’abandonner. Hors de question. Il était le petit-frère qu’elle n’avait jamais eu, son protégé, et elle le maternait, littéralement. Alors oui, elle se mettait en danger, mettait son boulot chéri en danger, mais elle continuait à effacer son nom des registres après chaque passage d’une patrouille dans des squats, après chaque rapt de toxicos en masse. Elle ne voulait pas le voir finir au fin fond d’une cellule, elle avait encore espoir qu’il se reprenne en main, et… Svetlana ne voulait pas qu’un jour, ce passé puisse lui porter préjudice en figurant dans ses antécédents judiciaires. Après tout, on avait tous droit à une seconde chance, non ? Svetlana y croyait dur comme fer du moins, et était prête à tout pour que celle de Luke se déroule dans les meilleures conditions possibles. Ne restait plus qu’à attendre un électrochoc. Le jour où il se déciderait enfin à changer, pour de vrai.

Svetlana était à son bureau, au téléphone, une tasse de café dans la main, son coéquipier à ses côtés. Le commissariat se vidait à vue d’œil. La garde de nuit ne tarderait pas arriver. Heureusement pour la brune, elle n’en faisait pas partie cette semaine. Elle préférait travailler le jour que la nuit. La nuit, Raspoutine l’attendait. Raspoutine, son chien. Elle le sortait, faisait de grandes balades en forêt en sa compagnie – bien qu’on le lui déconseillait plus d’une fois, trop dangereux qu’ils disaient, mais Svetlana n’en avait que faire – avant de rentrer regarder la télé puis de s’endormir devant. Une vie de vieille mémère ? Sûrement. Elle ne sortait pas autant que les jeunes gens de son âge, elle n’aimait pas particulièrement la fête, elle était bel et bien une fille de la campagne qui privilégiait le calme au bruit, la solitude au chahut et aux attroupements inutiles. Elle aimait son petit train-train quotidien. Ses parents s’inquiétaient qu’elle soit encore seule à son âge, qu’elle ne « construise pas » sa vie, qu’elle n’ait pas de projets de mariage ou d’enfants comme c’est le cas pour certains de ses amis mais… Svetlana ne se projetait pas aussi loin. Elle s’accommodait plutôt bien de son quotidien. Et puis, elle adorait son métier, et ce dernier passait avant tout le reste.

La belle, après avoir vidé sa tasse, la posa sur le bureau. Elle avait un mauvais pressentiment. Elle ne savait pas pourquoi mais… Mais c’était comme une boule au ventre. Le comportement de son supérieur ne lui plaisait pas. Non pas qu’il avait eu le moindre geste agressif envers elle mais… Ses regards, tout le reste… Il avait l’air de bien mauvaise humeur, et la fixait par intermittence à chaque fois qu’elle avait le dos tourné – oui, elle s’en était rendue compte, observatrice la Svet. Joshua… Elle ne le connaissait pas encore très bien, mais il avait l’air d’être une bonne personne. Il lui avait gentiment proposé de la raccompagner lorsque sa voiture était tombée en panne, il y a de cela une quinzaine de jours. Adorable, n’est-ce pas ? C’est donc ainsi qu’elle faisait le trajet de retour avec lui tous les soirs désormais. Bien que là, tout compte fait, Svetlana hésitait à rentrer à pieds vu son humeur qui lui semblait bien massacrante.

Le commissariat finit par se vider. Il n’y avait plus qu’eux deux. Et cette fois-ci, aucun doute, c’était bien elle qu’il fixait. Dans mon bureau ? Elle ne rêvait pas. Il lui avait bien demandé, à elle, d’aller son bureau. Et c’était pas un « va dans mon bureau » tout gentil tout doux. Non non. Oups. D’accord. C’était pas bon du tout. Ca sentait même très mauvais pour elle. Bon, Svetlana. Ca ne peut pas être si catastrophique non ? Inspire. Lève la tête. Et vas y. Elle finit donc par prendre son courage à deux mains, poussant la porte du bureau en question. Grand sourire, bien qu’un peu forcé cette fois-ci, contrairement à d’habitude. « Tu as besoin de moi pour quelque chose ? … Si c’est pour le trajet, ne te tracasse pas pour ce soir, je vais rentrer à pieds, il fait beau et ça me fera du bien de prendre un peu l’air. » Elle espérait que c’était uniquement le trajet. Car en réalité, ce qui l’inquiétait, c’était qu’il ait découvert ses petites magouilles, concernant Luke…

Luke Johnson, ce petit idiot décérébré qui planait les trois quarts du temps. Aucun avenir, aucune personnalité, aucune qualité. Rien ! Alors pourquoi diable Svetlana prenait-elle la peine de s'occuper de lui !? Cela faisait déjà plusieurs fois que le nom maudit du garçon disparaissait des rapports et pas besoin de chercher bien loin qui en été responsable ! Si en plus elle était plus discrète ? Mais non. N'importe qui qui faisait un minimum attention aurait pu le découvrir. La première fois ça m'avait énervé mais j'avais laissé couler, après tout cela montrait l'abnégation dont pouvait faire preuve Svet, une qualité non négligeable dont je manquais cruellement, mais que je savais apprécier chez les autres. La deuxième fois j'avais encore fait semblant de ne rien voir. Je grimpais peu à peu dans son estime et cela aurait risqué de cacher l'avancé de mon projet. J'avais quand même été passablement contrarié et m'étais-je un peu vengé sur des pauvres humains passants devant moi la nuit d'après. Mais cela faisait trois fois et je ne pouvais plus laisser passer ça. Pas par éthique policière, bien sur. Je m'en fichais comme de mon premier slip qu'un drogué échappe à la justice, non. Mais Luke devait disparaître de la vie de ma Svetlana et pouvoir l'envoyer dans un centre de désintox glauque à l'autre bout du pays aurait été très apprécié

Ça explique pourquoi entendre la jeune femme au téléphone avec se junkie m'avais mis dans une colère noire. Le commissariat aurait été vide j'aurais sans doute détruit tout le mobilier. À la place j'avais serré les poings et les dents en essayant de chasser les images sanglantes du corps de Luke une fois que je lui aurais mis la main dessus. Ce n'était pas le moment pour céder complètement à ma rage, déjà parce que je n'étais pas seul et qu'il aurait été fatiguant de devoir faire taire toutes les personnes présentes. Deuxièmement, parce que je risquais de m'emporter un peu trop, et blesser Svetlana était hors de question, pour le moment. Je m'étais donc levé me chercher un café pour dévier mon esprit sur autre chose le temps de reprendre contenance. Une fois rassit à mon bureau dont la porte ouverte et la baie vitrée donnaient sur le reste du commissariat dont je l'avoue, j'avais changé l'organisation à mon arrivée pour avoir Svetlana en vue, j'attendis patiemment que le reste du bâtiment se vide progressivement en lui lançant des coups d'œil, pour m'assurer qu'elle ne parte pas comme une voleuse. Rien d'anormal à ce qu'il ne reste bientôt que nous deux, Svet était connue pour son zèle, elle aimait son métier, quant à moi. Eh bien le commissaire-adjoint peut bien rester tard s'il veut ! Surtout quand il a gentiment proposé de raccompagner un des lieutenants, car sa voiture était tombée en panne, depuis presque deux semaines. Petit plus : Le garagiste n'était pas près de la réparer, je m'en étais assuré.

A peine la dernière personne avait-elle fermé la porte derrière elle que je m'étais levé, me postant à l'entrer de mon bureau. « Dans mon bureau ! ». Je ferma la porte derrière moi, en profitant pour baisser les stores, l'équipe de nuit allait arriver dans peu de temps et  je ne voulais pas être dérangé. Je me rassis dans mon fauteuil trop cher pour un salaire de simple adjoint le temps que la jeune lieutenant ne passe ma porte, elle avait l'air assez tendu, plus que d'habitude. Bien, j'aimais voir que je pouvais intimider les gens. . « Tu as besoin de moi pour quelque chose ? … Si c'est pour le trajet, ne te tracasse pas pour ce soir, je vais rentrer à pieds, il fait beau et ça me fera du bien de prendre un peu l'air. » Le trajet ? C'était bien le dernier mes soucis, au contraire. La raccompagné m'aurait permis de me calmer. J'avais remarqué ça depuis que sa voiture était tombée en panne. Avoir l'occasion de lui parler un peu tous les soirs avait un effet apaisant sur moi. C'était d'ailleurs pour ça que les soirs où ma journée avait été particulièrement fatigante je me permettais pendants une heure ou deux d'utiliser mon don de persuasion pour rester avec elle. Elle avait une vie très humaine, un peu pantouflard certain dirais, mais c'était rafraichissant pour moi. Passer une soirée devant un film pas très bon sur un canapé trop mou au côté de ma future compagne avait quelque chose de détonnant. Quelqu'un m'aurait dit que j'apprécierais cela autant je lui aurais ri au nez avant de la vider de son sang. Mais peu importe ! L'important n'était pas là ! J'étais encore très en colère pour l'histoire de Luke. Je lui fis signe de s'asseoir tout en croisant les mains sous mon menton. « Ça ne me gène pas de te raccompagner, la ville n'est pas sûre la nuit pour une jeune femme, Love. » J'avais peut-être un ton doux, mais mon visage continué d'afficher une certaine colère contenue. Après une pause je repris. « Si je t'ai demandé de venir c'est pour autre chose. Vois tu j'ai remarqué des … Incohérences dans les rapports concernant les squats de drogués. Aucune idée d'où cela peut venir ? »

Dire que Joshua ne l'intimidait pas serait mentir. Elle n'avait pas osé lui demander de la ramener directement, d'ailleurs. Non, il avait dû le lui proposer. Autrement, elle n'aurait jamais osé. Svetlana était bien trop soucieuse de ne pas être un fardeau pour les autres, de ne pas déranger les autres, et puis aller solliciter son supérieur pour qu'il fasse office de chauffeur ? Jamais de la vie. A vrai dire, Svet était persuadée même encore maintenant qu'il ne faisait cela que par générosité et qu'en réalité la ramener chaque soir le dérangeait. Plus vite elle récupérerait sa voiture, moins elle l'importunerait. Après tout, Joshua était le commissaire adjoint, il avait tout l'air d'un homme très occupé, sûrement qu'il avait des choses bien plus intéressantes que s'occuper du cas d'un lieutenant lambda. … Oui, comme vous pouvez le constater, Svetlana ne se doutait pas une seule seconde de ce qui était derrière la tête du Stryge, naïve qu'elle était, encore dans son monde de bisounours qu'elle pensait uniquement constitué d'humains.

Encore à son bureau, elle sentait que quelque chose n'allait pas. Elle n'était peut-être qu'humaine, mais elle était une humaine dotée d'un fort sens de l'observation, et d'une forte intuition. Quelque chose n'allait pas, quelque chose clochait, et les regards de Joshua ne faisaient que le lui confirmer. Elle tenta tant bien que mal de ne pas se tracasser avec ces histoires, tentant de se convaincre qu'elle se faisait uniquement des idées mais... Mais non. L'ambiance n'était pas aussi détendue que d'habitude. Et son malaise augmenta lorsque ses collègues quittèrent tous leurs bureaux. Ne restait plus qu'eux deux. Elle, et Joshua. Joshua qui finit rapidement par l'appeler dans son bureau. Son intuition avait vu bon, visiblement. C'est le cœur serré que la jeune femme s'était alors dirigée vers son bureau, feignant un pas décidé et engagé pour la forme, l'apparence évidemment ; alors que la belle était clairement bien plus tendue que d'habitude. Elle avait peur. Elle avait peur qu'il ait découvert ses magouilles. Elle avait toujours rêvé de travailler dans la police, alors imaginez que cela lui cause des soucis dans son métier... Mais, parallèlement, était-elle capable d'abandonner Luke à ses ennuis ? Il n'était qu'un gamin. Il ne savait pas ce qu'il faisait. Sa raison contre sa bonne conscience, un combat se jouait visiblement, sans que l'une ou l'autre ne puisse l'emporter pour autant.

Joshua lui indiqua de s'asseoir, ce qu'elle fit, d'un air un peu crispé. La ville n'est pas sûre la nuit pour une jeune femme. Ils tenaient tous le même discours, même lui. Il disait que cela ne le dérangeait pas de la raccompagner... Sûrement pour être poli. M'enfin, ce qui la marqua le plus fut son dernier mot. Love. La jeune femme sourit timidement. Une marque d'affection ? De toute manière, elle réfléchissait trop. Monsieur le commissaire avait dû dire cela sans arrière pensées, et sûrement pour être gentil, tout simplement. … C'est qu'elle trouvait des justifications à tout, la Svetlana. Mais surtout pas des justifications proches de la réalité, par contre.
Mais, le pire... Etait sûrement la différence entre la douceur de sa voix, et la froideur de son visage. Il n'était pas content, cela pouvait se sentir à des kilomètres à la ronde. Tiens, peut-être que son Love au final était ironique plus qu'autre chose, vue la situation. La jeune femme retint son souffle alors qu'il lui expliquait la raison de sa présence dans son bureau. Des incohérences, dans les rapports, concernant les squats de drogués... Elle était dans la merde. La jeune femme resta silencieuse au départ. Son malaise pouvait se lire sur son visage. Que faire ? Mentir ? Elle était une très mauvaise menteuse. Dire la vérité ? Trop risqué. « Des incohérences ? Je... Peut-être le hasard, je ne sais pas... » Elle détournait le regard, afin de ne pas croiser le sien : autrement, ce serait trop dur de poursuivre son mensonge. … Mensonge qu'elle était incapable de poursuivre, en fait. Elle finit par se rendre, par tout avouer. « … Oui bon, c'est moi. C'est moi les incohérences. J'ai juste... Eviter de laisser la trace du nom d'une personne... Mais la personne en question ne deale pas, elle consomme, rien de plus ! Et... Cette personne est prise dans un cycle infernal, c'est une addiction, difficile pour elle de ne pas consommer, et ce serait injuste qu'elle se retrouve en cellule pour cette raison... Mais je ne l'ai fait que deux ou trois fois, pas plus ! Et... Je ne l'ai jamais fait pour une autre personne, c'était vraiment un cas particulier... » Elle le regardait de temps en temps, avant de baisser les yeux, honteuse, passant sa main dans ses cheveux. Elle était une très mauvaise menteuse. Faire passer des interrogatoires était dans ses cordes, mais en subir visiblement non.

La légère réaction de Svetlana à ma marque d'affection ne m'échappa pas, c'était peu certes mais ça restait un sourire. Depuis que je tentais de m'approcher d'elle et glissait de temps en temps ce genre de surnom dans nos conversations elle réagissait toujours de la même manière, comme si mon « Love » ne lui était pas destiné, qu'elle ne le méritait pas. Ça me mettait hors de moi, pas contre elle, ce n'était pas sa faute, mais contre ce ou ceux qui l'avaient convaincu qu'elle ne méritait pas mon attention. Digne ou pas, elle l'avait et n'était pas prête de la perdre ! Qu'elle le veuille ou non d'ailleurs. Je n'étais moi même pas en mesure de la délaisser, peut importe mes efforts. La partie de mon esprit qui avait passé des siècles à penser à Valencia avait tourné son attention tout entière sur Svetlana et me semble plus tenace que jamais. « Des incohérences ? Je... Peut-être le hasard, je ne sais pas... » Inutile d'être un détecteur de mensonge vivant pour voir que c'était un beau bobard que j'avais devant moi. En plus de trois cents ans j'avais eu le temps de perfectionner l'art du mensonge et je pouvais me vanter de savoir être très convainquant et de reconnaître vite les tromperies. J'avais beaucoup de choses à lui apprendre ! L'honnêteté n'apportait rien de bon, jamais. Je la fixa du regard, un sourcil levé, elle n'espérait pas me tromper comme ça ? Elle-même ne semblait pas convaincus une seconde par sa justification. « Moi je pense savoir » Si elle était intelligente, et elle l'était, elle n'allait pas continuer longtemps son manège, même sans connaître ma vraie nature elle devait se douter que m'énerver n'était pas une bonne idée, jamais.« … Oui bon, c'est moi. C'est moi les incohérences. J'ai juste... Eviter de laisser la trace du nom d'une personne... Mais la personne en question ne deale pas, elle consomme, rien de plus ! Et... Cette personne est prise dans un cycle infernal, c'est une addiction, difficile pour elle de ne pas consommer, et ce serait injuste qu'elle se retrouve en cellule pour cette raison... Mais je ne l'ai fait que deux ou trois fois, pas plus ! Et... Je ne l'ai jamais fait pour une autre personne, c'était vraiment un cas particulier... » Si on m'avait demandé mon avis Luke pouvait même difficilement être qualifié de personne, plutôt de sous-homme si on voulait utiliser un langage correct, mais mon avis n'était pas demandé, et même si elle ne risquait pas de pouvoir y faire grand-chose Svetlana n'aurait pas aimé entendre le fond de ma pensée là-dessus. Le silence s'installa rapidement après son explication, je ne savais pas encore si j'étais en colère contre son obstination à sauver l'autre drogué ou si son honnêteté et sa dévotion me satisfaisaient. Après tout il fallait que je sois sûr de sa fidélité le jour où elle sera à moi. D'un autre côté ce jour n'arrivait pas assez vite et ma patience avait des limites. Pourtant j'avais bien avancé, elle s'éloignait progressivement des autres et avançait vers moi. Mais il y avait encore des gens comme Luke, il n'était pas le seul, mais celui qui me dérangeait le plus. Comment un pauvre humain aussi misérable pouvait accaparer l'attention de Svetlana plus que moi ? J'étais supérieur en tout face à lui. Prenant une grande inspiration je me pencha légèrement sur mon bureau sans quitter des yeux la brune face à moi.  « Svet … Tu es ma meilleure lieutenante, je ne veux pas avoir a te renvoyer. »» Il y eu une autre pause avant que je reprenne. « Mais si le commissaire l'apprend … Tu mets ta carrière en jeu, pour un … Pour ce Luke. » Je soupira en passant ma main sur mon visage, ayant l'air vraiment préoccupé, ce que j'étais en réalité, mais pas pour les raisons que Svetlana pourrait croire. Son job m'importait peu, flic ou autres choses, ça ne faisait aucune différence.

Okay. Pour une fois, Svetlana était réellement, franchement, assurément dans la merde, pour parler familièrement. Et elle ne savait pas comment elle allait s’en sortir. Elle espérait s’en sortir mais… Mais oui, elle avait conscience de la gravité de ses actes. Elle n’était certes pas une taupe, elle n’était pas corrompue, mais elle avait bidouillé les rapports de police à souhait. Elle n’aurait pas dû, mais elle l’avait fait, et elle le referait volontiers parce que… Luke comptait réellement pour elle. Il était perdu, ce bonhomme. Il avait besoin d’elle, elle le sentait, et elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser à la dérive : elle s’en voudrait toute sa vie. Puis, elle était son unique amie, elle le savait. Elle ne pouvait juste pas le lâcher… Mais elle ne pouvait pas lâcher sa carrière non plus. Véritable dilemme. Elle ne savait pas quoi ajouter, quoi dire, quoi faire. Elle se sentait tellement mal. Pourquoi était-ce si difficile ? Pourquoi devait-elle choisir entre la justice et la loi tout en travaillant dans les forces de police ? Pourquoi ces deux choses étaient-elles dissociées ? La loi voudrait que Luke finisse en cellule à chaque rapt, mais en était-il de même pour la justice ? Non, pas aux yeux de la belle. Il ne le méritait pas. Là, face à son supérieur, elle ne savait donc comment réagir. Tête baissée, se mordillant nerveusement les lèvres, elle se sentait démunie.

Il lui parlait de renvoi. Merde. Putain. Elle releva aussitôt les yeux vers lui. La renvoyer ? La renvoyer, carrément ? Juste parce qu’elle avait été juste ? Juste parce qu’elle avait évité à un pauvre innocent de finir derrière les barreaux ? … D’un autre côté, elle ne pouvait lui en vouloir, il ne ferait que son métier en la renvoyant… Elle ne pouvait le lui en vouloir, de choisir la loi plutôt que la justice, étant donné la fonction qu’il occupait… Mais la renvoyer, quand même. Quand même… « Je… Je sais… Je suis désolée… » Si le commissaire l’apprenait… Mon dieu, elle n’osait pas même imaginer le carnage. Mais… Cela signifiait qu’il n’était pas encore au courant…  Qu’il ne savait pas. Le commissaire ne savait pas encore. Peut-être que… Non. Non, elle ne pouvait pas demander une telle chose à Joshua. Elle ne pouvait pas lui demander de garder ce secret pour lui. Après tout, ils n’étaient pas particulièrement proches, il était son supérieur, certes il la ramenait chez elle depuis que sa voiture l’avait abandonnée mais… Mais elle ne devait pas profiter de sa gentillesse. Sauf qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre. Elle était perdue. Et franchement prise au piège. « Tu penses que… Enfin… Est-ce que je pourrais te demander… De garder ça pour toi, s’il te plait… ? » Elle passa sa main dans ses cheveux, mal à l’aise. . « Je sais que c’est beaucoup et que je te mets dans une position délicate… Mais, s’il te plait… J’ai pas envie de perdre mon boulot, j’adore mon travail et si le commissaire le sait, je suis vraiment fichue… » Elle finit par se lever. « Je vais me débrouiller pour Luke et voir comment arranger son histoire mais… Ca ne se reproduira plus, c’est promis. Faudrait juste qu’il n’en sache rien pour cette fois… Je sais que je t’en demande vraiment beaucoup mais… S’il te plait… »

Elle le regardait cette fois-ci, elle le regardait droit dans les yeux. Elle ne plaisantait pas, elle était très sérieuse. Elle se chargerait de Luke, elle se débrouillerait pour le reste mais... Elle avait besoin d'un coup de pouce. D'un coup de pouce de sa part. Elle ne s'était jamais imaginée un jour se retrouver à demander ainsi une faveur à son supérieur mais... Mais elle n'avait plus le choix. C'était comme si toutes les potes s'étaient fermées. Ne restait plus que lui alors, en dernier espoir. S'il acceptait, il deviendrait assurément son sauveur.

Pendant un moment à mon arrivée au commissariat j'avais envisagé de faire renvoyer Svetlana, la couper du reste du monde pour pouvoir l'approcher plus facilement ? Mais cela c'était avéré plus dur que prévu, non seulement était elle douée et donc précieuse aux yeux de l'administration qui n'était pas très enthousiasme à l'idée de perdre un membre comme elle, mais en plus son envie de justice l'aurait poussé à s'accrocher corps et âme à son travail. Paradoxalement c'était cette même passion pour la justice qui la plaçait dans cette situation, elle jugeait sans doute que son ami toxico avait le droit à la rédemption car en réalité il avait un bon fond et était juste perdu … Ou une autre connerie du genre. Les secondes chances n'existaient pas, se séparer de son passé était impossible, il y avait toujours un squelette pour surgirent d'un placard au pire moment. Je l'avais appris à mes dépends plus d'une fois. Raison de plus pour s'assurer que personne ne vienne s'interposer entre elle et moi, et surtout pas quelqu'un comme Luke.

« Je… Je sais… Je suis désolée… » La voir si inquiète n'était pas aussi amusant que je l'aurais cru, d'habitude voir que j'avais l'ascendant sur quelqu'un était toujours jouissif. Avoir conscience que je puisse d'une manière, ou d'une autre, briser leurs vies et savoir qu'eux aussi le savait, me remplissait toujours d'euphorie. Mais là ce n'était pas exactement pareil, c'était léger; mais bien là, comme un petit pincement à l'endroit ou aurait dû se trouver mon cœur. C'était faible, mais le simple fait que cela est lieu était inquiétant. Je commençais à penser que je commençais peut-être à trop m'attacher à Svetlana. Peut importe à qu'elle point elle m'obsédait il n'était pas question que je m'adoucisse pour autant à son contact. La leçon avait été apprise avec Valencia. Je ne pouvais pas me permettre de faire preuve de faiblesse. J'inspirai silencieusement, chassant ma créatrice de mes pensées, ce n'était pas le moment d'y penser. « Je sais que tu devais avoir tes raisons mais … » Dis-je en la regardant dans les yeux, l'air véritablement préoccupé. « De là à trafiquer les rapports. » Je balançai ma tête de gauche à droite en mimant parfaitement la déception. Ma déception qui n'était au final qu'à moitié feinte. « Tu penses que… Enfin… Est-ce que je pourrais te demander… De garder ça pour toi, s’il te plait…? Je sais que c’est beaucoup et que je te mets dans une position délicate… Mais, s’il te plait… J’ai pas envie de perdre mon boulot, j’adore mon travail et si le commissaire le sait, je suis vraiment fichue… » Je la regardai se lever, essayer de défendre sa place au commissariat comme elle le pouvait. « Je vais me débrouiller pour Luke et voir comment arranger son histoire mais… Ca ne se reproduira plus, c’est promis. Faudrait juste qu’il n’en sache rien pour cette fois… Je sais que je t’en demande vraiment beaucoup mais… S’il te plait… » Honnêtement je n'avais pas prévue qu'elle me supplie si vite. J'étais à peu près sûr qu'elle me demanderai d'une manière ou d'une autre de garder son secret mais j'avais cru que cela aurait pris un peu plus de temps. Elle tenait véritablement à son travail. Plus que ce qu'il m'avait semblé. Je me levai à mon tour, moins rapidement que Svetlana. « Avant tout calme toi d'accord ?» Je contournai mon bureau tout en parlant pour poser ma main sur son épaule et l'inciter à se rasseoir. Je m'appuyai ensuite sur mon bureau. « C'est vrai que tu me demandes beaucoup, je n'aime pas trop l'idée de mentir au patron… » Dis-je sans la quitter des yeux. Ok, celui là était un mensonge énorme, pour quiconque me connaissait vraiment. Je devais monopoliser toute mon attention pour rester crédible. Jouer les gentils adjoints intègres n'était pas dans mon domaine de prédilection. « Si tu me promets que ça n'arrivera plus je pense que je peux fermer les yeux pour toi » Je lui offris mon meilleur sourire faussement sincère, si après ça elle n'était pas éternellement reconnaissante pour mon grand sacrifice et ne me faisait pas aveuglément confiance je ne voyais pas quoi faire d'autre. .

La justice. La justice. Elle avait intégré la police pour faire la justice. Mais était en train d'apprendre, à ses dépends, que justice et loi ne coïncidaient pas toujours. Pour autant, elle ne voulait tout de même pas lâcher l'affaire. Non, ce n'était pas le genre de Svetlana. Elle tenait à son métier. Elle tenait à ce boulot, parce qu'en de rares circonstances, justice et loi coïncidaient, et elle vivait pour ces dites circonstances justement. Elle avait fait tellement d'efforts pour finir à Ottawa, elle, petite fille de la campagne. Elle avait quitté son village natale, elle avait quitté ses parents, elle avait quitté ses amis, et le cadre de vie qu'elle aimait pour venir au milieu de la pollution... Pour ce boulot. Alors oui, la simple idée de le perdre la tétanisait. Elle voulait aider Luke, elle tenait réellement à lui, comme à un véritable membre de sa famille mais... Mais elle ne voulait pas finir pour autant sur la liste de noire de la police. Imaginez, imaginez qu'il lui soit définitivement interdit de pratiquer. Quelle horreur. D'intégrer la moindre brigade. Bon, elle exagérait sûrement, elle n'avait jamais commis la moindre faute auparavant mais...

Mais Joshua avait raison. Ce n'était pas rien. Là était le problème. Certes, bien qu'il ne s'agisse là que de sa première faute... La faute était suffisamment grave pour que les conséquences soient tout aussi proportionnelles à la bêtise. Le regard de Joshua ne la rassurait pas. Son expression ne la rassurait pas. Elle se mordillait les lèvres, nerveusement, s'excusant car ne sachant quoi faire d'autre. Que pouvait-elle bien faire d'autre mis à part s'excuser encore et encore et encore ? Après tout, elle était en tort. Elle n'aurait jamais dû faire ce qu'elle avait fait. A vrai dire, elle ne pouvait pas même en vouloir à Joshua s'il décidait de tout dévoiler à leur supérieur, après tout cela faisait partie de son travail. Ce n'est pas parce qu'elle avait mal fait son boulot qu'elle devait inciter les autres à en faire de même.

Néanmoins, dans un élan de désespoir, elle tenta le tout pour le tout. C'est à dire demander à Joshua de la couvrir, uniquement pour cette fois-ci. Elle avait eu bien du mal à formuler sa requête. Cette idée à elle-seule la mettait mal à l'aise. Elle ne voulait pas le mettre dans une situation délicate, d'autant plus qu'il était adorable avec elle... Car oui, pour Svetlana, bien que le commissaire adjoint soit assez intimidant, il n'en restait pas moins un homme bien, et au service de l'autre. Après tout, il avait proposé de la ramener tous les soirs, et puis, il s'était toujours montré agréable avec elle. Alors oui, la belle en avait une très bonne image. Celle d'un homme de loi droit dans ses bottes. Et demander à cet homme de loi droit dans ses bottes de se faire moins droit pour l'aider... Elle en culpabilisait d'avance.

Et qu'elle ne fut sa surprise lorsqu'il accepta. Tout d'abord, il vint l'inciter à se rasseoir, ce qu'elle fit sous la pression de sa main. Mais surtout. Mais surtout. La sentence tomba enfin. Il était d'accord. Si elle lui promettait de ne pas recommencer, il fermerait les yeux, pour elle. La jeune femme sourit. De son sourire le plus radieux. « Vraiment ?! » Elle semblait être ravie. Et elle l'était. Elle l'était, sincèrement. Sa joie était sincère. C'est comme un énorme poids qui venait de se délester de ses épaules. « Joshua... Merci. Merci du fond du cœur... Je te promets de ne plus recommencer. » Elle ne perdait pas son sourire, et ne le quittait pas des yeux. Voilà qu'en une soirée, le Stewart était devenu son héros. « Je ne sais pas comment te remercier... Tu es trop gentil, et moi je ne t'attire que des ennuis. » Elle rit un peu. C'était l'impression qu'elle avait. Il la raccompagnait avec sa voiture, voilà maintenant qu'il couvrait l'une de ses frasques : le pauvre se retrouvait constamment à lui rendre des services, et elle... Elle avait l'impression de ne lui attirer que des ennuis et de n'être utile à rien. « Je sais que ce n'est pas grand chose mais... Je peux t'inviter à boire un verre ? Ou à manger un bout ? » Elle ne savait pas trop quoi lui proposer d'autre. Elle ne le connaissait pas encore suffisamment pour être au courant de ses goûts, mais sûrement que si elle le savait, elle s'arrangerait pour lui offrir ce qui pouvait lui faire plaisir. Il le méritait grandement, aux yeux de la jeune femme.