S'il y avait bien une chose que Willy savait, c'était bien qu'il ne devait pas trop attendre pour se nourrir, pour s'abreuver de sang. Sauf que ces derniers jours, ces dernières semaines plutôt, il avait été justement à l'opposer de sa nature de Stryge. En ayant son travail de bénévole dans un centre pour homme battu, en travaillant dans un fast-food, il ne fréquentait que des humains, il provoquait sa soif et tentait de la contrôler. Sauf qu'à force, son besoin de sang devenait tellement fort, tellement puissant qu'il ne se contrôlait plus une fois en pleine chasse. Pour preuve, il venait d'attaquer un homme, ce qui ne lui arrivait jamais, et l'avait pratiquement vidé de son sang. Heureusement, l'Amérindien s'était repris au bon moment. Après avoir hypnotisé sa victime, il avait pris ses jambes à son cou dans les rues de Westboro Village, la peur au ventre. Il ne devait pas recommencer. Pourtant, il n'avait pas fait ça pour être méchant ou cruel, il avait voulu essayer de se contrôler. Et c'était la plus mauvaise partie de lui qui s'était montrée. L'expression était un échec, elle ne devait absolument pas être renouvelée. Rapidement, il allait devoir reprendre son rythme de chasse, même si pour les Faës, et sans doute pour le reste du monde, comme il était un Stryge, il était mauvais, Willy voulait continuer à ne pas mettre la vie des humains en danger. Pas plus que nécessaire en tout cas.

Sa course finie dans un dédale de rues assez... sales, et quand l'Amérindien releva la tête pour voir les bâtiments et l'allure plus général du quartier, il réalisa qu'il s'était perdu dans un côté peu fréquentable d'Ottawa. Enfin, perdu était un bien grand mot, puisqu'il suffisait au suceur de sang de sortir ses belles ailes, puisque maintenant il savait comment les sortir, mais là tout de suite... l'envie n'était pas là. Pour se calmer, pour chasser les pensées sombres qui le hantaient, puisque de toute évidence, il s'en voulait d'avoir ainsi perdu le contrôle de lui-même, la marche était plus que conseillée. Restant plus que jamais sur ses gardes, Willy avança... tout droit, essayant de se repérer dans ce labyrinthe de béton gris et d'ordures traînantes. Sans doute que bon nombre de ses semblables adoraient ce genre d'endroit pour se débarrasser de leurs victimes ou quelque chose du genre, personnellement, ça ne lui vendait pas particulièrement du rêve. Tout en jouant au foot avec une vieille boîte en fer, et en fermant bien son manteau autour de lui, il jetait des coups d’œil à droite et à gauche, au cas où il croiserait quelqu'un, mais quelque chose attira son attention. Une odeur en particulier. L'odeur du sang.

Ce n'était pas une odeur très forte, non, c'était quelque chose de très fin, ce n'était qu'une petite quantité de sang qu'il y avait à proximité, pas ce qu'il avait eu sous le nez quelques minutes plus tôt. Intrigué, et puis de toute façon, sa soif de sang n'étant qu'en grande partie assouvie, Willy suivit cette odeur jusqu'à un entrepôt d'où provenait des bruits, des bruits de bagarres. Des gens se battaient. Ce qui expliquait la fine odeur de sang. Et les quelques cris. Il y avait une espèce de bruit sourd aussi, venant des coups des corps l'un contre l'autre. Particulièrement curieux, le Stryge se glissa par la porte entrouverte et constata avec un fin sourire qu'il avait raison sur la moitié de ses constatations. Des combats. Des combats d'arts martiaux visiblement.
C'était sans doute parce qu'il avait un côté animal, mais l'Amérindien avait toujours adoré voir des hommes se battre. S'était un débordement de testostérone, de sang et de virilité qu'il appréciait regarder. Ça lui rappelait l'époque où il était encore dans son petit clan, quand de nouveaux arrivants cherchaient à les rejoindre, mais qu'ils devaient tester leurs forces. Ah ben oui, c'était purement bestial, mais il adorait. Avec un large sourire sur les lèvres, Willy se glissa dans l'entrepôt et se colla au mur pour profiter du spectacle, tout en se faisant le plus discret possible.

Au départ, bien installé, bien peinard, Willy était persuadé d'être tranquille et surtout de ne pas s'être fait remarqué, mais si. Il avait fallut que si. Quelqu'un l'avait vu. Bordel. Et en plus, on le prenait pour un de ces combattants. Il avait vraiment la gueule d'un mec qui se bat ? Enfin, il était bien placé pour savoir qu'il ne faut pas se fier aux apparences, mais là, pour le coup, il aurait bien aimé qu'on le croit vraiment faible. En plus, il ne savait pas se battre. La dernière fois qu'il avait essayé, c'était en compagnie de Zsoka, mais ça avait été un vrai fiasco. En plus de s'être fait humilié par son amie, il avait dût se rendre à l'évidence : il ne savait absolument pas se battre. Mais vraiment pas. Quand il était dans son petit clan de Stryge, les autres le protégeait toujours, si bien qu'il n'avait pas à se battre. Avec des yeux de merlan fris, il restait là, contre le mur, essayant de comprendre ce que son interlocuteur lui disait. Un asiatique, très charmant, et... déjà en position. Déglutissant, il leva les mains devant lui.

- Euh... non, mais non... Je ne suis pas... enfin... j'étais par là...

"Je traînais dans le coin après avoir pomper le sang d'un mec assez costaud quand j'ai sentis l'odeur du sang et de la testostérone. Je viens juste me rincer l’œil, rien de plus," pensa l'Amérindien, mais clairement, il ne pouvait pas dire ça, il risquait de passer pour un pervers. Et on risquait même de lui botter les fesses, pas dans le sens où il le voulait, parce qu'il était une "tapette". Dans un sens, s'il se faisait battre, il pourrait se faufiler dehors assez vite avant que le moindre hématome ne se soit formé et que l'on se demande où il était passé. Soupirant, le Stryge s'approcha en s'attachant les cheveux et se mit maladroitement en position. Il ne savait même pas quel genre de combat l'Asiatique pratiquait. Ce qui serait probablement une véritable boucherie. Enfin, quelque chose du genre. Pour être un peu plus à l'aise, Willy retira sa veste, histoire de retirer le plus de handicap possible, et se remit en position.

- Vas-y doucement, d'accord ? Je... j'ai pas l'habitude de tout ça. Est-ce que... y a des coups interdits ? Ou un truc du genre ? Y a une manière particulière ?

Oui, bon, là, si son "adversaire" n'avait pas compris qu'il était un bleu, et bien... c'est qu'il était vraiment idiot. Même si attention dériva quelques secondes sur les autres duos au combat. Cette fois qu'il était plongé dans leur ambiance, le Stryge perdait quelque peu la tête. Mais pas à cause du sang ou quoi que ce soit. C'était justement la trop forte dose d'hormone masculine qui le perturbait. Chaque fois que ses paupières se fermaient, il se sentait comme envolé vers un tout autre monde. Un monde bien différent, mais où la violence, ce genre de violence contrôlée, avait sa place. C'était ça les vraies relations entre hommes, il y avait beaucoup de tension positive, un véritable rapport de force, de temps en temps un combat pour la dominance, un soupçon de respect aussi, et beaucoup, beaucoup, de virilité.

Willy retourna à la réalité assez vite, en rouvrant tout simplement les yeux, tout en essayant de calmer ses sens, non parce qu'il ne se contrôlait pas, il pourrait avoir ce genre de réaction honteuse qu'il n'était pas particulièrement conseillé d'avoir en ce genre de lui. Il se racla la gorge, même si ça lui faisait un peu mal suite à son angine, enfin bref, l'Amérindien tenta de se ressaisir un peu et fit un petit signe de tête à son "adversaire".

- C'est bon, je suis prêt. Enfin, je crois.

Concentration, concentration Willy ! Sauf qu'avec les combattants qui s'agitaient de plus en plus, le taux de testostérone qui montait encore plus, et le jeune homme qui s'était approché pour le guider et l'aider à se positionner, c'était vraiment difficile d'arriver à se concentrer sur une chose bien précise, et technique. Il secoua la tête plusieurs fois dans le seul but de se remettre les idées bien en place et soupira légèrement, espérant d'ailleurs que son "professeur" ne l'entendit pas. Il tenta d'obéir, de suivre ses instructions, mais au lieu de mettre le poing gauche en avant, il mit le poing droit, étant effectivement gaucher. Ceci dit, malgré la tentation plus qu'enivrante de la situation, le "jeune" Stryge trouvait ces conseils bienvenues, il avait l'impression d'être de retour dans son clan, avec la différence que cette fois, on s'occupait de son éducation de combat. Alors certes, il avait toujours cette impression d'être un sacré boulet doublé d'un ignorant, mais il était aussi très content qu'on s'occupe de lui et qu'on veuille bien lui expliquer les choses. Alors d'accord, d'habitude, il apprenait bien plus vite, mais c'était surtout parce qu'il arrivait à se concentrer. Là, ça risquait d'être compliqué. Si au moins on pouvait aérer tout ça, laissé un courant d'air passé, il pourrait se raccrocher à quelque chose. Ou plutôt, il ne serait pas tenté de se concentrer sur autre chose.

Le Stryge parvint cependant à garder un minimum de cervelle à l’écoute pour suivre le petit discours du jeune homme, visiblement très passionné par ce qu’il faisait. Bon, au moins, il avait envie de partager ça avec lui, c’était pas plus mal. Bien qu’il en ressorte seulement les principales informations : pas les parties génitales, pas le visage et pas la troisième personne qui n’était pas avec eux pour cette fois-ci. Enregistrer. Se sentant relativement ridicule dans cette position, surtout qu’il sentait ses chaussures glisser légèrement sur le seul, Willy dût se repositionner deux ou trois fois avant d’avoir la bonne. Toujours avec ce sentiment d’être hautement ridicule et d’avoir une énorme cible dessinée sur tout le corps et la tête. Enfin, il avait déjà eu la bonne idée de s’attacher la crinière, une gêne de moins. Et puis, il entendit : « Allez montre moi ce que tu as dans le ventre ! ». Il n’allait pas être déçu du voyage. Ce qu’il avait dans le ventre c’était une force surhumaine, une rapidité bien développée, même pour son espèce, des ailes et… une malchance à toute épreuve. Ce combattant n’avait sans doute jamais eu affaire à un adversaire aussi pitoyable que lui.

- Euh… d’accord…

Réponse hautement utile, mais il fallait bien que l’Amérindien lui signifie qu’il avait compris, qu’il allait se lancer, même s’il mettait du temps à le faire. Parce qu’après tout, il ne savait pas par où commencer. S’il fouillait dans ses réflexes premiers d’agressivité, c’était les crocs qu’il sortait. Ce qui était fortement déconseillé. Ensuite, il y avait de donner un coup de poing en plein visage. Or, tous les deux s’étaient mis d’accord pour ne pas faire ça. Du moins, le jeune homme lui avait demandé de le faire. Qu’est-ce qui restait ? Viser le ventre. Et contrôler sa force. Parce que s’il le touchait au niveau du thorax, il lui ferait vraiment très mal. Se raclant une nouvelle fois douloureusement la gorge, Willy tenta cependant une approche, du moins, il commença à tourner autour de son adversaire du moment, cherchant à étudier ses mouvements. S’il était un total ignorant des combats, il savait cependant étudier le danger, les éléments et la situation pour se sortir d’un mauvais pas. Merci ses origines et son enfance. Et puis, c’était sa façon aussi de s’adapter à cette position absolument pas naturelle, qui le faisait un peu loucher par moment sur son propre poing. Allez, du nerf Kaniethi ! Montre que tu es un fier indien d’Amérique ! Et pas que tu es un Stryge, de préférence.

Après quelques secondes de réflexion, Willy fini par approcher d’un pas pour tenter de mettre un coup de poing dans l’estomac du jeune homme, mais comme il fallait s’y attendre, ses chaussures dérapèrent, le faisant presque trébucher. Il se rattrapa cependant, s’étant vu faire un presque-grand-écart-improvisé, bien qu’il évita de relever les yeux vers son adversaire, ne voulant pas le voir se foutre de sa gueule. Quelque part, il profita de la situation pour tenter sa chance, mais son poing rencontra ses bras qui faisaient barrage. En soit, il aurait très bien pût forcer et lui casser les os, mais ce n’était absolument pas le but. Il retira assez vite son poing pour se reculer de quelques pas et attendit la riposte, zieutant absolument tout chez le jeune homme qui pourrait lui donner de indices sur ses actions.

-Même pas besoin de me faire tomber, je le fais déjà tout seul...

Willy eut un petit rire nerveux, comme si essayer de le distraire, de faire de l'humour pourrait lui donner un quelconque avantage. Peut-être que s'il se ramassait lamentablement, son adversaire serait trop mort de rire pour combattre ? Après tout, c'était une technique comme une autre.