Un prétexte pour te voir et en savoir plus. Allez, crache le morceau. » Gabriel

Gabriel & Hécate

La vente de ce chalet, je crois que je ne vais pas la faire. Non pas parce que mon envie est retombée, mais parce que le commercial est tellement étonné qu’il n’a de cesse de me demander, en me faisant visiter les lieux, si je suis certaine de mon choix. Je lui réponds par la positive en entrant dans le salon où, dans le fond, de l’eau goutte. L’homme rougit en apercevant ce détail qui n’était visiblement pas là lors de sa dernière visite. Elle doit au moins datée de plusieurs jours ; l’eau a fait des dégâts sur les murs. C’est humide, c’est vraiment dégradé, mais je garde le sourire. « Vous… Vous savez, je comprendrai que la visite s’arrête-là. » Me dit-il, en se grattant la nuque, gêné. « Mais non, je me fiche de ça. Ce n’est qu’un détail, ça se répare. Je n’aurais qu’à placer un seau en-dessous du trou le temps des réparations. » Ses yeux s’arrondissent, sa bouche s’entrouvre ; il doit me prendre pour une cinglée. « J’aime vraiment ce chalet. » Dis-je, en tournant sur moi-même, observant l’endroit dans lequel je vais vivre d’ici peu. « Il y a une cheminée. J’adore les cheminées. » Je désigne le coin de la pièce, près des fenêtres. « C’est là-bas que j’installerai mon sapin. Un vrai sapin, avec de très belles branches vertes et à côté de lui, je placerai un sapin, plus petit, qui aura fait son temps, mais qui aura mérité un dernier Noël. » C’est un rituel depuis des années. Je me rappelle que mon ex-mari pensait que je n’étais pas sérieuse, mais je l’étais bien. J’ai tendance à apprécier les causes perdues. Les fêtes de fin d’année sont pour moi les plus importantes. Elles dépassent de loin la Saint-Valentin, Halloween… « Bon, eh bien… » Hésitant, il sort la paperasse qu’il me fait signer. Je ne serai sans doute pas tranquille avec les papiers durant quelques semaines et s’il y a bien une chose que je n’aime pas, c’est me plonger dedans, mais ça vaut le coup.

Après avoir discuté des modalités, il me serre la main et s’en va, tout penaud. Il ne doit pas en revenir. Il vient de vendre la demeure qui, depuis des années, n’a pas intéressé une seule personne. C’est lui-même qui m’a fait cette confidence, pensant certainement que ce détail me ferait enfin ouvrir les yeux. Je m’appuie contre l’encadrement de la porte avec dans une main, mes nouvelles clés et dans l’autre, mon téléphone portable. Avant le rendez-vous, j’étais restée pendant une heure bloquée sur le numéro de Gabriel. Et je refais la même chose à la seconde même, cherchant un prétexte pour lui parler. Je ne suis pourtant pas du genre à tourner autour du pot, mais ça fait trois ans que nous sommes séparés et que le contact a été rompu. Un « Hey Gabriel ! Ca fait longtemps ! » serait malvenu. D’autant plus que c’est loin d’être naturel… Et puis, ça fait tilt. Il y a quelques minutes, j’ai vu un chat qui semblait être en mauvaise santé. Tout en l’appelant, je me mets à sa recherche, observant le moindre recoin qui entoure le chalet. Déterminée, j’arrive à le retrouver. Il est tout noir et son allure me semble correcte, mais Gabriel n’est pas censé le savoir. Je l’attrape dans mes bras, le protégeant avec mon manteau du froid et après avoir fermé la porte du chalet, je me dirige vers le zoo de Westboro. Il est dix-sept heures. Ca devrait être ouvert. Le chat miaule, tente de s’échapper, mais je le retiens avec des caresses qui semblent l’apaiser. Lorsque je me présente à l’entrée, l’homme à l’accueil insiste pour que je paie ma place pour voir Gabriel. « Ce n’est qu’une visite. Ca ne prendra pas longtemps. » « Il faut payer votre place, je suis désolé. » Hypocrite, il ne l’est pas. « C’est ridicule, je ne vais pas payer une place pour parler à un ami, sans même faire le tour du zoo ! » « Mais ça, je ne le sais pas. Qui me dit que vous n’êtes pas une escroc qui tente de m’arnaquer ? » « C’est grave. C’est de la paranoïa. Avez-vous songé à consulter ? » Comment ça je me fais insultante ? Je lâche un soupir et sors de la monnaie pour payer la place. Bon sang. Dépenser de l’argent pour rien m’énerve, mais la bonne nouvelle est que j’ai enfin accès à la zone. C’est près des cages des singes que j’aperçois la tête de cet homme qui m’est familière. Gabriel n’a pas beaucoup changé en trois ans. Du moins, physiquement. Le cœur battant, je réduis la distance, cherchant les mots que je pourrais lui sortir. Lors de notre conversation, il y a quelques années, je lui ai demandé de veiller sur Oreste et je me suis effacée peu après. L’idée que Gabriel puisse se retrouver entre nous ne me plaisait pas et je n’avais nullement envie qu’il joue le rôle d’un grand-frère, ou même d’un ami. Je souhaitais qu’il le fasse avec Oreste. Mon inquiétude ne s’est jamais dissipée, mais tant qu’il était là, j’étais toujours plus rassurée. « Bonsoir. Gabriel. » Soufflé-je, en levant aussitôt le chat. « J’ai trouvé ce chat près de chez moi, il m’avait l’air mal au point et… Enfin j’ai préféré venir te consulter, toi, plutôt qu’un autre. » Quelle menteuse. « Et puis ça me donnait l’occasion de passer par ici… Je suis de retour depuis peu. Tu ne le sais sûrement pas. » Bien sûr que non, Hécate, il l’ignore, c’est sûr. « Comment vas-tu ? » Dis-je, histoire de me reprendre.

Hécate & Gabriel

"Parfois, le silence est la meilleure réponse"

« - Reviens-ici, bon sang !
-Attrape-moi si tu le peux ! »

Gabriel adorait les animaux, peut-être un peu plus que les êtres humains à vrai dire mais parfois, ils lui tapaient sur le système de manière titanesque ! Les mains sur les hanches, le menton relevé et les yeux fixés dans l'arbre, il toisait le petit gorille qui faisait des siennes en remuant son postérieur de victoire. Un long soupire s'échappa de ses lèvres et il abandonna pour le moment, faisant demi-tour pour s'occuper de la cage en premier. BAM … Une petite balle multicolore roula vers ses pieds après avoir percuté son crâne de plein fouet. Une mine hébétée s'afficha sur son visage, les yeux exorbités d'abord par le surprise, puis la colère. Oooh le petit … ! Ni une, ni deux, l'alchimiste lui fit face à nouveau et gueula sous les regards amusés des visiteurs:

- Descend de là ou je viens te chercher !

Le singe ne bougea pas et dépité, Gabriel décida d'aller le rejoindre et le faire descendre de force. Laissant son flux l'envahir, son instinct animal prit le dessus et il s'agrippa à la première branche avant de monter avec autant d'agilité que ses compères primates. Son pouvoir avait de sérieux avantages dans des cas comme celui-ci ! Son ascension évoluait rapidement, si bien que le gorille tenta d'aller jusqu'à la cime pour être hors de portée du soigneur. Cela dit, un « Bonsoir Gabriel » le coupa dans son élan et, tournant la tête vers cette voix, il lâcha d'une main la branche pour se balancer mollement et voir d'où provenait cette salutation. Ses yeux captèrent une silhouette qui lui était familière et reconnu Hécate, brandissant tel Simba sur le rocher, un petit chat qui pestiférait entre ses mains. Elle ? Ici ? Fronçant les sourcils, l'ami des animaux se demandait s'il ne rêvait pas mais non, elle était bien là. Devant lui. Après trois ans d'absence. Plus qu'étonné par cette apparition, il lui répondit sur un ton hésitant :

- Bonsoir Hécate … Attends, je fais le tour et j'arrive ...

Secouant la tête, il lança un regard au primate avant d'abandonner, de retrouver la terre ferme et de sortir de l'enclos pour s'approcher de son ancienne amie. Ils ne s'étaient pas revus depuis le divorce avec Oreste et sa présence ici le déstabilisait légèrement.

- J’ai trouvé ce chat près de chez moi, il m’avait l’air mal au point et… Enfin j’ai préféré venir te consulter, toi, plutôt qu’un autre. Et puis ça me donnait l’occasion de passer par ici… Je suis de retour depuis peu. Tu ne le sais sûrement pas. Comment vas-tu ?

Prenant le chat dans ses bras qui sembla se calmer instantanément, Gabriel fit un rapide check-up et remarqua qu'il était en bonne santé … Seulement un peu maigre signe qu'il devait certainement appartenir à personne. Deuxième froncement de sourcil suite à ses paroles. Il ne savait pas trop comment prendre ses dires … Etait-il devenu qu'un simple vétérinaire pour elle ? Ne pouvait-elle pas passer chez lui ou l'appeler pour reprendre contact ? Surtout après trois ans de silence certes compréhensible mais tout de même, l'excuse du chat soit disant malade le laissait grandement perplexe.

- Et bien non … Je n'étais pas au courant mais ça va … Et toi ?

Toujours aussi confus, Gabriel tenta de deviner la vraie raison de sa venue et craignait le pire. Si le sujet « Oreste » revenait sur le tapis, cela allait être le malaise garanti ! Lui souriant tout de même, car Hécate restait pour lui une grande amie, il caressait distraitement le félin qui ronronnait au creux de ses bras sans pour autant la lâcher du regard. Après un moment de silence assez gênant, il prit son courage à deux mains pour lui demander avec franchise et sincérité :

- Tu n'es pas venue juste pour faire un coucou et me ramener cette petite bête n'est-ce pas ? Je ne suis pas crédule Hécate … Je sais bien qu'il y a une autre raison. On ne réapparaît au bout de trois ans de la sorte ou alors je me fais des idées !

Non, l'alchimiste n'était pas vexé, juste un peu surpris et prit de court ! Se trouvant un peu sec alors que ce n'était pas du tout son intention, il rajouta non sans un nouveau sourire plus grand :

- En tout cas, je suis heureux de te revoir ici ! Trois ans ça fait long tu ne trouves pas ? Qu'est-ce que tu es devenue depuis tout ce temps ?

Gabriel & Hécate

Evidemment qu’il ne le sait pas. Je n’ai pas daigné lui envoyer un seul texto pour le prévenir de mon retour et pour cause, je ne savais pas quoi lui dire sur le moment. Je ne me voyais pas m’incruster de nouveau, quand bien même le courant passait très bien entre nous, après notre dernière conversation et je m’étais jurée de ne pas changer d’avis, mais c’est plus fort que moi. Il y a des zones d’ombre que j’ai besoin d’éclairer. « Je vais bien, ça va. » Je crois. C’est évident qu’être de nouveau ici m’apporte beaucoup, que je suis plus heureuse à Ottawa, que je ne l’étais à Paris et Londres. Mais il y a toujours un manque quelque part. J’observe le petit chat dans ses bras ; ça y’est, il a compris qu’elle allait bien, que je n’étais pas venue là pour cette petite boule de poils. J’espérais qu’il ne me grillerait pas aussi facilement, mais l’idée n’était pas si… brillante. Je détourne un instant le regard, lui donnant raison par la même occasion. « C’était une visite intéressée, je te l’accorde. » dis-je, sans le contredire. « Le chat n’était qu’une excuse bidon. Je ne suis même pas sûre qu’il aille vraiment mal… » Il semblait aller bien, lorsque je l’ai vu tout à l’heure, mais je ne suis ni médecin, ni vétérinaire.

Soulagée qu’il soit ravi de me voir, j’arrive à décrocher un sourire à mon tour. « Je suis désolée. Désolée de ne pas t’avoir prévenu. A dire vrai, rares sont les personnes à savoir que je suis à Ottawa. » Elles l’apprennent petit à petit, au fil de mes appels, ou des rencontres hasardeuses. J’avais besoin que les choses se passent en douceur. « Mais je suis heureuse de te revoir, moi aussi. » dis-je, en caressant le pelage de l’animal. « Ca fait bien trop longtemps, tu veux dire. Je ne sais même pas comment j’ai fait pour survivre sans… tout ça. » J’écarte les bras, non pas pour désigner le zoo en lui-même, mais bien la ville entière, les gens qui s’y trouvent, la nourriture. Les plats français ont beau être excellents, je trouverai toujours quelque chose pour dire que ceux de ma ville canadienne sont meilleurs. « Ils cherchaient des vétérans à l’Opéra, j’ai sauté sur l’occasion pour revenir. Et oh… Tu sais… A part la musique, pas grand-chose en fait. » C’est dingue, mais j’ai l’impression qu’en trois ans, à part avoir continué ma route musicalement parlant, j’ai fait du surplace. Je suis bloquée à une période de ma vie et je n’arrive pas à tourner la page. « Si ! J’ai signé pour un chalet en très très mauvais état, mais plutôt sympathique. Il me plait. » Je me fiche de savoir le temps que je devrais mettre pour retaper cet endroit. La motivation est là. J’ai su dès que j’ai mis les pieds à l’intérieur que j’étais chez moi. « Et toi, de ton côté ? Quelles sont les nouvelles ? » demandé-je, en regardant autour de nous. Il y a des visiteurs qui s’amusent du primate qui faisait des siennes il y a quelques minutes encore. « Gabriel… Tu as dix minutes devant toi ? Pour prendre un café, un chocolat, ce que tu voudras. On pourrait discuter un peu. Ailleurs. Ou même dedans. En marchant, je ne sais pas… » Ne souhaitant plus tourner autour du pot, j’avoue la raison de ma présence : « Il faut que je te parle. De… Oreste. Ecoute. » enchainé-je, en posant ma main sur son bras. « Avant de me dire non ou de me trouver n’importe quelle excuse pour fuir, j’aimerais que tu m’écoutes. Je suis la première à t’avoir demandé de prendre soin de lui, la première à ne pas t’avoir interrogé sur l’objet de notre séparation, mais je suis certaine que tu en sais plus que moi. » C’est son meilleur ami, Gabriel doit avoir été mis dans la confidence et ça me rend dingue d’être la principale concernée et de pédaler dans la choucroute. « J’ai besoin de comprendre. Il s’est passé quelque chose et je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. » Pourtant, je n’arrête pas de repasser en boucle les derniers mois, l’accident, ce petit garçon… La façon dont tout s’est dégradé ensuite, mais j’étais persuadée que notre couple allait survivre à tous ces obstacles. J’ai raté quelque chose, mais quoi ?

Hécate & Gabriel

"Parfois, le silence est la meilleure réponse"

-Je vais bien, ça va. C’était une visite intéressée, je te l’accorde. Le chat n’était qu’une excuse bidon. Je ne suis même pas sûre qu’il aille vraiment mal…

Gabriel fixa un instant le petit animal blottit dans ses bras. Il le savait, il l'avait pressenti. Le chat allait très bien cela dit, l'alchimiste était inquiet de la vraie raison de sa visite. Il n'y avait qu'un sujet qui pouvait la faire revenir vers lui de la sorte : Oreste. Non pas qu'il ne voulait pas parler de lui, c'était un plaisir de converser sur son meilleur ami mais avec elle, cela risquait d'être un peu plus complexe. Lui savait à peu près les tenants et les aboutissants de leur divorce et craignait que cela soit ça cette fameuse raison.

- Je vois … Non, il est en parfaite santé, ne t'en fais pas pour lui !

Heureusement pour lui, l'échéance de la discussion « intéressée » fut reculée de quelques minutes, le temps pour Hécate de parler un peu d'elle. Alors comme ça, elle était finalement revenue vivre à Ottawa … Il était à la fois heureux de la retrouver parmi eux et perplexe sur ce qui allait suivre car il était évident que les deux anciens amants allaient se recroiser un jour même si la ville était bien assez grande pour s'éviter un moment. Ses yeux se posèrent sur l'humaine et on pouvait y lire une certaine inquiétude cachée par son sourire banane habituel. Cela lui faisait tout drôle de la revoir ! Elle continuait de lui parler, de son nouveau job et son chalet en piteux état puis ce fut à son tour de lui donner de ses nouvelles, ce qui allait être compliqué car sa vie était bien routinière depuis qu'il était arrivé au Canada :

- Si tu as besoin d'un coup de main pour les travaux de ta maison, n'hésite pas, je me ferais un plaisir de t'aider ! De mon côté et bien … Pas grand chose de nouveau, je bosse, je mange, je dors comme tout bon citoyen qui se respecte … Rien de bien spectaculaire !

Un petit rire suivit ses paroles, posant finalement le chat au sol car celui-ci commençait à s'impatienter grandement. Il râlait tout en s'en allant ce qui lui fit penser à Mojito, sûrement encore entrain de roupiller dans son panier à la maison. Cette feignasse n'avait pas voulu venir aujourd'hui mais Gabriel n'allait pas s'en plaindre, un peu de repos pour ses oreilles ne pouvait lui faire que du bien.

- Gabriel… Tu as dix minutes devant toi ? Pour prendre un café, un chocolat, ce que tu voudras. On pourrait discuter un peu. Ailleurs. Ou même dedans. En marchant, je ne sais pas… Il faut que je te parle. De… Oreste. Ecoute.

Et ce fut parti. Il poussa un soupire un peu las, pas très enclin à aborder ce sujet délicat mais la main d'Hécate sur son bras prouvait qu'elle n'allait pas en démordre ni le laisser partir avant d'avoir eu certaines réponses. Bon, puisqu'il fallait en venir à ça, l'alchimiste se contenta de hocher la tête et lui fit un petit signe pour qu'elle la suive dans la salle de repos. Tout en marchant, il lui laissa une nouvelle fois la parole, bizarrement bien peu bavard :

- Avant de me dire non ou de me trouver n’importe quelle excuse pour fuir, j’aimerais que tu m’écoutes. Je suis la première à t’avoir demandé de prendre soin de lui, la première à ne pas t’avoir interrogé sur l’objet de notre séparation, mais je suis certaine que tu en sais plus que moi. J’ai besoin de comprendre. Il s’est passé quelque chose et je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.

Alors qu'il posait sa main sur la poignée de la porte, il stoppa tout geste pour se retourner vers elle. Oh que oui, Gabriel en savait bien plus qu'elle mais cela lui semblait normal … Elle n'avait pas à être mise au courant sur le surnaturel. Pour ça, il comprenait tout à fait Oreste, il voulait simplement la protéger du danger qui pouvait découler de sa connaissance sur eux. Il savait les humains trop curieux et cela les menait souvent à leur perte. Leur monde n'était pas à envier sur le leur, plus simple et plus doux. Comme pour retarder sa réponse, il ouvrit enfin la porte avant de la laisser passer et de rentrer à son tour puis de se diriger vers la machine à café :

- Je ne me souviens plus trop, tu es plus chocolat, café ou thé ?

Son ton était hésitant mais le cubain tentait du mieux qu'il pouvait de ne pas paraître perturbé. Il ne devait en aucun cas laisser voir qu'il gardait un secret bien que cela lui était fichtrement difficile … La trop grande honnêteté semblait parfois être un vilain défaut. Commandant ce que Hécate avait choisi, il posa les deux gobelets sur une table avant de s'y installer et faire face à la jeune femme toujours en quête de réponse. Que lui dire ? Il devait mentir, c'était certain. Ce n'était pas son rôle de tout lui dévoiler et puis il ne voulait pas le faire. Buvant un peu de son café pour prendre le temps de réfléchir à une réponse, il se lança enfin :

- Je ne sais pas si j'en sais plus que toi ou non … Votre séparation m'est aussi très obscure. Et puis même si c'était le cas, je ne suis pas du genre à trahir un secret, tu m'en vois bien désolé ...

Grillé pas grillé ? Gabriel ne saurait le dire … Mentir était loin d'être sa spécialité ! Alors il reprit comme pour se rassurer d'être juste dans ses paroles mais il aurait mieux fait de se taire :

- Ecoute Hécate, parfois il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir. C'est plus facile à dire qu'à faire bien entendu mais la vie est ainsi faites … Avec ses lots de surprises et de secrets. Je ne sais vraiment pas quoi te dire là-dessus, si vraiment cela te chagrine, essaye de le recontacter ! Je suis sûr qu'il ne serait pas contre une discussion … Enfin je crois.

Deuxième soupire. Boulet.

Gabriel & Hécate

C’est vrai, je suis nerveuse. J’ai toujours apprécié la présence de Gabriel. Cet homme est quelqu’un de bon, qui n’est pas là pour faire du mal autour de lui, qui donne beaucoup et ce n’est donc pas de le revoir qui me stresse, mais bien ce qui va suivre. Je prends quelques secondes pour reprendre mon souffle, observant l’animal qu’il tient dans les bras et qui n’a aucun problème. C’était ridicule de me cacher derrière lui, mais elle a au moins eu le don de me donner le courage nécessaire pour me planter devant lui. Je balaye d’un geste de la main ses paroles, avec un doux sourire sur le visage. « Ne t’en fais donc pas pour ça. Mais c’est sympathique de te proposer, merci. » Il a bien d’autres choses à faire, bien plus importantes que de m’aider à reconstruire un chalet qui tombe en ruine et je m'en voudrais de l'asséner d'une nouvelle tâche alors que nous venons tout juste de nous retrouver. Mais j'apprécie... Vraiment. « Vraiment pas mieux qu'une petite routine dans laquelle tu sembles t'être engouffré ? » demandé-je, en levant les yeux au ciel, suivi d’un rire, à mon tour. Ah. S’il y a des choses qui changent, d’autres restent comme je l’ai laissées et ça a quelque chose de rassurant.

Le suivant jusque dans une petite salle, en silence, je commence à imaginer ce qui pourrait bien suivre, si je sortirais avec un bonus, ou si, tout simplement, je rentrerais chez moi, avec les poches aussi vides qu’elles ne le sont actuellement. « Thé, s’il te plaît. » Je m’installe à la table, face à lui, comprenant ce que je savais déjà : Gabriel ne m’en dira pas plus. Et moi qui suis du genre à insister ne le souhaite pas, là. Au fond, je crois que même si je suis passée le voir pour avoir des réponses à mes questions, je n’en attendais pas moins de sa part. J’aurais attendu de la part de mes plus proches amis, Emma et Nicolas, qu’ils se taisent aussi, qu’ils ne me trahissent pas. Je comprends, je ne lui en veux pas. « Ne le sois pas. Même si… C’est évidemment frustrant… C’est respectable. » dis-je, en enroulant mes mains autour du gobelet brûlant, ne pouvant me résoudre à laisser tomber, à baisser les bras. C’est ce que j’ai fait durant trois ans, en essayant de taire toutes mes interrogations et je suis de retour au même point qu’à mon départ d’Ottawa. « Bien sûr que je vais le recontacter. J’ai besoin de savoir, de comprendre. Je suis concernée. Et c’est évident que ça me… peine. » Je me suis abandonnée dans ses bras, j’ai laissé toutes mes barrières tombées, une à une et ce, sans même que je ne m’en aperçoive. Il a su me toucher en un regard, quelques sourires et une conversation lors d’un rendez-vous qui aurait pu se terminer avant même d’avoir commencé, si je n’avais pas essayé de le mettre à l’aise. Cette relation, j’y tiens comme la prunelle de mes yeux, comme mes doigts qui me sont importants pour faire vivre le violon de mon grand-frère. Peu importe la gravité de ces secrets, il faut qu’Oreste m’en parle. « Tu crois que me voir lui fera plaisir ? » J'ai envie de croire que oui, que ma future visite ne le dérangera pas, qu'il ne m'a pas oublié. J’aimerais creuser un peu, mais je préfère dévier sur autre chose : « Tu as rencontré quelqu’un ? » Il faut parfois creuser un petit peu. Oreste m'avait parlé de sa situation, de son histoire, de sa fille, de Sygrid. Je ne suis pas certaine qu'on puisse tourner la page après une histoire aussi forte que la sienne, mais peut-être qu'en trois ans, les choses ont évolué.

Hécate & Gabriel

"Parfois, le silence est la meilleure réponse"

« Vraiment pas mieux qu'une petite routine dans laquelle tu sembles t'être engouffré ? » Cette question le fit sourire légèrement. Et bien non, la vie de Gabriel restait bien routinière mais il ne s'en plaignait pas, au contraire. Cela le rassurait même. Il avait besoin de repère, de calme, ce n'était en rien un aventurier. Une vie banale pour un type banal, voilà ce qui lui permettait d'avancer sans flancher. Il estimait avoir vécu assez de situations périlleuses pour avoir le droit à une certaine stabilité, surtout à son âge. Alors qu'ils étaient assis l'un en face de l'autre, leur gobelet fumant entre les mains, Hécate délivra enfin la vraie raison de sa venue et l'alchimiste se devait de rester vague sur la raison du départ d'Oreste. Une humaine ne pouvait comprendre réellement ce qu'il se passait et il avait préféré préserver son innocence envers le monde qui la côtoyait de près. Aux yeux des sans pouvoirs, ce monde se révélait merveilleux, magique à l'instar d'un conte de fée mais malheureusement c'était loin d'être le cas. Il était certes constitué de créatures plus ou moins bienveillantes mais il cachait aussi des monstres sanguinaires. Il en avait fait lui même l’expérience et se souvenir réveilla en lui de sombre pensée. Cela dit Hécate reprit la parole et le sorti de ses songes :

- Ne le sois pas. Même si… C’est évidemment frustrant… C’est respectable. Bien sûr que je vais le recontacter. J’ai besoin de savoir, de comprendre. Je suis concernée. Et c’est évident que ça me… peine. Tu crois que me voir lui fera plaisir ?

Gabriel prit le temps de boire une gorgée de son café bouillant tout en observant la jeune femme complètement démunie. Il comprenait son état, à sa place il aurait fait la même chose. C'était presque tragique, surtout en sachant que leur amour était fort et indestructible. Il avait fallu un malheureux accident pour que tout s'écroule du jour au lendemain. En y repensant, ils étaient assez similaires là-dessus. Tournant par automatisme son alliance autours de son annulaire, il soupira un peu tout en réfléchissant à sa dernière question. Si Oreste sera content de la revoir ? C'était difficile de savoir … Connaissant le Technokinesiste cela allait plus le perturber qu'autre chose. Non. En fait, il était persuadé que cela lui fera plaisir malgré son secret. Il ne l'avait jamais oublié sa petite humaine. Ce fut donc avec un ton léger et un hochement de tête qu'il lui répondit :

- Oui bien sûr, il sera heureux de te revoir ! Je peux même t'aider si tu veux. Par contre, évite de venir le voir avec un pauvre animal errant pour l'assaillir de questions … Ce n'est vraiment mais alors vraiment pas une bonne idée !

Il se mit à rire franchement en revoyant la tête de ce chat blasé de s'être fait kidnapper de la sorte. Il ne lui en voulait pas, c'était même plutôt amusant mais bon, avec Oreste ça ne passera pas. Quoique … Elle pouvait essayer avec un grille pain, cela attirait peut-être son attention qui sait ? N'empêche, l'alchimiste se trouvait déjà bizarre de pouvoir parler avec les animaux mais la première fois qu'il avait vu son ami tailler la bavette avec son ordinateur, cela lui avait fait tout drôle.

- Tu as rencontré quelqu’un ?

Le rire disparut immédiatement. Comme ça, de but en blanc ? Gabriel se figea, écrasant inconsciemment le gobelet en plastique d'où le liquide noir brûlant s'échappa pour atterrir sur sa main. La douleur le fit réagir et il grimaça en plaquant son autre main sur sa blessure. Merde. Nerveusement, il se leva pour fuir dans un premier temps le regard de Hécate puis pour passer sa brûlure sous l'eau froide. Rien de grave. Sa réaction était même exagérée mais il avait besoin de lui faire dos un instant avant de lâcher un très peu convainquant :

- Que je suis maladroit ha ha … Ha.

Si il y avait un sujet à ne pas aborder avec lui, c'était bien celui-là. Dans le mille, Emile ! Il poussa un léger soupire avant de prendre une éponge et de venir nettoyer sa connerie. La réponse était bien évidemment non. Non il n'avait rencontré personne. Du moins pas pour ce genre de relation. Gardant le sourire pour sauver la mise et ne pas paraître touché par cette question, Gabriel fit comprendre à l'humaine d'un simple signe de la tête que non. Son cœur appartenait et appartiendra toujours à la même femme … Même si cette dernière avait disparue de sa vie. Cela pouvait paraître pathétique surtout de nos jours mais c'était comme ça qu'il fonctionnait. L'amour, on ne pouvait le transmettre qu'à une seule et unique personne.

S'asseyant à nouveau en face de l'ex-Deslauriers, il tripota ses doigts comme un tic et il tenta de calmer ce geste. En vain. Alors pour attirer l'attention de son interlocutrice ailleurs, il parti sur un tout autre sujet :

- Et ce fameux chalet, il se trouve où alors ?

Gabriel & Hécate

« En fait, oui… Je veux bien de ton aide. » Pas pour ce qu’il croit. Je ne compte pas lui demander de jouer l’intermédiaire, ou de me dicter ma conduite, pour ne pas mettre Oreste dans l’embarras. Je connais assez bien mon ex-mari pour savoir comment m’y prendre avec lui, même si je me doute qu’en trois ans, il s’est passé des choses dans sa vie. Je n’ai pas envie d’apprendre qu’il ait refait sa vie et je pourrais très bien demander à Gabriel de m’en dire plus à ce sujet, mais la réponse m’effrayant, m’oblige à me taire. Le silence n’est pourtant pas la bonne solution pour tout, mais je crains que si c’est la réponse à laquelle je ne souhaite pas m’attendre, je ne m’en remette pas. Je garde espoir qu’il ne m’ait pas oublié. On ne peut pas passer un coup de chiffon sur huit années de vie commune, impossible. Cette vie entre nous a tellement été parfaite, avec des hauts et des bas, mais ces derniers nous ont aidés à consolider ce que nous avions construits. Je ne peux pas croire que tout soit passé à la trappe comme par magie. « J’ai besoin que tu me donnes son adresse. Est-ce qu’il a changé ? Ou est-ce que c’est la même adresse que notre ancienne ? » Je suis passée devant, une fois, juste comme ça, mais sans m’y attarder trop longtemps. L’idiote. J’aurais dû prendre mon courage à deux mains et aller sonner à la porte pour savoir si le propriétaire était bien Oreste, ou s’il avait vendu la maison à quelqu’un d’autre. Cette dernière option me fend le cœur, tant j’aime cette maison et tous les souvenirs qu’elle y renferme. « Et je te promets de ne pas lui rendre visite avec un ordinateur en panne dans les bras. » dis-je, dans un sourire. J’aurais pu ! C’est bien mon genre de faire ce genre de trucs débiles.

Et aussi de mettre les pieds dans le plat. C’est une boulette qui a pour conséquence une brûlure. « Gabriel, ça va ? » demandé-je, en le suivant du regard. Je tente de visualiser les dégâts, mais il est dos à moi. Ce n’était peut-être pas le moment, finalement. Je me mords l’intérieur de la joue et lorsqu’il revient, m’efforce de lui sourire. Le sujet le touche, je le sens. « C’est dommage. Tu es plutôt bel homme. » Mais je ne m’attarde pas plus sur le sujet. Je marche un peu sur des œufs, alors après avoir prise une gorgée de ma tasse de thé, je saute sur l’occasion qu’il me tend : « A Westboro. Je n’ai pas pu me résoudre à quitter le quartier. » C’est ici-même que je vivais avec Oreste autrefois. C’est un bel endroit qui me plaisait, dans lequel j’avais mes habitudes et c’est vers lui que je suis revenue sans trop d’hésitation. Bien évidemment qu’il y a de nombreux souvenirs, dont la rupture qui est douloureuse, mais il y en a des biens meilleurs. La majorité que je me plais à revivre en passant dans certains endroits. « Je crois que si tu le voyais, tu me traiterais de folle. » Il est tout sauf le cocon parfait dans lequel on aime séjourner. « C’est là-bas que j’ai trouvé ce petit chat. Je crois qu’il s’est perdu en cours de route. » Il doit avoir une famille, au vu du tatouage que j’ai aperçu sur son oreille. Quelqu’un doit le chercher. « Tu vas bien, Gabriel ? » demandé-je, soudainement inquiète, à cause de ma bourde de tout à l’heure. J’ai peur que ses souvenirs lointains ne lui fassent pas du bien. Je pose ma main sur la sienne et tout comme lui pour moi, j'aimerais qu'il sache que je suis là pour lui.

Un prétexte pour te voir et en savoir plus. Allez, crache le morceau. » Gabriel

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