Histoire
Maintenant, je suis invincible.
J'en étais à mon troisième jour dans cette cellule de huit pieds carrés, où la lumière donnée par les bougies dispersées dans le sous-sol était faible. Avec moi, un voleur qui, on pouvait le deviner à son attitude, s'était plus fait entubé qu'autre chose. Je mettrais ma main à couper qu'il était tombé dans de mauvaises mains dont les propriétaires lui avaient promis un avenir meilleur. Quelle connerie. Il devait sûrement être un peu simplet ou complètement désespéré. Les meilleurs idiots. Je l'intimidais, et il restait toute la journée dans un coin de la médiocre cellule, essayant de s'endormir ou réfléchissant d'un air absent en grattant son ongle sur le mur en béton. Ils auraient au moins pu mettre une tapisserie, franchement.
Moi, le seul moment où je touchais le mur c'était pour faire des traits. J'en étais à mon troisième. Le plus souvent je tournais en rond, dans ma cellule où je discutais avec un autre prisonnier, le voisin de gauche. Lui, c'était un assassin aguerri mais il n'avait jamais rencontré de pirate avant. Du moins pas à sa connaissance.
« -
Et il m'avait dit que pour sa défense, il était le descendant de Christophe Colomb, je ricanai et mon interlocuteur pouffa aussi,
quelle connerie. Peut-être que s'il n'avait pas dit cela, il s'en serait tiré avec une balle entre les deux yeux, mais il a fallu qu'il me prenne pour une idiote. Ce type ne méritait que la planche, j'étais assise près des barreaux, le crâne et le dos contre le mur. J'observai mon colocataire qui trembla au mot de la planche. Il avait sûrement peur de l'eau. Ou mes propos étaient trop... méchants, pour lui. »
Un bras sur un genou et une main sur mon ventre, j'éprouvais un énorme ennui ici. J'avais pris l'habitude des grands espaces tels que l'océan et me retrouver ici me donnait un arrière-goût amer. Mon navire me manquait. Mon équipage me manquait. J’espérais qu'ils s'en étaient tous sortis. Et même qu'ils avaient repris la mer. Pour moi c'en était fini. Alors coincée dans ce trou, je ne pouvais que parler pour passer le temps. C'était bien la première fois que je parlais autant en trois jours. Et puis tous ces criminels manquaient de présences féminines donc entendre ma voix devait les réchauffer. John, lui, ne se lassait pas d'entendre mes aventures.
« -
Je parie qu'il a tremblé comme une catin, devina-t-il, de sa voix rauque et qui pourrait en faire trembler certains. Je hochai la tête, le sourire aux lèvres, bien qu'un mur nous séparait.
-
Pour sûr qu'il l'a fait ! Je me vantai avant que le grincement de la porte principal ne s'ouvre. Cela voulait dire « visite ». Nous arrêtions de parler, attendant de voir la personne qui avait fait son entrée. Je crus halluciner en le voyant s'approcher, et un rire nerveux me sortit de la bouche. Quelle belle puterelle. Je me levai, et me tins debout face aux barreaux. Qu'allait-il encore me dire, « C'est pour l'amour de Dieu » ?
Il était propre sur lui, et encore une fois, personne ne daignait parler en sa présence. Par peur d'être injurieux.
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Que me vaut la venue d'un corrompu de ton gabarit ? Lui crachai-je gentiment à la figure. Il se présenta à la porte de ma cellule et me sourit. J'aurais tout donné pour le lui faire bouffer. Il me fit un signe de la main pour m'intimer de tendre l'oreille et il prit la peine de se rapprocher des barreaux pour être au plus près de moi. Rien que son souffle dans mon cou me donnait l'envie de vomir, et ses yeux perfides, j'avais envie de les lui crever dans une douleur mortelle.
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J'ai quelque chose à te dire ma fidèle, dit-il à haute voix.
-
Je ne te permets pas de m'insulter, fidèle ? Laissez-moi rire, deux minutes. Tout chez lui m'énervait aux plus aux points. Il ne méritait que l'enfer, s'il existait vraiment. »
Il commença son récit, en murmurant de la plus faible des voix. Ses paroles coulaient dans mon oreille, et me violaient l'esprit. Je gardais ma main sur mon abdomen fermement, par réflexe de sécurité. C'était le pire des scélérats, et ce qui me faisait le plus chier c'est que jamais il n'en payera les conséquences. J'avais attendu quinze ans pour qu'il me dise cela, qu'il crache enfin le morceau. Et il le faisait quand mon sort était scellé. Par ses soins, en plus. Je transpirai de colère tellement ses mots étaient pire que mes attentes. Et quand il finit, j'avais la mâchoire crispée et les yeux noirs de haine. Il se recula, les traits doux, et le même sourire innocent. Ses paroles avaient été horribles à entendre. Perversité, cruauté, mensonges, mensonges. Oh que non, je ne t'aurais pas suffi. Il disait cela pour me faire culpabiliser. Quelle enflure !
« -
Notre père te pardonnera, et il partit comme cela. Me laissant seule derrière lui, sans armes, complètement affaiblie et vaincue. La porte grinça de nouveau et le bruit se coupa en un grand claquement qui raisonna dans toutes les cellules. Je tremblai de colère, j'en avais même les larmes aux yeux. Il avait réussi à me faire perdre mes moyens. Je me vengerais. Je voulais, mais je ne pouvais pas ! J'étais enfermée dans cette putain de cellule et j'allais mourir.
-
Pourquoi il est venu pour toi ? Demanda John. Je reposai mes fesses sur le sol froid, les nerfs vifs et prêts à exploser. Je devais reprendre mon calme.
-
Tu as eu devant tes yeux, le pire homme de tous les temps. Cruellement intelligent, terriblement profiteur, et pédophile,
et pervers. »
Je passai mes mains devant mon visage puis dans mes cheveux sales. J'étais humiliée jusqu'à la moelle par ce fils de catin, et c'est lui qui allait m'accompagner dans mes derniers instants. Je ne pouvais rêver pire.
« -J'ai gagné, Annabelle. Et te voir, ici, me fait durcir.
Demain, je te montrerai le chemin vers la mort, et je demanderais à voir ton corps ensuite. Je dirais « c'est pour le rituel de notre église » mais ce sera loin d'être le cas. Mmh... j'ai hâte qu'on se retrouve seuls, tous les deux... Et puis je te laisserai pourrir au fond d'une cave, mangée par les rats et les insectes...
Et j'admets que tu me fais un peu pitié et comme maintenant que tu n'es plus un danger pour ma réputation auprès de mes fidèles, je peux donc te le dire. Oui, tu as raison. Tu n'as pas été la seule. Je pensais qu'en te déposant dans cette maison close, tu deviendrais une bonne fille, et que tu suffirais à mes plaisirs mais il a fallu que tu sois plus intelligente, plus forte que les autres. Si tu ne voulais pas que les gens souffrent, il ne fallait pas te rebeller... A demain, ma belle. »
***
« -
On se réveille ! Un officier tapa ses clefs sur les barreaux dans un bruit strident, nous sortant tous de notre sommeil. Enfin, moi je n'avais pas dormi. Peut-être somnolé. Je savais qu'on venait me chercher. Le garde se présenta devant ma cellule, un sourire des plus vulgaires sur les lèvres, et il ouvrit la porte. Je me levais simplement, en tendant les poignets.
-
Prête pour le grand saut, poupée ? Il rit comme un homme saoul, et peut-être qu'il l'était vu sa démarche. Pour la première fois de ma vie, je n'avais même pas envie de me battre, de lui en foutre une dans les couilles pour son surnom débile. Il me mit les menottes dans le dos, et je passai de l'autre côté des barreaux. Il ferma derrière moi, et me tira vers la porte principale, vers ma mort. »
Arrivée dans la dernière salle où j'aurai les yeux ouverts, je remarquai qu'il y avait plein d'hommes de la justice, quelques policiers, un bourreau et pour finir, mon père. Et par là, j'entends celui qui m'avait conçue. L'homme bourré essaya de faire bonne figure, et m'emmena devant mon bourreau. Dans d'autres circonstances, j'aurais proposé un verre à ce dernier. Il me plaça sur une trappe en bois. Et l'autre commença le lecture de sa chère bible. Je ne l'écoutais même pas. Je le regardais seulement. Il fallait le reconnaître, il était bon comédien. J'avais tellement de haine, qu'elle me dépassait et en le regardant, je ressentais un énorme vide en moi. Comme le calme avant la tempête.
« -
Tu me suceras en enfer, tu sais cela ? Lui demandai-je avec autant d'insolence que je le pouvais. »
Il m'ignora et les autres étaient choqués. Pour eux c'était plié : je méritais ma mort rien que pour cette phrase. C'était l’Église qui se foutait de la charité... Puis enfin, je n'entendis plus sa voix insupportable. On me passa une corde au cou, puis un épais sac noir sur la tête. Peut-être histoire que je suffoque déjà avant l'acte. Ou alors parce que voir un visage souffrir du manque d'air était trop pour ces petits hommes de noblesse. Pendant mes dernières secondes, j'ai tout envoyé baladé et j'ai pensé fort à mon navire, en souhaitant de tout mon cœur sa survie.
Puis en un claquement de doigt, le sol s'en est allé et je suis tombée au bout de la corde. Je suffoquais en gesticulant dans tout les sens, par réflexe mais j'attendais seulement de mourir. Qu'on en finisse une fois pour toute. J'ai pensé un instant à mon bébé, et j'ai senti une énorme douleur au ventre. Peut-être que je lui sauvais la mise en ne le mettant pas au monde... et si au contraire, il aurait fait de ma vie quelque chose de meilleur ? J'aurais aimé penser à lui un peu plus souvent, il m'aurait donné le goût de l'espoir. Mais il fallait croire que je n'étais pas faite pour c'est chose là, et que quelque part c'était un coup du destin. Puis ma conscience m'a quittée et je suis morte ainsi. Dans l'humiliation, la solitude, la tristesse et la haine. Cela devait être la fin. Une fin misérable pour une femme comme moi.
Et puis un jour, ma conscience surgit de nulle part. Je me suis retrouvée en plein milieu d'une forêt. Je me souviens avoir marché sans pour autant sentir le sol sous mes pieds. Je me suis arrêtée devant une rivière. J'avais l'esprit complètement vide, et je me demandais où j'étais. Je me souvenais clairement de ma mort, et je me suis dis que peut-être j'étais dans une sorte de... paradis ? Ça me paraissait tellement irréaliste. S'il existait vraiment, je ne le méritais pas. St Dismas était... une erreur de ma part. Une erreur de croire que je pouvais avoir un bon fond. J'ai voulu me regarder dans mon reflet, alors je me suis agenouillée devant l'eau. J'ai penché ma tête au dessus de l'eau claire et là, je n'ai rien vu. Comme si je n'existais pas, je voyais le reflet des arbres, du ciel et des nuages qui me paraissaient bien réels. Mais aucun trait de mon visage en vue. Peut-être que j'hallucinais. Mais comment expliquer qu'après la mort, j'avais encore une conscience et une vision ? J'ai marché. J'ai erré longtemps au milieu des arbres et puis je suis tombée sur une grande cabane en plein milieu des bois. Comme attirée, je suis rentrée dedans sans même toquer. Et puis, j'ai vu une jeunette. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans. Elle lisait un livre, lunettes sur le nez. Par son comportement, j'avais l'impression que son physique ne correspondait pas.
Elle a levé les yeux, vers sa porte d'entrée, vers moi. J'ai suivi son regard et j'ai tourné la tête vers la porte. Je n'avais pas eu le souvenir de l'avoir fermé ni même ouverte.
-
Je t'attendais, elle avait une voix douce : très calme et apaisante. Elle s'est levée de son fauteuil et m'a tendue la main. Je l'ai saisie. Elle m'a accompagnée jusque dans sa salle d'eau, et là-bas, il y avait un grand miroir. Je la voyais à travers, mais moi, non. A mon emplacement, je voyais le mur derrière moi. J'ai froncé les sourcils et je l'ai regardée, comme si elle saurait me donner des réponses.
***
« - C'était une rencontre pour le moins décisive dans ma vie. Je naviguais depuis trois jours sur l'océan Atlantique et cette fois, la mer était avec nous. Je faisais souvent le voyage, Amérique du Nord-Ouest/Afrique de l'Est. La vente d'esclaves payait bien. Et c'était aussi un bon moyen de recruter des hommes pour mon navire, notamment pour le ménage le temps d'un trajet. De toute façon, ils ne pouvaient pas s'enfuir, la plupart ne savait pas nager. J'avais accosté sans encombre, et le même homme qu'à chaque fois m'avait accueillie. M. Winshester, vendeur de nègres, était aux pieds du ponton à peine celui-ci installé.
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Bien le bonjour, Monsieur, dis-je, arrivée à sa hauteur. Je m’arrêtais pendant que plus de la moitié de mon équipage s'en allait à leurs loisirs comme à chaque fois qu'on touchait terre. Mes cheveux lâchés, et ma large chemise blanche qui n'était plus vraiment de cette couleur se balançaient au gré du vent. M. Winchester était pour moi un idiot heureux. Il était aisé de l'arnaquer, car il n'était décidément pas bon en affaires et pourtant paradoxalement ils avaient les meilleurs nègres de toute la ville et il était un aristocrate marié et père de deux enfants. Nous étions au mois d’août et sa peau clair se reflétait au soleil. Par ces beaux temps et le pays où il résidait, il ne bronzait jamais, toujours emmitouflé dans un costume de gentilhomme dont je craignais que les boutons explosent par son gros ventre.
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Bonjour Madame. J'attendais votre venue ! J'ai déniché de très bons nègres qui feront de parfaits esclaves, s'exclama-t-il en se frottant les mains. Je le suivis, prenant toujours le même chemin que les fois précédentes et j'arrivais sur la place du quartier, où déjà un rassemblement d'hommes se tenait devant une énorme cage, elle-même posée sur une estrade. Il n'y en avait pas beaucoup dedans.
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Il n'y a que ceux-là ? Je fis un hochement de tête vers la cage. J'étais un peu déçue, il m'avait habitué à mieux. J'observai les nègres, et je remarquai toujours la même expression sur leur visage. Tristesse, colère, haine, humiliation. A leur place, je regretterai ma couleur de peau mais j'aurai sûrement le même regard haineux, plus le courage de me battre.
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Les temps se font dur, Annabelle--
Madame, le corrigeai-je.
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Oui, Madame, pardon, se rectifia-t-il. Il toussa, et je n'eus pas besoin de le regarder pour savoir qu'il était mal à l'aise,
je disais donc, que les temps se font durs et les nègres se cachent, je me tournai vers lui à ses mots. Était-ce une boutade de mauvais goût ? Je fronçai les sourcils, hautement agacée.
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J'ai fais tout ce voyage pour gagner de l'argent et vous me dites que les nègres se cachent ? S'ils se cachent, trouvez les. C'est votre travail, que je sache, et il serait fâcheux que vous le perdiez, n'est-ce pas ?-
Oui, Madame... je soupirai en reposant mes yeux sur les hommes noirs. J'étais assez loin et plusieurs hommes se retournaient vers moi en arquant un sourcil ou en me fixant d'un regard malicieux. Je ne voulais pas traîner encore plus longtemps ici.
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Bien. Je les prends tous. Déjà que j'allais faire moins de bénéfices, il était hors de question que je parte qu'avec la moitié. Il y en avait une vingtaine et c'était une honte qu'il accueille ses clients de la sorte. Je savais très bien qu'il n'était pas de mon avis mais il n'en avait pas le choix. De toutes ces personnes présentes, j'étais de loin celle qu'il craignait le plus du haut de ses un mètre quarante.
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Bien, Madame.Comme convenu, j'avais acquis tous les futurs esclaves sans qu'il n'y ait même d'enchères. M. Winshester les avait fait monter sur mon bateau, et ils ont été pris en charge par mes pirates restés sur le navire pour la garde. Moi, je m'étais baladée un peu pour aller boire mais je ne suis pas restée plus d'une heure sur le sol.
A mon retour parmi les miens, je fus fière d'eux. Ils avaient aligné les nègres sur le pont, sans que je leur donne l'ordre. C'était simple, mais cela voulait dire qu'il y avait un minimum de discipline. Sur mon navire, j'étais toujours plus à l'aise que sur les terres. Il était à mon nom, et il avait mes règles. Ainsi les personnes présentes étaient ici par mes choix, parce que je les avais jugé dignes de confiance. Et ce n'était pas rien. J'avais d'abord regardé les nègres de loin, mes hommes étaient devant eux à leur lancer des injures qu'ils ne méritaient pas forcément mais je laissais faire. C'était loin d'être un souci pour moi, à vrai dire. Parmi la vingtaine d'esclaves, la plupart avait la tête baissée comme si leur vie n'était plus la leur. Ce qui dans l'absolu n'était pas totalement faux. J'avais un droit sur eux, mais les torturer ou les fouetter n'était pas dans mes pratiques les concernant. Donc la plupart oui, était prête à devenir des esclaves vu qu'ils avaient l'air d'accepter leur sort. Sauf un. Le seul qui avait encore la tête haute et qui fixait d'une fermeté assez intéressante, l'un de mes hommes. Il s'en prit une en plein visage pour cela d'ailleurs. Mais il ne baissa pas les yeux pour autant. Il me plaisait.
Je me suis approchée de lui pour me poster devant, et je l'ai regardé dans les yeux. Il avait une belle lueur de rébellion. Même si ses chances étaient presque inexistantes, il prévoyait sûrement quelque chose dans la nuit ou dans les jours à venir. En tout cas, ce qui était sûr, c'est qu'il n'était pas décidé à accepter son avenir tracé par des blancs. Et c'est exactement cela qui me plaisait.
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Comment tu t'appelles ? Avais-je demandé. J'étais pratiquement sûre qu'il n'allait pas me répondre. Il n'ouvrit pas la bouche une seule fois, prêt peut-être à encaisser un autre coup. Et puis, il cracha à mes pieds et cette audace me fit rire.
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Emmenez-les tous au cachot, assurez-vous de bien les avoir en vue, commandai-je à mes hommes en ne portant plus d'attention aux étrangers. »
Je souris aux souvenirs heureux. Je ne sais pas s'il m'avait attirée aussitôt nos regards croisés ou les jours suivants. Mais de toutes les personnes que j'ai rencontré dans ma vie, il est de loin celui qui me manquait le plus. Il devait devenir un esclave et j'en ai fait un membre de mon navire et un amant. Je suis tombée amoureuse d'un nègre et on aurait pu me pendre pour cela. Je vis Christine sourire.
« -
Quelle rencontre pour le moins originale, commenta-t-elle. Elle aimait que je lui raconte mes aventures. Comme Jhon, mon ex compagnon de cellule. Mais la différence c'est que mon aventure sentimentale, je ne lui en avais pas fait part. Avec Christine c'était différent. J'ai l'impression que je pourrais tout lui dire, jamais elle ne me jugera. Cela faisait un an qu'on se connaissait depuis que j'étais venue chez elle, et elle est devenue... Quelqu'un de plus ou moins important même si je n’adhérais pas à mon travail de Banshee.
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Je n'ai jamais regretté ce jour-là. -
Combien de temps êtes vous restez ensemble ? Demanda-t-elle, curieuse de savoir la suite. Christine était quelqu'un d'assez enfantine et qui aimait les contes pour enfants, elle me faisait sourire intérieurement. Nous étions bien différentes. Elle était morte depuis longtemps et j'étais la première personne qu'elle voyait depuis des siècles alors mes potins, elle en demandait tous les jours.
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Six mois. Mais j'étais folle amoureuse de lui. J'aurais pu me marier avec lui, si ce n'était pas illégale. Enfin... Je pense qu'au fond on se comportait comme tels même si nous n'avions pas la bague au doigt.-
Qu'est-ce qui y a mis fin ? »
Jamais je ne pensais éprouver ce sentiment pour quelqu'un. Mais Abama - il m'avait dit son nom le soir-même, où j'étais venue lui rendre une petite visite - était comme une pierre précieuse. J'aurais pu donner ma vie pour lui, et lui de même. J'ai passé de merveilleuses nuits dans ses bras que je n'oublierais jamais. A nous deux, on se suffisait et c'était mille fois mieux que de passer ses soirées dans des bordels.
« -
Nous voyagions vers les Caraïbes, pour voler de l'or. Là-bas, il y avait énormément de pirates et tous étaient les uns contre les autres. Nous avec. Cela devait être rapide. Nous étions prêts à nous battre et à couler un navire. C'était notre passe-temps favoris, il fallait dire. Nous battre, sentir le danger sur notre peau et l’adrénaline couler dans nos veines étaient aussi bon que le sexe pour nous. Nous ne savions faire que cela après tout. Alors, une fois un bateau en vue, nous n'avons pas tardé. Nous nous sommes approchés dangereusement de lui, et la bataille s'en est suivie. Tous mes hommes avaient leur propre arme. Certains des armes à feu, d'autres des épées. Je me battais aussi. Et comme mon ennemi me sous-estimait toujours, je gagnais le combat grâce à sa surprise et son manque de jugeote. Mais cette fois-ci, il se sont révélés plus nombreux que nous et que nous avions imaginé. J'ai perdu beaucoup d'hommes mais nous n'avions rien lâché. Jusqu'au bout nous nous sommes battus et nous avons finalement gagné. Cependant, j'ai regretté ma décision d'aborder. Le champ de bataille était beaucoup trop rempli de mes hommes morts. Il devait y en avoir dans les alentours une dizaine et quelques hommes blessés furent directement transportés à l'infirmerie. Il n'y avait pas d'infirmière qualifiée mais tout le monde savait plus ou moins enlever une balle de la peau ou panser une blessure. Moi j'avais une coupure sur la joue et une balle dans l'avant-bras. Mais j'étais assez robuste, ce qui m’intéressait était de savoir si Abama avait survécu. Pas que c'était sa première fois mais mon cœur battait pour lui, et je voulais savoir s'il était sain et sauf. Alors j'ai cherché parmi les morts pour commencer, et mon épée m'est tombée des mains. Il était là, parmi ces cadavres. Étalé comme un moins que rien. J'ai couru comme j'ai pu, quand même affaiblie, vers lui et je me suis agenouillée. Sa respiration était saccadée et il se tenait le ventre.-
Oh Dieu merci, tu es vivant... j'ai murmuré. Il m'a regardé et je n'ai pas tardé à le mettre debout. Il était plus lourd que moi, mais il y a mis du sien. Il se tenait sur mes épaules et je l'ai emmené dans notre chambre. Cela ne m'étonnait pas que mes hommes ne l'aient pas aidé, ils ne se sont jamais faits à l'idée d'avoir un nègre dans l'équipage. Je l'ai allongé sur le lit et j'en n'avais que faire que les draps se tachent de son sang. J'ai ouvert sa chemise pour voir sa blessure, une blessure d'épée. Elle était grande à l'horizontale, et horrible. J'ai pris une grande inspiration pour ne pas perdre mes moyens.
-
Annabelle...-
Je vais te soigner, mon bras me faisait de plus en plus mal à force de trop le bouger mais je ne pouvais me permettre de le laisser mourir. Je me battais pour chaque homme qui résidait sur mon navire et Abama en premier. Mais lui comme moi savions... J'ai essayé de nettoyer sa plaie mais elle ne cessait de saigner, et au fur et à mesure, les larmes me montaient. J'ai échappé un sanglot.
-
Annabelle arrête.-
Non.-
Annabelle ! Il a pris ma main, je l'ai regardé dans les yeux. Je voyais flou, je ne contrôlais plus mes pleurs,
arrête, répéta-t-il et j'ai arrêté, complètement à bout de force. Il m'a sourit et il ne devait plus lui rester beaucoup de temps,
je t'aime.-
Je t'aime aussi, mes sanglots se firent plus fort. Il ne pouvait pas partir. Il ne pouvait pas m'abandonner. Il a continué de m'observer, triste mais soulagé et heureux. J'ai pris sa main et j'ai affronté son regard. C'était la plus dure des choses que j'ai eu à endurer. Pour la première fois depuis longtemps, je perdais pieds et la situation m'échappait. Jamais je n'aurais pensé m'attacher autant à quelqu'un. Je me découvrais amoureuse, passionnée et c'était toujours assez étrange à penser. Mais à cet instant présent je ne pensais qu'à cette sensation et ce sentiment d'inutilité que je détestais tant. Il a fermé les yeux quelques minutes après, et je me suis laissée aller à mon chagrin. J'ai pleuré à son chevet, la tête sur sa poitrine, en serrant fort sa main.
Il n'était plus là. Mais mon amour pour lui n'est jamais parti. Et je crois que c'est ce qui rend la chose encore plus dur à vivre. Parce qu'on ne s'en remet pas.
Je pleurais encore et encore. Je n'avais jamais eu aussi mal au cœur. Et puis j'ai pensé à notre discussion avant l'assaut : « -
Annabelle si je meurs aujourd'hui, je voudrais que tu saches que je suis l'homme le plus heureux grâce à toi. Tu m'as donné la liberté et l'amour, au delà de nos différences et de la société et je t'en serais éternellement reconnaissant, il m'avait baisé la main et j'avais souris en lui répondant :
-
Tu dis toujours ça et regarde. Tu es là. »
Ses mots qui m'avaient fait plaisir me déchiraient l'âme à présent. Je me suis avancée vers son oreille et je lui ai murmuré des paroles intimes qui auraient pu être le centre de notre bonheur. Puis je fus interrompue par un toc à la porte. Je me suis retournée vers le bruit.
-
Capitaine vous saignez... l'un des membres de mon équipage m'avait vue, les yeux humides, complètement faible. À tout moment il aurait pu m'achever et prendre les rênes du bateau. Mais il s'est simplement approché de moi et m'a aidée à aller jusqu'à l'infirmerie. »
Je regardai le vide, une main sur mon ventre alors que ni Christine ni moi n'ouvrit la bouche. C'était dur d'en parler.
« -
Je suis désolée... dit-elle tristement. Je savais qu'elle avait encore plein d'autres questions.
-
Enfin, ce n'est pas à ce moment-là que j'ai perdu la vie, dis-je pour changer de sujet. Je connaissais Christine et je savais que c'était ce qui l’intéressait le plus : savoir comment j'avais perdu la vie.
Je suis morte deux mois plus tard, je me suis levée de table et je suis allée dans ma chambre. J'avais trop parlé et je m'en mordais les doigts après coup. J'aurai voulu garder cela pour moi, pour me donner l'illusion d'oublier mais la douleur est revenu comme une gifle. Je me suis laissée tomber sur mon lit et pendant un instant j'ai cru y voir du sang. Je me suis mise en boule, les bras croisés sur mon nombril et même si je me suis battue pendant quelques minutes, la tristesse a gagné et j'ai pleuré. Cela datait de plus d'un an, mais ma souffrance était toujours aussi vive.
Parce que j'ai perdu l'homme de ma vie et deux mois plus tard, je perdais son enfant. Et même si à l'époque je ne pensais pas trop à lui, j'aurais voulu voir sa bouille et le voir grandir. J'aurais voulu qu'il soit là, avec moi car dans le fond je l'aimais déjà. Mon bébé...
***
Je suis partie dans la nuit. Je ne voulais plus en dire d'avantage et cette banshee me faisait de plus en plus d'ombre. Je l'appréciais beaucoup, elle était très respectable mais je ressentais un malaise de jour en jour. Alors j'ai pris les chemins et je me suis effacée du reste du monde.
Bientôt Annabelle St Dismas ne fut plus qu'une pirate condamnée, peut-être que ma mémoire fut honorée. Plus jamais je ne pris part à la société, et je pris du plaisir à rester un simple fantôme. J'ai trouvé mon occupation dans les Églises, et croyez moi qu'un paquet de personnes corrompus s'y cachent. Alors, quand j'en ai envie, je leur fais regretter leur existence, je me remplis de haine, de vengeance, et je deviens plus individualiste et cruelle que jamais auparavant.
En 317 ans, j'ai eu le temps de voir évoluer le monde, et au fil des années, j'ai éprouvé un réel détachement pour celui-ci. Alors j'en ai que faire d'être la gentille ou la méchante parce que si la mort a voulu me donner une deuxième chance, me renvoyer sur terre n'était pas vraiment ce que je souhaitais.
Avery alias LamarQuelque chose me dit que je vous aime déjà vu le Tumblr.
PS: désolé d'avoir mis mon autoportrait avant ma validation mais quand je l'ai trouvé j'ai pas voulu le perde.