Tu sors de ton service à moitié mort. Avec le début de l'été et la chaleur qui arrive, tu avais un boulot monstre à gérer au restaurant. Et avec ton patron qui t'exploitait sans vergogne, tu ressortais de là totalement lessivé. Surtout que ton service avait commencé bizarrement avec une commande un peu atypique. Une jeune femme qui voulait un dessert à emporter. Et comme ton patron obéit aveuglement à tout ce qui porte une pair de seins et que tu dois obéir à ton patron si tu ne veux pas que ta mère te défonce, tu t'es plié au caprice de la dame. Qui se révéla être une Faë. Et pas n'importe quelle Faë. Quand tu lui apportes toi-même sa commande, tu croise un instant son regard flamboyant et sa tignasse rousse. Une Phoenix ! Les Djinns Iphrines et les Phoenix ont une drôle d'histoire en commun, un récit qui remonte aux origines de l'appartenance des Djinns à la cour des Faës -un conte de Faë somme toute. Il est raconté qu'un jour, la Reine des Faës s'éprit d'un Djinn et qu'elle offrit à son peuple de demeurer aux côtés des autres êtres surnaturels à partir de ce jour. Une légende que connaissent tous les bébés Djinns qui ont tous rêvé un jour ou l'autre, de trouver l'amour le plus pur et le plus beau qui soit, dans les bras d'un Phoenix.

Qu'à cela ne tienne, tu étais libre maintenant et tu allais pouvoir rentrer chez toi pour te la couler douce. Tu lorgnes à ton portable et tu envoies un petit message marrant à Merry avant de prendre la direction de chez toi, tes pieds nus retrouvant la chaleur brûlante de l'asphalte. Mais c'était sans compter sur un très mauvais pressentiment qui venait de naître en toi, profondément tapi jusqu'à ce qu'il s'impose au grand jour. Ce genre d'intuition que tu ne peux ni contrôler ni ignorer. La sensation que quelque chose de très grave va se produire et que tu dois l'en empêcher. Superstitieux -et surtout parce que ta mère t'a toujours élevé avec cette conviction- tu es persuadé que, comme le souligne cette histoire, les Djinns et les Phoenix possèdent un lien spirituel très fort et très solide, même après s'être juste croisés. Tu es donc convaincu que c'est la jolie rousse du début de service qui a des ennuis. Alors tu fais ce que tu ne fais que très rarement, tu hèles un taxi -tu détestes t'enfermer dans ses boites métalliques grandeur nature- car tu sens le danger venir de l'Est. Tu expliques au chauffeur que tu veux qu'il suive tes indications bien que tu n'aies pas d'adresse précise en tête pour le moment. Le taxi, un indien à l'air un peu défoncé, hoche la tête et prend la direction que tu lui indiques, Sandy Hill.

Après plusieurs minutes à arpenter les rues, des grands axes aux moins fréquentés, tu sens la présence de la Phoenix toute proche. Tu demandes au taxi de couper le moteur quand, à l'orée d'un square, tu aperçois sa silhouette fine, la boite de son gâteau toujours dans la main, et un grand cabas au bras. Elle a l'air innocente, guillerette et très impatiente de dévorer sa gourmandise. Tu payes le chauffeur à la voler et te rues à se poursuite en rétrécissant pour passer inaperçu. Discrètement, tu arrives à sa hauteur et grimpes dans sa chaussure -tu ne fais qu'un ou deux centimètres à cet instant. Tu te laisses promener jusqu'à un banc où s'assoit la Phoenix, et alors qu'elle ouvrait sa boite pour déguster son dessert, tu vois approcher une troupe de mafieux à l'allure passablement louche. Comme s'ils étaient en pleine transaction illégale et que la jeune femme devenait un témoin gênant à éliminer. Ca ne tarda pas puisque à peine eut-elle innocemment proposé aux hommes qui la regardaient avec insistance, un morceau de gâteau, qu'ils se ruèrent sur elle avec l'air agressif de ceux qui veulent en découdre.

Tu penses profiter du spectacle depuis la chaussette de la rousse dont l'élastique te maintenait le corps, mais qu'elle ne fut pas ta surprise quand tu te rendis compte qu'elle était tout bonnement entrain de ... fuir ? Les Phoenix avaient des pouvoirs si grands et si terribles qu'elle aurait pu envoyer ses escrocs brouter les pissenlits par la racine et au lieu de ça, elle se carapatait comme une petite sourie devant un gang de gros matoux ? Tu te décides finalement d'intervenir quand les poursuivants se font beaucoup trop proches malgré la course effrénée de la rousse pour s'échapper. Tu sautes de la chaussette et reprend ta taille au milieu de l'allée de graviers, surprenant les hommes dans leur élan. Alors tu décides de jouer ton coup préféré, autant pour rire que pour protéger ta chétive et sans défense petite Phoenix. Tu prends donc ton apparence naturelle : ta carrure humaine devient plus imposante, un cercle de cuivre apparaît au fond de tes prunelles charbonneuses, ta peau brunie et se couvre de tatouages tribaux et kabbalistiques, une brume foncée naît à tes pieds et enveloppe tes jambes jusqu'aux genoux ce qui te donne l'impression de flotter au dessus du sol, l'or de tes bagues et des bijoux de ta barbe brille plus que jamais. Ta voix devient un grondement rauque et guttural quand tu pointes un index accusateur sur les types qui s'arrêtent nets, comme paralysés devant toi.

"Tremblez, pauvres mortels, car vous vous êtes attaqués à la Gardienne de la Lampe Magique. Et je suis le Génie de la Lampe, chargé de la protéger et d'exaucer ses moins désirs. Tremblez car mon courroux va s'abattre sur vous et je vous enterrerais bientôt vivants dans le désert d'Arabie pour que vous y croupissiez pour l'éternité !"

Tu étais mort de rire intérieurement et tout ce que tu espérais c'est que la jeune Phoenix joue le jeu, sans quoi, ça allait être un sacré carnage. Et tant mieux, elle était plus futée que tu n'aurais pu le croire en voyant qu'elle n'avait pas levé le petit doigt devant les brutes pour se défendre. Tu sens jaillir deux colonnes de feu de part et d'autre de toi et immédiatement, les flammes te donnent davantage de force. Les Iphrines se nourrissent du feu, c'est pour ça qu'ils ont ce lien si particulier avec les Phoenix. Tu te retiens de te retourner pour lui jeter un clin d’œil reconnaissant et reste concentré. Tout le jeu consistait à rester sérieux, pour foutre à ces types la trouille de leur vie. Finalement, la rousse rentrait dans le trip et commençait à parler. Tu avais le fou rire au fond de la gorge mais tu te forces à garder un visage fermé et une expression austère. Tu es bien content qu'elle ne propose pas que tu les tues ou les dépiautes de la pire des façons, car ça aurait été compliqué à simuler. Mais le coup de la malédiction était plutôt bien trouvé : cette Phoneix pensait comme un Djinn, c'était impressionnant !

"Ô toi ma Gardienne, je suis né et ne vis que pour te servir. S'ils méritent la mort pour avoir menacé ta vie, je ferais selon tes désirs, car c'est toi ma Maîtresse. Tremblez pauvres carcasses et soyez miséricordieux que ma Gardienne vous épargne. Ahouuuuum j'en appelle à la puissance destructrice du désert ..."

Tu lèves les bras au ciel, lançant une illusion sur les voyous pour qu'ils perçoivent des éclairs s'abattre sur tes poignets, comme si tu te gorgeais de la force céleste de l'orage. Un tonnerre factice gronde et une tempête de sable semble tournoyer, arrivant de l'Est à toute vitesse. Chancelant, pantelant, tremblant, prêts à pisser dans leurs frocs, le groupe d'hommes te coupe la parole pour t'implorer. Tu dois te mordre furieusement la joue pour ne pas éclater de rire quand ils t'appellent "Monsieur le Génie". Finalement, à force de reculer, ils finissent par partir en courant. Tu attends quelques instants de voir leurs silhouettes disparaître complètement du parc avant de reprendre ta forme humaine et te retourner vers la rouquine en éclatant d'un rire tonitruant. T'avançant vers elle, tu lui en tapes cinq, la bousculant un peu.

"Bah dis donc, tu l'as échappé belle. T'as d'la chance qu'je t'ai repéré au resto, sinon, j'aurais jamais senti qu't'étais dans la mouise. T'es pas ouf de traîner à c't'heure là toute seule dans un coin pas net ? Sérieux quoi ... Et pourquoi tu t'es pas taillé sous ta forme naturelle tout simplement ? Punaise, j'connais les Phoenix, vous avez des pouvoirs d'malades. T'aurais pu grillé ces mecs en moins d'deux. Alors pourquoi t'as rien fait ?"

Un peu abrupte comme entrée en matière, surtout que tu ne la connais pas, au final. Même si vous avez partager une barre de rire ensemble et une sacrée histoire. Alors tu fais un peu comme d'habitude, tu te crois tout permis. Surtout que c'est pas si souvent que ça que tu croises une Phoenix en vrai !