Son portable dans la main, Sygrid fixait la cabine téléphonique avec persistance. Il était presque deux heures du matin à présent, c'était le bon créneau. Celui pendant lequel une grosse quiche décérébrée s'amusait à l'appeler pour garder un silence de plomb quelques secondes durant, et raccrocher. Si la respiration limite appuyée du plouc avait sans nul doute l'objectif de faire flipper sa destinataire, cette dernière s'en trouvait surtout fortement contrariée. Ça sentait pas la blague de sale ado pré pubère ça... plutôt de croutons rassis. Surtout qu'après une rapide recherche sur le numéro, Sygrid avait découvert que bon nombre des appels avaient été passé depuis la cabine téléphonique située juste en face de la Titan Security. Donc... elle était bien visée de manière personnelle. Mais en toute objectivité, le Phoenix ne voyait pas qui pouvait s'amuser à la faire chier de cette manière. Il y avait bien Lorcàn... le Faë était un peu... spécial depuis qu'il était de retour chez son frère, un influence un peu trop 'Pixie' sans doute. Mais il craignait trop la réaction de son ex-major et un retour en direct dans la cuvette des WC pour la faire rager comme ça. Et surtout, il n'avait pas de réelles raisons de le faire. Alors qui ? Un pervers, avait suggéré un type qu'elle employait. Mais non... A la limite, le type avec qui elle picolait de temps en temps pouvait être soupçonné, notamment après l'épisode du poing dans la figure que lui avait adressé Gabriel au nouvel an. Mais ... Noname disons puisqu'elle ne connaissait pas son prénom, avait tellement le cerveau cramé au Whisky que Sygi se demandait même s'il quittait le bar parfois. Donc... elle ne voyait pas qui.

Mais cette nuit, elle serait fixée. Car loin de baliser comme une gamine de 20 ans, le Phoenix avait bien l'intention de confronter elle-même l'auteur de ces appels insolents. Alors elle guettait dans le noir, discrète comme une ombre. Les années d'entrainement, et de pratique en territoire hostile la rendait experte en matière de surveillance, et de patience. Si personne ne se pointait, elle recommencerait le lendemain, encore et encore. Mais son instinct lui disait que c'était pour ce soir... parce que le type n'avait pas appelé depuis deux nuits, ça devait le démanger ! Les minutes défilaient, une à une... alors qu'à l'extérieur le calme était de rigueur. Une pluie fine tombait sur Ottawa, parfois de la neige quand la température descendait un peu trop. Immobile dans l'un des bureaux de la compta, surplombant la rue et la cabine en question qui demeurait légèrement dans l'ombre à cause d'un réverbère grésillant, la scène avait juste l'air d'un début de thriller dégueulasse... et pourtant, c'était bien la vraie vie. Ce qui arracha un soupire à la rousse, le seul bruit qu'elle émettait depuis des heures. Mais elle ne bougea pas, particulièrement attentive alors qu'un matou à l'épaisse fourrure passait d'une poubelle à une autre, faisant tomber un couvercle qui émit un tel boucan qu'il prit lui-même peur... Et dire qu'elle était là, comme une conne, à cause d'un gros débile qui s'amusait à émettre des appels bien chiants. Alors qu'elle aurait pu être au chaud, avec Gabriel. Voilà pourquoi il fallait que cela cesse rapidement... et définitivement.

Le temps passa encore et une fois le calme revenu dans la rue, Sygrid aperçue enfin un mouvement. Sous la pluie qui persistait, une grande silhouette marchait d'un pas vif... vers la cabine téléphonique. Bingo... Encore fallait-il une confirmation, bien que le doute n'était pas vraiment de mise a cette heure et dans ce quartier ! Elle l'observa un moment, plissant le regard pour observer les traits de cette personne qui lui était bel et bien étrangère. Et puis, elle fila, furtive et silencieuse dès qu'il passa la porte de la cabine. Qui était ce foutu con à la fin ? L'irritation se faisait forte, mais la curiosité aussi... Qu'avait-elle fait à ce bougre pour qu'il lui cherche ainsi des poux ? Dans sa main, le téléphone s'éclaira. Le mode silencieux lui permettait quand même de confirmer que l'inconnu passait son appel traditionnel en attendant qu'elle décroche ou que le répondeur s’enclenche. Mais elle n'attendit pas, déposa le portable sur un meuble au hasard et s'empressa de sortir de sa cachette pour se rendre directement devant la cabine téléphonique ou le type se tenait encore dos à elle, sans un bruit. Puis, Sygrid attendit patiemment, les bras croisés, que le type repose le combiné.

« Ça va, c'était bien amusant ? Moi j'ai pas trop rigolé mais c'est qu'on ne doit pas avoir le même sens de l'humour. »

Le Phoenix lui adressa alors un sourire forcé qui signifiait bien qu'effectivement, elle n'était pas bien sensible au 'drolesque' de cette situation qui la forçait à se trouver là à une heure si tardive. Lol. Mais elle ne bougeait pas, et ne haussait pas encore le ton bien que par la suite, on pouvait y sentir son agacement et la tension qui s'était tout de même accumulée depuis le premier coup de fil.


« Maintenant tu sors de la cabine ou c'est moi qui me charge de le faire... Et tu te présentes accessoirement, Ducon. Quoi que cette appellation te vas à ravir, je vais sans doute te le scarifier en travers de la gueule, t'en pense quoi ? »
 

Définitivement, Sygrid pouvait affirmer qu’elle ne connaissait pas le grand type qui se tenait dans la cabine. C’était une blague… Pas moyen de se rappeler des traits de son visage et pourtant elle ne pouvait qu’avoir la certitude qu’il la visait bien. Alors quoi ? Il avait juste choisit une victime au hasard ? Fort peu probable. Et alors que le court silence qui suivit son ultimatum lui permettait de réfléchir à toute vitesse, Sygrid se rendit compte d’une évidence : il avait une sale gueule… Une gueule de malpropre, et elle n’aimait pas vraiment son petit regard de fouine. C’était moche de juger à l’apparence, mais au-delà de l’aspect qu’il présentait, il n’avait rien de rassurant. Il n’émettait rien non plus qui puisse indiquer à la Phoenix qu’elle pouvait s’appuyer sur ses propres impressions. Non, pour le coup, Sygrid restait parfaitement en alerte, ça puait littéralement du cul cette histoire. Mauvaise vibe comme qui disait !

Alors qu’il bougeait pour s’approcher, la Faë elle recula d’un pas pour maintenir la même distance entre eux. Une marge de manœuvre qui lui permettait de s’assurer une emprise estimable en cas d’attaque de sa part. Les sens en alerte, l’ex-major n’avait pas de mal à observer la situation dans son ensemble. Cependant, des détails non négligeables lui échappaient encore. Pourquoi s’en prenait-il à elle… et qu’était-il. Seuls les êtres immortels étaient à craindre, et pour l’instant elle ne pouvait confirmer qu’il en soit un. Aussi restait-elle attentive au moindre détail. A présent silencieuse, et semblant toute aussi calme que l’individu suspect, Sygrid le laissa répondre. « J'en pense que, pour une fois, il semblerait que tu disposes de toutes tes facultés mentales. Heureux de constater que ce soir, tu n'es pas à rouler sous une table, Sygrid. » Si le Phoenix fut piqué au vif par cette déclaration, elle ne le montra pas le moins du monde. L’expression qu’elle affichait était neutre au possible… ni colère, ni peur, ni irritation… et pourtant la fureur se déchainait à l’intérieur de son carcan de chair. L’Etre de flamme pouvait s’embraser à n’importe quel instant comme un vulgaire fétu de paille. Car ce que l’homme venait de dire révélait déjà beaucoup de choses fort peu appréciables… Alors comme ça, il l’observait depuis un moment ? Il devait être foutuement discret car elle n’avait pas été le moins du monde alerté par cette présence dans son environnement.  Et ce fait l’inquiéta encore quand à sa consommation d’alcool… Ouais, fallait vraiment qu’elle arrête. Ça tombait pas trop mal, puisque c’était le cas à présent mais le taré venait de lui donner une motivation supplémentaire. En attendant il devait connaître ses faiblesses. C’était mauvais. Elle ne lâcha pas un son, et resta ainsi à l’observer le temps qu’il continue de parler, puisqu’apparemment il avait des choses à dire…

« Je ne me présenterais pas, l'échange de bons procédés entre nous sera inutile. En réalité, je ne suis pas là par gaieté de cœur. Juste... Qu'il m'est encore difficile de concevoir qu'une ivrognesse dans ton genre soit parvenue à mettre à terre, un être qui m'était cher. » Elle décroisa les bras devant cette révélation, et un éclair de malveillance passa dans son regard. Le bougre d’imbécile venait de lui filer plus qu’un indice… et un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de la rousse qui le toisait à présent avec une impudence non dissimulée. Parce que c’était presque évident… Il parlait d’un Stryge et la situation se renversait déjà. Parce qu’après trois années de vie civile, il ne s’était rien passé de notable, hormis cette attaque menée par les Stryges et le raide de quelques individus à la Cours pour s’en sortir. Elle l’avait fait, non sans décimer plusieurs connasses de Stryges… BBQ Party.

« Ainsi donc… Ce sont des représailles ? Mazette c’est effrayant… »

Elle se mordit la lèvre inférieure pour retenir un rire. Il voulait se venger d’elle et agissait comme un adolescent ? Très bien… Mais cela n’avait rien de bien monstrueux. Cependant, elle ne perdit pas sa suspicion, ni la distance qui les séparaient. Un trop plein de confiance, fermer les yeux sur les capacités d’un ennemi, voilà qui pouvait perdre n’importe qui avec une rapidité effarante. Sygrid pencha pourtant la tête sur le côté, visiblement très amusée par la situation. Puis elle activa un lent mouvement, marchant de manière circulaire autour du type, l’air badin.

« Je me demande alors de qui tu veux parler. Ils étaient nombreux, ce jour-là, tu dois t’en douter.  Certains ont fini consumés, d’autres eurent moins de chance quant à la rapidité de l’exécution. » Son sourire s’agrandissait encore alors qu’elle ajoutait avec une légèreté enfantine, totalement moqueuse. «  Je t’en prie, donne-moi encore un indice pour que je puisse déterminer avec exactitude de qui il s’agissait. Je me souviens même… oh oui ! C’était original… Je me souviens avoir arraché la trachée de quelqu’un … Mais pour le coup je n’étais pas seule à lui avoir fait mettre genoux à terre. Qui sait, peut-être que la personne dont tu parles a été difficile à saigner… mais si elle était faite à ton image, j’en doute. Tu sembles plus lâche que vaillant. »

Les Stryges… Au-delà de leur rivalité avec les Phoenix, Sygrid avait un différend personnel avec eux et l’écart ne faisait que se creuser devant les agissements récents de ces dernières. Alors si la cruauté ne faisait pas partie de ses habitudes courantes, son attitude changeait ostensiblement lorsqu’une gargouille se pointait pour la faire chier… Le mec était bien mal tombé.

Étrange situation que celle-ci... Sygrid ignorait alors totalement ce qu'il lui voulait exactement, qui il était, pourquoi est-ce qu'il s'attaquait à elle. Mais en réalité les quelques informations qui étaient en sa possession suffisait à lui indiquer que le danger n'était pas feint. Malgré ce que la Faë laissait entendre, elle n'avait pas l'arrogance de se croire supérieure... car s'il s'agissait bien d'un Stryge il était clair que les choses ne seraient pas évidentes à gérer… Aussi bien à cause de son appartenance à l’espèce des Gargouilles que l’animosité personnelle que Sygrid cultivait contre eux. Pourtant son sourire resta empreint d'audace alors qu'elle observait les nerfs de l'inconnu lui imposer de serrer les mains et les dents. Touché. Donc elle avait bien abattu l'un de ses proches durant les attentats. Et alors ? Cette revanche lui semblait risible et méprisable. Lorsque l'on partait en guerre, il fallait s'attendre à des pertes... « Ton petit laïus est vraiment bidonnant, mais il est inutile de réveiller le passé ; Ce qui est fait est fait et l'on m'a déjà rapporté tes actions méprisables. Au lieu de perdre notre temps en palabres... Ne penses-tu pas que nous devrions plutôt régler ce contentieux qui nous oppose ? » Un contentieux ? Sygrid n'en voyait aucun. Les Stryges avaient attaqué, les 'victimes' s'étaient défendus.

Point. Les dommages collatéraux n’étaient pas son problème.

Mais le type ne semblait pas de cet avis... « Réglons le sans plus attendre. » Le Phoenix n'eut pas le temps de réagir que déjà, un coup lui était porté. Un sifflement intense résonna dans ses oreilles alors qu'elle tentait de ne pas perdre connaissance malgré la violence du geste. Sygrid sentit la main du Stryge l'attraper et elle ouvrit les yeux pour voir le visage de ce dernier un peu trop proche du sien... Et alors qu'il entamait le traditionnel monologue du gros méchant tout pourri -celui qui lui fait perdre du temps et perdre la partie bien sûr !-, Sygrid laissait son corps se régénérer et son esprit reprendre ses droits. Elle ne bougeait pas, la créature avait une prise bien trop forte sur elle... Mais elle étudiait ses gestes et ses failles, qui semblaient à la fois nombreuses et pourtant bien peu exploitables. « Ton trépas soulagera ma conscience, en même temps qu'il lavera l'honneur de ma défunte femme. Ta disparition ne fera pas beaucoup d'émoi. Ou peut-être que si... Les bars de la ville ressentiront sans doute un léger déficit. Cela fait un petit moment que je t'épie à distance, tu sais ? Ton existence est vraiment minable. » Blablablabla… le monologue qu’on vous dit les mecs, le monologue cause toujours la perte des Vilains. Ensuite, il la relâcha... Fatal error ! Parce que si elle ne faisait pas le poids devant sa force de gargouille, maintenant qu’il avait eu la bêtise de la lâcher et de lui laisser l’amplitude dont elle avait besoin, elle ne perdrait effectivement pas son temps en palabre, une expression désormais neutre sur le visage.

Couper son souffle. Le tranchant de sa main s’abattit sur la gorge du Stryge, avant que son poing fermé ne prenne une impulsion plus forte pour frapper à la jugulaire. Reprendre de dessus. En trois simples coups, Sygrid savait pouvoir le faire. Ainsi ses poings s’abattirent rapidement à trois endroits très précis : pectoral, côtés droites, abdomen. La colère silencieuse de la Phoenix était la pire… Elle n’utiliserait pas encore son feu, non… elle voulait le voir plier avant. Le voir regretter... A peine quatre secondes qu’il l’avait lâché, et Sygrid saisissait son poignet pour le retourner sans ménagement. Et après avoir tourné sur elle-même pour le frapper une quatrième fois à la colonne vertébrale, le forçant à s’incliner en même temps qu’elle, un ignoble craquement raisonna dans la ruelle. Suivit d’un hurlement presque bestial poussé par le Phoenix. La puissance qu’elle avait mise à profit n’avait rien à voir avec celle du Stryge, elle était moindre comparée à celle de cette créature-là. Mais contre sa jambe, dans une impulsion violente, s’était pourtant le bras du type qu’elle venait de briser net. Elle le repoussa alors, le laissant choir alors qu’elle se redressait en hésitant pourtant déjà : plus que le briser, ou se venger, elle avait envie de le détruire. De le saigner, juste parce qu’il était un Stryge et qu’il s’en était pris à elle… Il n’en avait pas le droit, pire encore… cela virait au transfère malsain. Elle grogna, l’observant avec mépris alors que dans sa voix filtrait toute la rancœur et la colère qui vibrait dans son être... et ce, sans plus aucune ironie désormais..

« C’est très ironique venant d’un mec qui passe sa vie à épier celle des autres. Trouve-toi une autre femme… c’est probablement plus sage. »