Carte, casier, cachalot [PV Sloan]

Sloan Williams…

Eli murmure le nom.
Sloan… Cela tinte doucement.
Williams… Cela est beaucoup moins doux.

Eli lève la tête vers le haut de l’immeuble.
L’immeuble est de hauteur moyenne, rouge brique, parallélépipède rectangle. Carré. Anguleux. Comme beaucoup de choses faites par les hommes modernes. Pas de rondeurs, pas de courbes…

Sloan…

Répète Eli.

Eli soupire.
C’est un peu triste de porter un prénom si tendre dans un monde si carré…

Il ouvre le dossier gris.
Un coup de vent. Une feuille s’envole.

Non ! Reviens !

Mais la feuille ne l’écoute pas. Elle vole, virevolte. Une main l’attrape. Une main ridée. Une vieille dame lui tend la feuille. Eli espère qu’elle ne l’a pas lue. Elle lui sourit. Il lui sourit.

Merci Madame.

Elle fait signe de la main, s’en retourne à sa promenade. The Glebe est le quartier du bon voisinage et des bonnes volontés. Eli tourne de nouveau son regard vers l’immeuble à appartements. Comment peut-on en venir à vendre de la drogue ?

Enfin…

Le pourquoi des choix des humains n’est pas son rôle…
Leur conséquence non plus…
Seul le destin de quelques-uns lui incombe… Et encore… Eli doit leur laisser leur libre arbitre.

En attendant, Sloan Williams doit recevoir sa visite. La police l’a désigné comme prochaine ouaille à sauver. Quels sont les critères de la police ? Eli l’ignore. Aux yeux des hommes, Eli n’est qu’un assistant social qui fait de son mieux avec les moyens qu’il a… Autrement dit, pas grand-chose.

Il rajuste le col de sa veste. Il regarde si son jean est bien propre. Son jean est propre. Il s’apprête à appuyer sur la sonnette. Il n’appuie pas sur la sonnette.

Petit moment en suspension.

La dernière fois qu’Eli a sonné comme ça sans prévenir de sa visite, ça a mal commencé entre l’ex-détenu et lui. Genre… Très mal. Genre… Au point de devoir appeler la police. C’est que. La prison écorche les egos. La prison laisse des traces. Des griffures et des salissures. Des souvenirs amers, des reflux d’aigreur et des humeurs bilieuses.

Un coup d’œil à droite. Un coup d’œil à gauche. Personne.

Pouf !

Eli reprend sa forme de Sidh.

Pouf !

Il devient invisible.

Pouf !

Il se téléporte dans l’appartement de Sloan.

Oups. Il a failli entrer dans un fauteuil…
Oups. Quelqu’un passe derrière lui…

Qu’est-ce qui pourrait aider Eli ? Il se promène dans l’appartement. Il évite les chambres et les salles d’eau. Un minimum de respect de la vie privée, oui, même si…

Oh ! Là ! Sur le meuble !

Un porte-feuille.

Un coup d’œil à droite. Un coup d’œil à gauche. Personne.

Le porte-feuille de Sloan. Bingo.

Délicatement, il retire la carte d’identité.
Vite, il se faufile jusqu’à la porte du couloir.
Vite, il descend par les escaliers.
Vite, il revient devant la porte d’entrée de l’immeuble.

Un coup d’œil à droite. Un coup d’œil à gauche. Personne.

Pouf !

Il redevient visible.

Pouf !

Il reprend son apparence de vivant.

Il appuie sur la sonnette.

Carte, casier, cachalot...!Les journées se ressemblent toutes. Quand je travaille, cette constatation ne me dérange pas. Car ce n’est pas exactement vrai. Ma formation se poursuit, je n’apprends jamais les mêmes choses. Mais les jours de congés ne sont qu’une suite d’heures d’ennui. Sans intérêt. Par chance, l’appartement dans lequel je vis me permet de m’occuper un minimum. La plupart de mon temps, je le passe à jouer aux jeux-vidéos ou à regarder la télé. Ce n’est pas comme si j’ai autre chose à faire de toutes manières. Des divertissements abrutissants selon Selen. Un passe-temps plus qu’appréciable selon moi.

Le seul point noir dans l’histoire, c’est la frangine. Depuis qu’elle a quinze ans, elle a décidé de bâtir une cloison au beau milieu de notre chambre. Ainsi, nous avons chacun notre espace personnel. Sauf que, à défaut de ne pas se voir, on s’entend. Et sa musique m’énerve plus qu’autre chose alors que je veux simplement entendre ce qui se dit dans ce film. « Noah, éteins ta putain de musique, j’entends rien ! » Elle soupire. « Arrête de jurer, Slo. » Encore un surnom ridicule. Est-ce que c’est si compliqué de m’appeler par mon prénom ? Sloan, c’est simple, non ? « Fais pas chier, éteins. » Cette blondasse n’écoute rien. Alors que je suis obligé d’augmenter le volume du poste, elle se met à chantonner. Le pire, c’est qu’elle ne sait pas chanter. Ce n’est pas de la mauvaise foi ; elle a vraiment la voix qui déraille et aucune justesse. Quand on n’a pas le rythme dans la peau, on ferait mieux de la fermer.

Et maintenant, voilà qu’elle se met à taper du pied contre le parquet. Exténué, je balance mon poing dans la mince cloison. Pour une fois, je suis soulagé d’avoir une force quasi-inexistante, sans quoi le mur de fortune se serait écroulé sur ma sœur. Au moins, ça lui aurait fermé le clapet. Constatant que ma ridicule tentative d’intimidation ne porte pas ses fruits, je grogne de mécontentement et quitte brusquement la pièce. Sans prendre la peine d’appuyer sur le bouton power de la télévision. Pas qu’ça à faire moi.

D’un pas irrité, je rejoins le salon et… m’arrête net. Quelque chose m’a frôlé. Tous mes muscles se tendent, mon regard balaie la pièce, de gauche à droite. Mais rien ne parait suspect. Pourtant, je suis persuadé d’avoir senti quelque chose… Je n’aime pas ça. Mais alors vraiment pas. J’inspire un bon coup, vérifie une fois de plus qu’il n’y a aucune présence suspecte dans l’appartement… quand Fly se met brusquement à aboyer. Il est sur la terrasse, mais le crissement de ses griffes sur la vitre parvient nettement jusqu’à mes oreilles. Grimaçant suite à ce bref sursaut et ce bruit désagréable, je vais ouvrir la baie-vitrée. Le chien me dépasse à toute allure pour aller renifler un meuble. Il y reste un moment, avant de revenir vers moi, tout penaud. « T’es un peu con des fois hein… » marmonné-je en m’étalant dans le canapé. Mais bien sûr, comme on ne peut jamais être tranquille dans cette baraque, je me relève dans la seconde. On vient de sonner, m’arrachant un faible cri de surprise. Décidément, j’ai ma dose de sursauts pour la semaine. Debout au beau milieu du salon, les doigts en l’air pour intimer à mon berger-allemand de ne faire aucun bruit, j’attends. J’attends que Noah se décide à sortir de son rôle de pseudo rock-star et vienne ouvrir cette fichue porte. Mais la garce ne vient pas. « Noah, tu… » commencé-je. « Pas le temps, va ouvrir ! » Comme par hasard.

Avec un soupir bien appuyé, je m’avance jusqu’à l’entrée de notre humble demeure. Je déverrouille et passe une main lasse dans mes boucles. La porte s’ouvre sur… euh… un parfait inconnu. « Hum… B’jour… » Qui c’est celui-là ? Tout en m’appuyant nonchalamment sur le battant, je le détaille de haut en bas. Assez grand, châtain, yeux clairs. Un air gentil et adorable scotché au visage. Plutôt pas mal. Tout-à-fait le genre de mec de Noah. Ah mais oui ! Sûrement une conquête de Noah. Voilà qui explique pourquoi un homme que je n’ai jamais vu de ma vie se pointe sans prévenir devant ma porte. « Entrez, Noah est à l’intérieur. » Sans lui demander son avis, je l’attrape par la manche pour qu’il passe le pas de la porte. Porte que je referme une fois entré. « Eh, la prochaine fois, tu me préviens quand ton mec vient ! » crié-je à l’intention de mon aînée, dont les pas résonnent déjà dans le couloir. « Et t’as plutôt bon goût en fait ! » Quand sa tête blonde fait son apparition dans le salon, son expression agacée fane aussitôt, cédant sa place à une moue surprise. Euh… surprise ? Elle dévisage son invité, avant de frapper son front dans un signe de désespoir. Puis elle quitte la pièce, me laissant seul avec son gars. Tout étonné, je me tourne vers lui en haussant un sourcil. « Euh, vous lui avez fait quoi à Noah ? » Non parce que pour qu’elle refuse de lui adresser la parole, il a bien dû faire une gaffe…
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Carte, casier, cachalot [PV Sloan]

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