Selen ?

Aussitôt que sa voix retentit dans l'écho de la pièce carrelée, l'homme ne cessa pas de fixer son propre reflet. C'était difficile de la regarder sans penser à tout ces instants de silence... toutes ces secondes où il avait dû l'oublier en tant qu'alliée. Le Qilin avait beau faire le fier, avoir prétendu qu'il n'avait pas été blessé par son comportement autrefois... il lui sembla bien que ce soir, tapie au fond de son cœur et de ces années de verdure... de la souffrance se répartit entre les striures des feuilles.

« … Siam. »

Sa voix n'avait rien de chaleureux. Les bras de part et d'autre de l'évier, il ne faisait que fixer son propre regard dans la glace. Que devrait-il dire ? Quels mots devraient sortir de sa bouche pour que le moins de mal soit fait ? Il avait déjà énormément de difficultés à éloigner l'emprise que la Mort avait eu sur lui. Et alors qu'il tentait de retrouver un peu de force... Elle était venue. Pour l'achever ? Non, sans doute pas. Ou tout du moins... pas intentionnellement. En tout cas, il l'espérait.

« Ça va. Je vais bien. », mentit-il. Autant couvrir les apparences quand elles étaient trop difficiles à montrer... hein ? « Pour le peu que tu t'inquiètes, de toutes façons... tu ferais mieux de retourner à table. »

Sa réplique avait claqué entre ses dents comme un couperet. Déjà qu'il ne filtrait pratiquement jamais ses pensées et avait le don de les dire à haute-voix, il en était de même pour ses émotions. Il n'y avait qu'avec elle, et parfois d'autres proches, qu'il parvenait à se retenir pour les ménager et leur dire les mots justes, en toute objectivité. Mais pas ce soir. Certainement pas ce soir.

Ce satané Sidh...

Peste soit cette faiblesse si particulière. Il n'avait pourtant rien senti de néfaste chez Alan Holmes, rien de plus que la présence froide des disparus. Peut-être même, cachée, une certaine bienveillance. Mais Selen, lui, il avait été incapable de la voir. Tout comme il refusait de regarder Siam, même à travers le miroir. Ses yeux quittèrent finalement leur reflet. Il était devenu incapable d'assumer ce qu'il allait lui dire.

« Désolé… Laisse-moi tranquille, s'il te plaît. »

« … Siam. » Elle se souvenait encore de son prénom, qu’il avait murmuré d’une manière si différente le jour où ils s’étaient revus. Et la manière dont ce soir, Selen l’avait lâché était bien loin de la joie exaltante dont il avait fait preuve cette fois-là. Un instant, Siam l’observa avec inquiétude alors que lui ne lui décrochait pas un regard. Il semblait se fixer dans le reflet du miroir, alors qu’elle s’appuyait non loin de lui sur le rebord de l’évier en attendant qu’il lui explique ce qui n’allait pas.

Mais c’était difficile. L’état dans lequel Siam était désormais plongée l’empêchait de faire un geste qui pourtant, aurait soulagé Selen. Quelque part, elle en avait conscience. Son attitude avait blessé le Dragon, et peut être avec plus de force qu’elle ne voulait l’admettre. Mais… elle ne pouvait pas faire autrement. Lui, il la blessait tout autant avec ses attentions, ses sourires. Le moindre de ses gestes envers elle la faisait désormais souffrir le martyre, parce que Selen avait une attitude semblable à autrefois. La Berserker n’était que l’enfant sur lequel il avait veillé des années durant. Tandis qu’elle… ne supportait plus ce statut justement. Il n’y avait dès lors rien de plus à dire, ou à faire. Simplement attendre que le temps fasse son œuvre et être plus distante après le bal. Siam s’effacerait. Dans quelques semaines alors, ils se verraient peut être moins. Son absence serait cruelle, elle le savait et son alter-ego s’y oposait farouchement. Mais dans un sens, cela ne pourrait pas être pire que de l’avoir à ses côtés, et de lire dans son regard une expression paternelle… Non ça, s’était désormais insupportable. « Ça va. Je vais bien. Pour le peu que tu t'inquiètes, de toutes façons... tu ferais mieux de retourner à table. »

Ca par contre, Siam ne s’y était pas attendu. Ce reproche-là, la Berserker se la prit en pleine face, mais c’était de bonne guerre car elle n’avait pas beaucoup conversé avec lui à table. En revanche, elle n’acceptait pas cette réaction, car… justement, elle s’inquiétait maintenant. Tout de suite. Faisait d’ailleurs une entorse à sa propre décision de mettre de la distance entre eux. Mal à l’aise et déjà à fleur de peau, la jeune femme se tourna alors vers lui, mais ne trouva rien à dire devant le regard qu’il tourna vers elle. Siam fronçait les sourcils, sur le point d’être agressive… seul moyen de défense qu’elle connaissait d’ailleurs. Mais elle fut clouée sur place, le temps de reprendre ses esprits et de l’entendre ajouter : « Désolé… Laisse-moi tranquille, s'il te plaît. »

« Tu te fous de moi ? »

Pour le coup, elle n’avait pas réfléchit, et certainement pas consulté son alter-ego qu’au contraire, elle rejetait avec une force qu’elle ne se connaissait pas.

« Qu’est-ce que tu crois que je fais là ? Je sais que t’es pas très attentif mais je pisse pas encore debout…  donc très logiquement, je suis pas là par hasard. »

La colère du Carcajou se dirigeait vers elle uniquement. Il detestait Siam pour son attitude envers le Qilin, et elle se détestait aussi. Mais elle la canalisait, la ressentait avec virulence, la mêlant à celle qui émanait de son esprit d’humaine. Alors oui, elle était excessive. Et dans la confusion de ses sentiments, mais la certitude qu’elle était malheureuse avec, et sans Selen, Siam avait l’impression d’étouffer. Et son chagrin lui, ne pouvait sortir que de manière belliqueuse et spontanée.

« Mais très bien, je me casse. Quand tu cesseras de faire la gueule… me cherche pas, je rentre chez moi. »

Pourquoi était-elle ici ? Selen l'ignorait. Et au fond, il ignorait aussi s'il avait envie de le savoir. Son attitude lui donnait simplement l'impression qu'elle n'en avait rien à faire. Que même, elle n'était venue que par courtoisie, ou pire, que quelqu'un lui avait demandé d'aller le chercher. Comme s'il ne comptait pas. Alors l'entendre le rabaisser et le gronder de la sorte... heurta sa fierté, et le fit enfin bouger de son état statique. Enfin, il affronta le regard de Siam, de telle sorte qu'elle puisse y lire toute la peine et la colère qui s'en dégageait. Mais principalement... surtout de l'incompréhension. Beaucoup, beaucoup d'incompréhension.

« C'que je vois pas, c'est pourquoi tu t'embêtes. Je vois bien que tu t'en fous. Pas la peine de faire la meuf outrée. »

Ses mots étaient durs. Très difficiles à entendre... pour quelqu'un qui portait véritablement le Qilin dans son cœur. Mais malheureusement, Selen commençait à douter de la véracité des sentiments de Siam à son égard. Elle était revenue, oui. Lui avait dit de belles choses, aussi. Mais elle n'était plus la même que le jour de leurs retrouvailles.
Lui non plus, d'ailleurs.

« Je fais la gueule ? JE fais la gueule ? Mais regarde-toi dans un miroir, Siam, y'en a pleins ici, profite ma grande ! », lui asséna-t-il, commençant très lentement à sortir de ses gonds et lui montrant les dits miroirs d'un grand geste. « J'ai été affecté par la présence d'un Sidh à notre table, c'est pour ça que je suis parti. Parce que la Mort c'est pas top moumoute pour nous autres les dragons tu vois ! Mais toi, t'as aucune excuse pour tirer cette gueule. Mais bon, hein, j'devrais être habitué ! Depuis ton retour, j'ai droit qu'à cette expression. Limite j'te force. Agréable, hein ? Putain de merde. »

Poussé dans ses retranchements, les mots et les émotions de Selen coulaient à flots, et le Qilin dégobillait salement à la tête de la jeune femme tout ce qu'il avait sur le cœur. Et il en avait gros Sire, il en avait gros.

« Faut croire que j'ai été trop con à croire que j'avais un tant soit peu d'importance. Vraiment trop con de croire... que ton départ y'a dix ans était anodin. », finit-il par claquer entre ses dents, les poings serrés, la truffe basse et le regard vrillé d'une douleur sourde.

Elle avait été prête à partir, vraiment. A rentrer chez elle. Comme toujours, c’était une démonstration de lâcheté et de fuite plutôt qu’une véritable lassitude. Pour être honnête, Siam ne savait pas quoi faire. Elle voulait qu’il aille mieux, elle aurait aimé être capable de lui montrer la tendresse et l’affection qu’elle retenait sans cesse en sa présence. Le prendre dans ses bras pour lui demander pardon, et le consoler comme il le méritait, peut importait la raison de son état. Mais la jeune Berserker ne pouvait pas. C’était impossible. Parce qu’elle n’avait pas la force de contenir ses sentiments dès lors qu’il faisait parti du tableau. Sa seule présence devenait difficile à supporter. Siam devait alors lutter contre ses désirs, et au-delà de l’attirance, contre l’attachement profond et sincère qu’elle avait pour lui. L’amour, qu’elle nourrissait depuis si longtemps. Elle ne se souvenait même plus pourquoi il avait conquis son cœur, si facilement, alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Mais c’était comme ça. Il était comme ça, et elle l’aimait comme tel. Maintenant qu’elle en avait conscience, elle ne pouvait plus aller vers lui. Elle devait au contraire, reculer et le laisser l’oublier. Pour éviter la déception, la douleur d’un rejet qui cette fois, pourrait réellement avoir la peau du carcajou et de sa Berserk. Car persuadée qu’il ne pouvait l’aimer autrement que comme la petite fille dont il s’était occupé autrefois, Siam dépérissait.

Mais ce n’était finalement rien… ou pas grand-chose. Car devant cette expression chargée de colère qu’il tourna enfin vers elle, Siam se sentit petite, et minable. Presque terrifiée en réalité, d’être peut être à l’origine de l’état dans lequel il se trouvait. Son cœur s’emballa, et elle ne trouva rien à dire alors qu’il semblait hors de lui. « C'que je vois pas, c'est pourquoi tu t'embêtes. Je vois bien que tu t'en fous. Pas la peine de faire la meuf outrée. Je fais la gueule ? JE fais la gueule ? Mais regarde-toi dans un miroir, Siam, y'en a pleins ici, profite ma grande ! J'ai été affecté par la présence d'un Sidh à notre table, c'est pour ça que je suis parti. Parce que la Mort c'est pas top moumoute pour nous autres les dragons tu vois ! Mais toi, t'as aucune excuse pour tirer cette gueule. Mais bon, hein, j'devrais être habitué ! Depuis ton retour, j'ai droit qu'à cette expression. Limite j'te force. Agréable, hein ? Putain de merde. »

Pour le coup, elle ne sut quoi dire. Soudainement secouée par un mutisme certain, ses lèvres se joignirent alors qu’elle observait Selen avec des yeux ronds. (Déjà parce qu’il semblait l’engueuler… mais en plus, parce que top moumoute quoi. *pouce en l’air*) Non … en réalité, Siam avait l’air d’une gamine. Incapable de lui rendre la pareille ou de lui dire la vérité, elle se retrouvait simplement affligée. Aussi sembla-t-elle simplement baisser les yeux, en proie à une réflexion pénible qui la forçait à garder une expression sévère très inhabituelle. Mais c’était juste pour constater à quel point elle était vide. Et qu’il souffrait aussi de la situation… Ce qui lui semblait à présent logique, car si depuis le départ elle focalisait uniquement sur ses propres sentiments, lui aussi en possédait… Même s’ils n’avaient pas la teneur des siens, et ne pouvaient leur faire échos. Peut-être qu’elle devait finalement y allez d’un coup sec ? Comme l’on ôte un sparadrap de sa peau. Mais de cela aussi, Siam était incapable. Et c’est pourtant ce qu’elle tenta de faire, après l’avoir écouté. « Faut croire que j'ai été trop con à croire que j'avais un tant soit peu d'importance. Vraiment trop con de croire... que ton départ y'a dix ans était anodin. »

« Justement oui, peut être… »

Elle ne pouvait pas faire mieux… et pourtant, elle ne pouvait probablement pas faire pire non plus. Si à l’extérieur, elle avait l’air à peine présente, et bien peu concernée par la conversation… Siam se sentait juste crever. Il n’y avait plus qu’à attendre qu’il comprenne et s’en aille… Seulement après cela, elle pourrait s’effondrer, lâcher prise. Mais le carcajou lui, pleurait déjà la perte d’un dragon si chère au cœur de la Berserker.

C'était dit. Au final, les mots n'avaient que bien peu d'importance dans ce débat. Seuls les regards comptaient et... ce que lisait Selen dans celui de Siam lui causait davantage de douleur que les dégâts que le Sidh avait pu lui faire. Le plus douloureux, c'était qu'il avait la sensation que ces deux êtres parvenaient à un point de non-retour. Cette chose était toujours entre eux, comme une barrière purulente qui les empêchaient d'avancer. De se parler ouvertement. Autrement qu'avec... ces relents de cœur atrophiés par la peine.

Celui de Selen ne savait plus quoi faire. Au même titre que Siam, il était resté sans voix sous sa réplique. Il avait le choix entre cesser de battre sous la stupeur d'une réplique si cinglante, ou attaquer sa poitrine avec tant de ferveur qu'elle exploserait sur le carrelage des toilettes.

« … Ça a la mérite d'être clair. Pour une fois... ! J'te félicite. »

C'est son corps qui répondit, au détriment de son âme ébranlée. Il se mit en mouvement seul, mécanique et glacé, passa près d'elle sans même la regarder. Mais ne put s'empêcher de murmurer... ne serait-ce que pour marquer le coup et tomber un peu plus.

« Allez. Me fais pas perdre mon temps... Blondie. »

Tout était si dur. Si atrocement difficile. L'atmosphère de la pièce elle-même avait changée. Même ce surnom, ô combien particulier, avait claqué contre les lèvres sèches de Selen d'une façon horrible. Horriblement froide. Lui qui, il n'y a pas si longtemps, apportait chaleur et réconfort. Où étaient passés ces jours-là ? Qu'avait-il fait de mal pour que ne revienne jamais l'illusion temps jadis ? Quand est-ce que cette satanée roue du destin... avait-elle cessée de tourner pour eux deux ?

La main sur la porte, il lui sembla pourtant que pour quelques secondes, il aurait pu retourner en arrière. La prendre dans ses bras. Implorer son pardon pour comprendre. Se confondre en excuse, retourner la terre, chambouler leur univers. Pleurer...
Mais non. Il renonça. Et c'est le cœur en miettes qu'il l'ouvrit pour s'en aller, sans un mot de plus.

Car il n'y avait plus rien à faire.