Heureusement. Heureusement que le Qilin avait un certain bagage émotionnel, heureusement qu'il avait décidé de ne plus se laisser dépasser par des situations aussi violentes qu'incongrues. Heureusement qu'aux côtés de son frère, il avait vu bien pire qu'un couple se disputant. Parce que sinon... il aurait très certainement filé à l'anglaise et se serait terré au sein d'un jardin quelconque pour devenir la plus jolie des tulipes. S'il avait bien appris quelque chose depuis son réveil il y a bien des années, c'était que fuir les problèmes ne les faisaient pas disparaître. Même si la tentation de retourner corps et âme avec la nature le prenait parfois... il savait, désormais, comment vaincre ses instincts les plus profonds.
Aussi, devant ces deux brailleurs, Selen ne faisait rien. Rien pour les énerver davantage, du moins. Les observant comme on regarde des suspects à travers une vitre semi-teintée dans un commissariat, le Qilin s'était reculé, pour s'adosser à un mur et croiser les bras. Il savait. Il savait que dés l'instant où le blond avait saisi le marqueur pour l'apposer contre la peau de la jeune femme, tout partirait « en cacahuète », comme disaient les jeunes. Si bien qu'en restant en retrait, il put ainsi voir toute la colère de celle-ci au moment où le mot maudit tomba. Indélébile.
Il les aurait bien prévenu si sa parole n'avait pas été coupée par monsieur. C'était bien dommage...

Ainsi, alors que la petite salle de tatouages se transformait progressivement en ring de catch, témoin d'une bataille entre ces deux personnages haut en couleur, le Qilin resta perplexe, jusqu'au moment où la jeune femme se tourna vers lui pour exiger un double dessin sur le pauvre popotin de son drôle de pote. Un sourire presque désolé sur ses lèvres fines lui servit de réponse silencieuse, tandis qu'il se détacha progressivement du mur, dégageant ses bras, tout en fixant les deux énergumènes.

« ... Bougez-pas. », déclara-t-il le plus calmement du monde. Il n'était pas simple de freiner les émotions les plus vives qui se battaient au sein de crâne de dragon. D'habitude, il n'avait aucun filtre. Mais cette fois-ci... il fallait la jouer fine.

Il les laissa alors tout les deux et s'éclipsa vers une porte à l'autre bout de la pièce, en espérant qu'ils ne s'étripent pas entre temps. Non pas pour fuir, mais pour véritablement trouver une solution au problème. Ou plutôt, à tout les problèmes que Selen parvenait à détecter. Ces deux-là lui collait déjà un mal de crâne carabiné, et il oscillait entre le calme plat et l'envie on ne peut plus sincère de leur tatanner le derrière. Bon sang. Le nombre d'heures de méditation qu'il allait devoir s'enquiller après leur départ... ce serait violent. Vraiment.
Une fois dans l'arrière boutique, il ouvrit l'un des placards et sourit devant sa trouvaille. Le petit paquet d'herbes séchées par ses soins en mains, il mit de l'eau à bouillir, tandis qu'il se pencha vers un autre meuble, en contrebas. Il chercha longtemps l'objet de ses désir mais finit par mettre la main sur une petite valisette blanche qu'il ouvrit rapidement, ses yeux se promenant sur les différents flacons, avant d'en saisir un, ainsi qu'un paquet de lingettes. Un paquet de sucre passa aussi entre ses mains, et il entreprit l'élaboration d'une mixture à base d'acétone et de sucre, qu'il étala contre une lingette naturellement imbibée d'alcool doux. Le même type que celui que l'on utilisait lorsque l'on voulait se démaquiller, par exemple.
La bouilloire siffla à son tour, indiquant que l'eau était à la température idéale. Aussi, il prépara deux tasses, une théière et un filtre pour les herbes. Il étudia vite fait le contenu du sac, reconnaissant l'odeur immédiatement et listant les vertus de cette plante sur le corps humain dans sa tête. Ainsi, après infusion, il versa le liquide dans les deux tasses et ne serait-ce que pour donner un peu de goût, rajouta à nouveau un peu de sucre, de miel et une larme de lait. Voilà. Tout était fin prêt... et il s'agissait là de sa dernière carte.

Rejoignant à nouveau le couple, un plateau en main contenant les deux tasses et la lingette, il le posa dans un coin et attendit que l'homme ne se redresse du fauteuil pour tendre doucement le breuvage aux esprits échauffés qui lui servait de clients.

« Tenez, buvez ça. C'est une infusion de valériane, et c'est offert par la maison. On va se détendre un petit peu, d'accord ? Rien n'est grave... »

Et il l'avait chargé, l'infusion. Oh que oui qu'il l'avait chargé... Sans doute un peu plus que ce que les bonnes mœurs pouvaient accepter. Mais il n'avait pas vraiment d'autres solutions que celle de jouer sur les propriétés sédatives, apaisantes et un brin hypnotiques de cette plante.
Il la savait aussi analgésique et antispasmodique. Ce qui, peut-être, parviendrait un peu plus à calmer le duo.

« Quant à vous, mademoiselle, j'ai c'qu'il vous faut. Désolé si ça pique un peu... »

Il resta près de Willow après lui avoir donné la tasse, et attrapa la lingette préparer par ses soins pour l'appliquer, le plus calmement possible, sur le dessin phallique qui ornait son front. Le sucre servait à retirer les cellules de peau morte, tandis que l'acétone et l'alcool dissipaient l'encre petit à petit. Lentement mais sûrement, il parvenait à se débarrasser petit à petit du fameux membre turgescent, non sans mal... et non sans avoir peur que la donzelle ne lui colle un bourre-pif pour être aussi proche d'elle.

- Quoi ???! QUOI ???! Mais Darwin tu te fous trop de ma gueule là non ? Je vais être obligée … de te massacrer … AVEC CETTE TRONCHE ? Tu plaisantes j’espère ??! UNE ILE ? Mais connard de merde t’es vraiment qu’une p’tite fiotte ! Tu crois que j’y vois pas clair dans ton jeu ? C’est aussi monumental que le pif d’Oreste : Tu as juste la méga trouille de te prendre des aiguilles dans le cul donc tu tentes une diversion ? Mon gars t’es qu’un gros minable, je t’ai défoncé au paintball, maintenant à toi de te faire défoncer par Severus Rogue… jolie première fois mon grand !  

Il l'avait mérité celle-ci. Oh oui qu'il l'avait mérité ! Mais était-ce une bonne raison pour lui arracher l'oreille et lui défoncer le tympan de la sorte ? Ouais, peut-être … Sûrement ! Battant des bras comme un gosse, il tentait en vain de se défaire de son emprise. Bordel que Willow pouvait avoir de la force quand elle était en colère ! Ça puait grave le bousin pas frais là … Juste pour une bite dessinée sur le front quoi. En plus elle était grave stylée ! Il l'avait tuné avec des ailes et tout ! Tss, en plus de briser les testiboules de tout le monde, elle brisait le talent des artistes anti-conformistes et inconnus et ça, c'était vraiment pas très beaucoup gentil.

Darwin se senti tirer par l'oreille et ne voulant pas devenir borgne de l'ouïe, il suivit le mouvement docilement non sans couiner sa race. Bah quoi ? Un stryge, aussi rabougrit et vieux soit-il, était toujours fait de chair et de nerfs, donc oui ça faisait un tantinet mal ! Il vit le fauteuil se rapprocher dangereusement de sa tronche avant d'y être écrasé dessus sans un soupçon de délicatesse. Y'avait pas à dire, l'alchimiste était aussi douce qu'une râpe à fromage bien aiguisée ! Mais le pire, c'était le fait qu'il avait le cul à l'air et bien que l'assise soit tout compte fait confortable pour sa joue déformée par la pression, il ne se sentait pas vraiment à son aise. La nudité n'avait rien à voir là-dedans, passant sa vie quasiment à poil mais là, la situation faisait que oui, l'immortel était gêné. Soupirant longuement en écoutant les paroles de son « amie », son air devint blasé et il se contenta de regarder devant lui. Elle en faisait trop, vraiment trop ! Puis en plus, la saucisse de Morteau, c'était dégueulasse !

Tapotant légèrement ses doigts d'impatience sur le cuir du fauteuil, ses yeux se posèrent sur le tatoueur qui quittait la pièce. Qu'est-ce qu'il foutait ? Il les fuyait ou quoi ? Non, il fallait qu'il revienne ! C'était son seul atout pour détourner l'attention de la furie sur lui ! Merde. Poussant un léger grognement, Darwin se redressa et se massa la nuque endolorit par la poigne de la jeune femme. Profitant de l'absence du propriétaire des lieux, il lâcha à Willow :

- C'est bon, t'es contente, tu as eu ta vengeance ? J'suis sûr que ça part ce truc, au pire je t'amène au pressing ! "Quand je bouge mon boule, j’ai les nanos qui ondulent " … Sérieusement ? Où est-ce que tu vas chercher toutes ces conneries toi ? Tu vas me tuer un jour … Tu le sais ça !?

Le cardinal déchu tenta du mieux qu'il pouvait de rester sérieux car tout de même, il en avait gros sur la patate là mais devant tant de stupidité, il ne put retenir un large sourire amusé. Ouais, c'était un peu drôle quand même. Même beaucoup vachement ! Levant les yeux au ciel, il constata une nouvelle fois qu'il n'arrivait pas à en vouloir à l'alchimiste plus de cinq minutes consécutives … C'était affligeant ! Mais bon, il s'en plaignait pas trop … Il l'aimait bien cette mortelle malgré le fait qu'elle possède des ovaires et une capacité de chiantitude illimitée.

Au bout de quelques minutes, le Faë revint vers eux, un plateau à la main où trônaient deux tasses de thé. Genre … Le mec venait les séparer avec une vieille tisane ? Putain mais c'était quoi ce type ? Un pacifiste anglais et hippie ? Même un bonzaï nain semblait plus agressif que lui ! Heureusement, le calme était un peu revenu bien qu'il sentait que Willow pouvait ré-exploser à tout moment, sinon il aurait fallu y aller au taser ou à la tronçonneuse. Darwin prit tout de même la tasse, non sans un regard suspicieux puis la renifla avant de reculer la tête et grimacer. Qu'est-ce que ça chouintait à donf ce truc ! Le stryge avait une règle de base concernant la nourriture : Tout ce qui pue, on ne mange pas ! Et cela valait aussi bien pour son thé que pour le reste, si vous voyez où je veux en venir !

-  Quant à vous, mademoiselle, j'ai c'qu'il vous faut. Désolé si ça pique un peu...

Oh oh. Grosse boulette en approche ! Ses yeux se mirent à fixer le tatoueur qui commençait à tapoter le front de Willow pour effacer le marqueur. Le gars ne tenait pas à sa vie en fait ! Posant délicatement la tasse sur l'un des meubles en faisant le moins de bruit possible pour ne pas énerver encore plus sa pote, il s'approcha d'eux avec l'élégance d'un manchot. Pour simple rappel, il est à poil et ses vêtements sont encore autour de ses chevilles. Double rappel, Darwin est trop débile pour s'en apercevoir. Une fois à leur hauteur, il devina aisément les attentions de l'alchimiste qui, la tête légèrement en arrière, préparait un sale coup. Willow sauvage attaque Coup d'Boule ! Et ça allait être super efficace s'il n'intervenait pas dans les prochaines secondes. Bien que voir voler un Faë vers d'autres cieux lui plaisait énormément, le stryge voulait limiter les dégâts pour une fois et éviter de se retrouver avec un nain sur le cul. Alors, avec grande facilité, il prit la mortelle par la taille et la souleva du sol comme si elle ne pesait rien. Ne s'y attendant pas, son front parti tout seul pour se cogner lamentablement dans le vide, magique epic fail ! Il la balança ensuite sur son épaule comme un sac à patate, et essayant de maintenir cet asticot qui gesticulait dans tous les sens, l'immortel offrit un big smile à Severus :

- Merci bien pour le thé mon pote, mais vu l'odeur j'ai préféré ne pas le boire. M'enfin c'est le geste qui compte hein ? On va partir, désolé pour le temps perdu mais j'ai encore besoin de réfléchir à sa proposition de tatouage si alléchante ! A la prochaine mon vieux et surtout … Arrête de bouffer des fleurs, je te jure, t'es trop zen c'est flippant voire agaçant !

Lui faisant un dernier signe de la main, Darwin prit la direction de la sortie sans même se rhabiller. Futile détail à comparer de Willow qui recommençait à brailler ! Mais cette fois-ci, il tenait bon et la fit monter dans sa bagnole après moult joutes verbales. Journée encore riche en engueulade mais il était sûr d'une chose … Que dans quelques jours, ils en rigoleront !

FIN