Un papier sombre, presque brun. Sur lequel sont tracées d'élégantes arabesques à l'encre clair. Atypique, unique sans doute, et extrêmement vieux. Le velours foule un peu le parchemin pour l'enrouler à nouveau. Heathcliff repose précautionneusement l'élastique qui maintient le document fermé et le glisse dans un grand sac de cuir qu'il porte à la main. Une dernière gorgée de café et il quitte le manoir. Son grand manteau de cuir tombe jusqu'à ses pieds, ses cuissardes assorties remontent jusqu'à mi-cuisse, allongeant encore sa silhouette gigantesque. Son pantalon de cuir ajusté et une chemise en soie par dessus, il ferme la lourde porte du Manoir Lovecraft dans le cliquetis familier des clefs. Il gagne le garage est reste un moment pensif devant les divers automobiles de collection qu'il possède. Un point au coeur le prend lorsque son regard se pose sur la place libre de sa sublime Jaguar, chez le carrossier depuis son escapade nocturne avec Kit. Un soupir à fendre l'âme. Il se décide finalement pour une ancienne DS, noire, rutilante. Il monte à son bord, dépose délicatement sa serviette contenant le parchemin et se met en route.


La matinée a passé à une vitesse époustouflante et l'Alchimiste n'avait pas vu le temps passé. Lorsqu'il jette un oeil à sa montre à gousset, il réalise qu'il est déjà onze heures passées et qu'il n'a toujours pas avancé. Muni d'une pochette cartonnée et d'un bloc note, il avait arpenter les rayonnages ésotériques et historiques de la médiathèque sans trouver aucune information sur son parchemin mystérieux. Il était même incapable d'en identifier le langage. Alors, cédant à sa pudeur habituelle, il s'était autorisé de demander à la bibliothécaire son avis sur la question. En remuant son nez comme "Ma Sorcière Bien Aimée", la vieille femme, que Heath soupçonnait d'être une Pixie, finit par lui conseiller une boutique ésotérique en ville qui vendrait surement des ouvrages qui pourrait le renseigner. Et de toute façon, la propriétaire était très informée sur ce genre de choses, et elle serait d'une aide précieuse. Il hoche finalement la tête et remercie son interlocutrice en hochant doucement la tête, en silence. Il regarde le petit morceau de papier sur lequel il a en hâte griffonner l'adresse et regroupe ses affaires en soupirant. Il n'aime pas ne pas être en mesure de se débrouiller seul concernant ses recherches, mais quand ses compétences venaient à faire défaut, il ne pouvait se permettre de rester inactif. Il quitta donc la bibliothèque sans faire de bruit, malgré les imposantes semelles compensées de ses cuissardes.


Après quelques minutes au volant de sa DS a cherché des yeux la boutique en question, il tombe finalement sur une devanture. "La Salamandre". C'est bien le nom que la vieille Pixie lui avait donné. Et à en juger par la décoration intérieure, l'Alchimiste ne s'était pas trompé. Il semblait y avoir, effectivement, énormément de ressources utiles à ses recherches. Le géant pousse donc la porte, enclenchant la sonnerie d'une clochette sur son passage. Il doit baisser la tête pour ne pas se cogner à tout ce qui pendouille du plafond, et entend une voix féminine lui souhaiter la bienvenue. Cherchant des yeux la vendeuse, il la découvre sur un escabeau, prête à recevoir la tranche d'un épais volume relié de cuir, extrêmement poussiéreux, sur le crâne. En une enjambée, Heathcliff la rejoint et retient le livre de sa main gantée de velours. Il a à peine besoin de lever le bras. Portant toujours ses lunettes noires pour dissimuler au monde ses prunelles asymétriques si effrayante, il s'incline poliment et hoche sobrement la tête pour saluer la gérante.

"Faites attention, Miss, vous risquez de vous faire mal avec ce genre de manipulations hasardeuses. Bonjour, excusez-moi, je ne me suis pas présenté ! Lord Heathcliff Armand Lovecraft. Je suis ici sur le conseil de Miss Amanda Marvel. Elle m'a recommandé de venir vous rendre visite pour un problème épineux que je ne puis résoudre avec les références de la médiathèque. Selon elle, vous auriez ce qu'il faut .. ou seriez en mesure de me renseigner. Puis-je vous montrer dans un endroit un peu plus discret, de quoi il s'agit ?"

Il n'est pas surpris du regard stupéfait que la vendeuse porte sur lui. Il en a l'habitude. Paraître effrayant est presque devenue une nécessité pour dissimuler la monstruosité de sa véritable nature. Bien qu'il admire ceux qui restaient stoïques face à son apparence anormale, il savait que la plupart des gens avaient tout simplement peur de lui. Il est plutôt étonné en revanche quand elle menace de tomber de son escabeau et qu'elle se rattrape à moitié à lui. Il est vrai que sa taille impressionnante lui donnait une certaine prestance, et un ancrage non négligeable dans le sol. Doucement, il attrape son bras pour la retenir et l'aider à descendre de son engin sans se faire mal. Le velours de ses gants foule le tissu de la manche de la vendeuse qui finit par lui sourire, un peu confuse. Puis son expression change à mesure qu'elle le détaille. Il se plie à l'exercice, conscient de susciter ce genre de réactions lorsqu'on le rencontrait pour la première fois. Finalement, la jeune femme a l'air presque admirative, passé l'étonnement de sa surprenante venue en plein milieu de son rangement. Heathcliff hoche poliment la tête.

"Ne vous excusez pas, il est évident que ma taille est ... plutôt imposante, j'en conviens. Mais ce fut plutôt utile pour épargner à votre crâne d'être fendu en deux par la couverture de ce grimoire. Merci de votre accueil, néanmoins."

La blonde part alors dans une logorrhée saisissante et déroutante pour l'artiste qui ne comprit pas la moitié de ce qu'elle pouvait bien déblatérer. Elle parle de la Pixie qui a conseillé à Heathcliff de venir dans cette boutique pour ses recherches, d'histoires affriolantes qu'elle aurait eu par le passé. Il hausse un sourcil dubitatif en plissant un peu les yeux, fronçant le nez. Elle éclate à moitié de rire avant de se rendre compte que son histoire n'était pas forcément approprié, surtout face à un client à l'air si austère et mélancolique que l'Alchimiste. Finalement, elle l'accompagne dans un bureau un peu à l'écart du comptoir. Il la suit en baissant la tête, peu désireux de s'emmêler les cheveux dans les pendouilleries qui couvrent le plafond de la boutique. Un peu courbé, le regarde torve, étonné que la patronne laisse ainsi sa boutique sans surveillance, il suit le couloir et bifurque à la suite de la jeune femme dans un bureau très clair qui le fait cligner des paupières derrière ses lunettes opaques. Obéissant à son hôte, il s'assoit sur un fauteuil plutôt confortable et étend tant bien que mal ses jambes interminables sous le bureau.

"Merci beaucoup, je veux bien une tasse de café sans sucre. C'est fort aimable de votre part, Miss ?"

Elle ne s'était pas encore présenté alors que le Lord avait décliné son identité, et il était légèrement contrarié de ne pas savoir à qui il avait à faire. Mais il pardonnait sans mal à la jeune femme sa frivolité. Après tout, elle était dans la fleur de l'âge quand il abordait sa quarantaine avec une morosité sans pareil. Doucement, alors qu'elle lui apporte un mug brûlant dont il savoure quelques gorgées délicieuses, il finit par sortir son fameux parchemin. Il était finement roulé et maintenu par une attache que Heathcliff contrôlait par son Alchimie. Seul le fluide pouvait donc l'ouvrir. Il le pose précautionneusement sur la table avant de le tendre à la vendeuse.

"Voilà. Ceci est un parchemin très ancien, il appartenait à mes ancêtres. Je n'ai pas la moindre idée de la langue dans lequel il est rédigé, ni même si celle-ci existe, possède un véritable sens, ou n'est qu'un code pour cacher des informations. Je n'ai strictement rien trouvé pour le déchiffrer à la bibliothèque, c'est donc pour cela que je suis ici. Je vous demanderais de le manipuler avec précaution, il est extrêmement fragile. Tenez, voici des gants de chevreau, pour ne pas abîmer le papier avec l'acidité de la peau de vos mains. Si vous n'y voyez aucun problème, bien entendu !"

Il pose la pair de gants sur le bureau et tapote doucement l'attache du rouleau. Son doigt a déchargé une toute petite quantité de fluide qui le déverrouille en rougeoyant un peu. Heathcliff reste attentif à ses réactions, pour tenter de détecter chez son interlocutrice, un quelconque étonnement à voir ainsi le papier briller. Mais s'il y avait une logique, la Pixie ne l'avait surement pas envoyé chez une simple humaine. A voir qui donc pouvait bien être cette vendeuse un peu atypique. Finalement, alors qu'elle empoigne son parchemin, le peintre consent à retirer ses lunettes et à fixer de son regard asymétrique inquiétant, chaque fait et geste de la jeune femme.