Il est toujours trop tôt pour ce type de coup de fil. Une tasse de café brûlante à la main, un livre ouvert dans l'autre, tu te dandines en sous-vêtements tout en chantonnant dans ta cuisine une chanson qui joue seulement dans un coin de ta tête. Pendant que tu te diriges tranquillement vers le salon, plus précisément ton canapé, ce fut à ce moment que ton portable décide de sonner, t'obligeant à revenir dans la réalité. Ta sonnerie, celle de la marche funèbre, signalait quasiment comme une alarme désagréable que c'est ton père qui tente de te rejoindre. Pourquoi te contacter aussi tôt le matin? Enfin, pourquoi simplement te contacter, toi qui dois d'efforcer de leur passer un coup de fil - par «leur» tu entends le reste de ta famille - pendant le temps des fêtes et pour leurs anniversaires. Tu préfères agir comme s'ils n'existaient plus le reste de l'année. Voilà de quoi gâcher ta journée, mais tu prends tout de même la peine de décrocher. Qui sait, peut-être est-ce réellement important.

Finalement, tu n'aurais pas dû décrocher. Ton père, dans une tentative désespérée de reprendre contact avec toi d'une manière plus permanente, voulait essayer de te convaincre qu'il acceptait après une longue réflexion ton mode de vie. Par là, il voulait entendre ton boulot, ton déménagement à l'autre bout du pays après tes études et ton mariage avec une Alchimiste. De quoi faire rêver. Certes, tu n'as jamais été une grande rancunière, mais tu as tout de même tes limites. Il a eu cinq ans pour se rattraper à ton retour au Canada, voire plus quand tu vivais aux États-Unis, maintenant, la date de péremption est passée. Certes, ta vie n'est pas parfaite, mais tu n'as plus besoin de ta famille. Tant pis pour lui, tant mieux pour toi.

Suite à cet appel, tu n'as plus vraiment envie de te remettre à lire ni quoique ce soit d'autre qui te demande de te concentrer. Non, tu as surtout besoin d'air et d'espace. En seulement quelques minutes, tu enfiles tes éternels vêtements gothiques ainsi que ta paire de talons hauts du même style, puis tu sors en claquant la porte derrière toi. L'esprit ailleurs, tu laisses tes pas te guider dans la ville sans vraiment faire attention où tu te trouves. Les mains enfoncées au fond de tes poches, tu ne prends même pas la peine de lever les yeux aux intersections comme si ton instinct animal te signalait le moment où tu pouvais avancer ou bien attendre afin d'éviter de finir sous les roues d'une voiture. Combien de temps as-tu marché? Dix minutes? Vingt minutes? Une heure? Tu n'en as pas la moindre idée, mais quand tu te décides à lever le nez vers le premier bâtiment qui se trouve devant toi, tu te rends compte que tu es devant l'université d'Ottawa. Quel drôle de hasard, car il y a en ces lieux des documents sur lesquels tu aimerais bien mettre la main dans une certaine bibliothèque. Malheureusement pour toi, tu n'es pas autorisé à avoir accès à ces documents concernant de très vieilles recherches archéologiques qui sont susceptibles de t'intéresser en tant qu'anthropologue judiciaire. Les ossements, c'est ta spécialité, non? Certes, cela fait que cinq ans que tu exerces dans ce métier, mais bordel, est-ce que tu dois te transformer en Kathy Reichs pour y avoir accès?

Après quelques secondes d'hésitation, tu te décides finalement à entrer. Lorsque tu pénètres dans la bibliothèque, tu te rends compte qu'il n'y a pas beaucoup de gens installés aux diverses tables. Tant mieux, tu n'auras pas à faire preuve d'une discrétion excessive, car tu remarques une jolie blonde que tu connais depuis quelque temps. Petite manipulatrice, - tu préfères dire ambigu et perfide -,  tu te montres extrêmement sympathique avec les employés de cette bibliothèque, surtout avec Deborah, afin d'obtenir ce que tu souhaites. Sans te presser, tu t'approches du comptoir avant de déposer tes avant-bras sur celui-ci avec un sourire scotché aux lèvres. Bonjour Deborah. Ta voix, peu élevée est tout de même assez forte pour que tu puisses attirer son attention. Vous allez bien? De simples formalités, mais tu te montres réellement intéressée par sa réponse. J'espère que je ne vous dérange pas. Toujours souriante, tu replaces l'une de tes mèches sombres derrière ton oreille pendant que ton regard cristallin ne cesse de fixer la belle blonde juste devant toi.

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