Il était des jours où Jun ne se sentait pas d’humeur très joyeuse : parfois, sans raison, elle se plongeait dans une humeur massacrante sans aucune raison apparente. Elle n’était pourtant pas quelqu’un de changeant, et demeurait la plupart du temps sous sa carapace glacée. Il y avait toutefois des moments où il ne valait mieux pas l’approcher d’un peu trop près. Ce matin-là était de ces jours où elle aurait terrorisé une personne âgée pour se sentir toute puissante et où elle aurait volontairement martyrisé un pauvre adolescent quelconque pour passer ses nerfs. Elle était partie de chez elle dans un silence macabre aux première lueurs de l’aube, et à midi moins le quart, elle n’était toujours pas rentrée.
Chez Jun, ce genre de comportement n’était pas rare. Sa nièce avait l’habitude et ses sautes d’humeur devenaient presque normales au fil du temps. Bien sûr, il était certain qu’elle n’était pas spécialement prudente, et qu’elle n’était pas non plus à l’abri du danger, mais peu l’importait du moment où elle pouvait prendre l’air. Les souvenirs remontaient toujours plus nombreux et plus terribles encore dans sa tête, et la Sidh, débordante de toute cette haine qu’elle avait gardé au fond d’elle durant son vivant, se sentait nauséeuse. Alors bien sûr, elle préférait se tenir loin de tout le temps que le stress passe. Une fois de plus.
Elle avait marché, encore et encore, jusqu’à atteindre le Lac d’Ontario. Jun aimait bien cet endroit : calme, ressourçant … Tout ce dont elle avait besoin pour se calmer et chasser les idées noires qui grouillaient, tels des virus, dans sa tête. Bien qu’elle ne pouvait pas d’en débarrasser, c’était ce qui faisait d’elle la personne qu’elle était à présent, mais la simple idée de n’avoir été qu’un objet durant de longues années lui donnait des sueurs froides absolument abominables.
Ce ne fut qu’au bout de quelques heures, après avoir pratiqué une séance intensive de lançage de cailloux dans le lac sous le regard critique des rares passants, qu’elle réussit enfin à se calmer. Gelée jusqu’aux os, enrhumée et également fatiguée, Jun se résolut à rentrer chez elle. Mais alors qu’elle rentrait ses mains engourdies dans ses poches, la demoiselle se rendit compte avec horreur que les clefs de l’appartement ne s’y trouvaient plus.
Fouillant chacune de ses poches avec une panique grandissante, elle se rendit compte que le trousseau n’était plus sur elle, mais quelque part dans le secteur. Sans clefs, elle allait devoir attendre toute la journée devant le porche à attendre que Meiko ai fini ses cours à la fac. L’ennui absolu. Et attendre dans le froid n’était pas non plus à son goût. Jun n’avait donc pas le choix : il fallait retrouver ces fichues clefs.
Furetant dans la neige, elle fit deux fois le tour du lac avant de perdre courage. Parfois, elle se demandait si elle ne les avait pas plutôt perdu en traversant le centre ville, mais cela lui sembla totalement surréaliste puisqu’elle les avait sorti une fois arrivée ici. Le stress revenant assez vite, elle commença à perdre patiente, et donna même un coup de pieds rageur dans un banc pour se calmer un peu. Manque de chance, cela ne fit qu’accentuer sa colère puisqu’une douleur fulgurante se propagea dans la jambe de par ce geste puéril.
Alors qu’elle pestait en se massant la cheville, recroquevillée par terre, elle aperçut une femme non loin, et une pensée lui traversa l’esprit au même moment. Et si elle allait lui demandait, à cette femme, si elle ,n’avait par hasard pas trouvé un trousseau de clefs sur son chemin ? La Sidh secoua vigoureusement la tête, chassant cette idée stupide. Elle ne demanderai l’aide de personne. Mais pourtant … C’était peut-être là son unique chance. Que faire ? Y aller ? Continuer ses recherches seule, et sans aucun indice ? Un combat intérieur était en train de se livrer.
Jun finit par céder à la petite voix qui lui soufflait que demander quelques indications ne lui coterait rien, et que de toute manière, cette personne n’était pas là pour la juger. Elle se releva alors avec empressement, et s’avança dans sa direction tout en se drapant dans sa fierté.
« - Bonjour ! Excusez-moi, j’ai perdu mes clefs dans le secteur, et je n’arrive pas à mettre la main dessus, vous ne les auriez pas trouvé par hasard ? »
C’était mieux que rien, et puis elle ne devait pas être la seule à être venu ici, mais Jun ne voulait pas poireauter dans Ottawa le restant de l’après-midi à ne rien faire. Elle n’avait pas emporté son porte-monnaie, et si en plus en n’avait pas ses clefs, rien n’irait plus. .
Putain que c'était difficile... L'envie de boire se faisait de plus en plus virulente. Les jours passaient, puis les semaines, et son besoin semblait se faire de plus en plus mordant. Arrêter la bouteille avait pourtant été une démarche très naturelle quand elle avait renoué avec Gabriel... C'était dans la logique des choses, normal et même un passage obligatoire pour retrouver une vie plus saine et heureuse... Du moins, c'était ce qu'elle essayait de se mettre dans le crâne quand les doutes l'assaillaient. Et ils étaient nombreux et forts, l’amenant à trouver des excuses pour boire, pour céder. Ce qu'elle avait fait ce jour-là. Assise sur un banc, elle observait le calme plat qui s'étendait sur le lac. Pas un soupçon de vent ne venait troubler la surface de l'eau, et s'était chose apaisante que de pouvoir s’imprégner de ce calme paisible qui manquait parfois à sa vie. Ou plutôt, de la sérénité naturelle qu'inspirait le paysage. Surtout qu'à côté d'elle, dans un sac en papier épais reposait une bouteille de whiskies flambant neuve. Voilà, elle avait craqué. Sygrid ne l'avait pas encore ouverte, elle n'avait pas pris une seule gorgée. Mais sa volonté avait été mise à mal puisqu'elle avait fait le geste d'acheter dans l'optique de boire. Boire juste un peu ! Juste l'équivalent d'un verre... C'était ce qu'elle se disait. Mais le Phoenix avait surtout conscience qu'elle évoluait à nouveau sur une pente très glissante, et que si elle cédait au verre, la bouteille y passerait probablement.
Mais pour le moment, elle réussissait à retrouver un peu de calme, et de réflexion. Si bien que, droite comme un I sur son banc, la rousse essayait de calmer les tremblements de ses mains posées sur ses genoux. Le manque était presque insoutenable, et pourtant, Sygrid en avait vécu, des situations difficiles et douloureuses. Depuis qu'elle avait quitté l'armée et ses espoirs d'y mourir en épuisant ses vies une à une, il semblait que le mental de la Faë n’était plus aussi solide. Pourtant, elle résistait. Difficilement, mais elle résistait. Parce qu'imaginer la déception ou l'inquiétude dans le regard de Gabriel la dissuadait de craquer. Mais aussi parce qu'il pouvait se montrer tellement chiant qu'elle préférait éviter de boire un coup si c’était pour se taper une morale larmoyante de plusieurs heures... Non merci. « Bonjour ! Excusez-moi, j’ai perdu mes clefs dans le secteur, et je n’arrive pas à mettre la main dessus, vous ne les auriez pas trouvé par hasard ? »
La voix presque fluette qui semblait s'adresser à elle la força à ouvrir les yeux. Devant elle, le visage d'une jeune femme asiatique apparue et Sygrid la considéra un instant sans parler. Bon dieu, ne pouvait-on pas la laisser se morfondre en paix ? Pendant quelques secondes, le Phoenix fixa la jeune femme sans se rendre compte d'à quel point cela pouvait être gênant, puis elle eut l'air de chercher autour d'elle alors qu'elle savait très bien qu'elle n'avait pas vu de trousseau. La parano cependant, la forçait à garder un soupçon de méfiance si bien que son tour d'horizon eut surtout pour but de s'assurer que la jeune femme n'était pas en train de préparer un mauvais coup avec une tiers personne... Un réflexe acquis au fil de ses services à l'armée, dont elle peinait à se débarrasser.
« Non... »
Putain Sygrid un effort ! Au moins une phrase complète !
« Non je n'ai pas trouvé de clés. »
... Mieux, mais ce n'était pas encore terrible. Mais un regard vers le sac en papier lui rappela que la bouteille qui s'y trouvait était à fuir. La jeune femme finalement, tombait à pic. Elle allait pouvoir l'éloigner un peu du banc... Aussi Sygrid poussa-t-elle un soupire, avant de se lever lentement.
Mais qu’est-ce qui lui avait prit de s’adresser à la première venue ? L’envie de retrouver ses clefs ? Grotesque. Ne dit-on pas pourtant que les fantômes peuvent passer à travers les murs ? Stupide. C’est pourtant l’envie pressante de retrouver ses clefs et de courir de mettre à l’abri devant sa télévision sous une lourde couverture avec une boite de pop-corn devant un film quelconque qui l’avait poussée à s’adresser à cette femme.
En parlant de l’inconnue, cette dernière n’avait pas l’air très bien dans ses basket … Chagrin d’amour, maladie bien chiante … ? Peu importe, cela n’intéressait pas le moins du monde l’Ombre qui resta à détailler l’apparence de son interlocutrice. Rousse, certainement plus vielle d’apparence que Jun, probablement humaine. Ce n’était pas grand-chose à noter dans son for intérieur, mais l’idée que cette femme pouvait être une potentielle serial killer garda la demoiselle de s’y intéresser plus que ça.
La micro réponse négative qu’elle lui offrit était évidente, mais ça valait au moins le coup d’essayer. Tant, pis, elle irait demander à quelqu’un d’autre, et … Et Jun s’arrêta dans son élan de départ quand la femme répéta une seconde fois que non, elle n’avait pas trouvé ses clefs. Oui, merci, elle avait compris, Jun, pas la peine de remuer le couteau dans la plaie. C’est avec une curiosité bien dissimulée que l’Ombre se tourna de nouveau vers son interlocutrice quelque peu endormie.
C’est avec un soupir, qui ne manqua pas d’agacer la jeune fille, que la rousse se leva avec lenteur. Elle allait faire quoi là ? S’en aller ? Elle l’ennuyait donc tant que ça ? Mais c’est une question interrogative qu’elle reçu tandis qu’elle maugréait dans son écharpe. Où est-ce qu’elle avait perdu ses clefs ? Si seulement elle savait …
« - Je ne sais pas vraiment. Ici, certainement, je me souviens d’avoir senti mes clefs dans ma poche quand je suis arrivée. » Et ce fut tout pour elle. Que dire d’autre, de toute manière ?
Elle recula que de quelques pas, faisant crisser la neige sous ses pieds, et observa les alentours avant de poser ses yeux sur le paquet qui trônait sur le banc que venait de quitter la dame.
« - Je crois que vous oubliez vos affaires ... » Fit-elle en désignant le sac en papier. Autant être polie, cette personne semblait vouloir l’aider.
Quand la vie avait décidé d'être chiante, elle ne l'était pas à moitié. Et pour le coup Sygrid avait clairement l'impression qu'elle se foutait littéralement de sa gueule. Il y avait trop d'éléments perturbateurs, de parasites qui entravaient sa vision et ses pensées. Et faire le tri dans ce bazar n'était effectivement pas très aisé lorsque l'esprit était sans cesse perturbé par une envie de boire quasi-compulsive. Sa volonté, la Phoenix la savait grande... immense même. Son expérience à l'armée, sa vie et son caractère lui en avait forgé une en acier trempé. Mais devant la bouteille, Sygrid sentait cette volonté s'anéantir. L'envie de boire était trop grande, trop imposante. Elle venait s'immiscer dans la moindre de ses pensées et régissait parfois même ses actes. Jusque dans les moments les plus anodins, les moins enclins à vouloir épancher une soif forte, et pourtant complétement fictive. Syg' avait conscience de céder à des instincts primaires... à la facilité. Mais sa résistance était soumise à rude épreuve et même si Gabriel lui était d'une aide précieuse, leur relation ne lui permettait pas encore de pouvoir combler le manque par un autre type de soif.
Alors oui peut être qu'elle avait été légèrement mal-aimable devant l'irruption de la jeune femme dans son champs de vision. De plus, cette dernière avait cherché à capter une attention que le Phoenix avait d'ailleurs du mal à offrir de manière assidue. Mais bientôt, cette présence lui sembla être une véritable échappatoire et elle s'y accrocha l'air de rien, pour distraire son esprit de la bouteille qu'elle avait acheté dans un moment de faiblesse. « Je ne sais pas vraiment. Ici, certainement, je me souviens d’avoir senti mes clefs dans ma poche quand je suis arrivée. » Ok... Bah avec ça, elles iraient loin ! Mais puisque le but de la Faë était surtout de se barrer très vite en oubliant malencontreusement son achat sur le banc, c'était déjà pas mal et même largement suffisant. Elle s'était alors levée lentement, et venait à présent replacer son manteau en croisant les bras. A force de rester statique, elle ne s'était pas rendu compte que le froid était si perçant... Encore une fois, une pensée vive comme l'éclair lui fit remarquer que pour se réchauffer, quelques gorgées suffiraient, mais elle tenta de l'ignorer en écoutant avec attention la femme devant elle. « Je crois que vous oubliez vos affaires ... » Bordel mais ils s'étaient tous liguées contre elle ?! D’un air las, elle observa la jeune asiatique avant de laisser un léger silence planer. Une hésitation passa dans son regard avant qu’elle ne papillonne un peu avant de déclarer :
« C’est pas à moi… c’était… déjà là quand je suis arrivée. »
L’excuse à la con. Mais en même temps quoi dire de mieux ? Qu’elle était une alcoolo notoire ? Haha ! Bien sûr… en attendant elle devait avoir une mine épouvantable et une allure bien peu rassurante. Alors Sygrid tenta d’esquisser un petit sourire pour paraitre plus engageante.
« Bien … Je ne suis pas certaine de pouvoir aider avec toute cette neige. C’est assez difficile. »
Sygrid prit une grande inspiration, laissant son regard trainer vers le sac en papier avant de partir dans la direction opposée, rejoignant un petit sentier fort peu enneigé en y entrainant la femme.
« Vous allez faire comment si vous ne les retrouvez pas ? »
Simple question de politesse, car en réalité elle n’en avait pas grand-chose à faire…
Pour le coup, Jun aurait davantage préféré tomber sur quelqu’un de plus causant, histoire que ladite personne puisse faire le conversation pour deux, mais là … Là, c’était glaçon versus glaçon, et la médaille sera à celle qui en dira le moins. Stupide ! Quoi que, ça aurait pu être un très bon show TV, qui aurait attiré tous les accros libidineux à la télé réalité, et certainement pas Jun qui avait autre chose à faire de son temps. Et son temps, actuellement était occupé par la perte on ne peut plus catastrophique de ses clefs. Hors de question de passer toute la journée dehors à faire la SDF dans le froid et sans accès à la nourriture. Même si elle était morte, Jun avait toujours besoin de ses trois repas par jours pour garder son équilibre mentale à peu près stable.
L’Ombre avait à peine terminé ses réflexions que la jeune femme remettait déjà son manteau. Et elles allaient faire quoi, là, au juste ? Partir en quête de la clé légendaire à travers la neige maléfique ? C’était ça le trip ? Non parce qu’elle venait de le faire, et même si deux vaut mieux qu’une, Jun préférait encore aller emmerder les gens à leur demander si ils n’avaient pas, par le plus pur des hasards, trouvé par un foutu miracle ses clefs par terre. Ce qui, en soi, était tout aussi près d’arriver qu’un pic de chaleur en plein hiver au pôle nord.
Visiblement, le paquet n’était pas à cette dame. C’était étrange tout de même … A sa place, Jun aurait fouillé volontiers pour voir ce qu’il pouvait y avoir dedans, et même piquer quelques trucs dedans si possible. Mais non, elle allait le laisser là, seul, dans le froid … Tristesse. Alors qu’elle resserrait son écharpe, Jun ne manqua pas de remarquer le micro sourire qui s’afficha sur les lèvres de la rousse. Bon, c’était certainement un bon signe, sinon, il fallait s’inquiéter. Si ça se trouve, il s’agissait là d’une tueuse en série. Ironique, quand on sait que Jun était déjà morte depuis déjà deux bons siècles. Gloussant intérieurement, elle entreprit de faire la route inverse.
« Bien … Je ne suis pas certaine de pouvoir aider avec toute cette neige. C’est assez difficile. »
La demoiselle cligna des yeux un instant, gênée par cette remarque pertinente. Oui, elle n’était pas d’une très grande aide, elle ne servirait peut-être même à rien, mais elle n’avait pas l’air désagréable, et Jun n’avait pas conséquent pas très envie de la dégager comme ça.
« - Oh, uh … Je ne vous demandais pas de me suivre en fait … C’est comme vous le sentez. »
Se faisant entraîner sur un chemin bien plus praticable – tant mieux, elle pourra fuir plus facilement si cette personne se révèle être une folle furieuse psychopathe – l’Ombre ne manqua d’observer les alentours. Ah, tiens, elle était déjà passé par là tout à l’heure, elle s’en souvenait maintenant.
« Vous allez faire comment si vous ne les retrouvez pas ? »
Jun lui lança un regard ennuyé du genre ‘‘ Ma petite dame, t’es bien gentille, mais là, mêle-tout de ce qui te regarde ...’’ qu’elle camoufla habilement en baillant comme si elle n’avait pas dormi de la nuit.
« - Je me débrouillerais. »
Le chemin continuait encore et encore sur une distance qui parut interminable aux yeux de la jeune femme. Bon sang, ce n’était pas en se baladant dans les bois qu’elle allait retrouver ses clefs. Une envie folle de la planter là et se barrer lui montait au nez, mais elle n’en fit rien. Politesse, politesse, ne lâche pas maintenant, elle est déjà bien assez gentille de vouloir t’aider, alors ne fout pas tout en l’air.
« - Au fait, je dois vous appeler comment ? » Demanda-t-elle de manière anodine pour combler le silence et s’empêcher d’être plus malpolie qu’elle ne devrait l’être.
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Sam 2 Avr - 10:52