Je me suis réveillé la tête dans le cul
mais c'était pas le mien.
La journée s’était écoulée avec une lenteur épouvantable. Ana s’était donné comme mission de ne pas regarder l’heure, mais c’était peine perdue. Son regard voguait inlassablement vers l’horloge clouée au mur, et chaque fois, elle devait retenir avec misère le soupir de découragement qui menaçait de s’échapper de ses lèvres. Au moins, Asher avait promis de passer la voir. Peut-être était-ce qui la rendait si impatiente? Ils ne s’étaient rencontrés qu’une seule fois, mais il lui avait plu. Beaucoup. Il faut dire que son emploi l’emmerdait un peu aussi. Plusieurs clients étaient francophones, et Ana ne comprenait pas un traitre mot à cette langue. Et même avec les anglos… Elle connaissait mal le menu, devait constamment aller aux cuisines pour poser mille et une questions. Elle se trompait dans les commandes, oubliait d’apporter les condiments, renversait de l’eau sur ses clients. Bref, elle était une serveuse de merde. Elle devait sérieusement songer à se trouver autre chose, peut-être dans une librairie ou une bibliothèque.
Lorsque la porte s’ouvre et qu’elle reconnaît Asher, un large sourire vient illuminer son visage. Il lui adresse un petit signe de la main alors qu’elle s’avance vers lui. Il la salue puis lui offre une bise, et elle recule ensuite d’un pas, priant pour que l’éclairage légèrement tamisé ne trahisse pas le rouge apparu sur ses joues.
« Bonsoir! » Lorsqu’il lui demande si sa journée a été dure, elle hausse les épaules en mordillant sa lèvre inférieure. Sa journée a été bordélique, comme à l’habitude, mais elle n’a pas envie de se mettre à se plaindre. Comme elle n’aime pas mentir, elle se contente de garder le silence, alors qu’il pose ses mains sur ses épaules, proposant de lui payer un repas. Ana lui adresse un doux sourire à cette proposition, elle rêve ou cette petite rencontre prend rapidement les airs d’un rencart?
« Je meurs de faim! », s’exclame-t-elle en glissant ses doigts entre les siens, se laissant guider vers la table. Avant de s’assoir, elle retire son petit tablier noir qui contient papier, crayon et ses rares pourboires – majoritairement laissés par des clients la prenant en pitié – et le laisse reposer sur un coin de la table. Elle sait déjà qu’elle va dévorer le plat de pâtes présent au menu du jour, et demande à une de ses collègues de lui en apporter un.
Et tu me laisseras payer hein. J'y connais rien en galanterie mais c'est comme ça que ça marche non ? Ana pose son regard sur lui, le dévisageant durant un long moment avant de pouffer de rire. Elle rit toujours lorsqu’elle est intimidée, et en présence d’Asher, c’est souvent le cas.
« C’est gentil de ta part. », répond-t-elle simplement, incapable de faire disparaître le sourire niais qui anime ses lèvres.
« J’aimerais trop visiter le parlement! Apparemment, leur bibliothèque fait rêver… Mais j’imagine que les visites sont terminées à cette heure. » Elle prend une gorgée d’eau, tout pour s’occuper un peu les mains.
« Le musée des beaux arts a l’air magnifique également. Mais sinon, juste un parc ça peut le faire pour ce soir… » Vraiment? Que se passera-t-il, quand elle n’aura plus rien à dire pour alimenter la conversation, et qu’il se lassera d’elle? Elle aurait mieux fait de proposer d’aller voir un film. La serveuse lui sert son plat, et elle la remercie d’un sourire avant de se saisir de sa fourchette.
« Tu ne manges rien? »