Paisible. C’est le mot auquel il me faisait penser en cet instant. Ses précieuses mèches sombres glissants entre mes doigts. Ses yeux fermés et ce sourire serein qu’il affichait, profitant ainsi des derniers frissons de plaisirs qui parcouraient son corps. Je savais que j’étais redevenu humain pendant l’instant que nous partagions. Mais ce genre d’action, de phénomène bien trop lointain pour moi, décapite cette retombée normalement plus douce et plus lente. J’étais déjà pleinement conscient de notre environnement, des parfums qui se mélangeaient autour de nous, de la situation dans laquelle nous étions et de laquelle nous profitions, de notre position actuelle. Bref, tous mes sens étaient en éveil, à l’écoute. J’étais pleinement conscient.

À ma demande on ne peut plus sérieuse, il ne fit qu’un ‘oui’ affirmatif de la tête, comme seule réponse. Sans doute que le moment était mal choisi pour être aussi sérieux, aussi grave. Je comprenais ma faute. Après tout, les êtres humains sont plis épicuriens que les morts ! Profitant de chaque instant de leur vie, écoutant leurs sens, profitant des différentes sensations et émotions… Que je les comprends ! Tout cela me manque parfois… Bien que la souffrance ait été l’une des seules sensations qui composaient ma vie et qui me rappelait que j’étais bel et bien vivant. Que j’étais bel et bien mortel…

Mon Damné me sourit ensuite, me confiant qu’il ne connait même pas mon nom. C’est vrai que ma demande était plutôt absurde de ce point de vue là… Mais c’était une sécurité quelque part. Au moins de cette façon, je pouvais être certain qu’il resterait en sécurité. La promesse de l’ignorance est sans doute plus difficile à tenir lors qu’on sait. Mais lorsqu’on ne sait gère, elle sera tenue.
Mais alors que je lui témoignai d’un geste plein de tendresse avec un regard adoucis, quelque peu désolé pour la froideur don je pouvais faire preuve, un baisé sur son front en lui demandant ce qu’il avait peint. J’étais réellement intéressé par ce tableau que je n’avais pu voir. Tout ce ton j’avais été témoin, c’était de sa transe, me regardant avec un regard hypnotique et hypnotisé par mon corps que je lui avais dévoilé sans honte apparente. Un corps où l’on pouvait lire toute sa vie en tant qu’être vivant. Un corps marqué par toute la violence d’un père, un corps marqué par les séquelles d’un abandon tragique. L’amour avait été une vaste blague, une grosse trahison dans cette vie. C’est pourquoi je m’étais promis de ne jamais tomber amoureux… Mais quant à l’acte qui venait de se produire entre nous, faisant de moi quelqu’un d’autre, cette transcendance infernale et inévitable, avait éveillé en moi ce doute sur l’origine et la nature des sentiments qui étaient nés en moi et pour lui. Mon Damné. Mon Aimé. Mon Amant. Était-ce réellement de l’amour ? Je ne saurais le dire, n’ayant jamais ressenti ça avant ce que j’ai ressentis la veille et en ce jour. Cette communion parfaite, cette complicité extrême. Cette envie physique, cette torture mentale. Tant de questions tournaient encore dans mon esprit. ‘Pourquoi’ et ‘Comment’. Sans doute trouverais-je les réponses en regardant le tableau qu’il tourna vers nous, de son fluide alchimique en remuant simplement ses doigts.

Il me confia qu’il ne savait pas comment nommer ce tableau. Il a l’habitude de connaître le nom d’une toile à la dernière douche de couleur, mais qu’il ignore encore comme appeler celle-là… Je redressai la tête, regardant alors l’illustration de ce qu’il ressentait en me voyant nu, devant lui, quelques instants plus tôt. Mais le tableau ne répondait pas à mes questionnements enfuis. Même si j’aimais ce que je voyais. J’aimais sa façon de me voir. C’était poétique de mon point de vue. Un point de vue qui ne connait pas grand-chose à l’art, mais qui y est sensible… Je ressentis une vibration lorsqu’à nouveau, de ses doigts, il changea l’air sérieux du personnage, en lui ajoutant ce sourire qu’il avait pu admirer lors de notre extase commune. Je souris en voyant la touche de magie agir, presque amusé.

Je répondis, tout en continuant à admirer son œuvre, souriant légèrement amusé par le détail qu’il venait de changer :

« Si tu n’as guère trouvé de nom à ce tableau, c’est qu’il n’est pas encore terminé ! »

Lui confiais-je dans un murmure d’une logique assurée.
Délicatement, je me défis de son étreinte à contre coeur, me redressant, me relevant complètement pour avancer, toujours entièrement nu, pour regarder de plus près le portait qu’il venait de faire de moi.  J’en regardai tous les détails, me trouvant à quelques centimètres à peine de sa toile. J’étais admiratif d’un tel travail, sachant parfaitement que je n’étais pas capable moi-même de réaliser quelque chose de semblable. Et puis, le ressentis, les vibrations étranges qui en émanaient, ne me laissèrent guère indifférent. C’était un phénomène réellement étrange auquel j’étais en train d’assister. Comme si les sentiments, comme si les émotions qu’il y avait peint, me parlaient, essayant de me faire passer un message… Peut-être est-ce ça finalement l’art ?! En plus de 500 ans, j’ai appris à le cerner, à le voir évoluer, mais jamais je n’ai été fichu de le comprendre… Et pourtant, ce n’était pas le temps qui m’en manquait !

Il me posa alors une question lourde de sens pour lui. « Et maintenant ? »… Les êtres humains sont si impatients de nature, parce qu’ils connaissent la valeur réelle de la vie. Ils veulent tout faire avant la mort, avant l’éternité, c’est compréhensible après tout…  Mais pourquoi être si pressé ? Il sous-entendait déjà un passé, alors que nous venions à peine de nous rencontrer. À peine de nous découvrir. Nous avions tout l’avenir devant nous pour construire quelque chose. Le temps est ainsi fait. Peut-être était-il pressé de voir notre histoire naitre et grandir, mais le temps est le temps. Rien ne sert d’essayer de le tromper, il nous rattrape toujours de toute façon.

Regardant ma main encore touchée par son fruit d’être vivant, je me permis, de mon autre pouce immaculé, de le toucher légèrement, de rentrer en contact avec lui, encore tiède, faisant des petits cercles, tout en disant de vive voix en reprenant les mots de sa question pour y répondre :

« Et maintenant, je vais te dire ce que tu dois savoir… Je me nomme Simon Alexander Montgomery… Plus connu sous la dénomination de SAM, l’ombre de la vengeance hantant le monde sous la forme d’un squelette maudit, depuis déjà plus de 5 siècles… Depuis ma mort, j’ai parcouru le monde à la recherche d’une personne en particulier. C’est cette personne qui m’a détruite, qui m’a tué. Et c’est de cette personne qu’il va falloir te protéger, car elle est ici, dans la capitale. »

Lui dis-je, toujours nu face à cette toile, face à ce portrait inachevé, continuant à tournoyer mon pouce dans le fruit tiède de son extase. Puis soudain, je vins en mettre un peu sur la toile, au niveau du bas ventre du personnage, en prenant soin de ne pas l’abîmer. Maintenant c’était bel et bien un reflet complet. Son fruit allait faire partie de son œuvre. Preuve irréfutable de son influence sur moi. Preuve visible de son pouvoir qui avait fait de moi un être humain.

« Et à présent, dis-moi quel est le nom de cette toile ? »

Lui demandais-je, persuadé d’y avoir apporté, la dernière touche. Celle qui concluait l’acte qui venait de se passer entre nous. Non seulement sa toile démontrait ce qu’il avait ressentis à me voyant la veille, en me voyant aujourd’hui, et dès à présent, elle concluait, par son existence, notre rencontre et notre promesse mutuelle d’une vie que l’on allait construire ensemble.