La jeune femme sursauta violemment et jeta un regard atterré vers le grand tableau de maître à sa droite : elle aurait mis sa main à couper qu'il venait de bouger !! Ebahie, elle le fixa de longues secondes, cherchant où était le loup, persuadée qu'il se passait quelque chose...
Son petit-ami finit par l'attraper par le bras pour l'entraîner à sa suite, la regardant bizarrement :

« Dis, pourquoi tu t'arrêtes ? »
« Mais... tu as vu, il a bougé !! »
« Quoi donc ? »
« Le tableau enfin ! Tu n'as pas vu ? »

Il tenta de la rassurer tout en continuant à avancer, l'entraînant un peu plus loin dans la gallery. Et leurs piaillements finirent par s'estomper, laissant le stryge seul face au tableau qui se remit imperceptiblement à bouger. C'était presque inoffensif, voire carrément illusoire de penser que le cadre doré bougeait mais... En y regardant de plus prés, il bougeait bel et bien. De quelques millimètres vers la gauche, avant de revenir vers la droite.

A bon entendeur salut : l'Ombre l'avait senti et l'accueillait comme il se devait, de la manière la moins subtile qu'il ait pu trouver. Ce qui démontrait toute l'antipathie qu'il ressentait pour la créature ailée qui osait revenir dans son antre, désignée d'office comme son territoire absolu.

A trois couloirs de là, Hannibal marchait d'un pas mesuré, traversant la salle des peintres flamands pour atteindre celle de l'art pictural du Xxème siècle. Son regard était dirigé droit devant lui, traversant quasiment les murs pour trouver l'intrus qui revenait fouler son territoire pour une nouvelle confrontation.
D'une manière générale, et par habitude plus que par réel principe, Hannibal détestait toutes les créatures surnaturelles. Mieux valait prendre de la distance avant d'être touché, et il avait trop abusé de la proximité du Djinn qui le gardait prisonnier ici pour ne pas être désormais totalement allergique à toute autre forme de surnaturel.
D'où son accueil destiné au stryge.

Mais il avait également fait ses devoirs, et il savait que les faës étaient les ennemis naturels des Stryges, la réciproque s'appliquant également. Et quelque chose lui murmurait que la créature ailée n'était pas plus passionnée par les tableaux de Monet que lui ne l'était par le récit en 24 volumes de la vie de Mojotez de Lavega, un sombre comptable espagnol de l'an 1658.

Quitte à avoir un territoire désigné d'office, autant le rendre aussi agréable à habiter que possible. Ce qu'une confrontation frontale entre le Djinn qui dirigeait les lieux et le stryge qui venait d'arriver ne permettrait pas. Si ce type venait chercher la guerre, il risquait de se frotter à une Ombre peu décidée à le laisser faire.

Ses chaussures de prix claquaient sur le sol et quelques visiteurs s'écartèrent sur son passage, impressionnés sans doute par la détermination qui se lisait dans le regard de l'Ombre. Il avait délaissé ce qu'il était en train de faire (c'est-à-dire pas grand-chose, Hannibal s'employant à en faire le moins possible dans le seul but d'ennuyer Aladàr) et s'était précipité ici, se préparant presque mentalement à une confrontation.

Il n'avait pas l'habitude des Stryges : même quand il était libre de voyager comme il l'entendait, il avait soigneusement évité ces créatures. Sa seule rencontre avec une banshee avait été tellement douloureuse qu'il avait par la suite préféré se montrer lâche plutôt que stupide.
Aussi ignorait-il ce que la créature ailée serait capable de faire contre lui mais il était au moins sûr de ses propres pouvoirs : pouvoir se rendre immatériel, et donc intouchable, présentait des avantages indéniables.

Le seul souci résidait dans la présence des visiteurs humains... Mortellement et inopinément humains.