Le coupable couine. Entre les étaux froids de ses chaînes. Ses pupilles dilatées observent attentivement celui qui, d’un coup brusque, abat sa lame pour la ficher dans le plateau en bois de sa chaise. Pile entre ses jambes. Pile près de ses parties génitales. Il déglutie, le pauvre oisillon. Paré au pire. Les iris polaires de son bourreau l’étudient soigneusement. Il n’y a aucune brutalité dans ses mouvements souples. Le géant pince ses lippes fines, pliant son ossature pour poser son cul enroulé dans un pantalon chic sur un tabouret haut. Bras croisés, boucles claires et presque blondes enroulées sur son crâne au front haut … Il ne lâchera jamais l’affaire.
« - … Je sais rien … je vous le jure, qu’il répète, le petit con.
Il croit voire un stigmate au coin de ses babines. Une ridule de mécontentement. Difficile à dire. Le monstre est une vraie statue de granite. Les mains moites d’hémoglobine et de sueur, il continue ses monocordes tergiversations.
- Le nom, crache la voix suave et profonde du Stryge.
La victime inspire, expire et crache une pelote de glaire sanglante à ses pieds. Dos courbé, la toux arrachant sa trachée tandis qu’il inspire à nouveau avec difficulté. Les nombreuses coupures douloureuses sont trop peu profondes pour lui faire faire une hémorragie. Le connard sait parfaitement ce qu’il fait.
- J’sais pas, j’vous jure patron … J’étais pas là-bas ce soir-là ! Vous m’avez pas payé pour garder la marchandise.
Un nouveau coup sur son oreille lui arrache un cri de douleur et des milliers d’étoiles dansent devant ses prunelles brouillées.
- Je sais quelle fonction je t’ai attribuée, misérable insecte, persiffle le monstre d’une voix glaciale. Tu es en charge du trafic des marchandises et le soir de ton service, plus de deux-cent-milles dollars de sang ont disparus miraculeusement dans la nature.
Deux pattes immenses agrippent son col, et en une fraction de papillonnements, ses polaires opales sont là. A quelques centimètres des siennes.
- Je sais à quoi tu t’attends … susurre la bête lentement. Tu crois que je vais finir par te tuer ?
L’étau se resserre, frôlant l’épiderme de son torse. Le tissu l’étouffe, la crainte le paralyse.
- Tu vas pourrir à côté de ton petit copain jusqu’à que j’ai ce foutu nom, tu piges ?
Et à son corps de valdinguer hors de sa chaise alors qu’il arrache le couteau brutalement de son bois. Il n’a plus la force de brailler. Ni de supplier. Il sent juste l’odeur putride au fur et à mesure qu’il avance près de sa prison. La même depuis des jours. Il sent sa carcasse malmenée percuter le mur de la cellule, il entend le bruit sourd de la cage qui se referme, le cliquetis des clefs dans la serrure … Mais ce qu’il l’obsède, c’est l’odeur. La douleur, il s’y fait. La vision du cauchemar voisin ? Il ne pourra jamais … Son bourreau s’éloigne déjà de lui, tandis que ses prunelles se posent sur le cadavre décomposé de son frère dans la cellule voisine.
Au loin, l’écho des sifflements de Rousseau vrillent ses tympans, tandis que les restes de son repas dégoulinent à côté des autres marres de déchets humains.
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Il parlera. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il abandonne, qu’il cesse tout espoir de revoir un jour la lumière. Et même si l’honneur le prive de ses cordes vocales pour le moment, l’attente de la mort tant désirée le ramènera à la raison. Ses longs doigts tapotent un air de Mozart dans poches, tandis qu’il se dirige vers son bureau. Sûrement trop distrait par ses prochaines affaires à régler, pour veiller aux moindres petits bruits suspects dans le manoir. Loin du sous-sol macabre d’où il sort à peine. Le géant millénaire cesse sa marche, à deux pas de son bureau, fronçant les sourcils tout en penchant la tête. Il a entendu un bruit. Un bruit cauchemardesque.
Le son de cordes vocales torturées par une … toux déchirante.
Les talons cirés du Français pivotent en emportant son corps de gazelle dans l’élan, et il l’a voit. Merde. Pile dans l’encadrement de la porte. La garce !
- … Cassandre, dégage de chez moi, qu’il siffle d’un ton menaçant en voyant un bout de mucus immonde couler de sa petite narine droite. Tu ne devrais même pas être ici. »
Aussitôt dit qu’il recule, près de la fenêtre si possible. Sait-on jamais.
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Lun 21 Mar - 19:51