sous les étoiles des constellations
lily & irène

Les pavés frappés par les talons aiguilles des dames pleurent les semelles plates des enfants joueurs. La mousse sèche commence à s'effriter, elle tente de s'accrocher toujours à ce dallage. Le trottoir rejette ses ordures nauséabondes, tandis que les oiseaux survolent les badauds de la rue. Le vent froid les menace, ils se hâtent de rentrer chez eux. Une pluie fine s'abat tranquillement sur les vitres de l'opéra, les filets minces des gouttes déposées glissent le long du verre. Dans le ciel, rares sont les trous bleus qui annoncent un temps fabuleux, et les nuages blancs font tâche dans ce décor gris. Des arbres aux branches enlacées supportent ce morne temps, tandis que s'achève la promenade lente des spectateurs attardés.
J'entre dans l'opéra, repliant mon parapluie qui ne protège plus. J'observe l'intérieur. Un comptoir pour retirer les billets, un lustre magnifique qui surplombe un escalier. Le sol est lisse, on peut entendre les souliers des visiteurs frotter contre celui-ci. On voit toujours les balafres laissées par l'eau sur la vitre, comme si elles voulaient qu'on les remarque enfin. Mes yeux glissent vers le lustre. Je vois ces lampes qui vacillent tranquillement sur leur support. Petites lumières qui ressemblent à des étoiles. Des étoiles qui forment des constellations. Ainsi, elles protègent l'ensemble du hall. Étrangement, je trouve cette vision trop positive. Elle sent le rose et le bonheur. Mais ce n'est pas ça, le monde d'aujourd'hui. J'avance vers le comptoir, et je me glisse dans la queue. L'attente n'est pas si longue, et j'arrive vite près de mon but. « Bonjour. » je lui montre mon billet et lui demande quelques formalités inintéressantes qui pourtant sont censées être utile, et je me rends vers les départs de visite. Une vieille dame avec son déambulateur attend avec un homme assez jeune qui la tient par le bras. Elle vocifère de sombres paroles eu égard à l'environnement qu'elle qualifie inapproprié pour une dame comme elle. Étrange personne. Je jette un œil vers notre guide, et je la découvre. Elle est assez grande, aux longs cheveux noirs assortis à ses yeux. Je la trouve belle, très belle, d'ailleurs. Dans la lumière jaune orangée de la grande salle, elle en est plus resplendissante.

sous les étoiles des constellations
lily & irène

Pièce en pièce, escalier en balcons, salle en salle et couloirs en corridors, l'Opéra regorgeait de tant de pièces plus somptueuses les unes que les autres. Je remarquai, lorsqu'on était dans la salle de spectacle, le plafond qui était peint d'innombrables personnes illustres. J'étais fascinée de ces représentations humaines. Bien sûr, il n'y avait pas uniquement les humains qui étaient représentés, mais c'était eux qui peuplaient la plus grande partie de ce toit en coupole. A force d'emprunter les escaliers, nous arrivâmes en haut des balcons, dans les poulaillers. D'ici, on pouvait voir toute la salle. C'était très beau, avec le jeu de lumière créé. J'aimais énormément cette grande salle de spectacle qui permettait de se détendre en s'amusant. Les fauteuils, assortis aux rideaux de velours rouge, étaient très confortables et pendant que la guide, qui se prénommait Lily, nous expliquait, je contemplais cette espace qui me calmait. Nous ressortîmes de la grande salle pour la dernière partie de la visite, apparemment le clou du spectacle, la salle principale. Elle aussi, était magnifique, comme le reste de l'Opéra, elle n'avait absolument rien à envier à ses voisines. Ce serait même le contraire. Dorures, mosaïques, enfin, toutes les formes d'art, et Dieu sait qu'il y en a tellement, étaient représentées ici. La beauté de la pièce était époustouflante. De chaque détail émanait une certaine originalité. Stupéfaite, encore une fois, par l'intérieur de l'Opéra qui semblait si simple de dehors, si basique, si... normal, en fait, un bâtiment comme les autres. La visite s'acheva, la dame en déambulateur n'arrêtait pas de vanter les qualités de la salle, tandis que son compagnon médisait ses défauts. Un duo bien comique. Je m'approchais de Lily, et je remarquais qu'elle aussi, elle était fascinée par ces lieux. Pourtant, elle y venait tous les jours. A croire que les belles choses savent toujours nous éblouir à chaque fois qu'on les regarde. Je me décidais à engager la conversation entre la guide et moi-même, mais je ne savais pas vraiment par où commencer. Maladresses infantiles, comme qui dirait... « Merci, c'était très bien expliqué, et cet Opéra est d'une... oh, je ne sais pas comment le qualifier. » c'était la vérité. On ne pouvait pas dire ce que l'on ressentait lorsqu'on rentrait ici. On avait peur de dire un mauvais adjectif, un beaucoup moins bien que celui qui conviendrait. On est jamais vraiment contents.

J'avais l'impression que Lily était très attachée à cet endroit, à son histoire, ce qui s'en rattachait. Quand elle parlait, on sentait une vraie passion émaner d'elle. On avait envie d'en savoir plus, rien que pour continuer à l'entendre débiter des phrases complexes sur l'architecture, l'ancienne troupe, et puis aussi le reste. Lorsque j'étais arrivée dans cet endroit, j'avais imaginé une salle toujours bondée, avec des personnes qui grouillaient partout, des files d'attentes interminables pour aller voir un spectacle. Mais rien de tout cela ne s'était produit. L'explication de la guide concernant le départ de la troupe témoignait de ce grand vide qui se formait, trou sans fin dans lequel on se perdait dangereusement. Je n'avais pas grand chose à donner au théâtre. Peut-être que je pourrais les aider. « Je vous comprends. Mais une autre troupe ne pourrait-elle pas venir jouer, remplaçant l'autre ? » peut-être qu'ils en avaient déjà cherchés. Ou bien étaient-ils trop attachés à la précédente pour accepter d'en trouver une autre ? Les questions se bousculaient peu à peu. « Ce serait génial, de trouver d'autres personnes pour faire revivre le théâtre. Il serait dommage de laisser la bâtisse dans une sorte d'abandon. » Comme mon interlocutrice le disait si bien, il ne restait plus qu'un bel emballage, avec du vide à l'intérieur. Ce espace sans rien se devait être comblé, juste pour rendre hommage à cet endroit fabuleux qui n'était pas des plus connus. La vie ici trouverait un autre tournant, et les visiteurs deviendraient plus nombreux. Je voulais voir cette effervescence. De mes propres yeux, pour découvrir comment ça évoluerait. C'était plus fort que moi, j'avais envie de découvrir comment un si joli opéra remonterait la pente qu'il a dévalé après le départ de ses comédiens. Comme une arène vidée de ses combattants. Maintenant, il y en aurait d'autres. Je suis sûre que Lily pourrait à elle seule donner envie de venir jouer ici. Elle l'aime tellement, cet opéra. Son amour donnerait envie à n'importe qui de venir, voir et écouter ce qu'il se passerait ici.