Loup y es-tu ?

Il avait beau faire nuit tôt à Ottawa, surtout l’hiver, Magyar ne s’habituait toujours pas à ce grand manteau de silence qui tombait toujours sur la banlieue quand le soleil se couchait. C’était étonnant, comme si les sons parvenaient ensuite à travers un gros casque. Tout était étouffé, et parvenait de manière grave et lointaine. Et pourtant lui, il en faisait du bruit sur sa petite route ! Déjà, parce qu’en effet la route était vraiment très petite… et très éloignée de la ville. Mais surtout parce qu’elle traversait une forêt qui avait l’air plutôt dense. C’était presque flippant. Non… en vérité Magyar flippait vraiment ! Sans aucune lumière pour l’éclairé hormis celui du phare avant de sa titine, il avançait limite à l’aveugle sur le bitume gelé qui s’étalait toujours tout droit devant lui. Ce chemin-là, il le faisait tous les jours depuis une semaine, pour rendre visite à une patiente, qui ne pouvait plus se déplacer à cause d’une grossesse pénible et délicate. Mais il était toujours venu de jour… Maintenant, et de nuit, le trajet semblait prendre une proportion horrifique parfaitement insupportable pour sa sensibilité d’homme fort peu courageux. Il était même très probable qu’une fois arrivé à destination, le Pixie passe un coup de fil à son grand frère afin qu’il vienne le rechercher… Pas question de repasser tous seul au travers de cette forêt, noire et mystérieuse, donc le silence glaçant lui donnait déjà une sensation de panique asphyxiante. Un regard vers la forêt, et le Pixie émit un petit couinement de frayeur avant de fixer la route devant lui… Combien de temps encore avant d’arriver ? Longtemps, bien trop longtemps à son goût. Il accéléra alors, faisant rugir le vieux moteur de sa mobylette qui pétaradait monstrueusement. C’était très discret… La résonnance était assourdissante. Mais faire du bruit dans cet environnement le rassurait beaucoup !

Malgré cela, il continuait de penser qu’une fois arrivé chez sa patiente, il serait dans l’obligation de demander à Lorcàn de venir le chercher. C’était ça, où supplier sa patiente de l’héberger pour la nuit, pour cause de chochotisme aigus. Ce qui la foutait quand même très très mal, il en convenait. Mais il se sentait déjà incapable de faire le même chemin à l’inverse. Et s’il croisait une Sidh ? Selen lui avait parlé de ces trucs là une fois… ces espèces de fantômes qui surgissaient comme ça, sur vous pire vous aider ou vous torturer ! C’était encore pire que les histoires d’horreurs… C’était effroyable ! Et si les Sidhs s’amusaient à venir le voir, lui qui faisait tant de bruit sur cette route esseulée ? Oh … seigneur… Il accéléra encore une fois, la panique le saisissant à la gorge alors qu’il tenait de rejeter l’image d’une dame blanche qui l’observerait avec ses yeux… pleins d’yeux, sur le bord de la route, perchée sur un monticule de neige. Mais au bout d’un certain temps, une véritable forme, blanche également, fila sous ses yeux à une vitesse folle ! Cette fois ce n’était plus de l’angoisse, mais une peur transcendante qui l’étouffa presque alors qu’il tentait de freiner sans glisser sur la route. La forme l’avait terrorisé, mais elle se trouvait surtout devant lui… Comme si elle avait eu dans l’idée de se jeter sous ses roues. UNE SIDH ?? Une Sidh l’attaquait… Pour qu’il s’arrête et qu’il soit plus facile de se jeter sur lui ! Il était foutu…

Magyar trouva le moyen, péniblement, de ne pas tomber après l’impact. La mobylette vrilla pourtant sur la droite et termina sa course après un choc plus violent bien qu’amorti, dans la neige. Et lui, resta immobile dessus un instant. Ce n’était pas un fantôme, vu qu’il avait tapé dedans ! Une trouille autre qu’horrifique s’empara alors du Pixie qui se tourna vers la route pour observer la forme blanche, immobile au milieu de la route. Un chien ? Il avait heurté un chien… C’était encore pire qu’une Sidh merde ! Maladroitement, et les jambes tremblantes, il quitta le siège de la mobylette pour retirer son casque qu’il laissa tomber dans la neige. Puis il s’approcha du chien présumé… qu’était pas un chien vu sa taille… la taille de ses pattes, la taille de son museau… oh bordel, la taille de ses crocs !

« Oh putain … UN LOUP !! »

Il crut défaillir puis courut loin de la créature, dérapant sur une plaque de verglas mais résistant à la gravité pour rester debout. Le Pixie avait alors fini comme sa mobylette, encastré dans un tas de neige derrière lequel il sauta pour se protéger de la créature (oui, les loups ont peur des tas de neige… c’est Bear Grylls qui l’a dit !). Puis il observa en silence la créature figé au sol, cherchant à mettre de l’ordre dans son esprit. Même réagir convenablement à cette situation semblait être compliqué. Pourtant, sa spontanéité parla à sa place, mais il n’osait toujours pas toucher la bête au sol.

« … Un loup. J’ai buté un loup mais quelle horreur ! Un loup Sidh ? Non pas possible… »

Il s’était pris la tête entre ses mains, aux bords des larmes à l’idée d’avoir abattu une si magnifique créature. Il ne pensait pas, bien évidemment, que la bête aurait pu lui bouffer les miches… Et encore moins que les loups du Canada vivaient bien plus loin que dans les bleds avoisinant la banlieue d’Ottawa. Mais ce qui le surprit soudain, ce fut le changement qui opéra sous ses yeux, quand le loup laissa place à une jeune femme nue… et qu’il manqua de tomber dans les pommes sans passer par la case ‘étonnement’.

 

Loup y es-tu ?

Oh putain au putain … on se calme, on respire, et … bah ouais après, qu’est-ce qu’il devait faire le Pixie exactement ? Lorsqu’était apparue la jeune femme sous ses yeux, il avait bien cru se prendre l’hallucination du siècle en plein dans la mouille. C’était quoi le délire en vrai ? Il percutait des loups et des déesses blondes et parfaitement nues reprenaient leur forme initiale pour son plus grand malheur ? Parce que bon … si l’espace de quelques secondes le Pixie était resté parfaitement stupéfait, il avait ensuite pris conscience de deux choses. La première, c’était une fille. Une fille toute nue… et ses joues s’étaient alors enflammées de pudeur. Deuxième chose, moins amusante… si c’était une femme, alors il avait peut être tué un Etre Humain. Devant cette possibilité, les yeux larmoyants du Faës se posèrent sur la jeune femme étendue. Putain … que devait-il faire ? Après tout, il était médecin… en quelque sorte.  Mais alors qu’il allait se redresser pour sauter le talus de neige et se rendre auprès de la louve rendue humaine (et là gros tilt en lui  ‘ooooh mais oui c’est une Berserker suis-je con ?!’ bah oui mon gars… t’es con !) elle bougea. Doucement d’abord, puisqu’elle semblait reprendre conscience de l’accident et s’enquérir de son propre état.

La peur et la culpabilité vinrent à étreindre Magyar si fort, qu’il avorta (c’est con pour un accoucheur) son geste pour la rejoindre et se cacha à nouveau derrière le tas de neige. Son cœur battait réellement la chamade, et il avait l’impression d’être un steak dans le frigo d’un carnassier. Ce qui était complétement stupide sachant qu’il était loin d’être celui que le danger guettait après un accident pareil ! Mais il ne pouvait s’empêcher d’avoir la trouille… Même si à aucun moment il ne vint à l’esprit du Pixie qu’il pouvait utiliser son don d’invisibilité ou simplement se changer en la petite créature qu’il était réellement histoire de filer vite et bien des lieux du crime. Car au fond, la jeune femme allait certainement avoir besoin d’aide, il attendait simplement les représailles qu’il allait recevoir avant de pouvoir lui accorder son attention. Ce qui ne tarda pas à arriver puisque cette dernière se traina, en sang jusqu’à lui. Il ne tourna la tête vers elle que lorsqu’elle fut proche de lui… et la vision qu’elle lui offrit le força à retenir un cri d’effroi qui se coinça dans sa gorge. Oh mon… DIEU ! Il crut défaillir à nouveau… mais fit un effort surhumain pour ne pas tomber inanimé dans la neige, se répétant sans arrêt « C’est pas une Sidh c’est une Berserker c’est pas une Sidh c’est une Berserker » comme un vieux disque rayé. Mais il sursauta quand même quand la voix de la jeune femme s’adressa à lui si vigoureusement. « Vous auriez pas pu faire attention ?! Un peu plus et j'aurai pu crever toute seule, percuté par un hipster ! Sympa comme manière de quitter ce monde ... » … Si le regard de la blonde était assassin et lui coupait toute envie de répondre, il trouva pourtant le moyen de lâcher dans un murmure :

« Mais je … suis pas un Hipster ! »

Ok d’accord c’était pas vraiment l’information la plus importante dans cette affaire mais il était resté un peu choqué devant cette déclaration, avant de secouer la tête et braquer son regard de petit lapin terrifié dans celui de la Berserker. Un regard suppliant, parce qu’elle aurait très bien pu le bouffer tout cru, qu’il n’aurait pas pu lui refuser ce privilège après l’avoir percuté ainsi. Mais il tenta de se redresser, timidement. En évitant soigneusement de la regarder ailleurs que dans ses jolies mirettes. Et il retira l’épais manteau qu’il portait pour le lui tendre.

« Je suis désolé Madame… Mais vous avez surgit comme ça, j’ai pas eu l’temps de faire quoi que ce soit. Et puis ma vieille titine est pas très réactive… comme moi. Héhé… »

Tentative de blague… C’était pas encore ça ! Un peu plus, et il éclatait en sanglot ! Mais il essaya de se reprendre, pour lui demander en baissant à nouveau la voix, comme s’il s’agissait d’une proposition douteuse :

« Je suis médecin… enfin presque médecin, je peux peut être regardé vos blessures. »

Pour un toubib, il n’en menait vraiment pas large. Mais cette étrange rencontre nocturne alors qu’il s’imaginait déjà le pire sur cette route effrayante ne l’aidait pas vraiment à montrer le meilleur de lui-même.