Deux semaines.

Deux semaines que la Stryge s'était efforcée de se nourrir de chair humaine. Deux semaines qu'elle échouait lamentablement, à la dernière seconde avant de planter ses crocs un cri familier retentissait dans son esprit et elle prenait la fuite. Cette voix épouvantée, cette voix qui déchirait le cœur de la vieille créature depuis plus de cent années la hantait toujours. C'était en partie ce qui expliquait le côté ermite et bestiole nocturne de la demoiselle, son manque récurrent de sommeil. Souvent troublé et bref, Astrid avait finit par s'y faire au final. Enfin façon de parler.

Cela faisait donc deux semaines que la belle s'entêtait à vouloir reprendre un régime alimentaire commun à son espèce. Echouant chaque tentative, le désespoir et la faim la gagnait petit à petit. Ce besoin de chair et sang humain la dévorait littéralement.

Affaiblie, malade et les idées brouillées par ce creux dans ton estomac elle décida de sortir une nuit de plus. Sortir pour tenter de se nourrir, elle ne pourrait plus tenir longtemps. Vêtue simplement, un gilet à capuche comme pour la cacher du monde elle et sa monstruosité elle arpentait les rues sombres. Tremblante ou plutôt fébrile, son pas rapide trahissait sa violente aliénation. Comme le prédateur qu'elle était, elle chassait. Elle cherchait à détecter ne serait-ce qu'une odeur, un son qui lui indiquerait que quelque chose de vivant était là non loin. Silhouette inquiétante, le visage à moitié dissimulé elle continuait à se déplacer dans les ombres. Ses pensées étaient dirigées vers une seule et même chose : la chair. Astrid n'était plus vraiment, la Stryge avait prit sa place. Peut lui importait si sa proie allait être humaine ou autre à présent. Perdue dans ses pensées, un bruit la fit s'arrêter de marcher net. Elle resta plantée au milieu de la rue, attendant que le bruit se reproduise. Des pas. Derrière elle. Le son de son sang qui battait résonnait dans ses tempes, bouillant. En une fraction de seconde, elle s'était retournée et jetée sur l'individu derrière elle, au mauvais endroit au mauvais moment.

Sans vraiment réfléchir aux conséquences, sans vraiment penser à ce qu'elle faisait elle finit avec le sang de la stryge qu'elle dévorait sur les mains. Bien que cette chair n'était plus suffisante pour l'organisme de la jeune femme, l'ingérer remplissait déjà le vide qu'elle avait. Elle en serait très certainement malade bientôt elle le savait, mais elle ne pouvait pour l'instant plus arrêter son festin. Concentrée sur son modeste repas, un bruit la fit s'arrêter de bouger. Encore des pas, quelqu'un était à quelques mètres d'elle. Elle se retourna avec le même regard que celui d'un animal féroce, dérangé pendant une tuerie. Les mains encore pleines des entrailles chaudes de la stryge étendue au sol, elle laissa tomber son butin. Fixant l'intrus, elle se dressa et commença à avancer vers ce qu'elle déduisait être un semblable en face d'elle. Sans vraiment en connaître la raison elle se sentait menacée par cette présence, elle se sentait en danger. Comme si ses instincts primaires régissaient son corps. Après quelques secondes qui semblèrent être rallongées par l'atmosphère lourde et tendue qui régnait entre les deux stryges, elle bondit. Comme un fauve saute sur sa proie, sans aucun son ni mouvement qui l'aurait trahit.

Grâce à la surprise, Astrid réussit à maîtriser son opposant qui était bien plus grand et massif qu'elle. Propulsé contre un mur et bloqué par une clef de bras, la jeune femme réussit à le tenir ainsi quelques courtes secondes, qui furent assez pour lui permettre de planter ses crocs dans l'épaule de son congénère. Aussitôt elle se fit éjecter avec violence à l'opposé de la ruelle. Sonnée, le temps qu'elle se redresse pour faire face plusieurs coups lui tombèrent dessus et un en particulier donné à la tête lui laissa une vue trouble l'espace d'un instant. La mâchoire serrée, quelques jurons s'en échappèrent. Enragée, elle voulut se jeter à nouveau sur celui qui l'avait dérangée et mise en rogne. Sauf qu'a l'instant où son poing aurait pu toucher sa cible, elle dévia et son poing s'enfonça dans le mur derrière lui.

Fixant sa main et le sang qui en coulait, une question lui vint soudainement à l'esprit. Elle ne comprenait plus pourquoi elle avait été si en colère, sans raison. Perde les pédales comme ça n'était pas son genre, ou du moins ça ne lui arrivait que très peu souvent. Après quelques secondes, elle retira son poing du mur, faisant tomber quelques débris. Se démunir de son calme et sang froid manquait terriblement de classe, elle le disait toujours. Tâchant de reprendre un air calme, elle se tourna lentement vers l'homme non loin d'elle. Le visage neutre, sans aucune émotion apparente. Elle tentait de voir ce qu'il comptait faire. Attaquer ? Rester immobile ? Prendre la fuite, et dans le pire des cas, la dénoncer ? Elle espérais que la troisième option n'en reste qu'une. Guettant un rictus, un regard ou un mouvement, la jeune femme ne bougeait plus d'un poil. Après un moment silencieux passé à scruter son interlocuteur, elle finit par lancer.

Pardon pour ce.. Désordre.

Prenant une allure plus décontractée, elle secoua sa main ensanglantée par le coup porté au mur ce qui produit une giclée de sang au sol. Abaissant sa capuche, replaçant correctement ses cheveux, elle décidait de jouer cartes sur table. C'était ce qui lui semblait le plus judicieux, et son instinct lui disait que c'était la chose à faire.

D'habitude, je ne suis pas si bordélique si l'on peut appeler ça comme ça.

La tension était palpable entre les deux Anges Noirs. Malgré le fait qu'Astrid tâcha d'avoir l'air particulièrement détendue, elle n'en restait pas moins sur ses gardes. L'homme en face d'elle ne sembla pas faire de même. Il répondit sur un ton qui laissait entendre qu'il n'avait pas vraiment apprécié qu'elle l'ai agressé de la sorte. À sa remarque qui était plutôt une pique, elle esquissa un sourire.

Cela arrive, se contenta elle de répondre sur un ton neutre.

L'homme commença à se déplacer, aussi sous ses airs détendus la jeune femme avait tous ses sens en éveil. Elle l'observa s'en même prendre la peine de s'en cacher. Scrutant les détails de son visage, son regard et sa façon d'avancer. Son instinct lui disait qu'il fallait qu'elle fasse particulièrement attention avec cet homme. Quelque chose se dégageait de l'Ange Noir, qu'elle qualifierait presque de malsain. Il ressemblait pourtant à n'importe quel homme, et rien ne pouvait justifier la méfiance dont faisait preuve Astrid. Elle le ressentait juste. Il se posta alors juste en face d'elle. Par curiosité qu'il dit, il se demandait pourquoi elle agissait ainsi. Son air détendu s'envola aussi rapidement qu'il était arrivé. Elle croisa les bras, prenant un air résolu.

La curiosité est un vilain défaut, elle marqua une pause alors qu'un sourire arquait ses lèvres, Cela ne vous concerne aucunement.

Elle l'observa toujours immobile se déplacer vers le cadavre plus loin. Et dire qu'elle avait ses mains dans ses tripes quelques minutes plus tôt. Ce n'est pas qu'elle n'osait point bouger, mais elle restait toujours sur ses gardes. Cependant à sa question, elle se retourna et s'avança également vers le corps qu'elle regarda de haut. Elle exagéra un peu une sorte de moue, avant de soupirer.

Je pense que vous connaissez déjà la réponse, vous n'avez pas besoin de moi pour savoir quel goût à la chair d'une personne passée par la mort.

C'est en regardant le cadavre que lui vint à l'esprit le fait que, justement, il y avait un cadavre en plein milieu de la ruelle. Elle lâcha un autre soupir; elle n'avait pas vraiment envie de se salir les mains plus qu'elle ne l'avait déjà fait, pourtant il le fallait. Elle pourrait tout simplement le laisser là, or, ce n'était pas vraiment une bonne idée. Elle pensa le traîner quelque part, mais c'était bien trop fatiguant et quelqu'un finirait bien par retrouver le corps. Elle songea alors à le brûler. Rapide, efficace et surtout efface toute trace. Sauf qu'un corps, ne s'enflamme pas tout seul. Elle se retourna, et oublia pendant quelques secondes la méfiance qu'elle éprouvait pour l'inconnu à côté d'elle. Son regard tomba sur ce qu'elle cherchait, un vrai coup de chance. Elle avait distingué dans les ombres une bouteille qui traînait. Encore à moitié pleine, l'homme au sol devait en être son propriétaire. Elle se rapprocha du corps, et vida l'alcool dessus. En reculant, elle traça une légère trainée pour pouvoir l'allumer à distance. Une fois la bouteille vidée, elle la jeta plus loin. Elle sorti un briquet de sa poche, et regarda l'Ange Noir.

Si j'étais vous, je reculerais.

Sans plus d'avertissement, elle s'accroupit et alluma le briquet. Elle l'approcha de la flaque, qui s'enflamma aussitôt et par la même occasion toucha le corps. Elle rangea son feu, et se rapprocha du brasier, dans lequel son regard se perdit. Sans quitter le corps en flamme des yeux, elle lança.

Quel est votre nom ? Si ce n'est pas trop indiscret.

Face au brasier, les deux Anges Noirs scrutaient les flammes. L'humeur de ses derniers jours, la violence dont elle venait de faire preuve, le tout avait l'air de totalement anesthésier la jeune femme émotionnellement. En partie, plutôt.  La vision du corps brûlant sous ses yeux ne la répugnait pas plus que si elle observait la macadam juste en dessous. Pourtant, elle trouvait le tableau presque joli. Un condensé de violence silencieuse et "vivante".

L'homme prénommé Daniel répondit donc. Lorsqu'il prit la parole, elle avait tourné son visage vers lui et l'observait. Les flammes faisaient danser les ombres sur son visage, qui prenait un air encore plus infernal que plongé complètement dans le noir. Cela dit, elle aussi devait avoir l'air sinistre avec cet éclairage peu commun. Mais, cet homme poussait ses sens à être sur le qui-vive. Son instinct sûrement de Stryge, mais surtout un ressenti. Les personnes gardant un calme comme lui, dans ce genre de situations.. Devaient y être habituées. Voir même, capable de bien pire, et ce n'était pas pour rassurer la jeune femme.

Astrid.

Plongée dans sa réflexion, elle répondit rapidement à l'homme dont le nom était inconnu. Elle jugea également que lui donner son nom de famille n'était pas nécessaire, encore plus vu les circonstances de leurs rencontre. Le ton utilisé était détaché. Elle était restée les yeux posés sur les traits inquiétant de l'homme un moment, puis avait suivit son regard plus haut.

Devant sa fenêtre, une personne les observait, une faible lumière permettait à l'Ange Noir de la percevoir ladite personne. En effet, si ils restaient là, cela risquait de leurs attirer beaucoup de soucis. Elle pourrait très bien partir, se fondre dans les ombres comme elle était arrivée. Seulement, elle se demandait si la personne en haut avait pu distinguer son visage.. C'était vraiment, très embêtant. Daniel releva justement la présence, sans pour autant laisser transparaître le moindre début de sentiment de panique, ou autre. Son visage était bien plus figé qu'Astrid, ce qui renforçait la méfiance qu'elle portait à son égard.

Énonçant le fait qu'elle l'avait coupé dans sa partie de chasse, qu'il devait se nourrir avant le lever du jour.. L'homme commença à s'éloigner, avant d'inviter Astrid à le suivre. Elle, n'avait pas bougé et le regardait s'éloigner. Arquant un sourcil, elle observait la silhouette de dos. Elle trouvait qu'il avait du culot et était bien sûr de lui, pour avoir utilisé ce ton de voix. Comme si le fait qu'Astrid allait le suivre était évident.. Toutes ses pensées et ses raisonnements lui disaient clairement que cet homme était dangereux, et que le suivre ne lui apporterait que des ennuis. Cela dit, la curiosité était une qualité, dans ce cas là, plutôt un défaut qui faisait défaut à beaucoup de races. Dépassant le cadavre enflammé, mains dans les poches de sa veste, la jeune femme le rejoignit en silence. Tête haute et sans même le regarder, elle le dépassa.

Où comptez-vous aller ?

Le hasard guider ses pas ? En le suivant, Astrid savait que son itinéraire n'avait rien d'incertain. Elle reconnaissait cette démarche, celle du prédateur en chasse. En même temps que son congénère, la jeune femme aperçu un jeune homme plus loin. Aussitôt Daniel bifurqua et elle le suivit, sans se presser. Elle savait ce qu'il avait en tête et le suivait par pure curiosité. Alors que ses pas suivaient ceux de l'Ange Noir, elle songea justement au fait de chasser. Elle avait certes été interrompue, mais la personne sur laquelle elle avait "jeté son dévolu" quelques minutes plus tôt n'était pas humain.. C'était un stryge. Or, vu l'état dans lequel elle était c'était très mauvais. Elle était toujours affaiblie, et bientôt, elle risquait de tomber malade. Autant dire qu'elle n'était pas au bout de ses peines, mais au moins elle ne ressentait plus cette faim dévorante.

L'Ange Noir était repassé devant elle, elle le suivait mollement. Attentive, mais en retrait. Ainsi elle le vit attraper l'homme et le tirer dans l'ombre, le faire tomber dans ses griffes. Plaqué au sol, il hurla comme un animal en abattoir face à celui qui allait lui retirer la vie. Le bourreau l'avait immobilisé et il sorti de sa veste un objet. Un bruit bref de quelque chose se déverrouillant et la réflexion de la lame sous ses yeux lui indiquèrent que bientôt il serait silencieux.

D'habitude en voyant un humain se faire éventrer de la sorte, elle aurait réagit au quart de tour. Battu l'agresseur à mort, sauvé la victime.. Enfin. C'est ce qu'elle aurait aimé faire. Or elle se contenta d'observer d'un regard mauvais la scène. Bras croisés, elle était restée quelques pas derrière Daniel et l'homme devenu silencieux. Poings serrés dissimulés par ses bras, elle le regardait arracher un bout de chair à l'humain pour y planter ses crocs. De l'homme qu'elle avait croisé plus tôt à l'attitude modérée il ne restait rien. Elle commençait à s'impatienter quand il se tourna vers elle, en lui tendant visiblement un organe ensanglanté. Elle fixa d'abord la chose avant de remonter son regard plein de mépris sur son congénère, ses yeux lançaient des éclairs. Au fond elle savait qu'elle en avait envie, et d'un autre côté..

J'en ai eu assez déjà, ça ira.

Son ton fut sec, glacial. Il semblait prendre les humains en général pour du bétail, rien sur son visage n'exprimait du regret ou un quelconque sentiment similaire. Alors que la colère engendrée par la fatigue, le « poison » dans son estomac et la vision sanglante, elle lâcha un soupir las. À quoi bon se dit-elle, continuer à s'énerver. L'homme était probablement déjà mort, chercher querelle à l'Ange Noir ne servirait à rien. En expirant ses muscles se relâchèrent. Elle tourna le dos au stryge et au cadavre, pour aller vers un mur. Appuyant son dos contre celui-ci, elle sorti un paquet de cigarette de sa poche. Coinçant une clope entre ses lèvres, elle l'alluma. Elle ne savait pas vraiment quoi faire, alors elle resta dans les ombres. La fumée glissait et dansait dans la faible lumière de quelques lampadaires plus loin, alors qu'elle fixait l'Ange Noire, perdue dans ses pensées.