C’était le mois de Novembre, et le temps avait à peine commencé à se rafraîchir. En tous cas par rapport à la normale de saison par ici. Car Lily s’était longtemps habituée à un climat plus doux avant d’arriver à Ottawa, il y avait même pas deux semaines de cela. Le vent froid mordait son visage, ses oreilles et le bout de son nez rougissaient quelque peu sous la fraîcheur. L’hiver faisait petit à petit son nid sur la ville, tout comme elle faisait son nid dans ce coin du monde. Elle venait de passer un peu plus d’une semaine à l’hôtel, regardant les petites annonces pour les locations d’appartement dans le coin. Car évidemment, elle avait déjà prévu de continuer sa vie par ici, très peu de temps après son arrivée en fait. Il était temps pour elle de changer, comme elle avait souvent dû le faire par le passé, et de presque recommencer à zéro, d’arriver au milieu d’une foule d’inconnus. De toute façon, après la mort de Chad, elle préférait ne pas retourner dans la région dans laquelle ils s’étaient rencontrés, dans la région dans laquelle ils avaient pris l’habitude de se fréquenter. Non, elle n’y retournerait pas avant un petit moment, pas après ce qu’elle avait fait récemment. Pas que cela la hantait, c’était le genre de choses qui pouvaient faire partie de la nature d’une stryge, cela arrivait, mais elle préférait ne pas s’attirer de soucis d’ordre juridique inutilement. Au pire des cas, il lui suffisait d’attendre que le temps passe et qu’elle se fasse oublier de tous ceux qui survivraient, elle reviendrait un jour sans doute. Le temps n’était pas ce qui lui manquait. Bref, dans sa quête pour un logement permanent, Lily avait fini par trouver un appartement à The Glebe, une colocation avec une jeune fille, une certaine Eden Armstrong. Elle s’était installée avec celle-ci il y avait à peine trois jours. Les colocations pourtant, ça n’avait jamais été son fort, surtout avec des personnes qui n’étaient pas de son espèce. Ça s’annonçait comme un défi en fin de compte, mais elle s’était dit qu’elle ferait bien un effort pour éviter la solitude, après plus d’un siècle à voir défiler les années seule, un peu de changement ne pouvait pas faire de mal. Au pire des cas, elle pourrait toujours juste prendre ses affaires et s’en aller, ce qui l’embêtait c’était juste qu’elle aurait à payer des loyers un peu plus chers. Depuis qu’elle avait quitté le domicile familial il y a bien longtemps, elle avait peut-être un peu trop le sens des économies. Pas qu’elle craignait de manquer d’argent, il y avait en fait une belle somme de côté sur son compte en banque, mais elle préférait être sage et bien investir plutôt que de vivre dans l’excès et de se retrouver à la rue ou presque trois mois plus tard. Elle avait vécu des débuts difficiles, on lui avait appris à coudre et toute la compagnie, mais on ne lui avait pas vraiment appris le sens des finances. Elle l’avait appris d’elle-même, et croyez-moi, ça n’avait pas toujours été joyeux.
Oui, bien sûr qu’aujourd’hui la mauvaise période était passée depuis belle lurette et bien évidemment elle avait fait bien mieux que juste se relever après être tombée. Mais le mauvais temps lui avait appris à se montrer sage dans certains domaines. Au fond, tout ce que Lily voulait, c’était d’une vie posée où personne ne la ferait chier – si ce n’est une colocataire qui passerait outre des règles établies, mais pour ça Lily saurait comment la recadrer au besoin. Et pour ça, elle pensait n’avoir qu’à se fondre dans le moule, et éviter de tomber par malheur sur des personnes qu’elle aurait croisées trente ou quarante ans plus tôt, des personnes qui n’auraient pas été dans le secret sur sa condition et qui n’auraient pas compris pourquoi leur vieille amie n’avait pas pris une ride après tout ce temps. Oui, c’était un peu son inquiétude au milieu d’une foule comme celle de la ville d’Ottawa, un samedi après-midi.

Car ce jour-là, elle fit une rencontre. Un visage de son passé qui refaisait surface. Une tête brune l’avait dépassée alors que Lily flânait sur la rue piétonne, et le visage ne lui avait pas été inconnu. En temps normal, elle aurait déguerpi, elle aurait filé dans la direction opposée, elle aurait pris sa voiture et serait rentrée chez elle afin d’être sûre de ne pas vraiment tomber sur cette personne et avoir à lui parler. Cela lui était déjà arrivé à une ou deux reprises. Même si elle n’avait su dire si il s’agissait bien des personnes auxquelles elle avait pensé, elle avait préféré ne pas prendre de risque inutile. Mais cette fois, c’était différent. Le visage qu’elle avait croisé, lui n’avait pas bougé. Pas depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. Et pour cause. Il s’agissait d’une autre stryge. Lily pressait le pas et rattrapait du mieux qu’elle le pouvait – elle détestait avoir à se presser avec des talons aussi hauts – l’être sorti de ses souvenirs. Elle posait enfin une main sur l’épaule de celle qu’elle avait cru reconnaître.