La ville d’Ottawa avait beau être devenue son petit monde, Siam avait beau l’aimer, la connaitre et la arpenter au quotidien, Sparks Street Village lui semblait terriblement hostile en ce jour. C’était comme arriver dans un endroit inconnu, où l’on savait être condamné à vivre des heures pénibles. Le cas, peut être… ou peut-être pas. De là venait toute son l’angoisse, dans le fait d’ignorer la manière dont les choses pourraient se passer. Et pour le coup, Siam n’avait aucun foutu moyen d’anticiper, même pas un peu. Assise à la table d’un café depuis presque deux heures, devant le même fond de chocolat désespérément froid, elle observait à la dérobé la façade du commerce en face de la vitre qui l’abritait. Un tatoueur… rien de bien méchant à priori. Il ne semblait pas particulièrement glauque, elle ne cherchait très certainement pas à se faire trouer la peau… mais elle paniquait à l’idée même d’en franchir la porte.

Sous les mains de Siam reposait une simple pochette de carton, fine, à la contenance très réduite. Et pourtant son importance était capitale. Soupirant pour la dixième fois de manière à calmer la pression qui broyait ses entrailles, la Berserker parla en son fort intérieur, à la créature qui elle aussi était très inquiète. Son Alter-ego pour une fois, s’accordait presque parfaitement à ses sentiments d’humaine. Il y avait de la crainte. Une frayeur sans pareil de ce voir rejeter. Après tout, c’était à prévoir étant donné la manière dont elle avait agi des années auparavant. Mais il y avait aussi une certaine forme d’impatience, une étincelle non négligeable de joie à l’idée de revoir celui qui longtemps, avait été son seul bien en ce monde. Sa seule source de tendresse… malgré l’éveil de son totem qui avait gâché bien des instants de complicité. Une fois encore, inlassablement, Siam décrocha son regard de la façade pour ouvrir le dossier sous ses mains et y jeter un coup d’œil sans véritablement le voir. Selen Sørensen n’était donc plus camionneur… il était propriétaire d’un salon de tatouage, quelle évolution ! Plus étonnant encore, il résidait à Ottawa depuis un certain temps et jamais jusque-là Siam ne l’avait croisé tandis qu’elle parcourait Sparks Street Village, ce qu’elle avait pourtant fait de très nombreuses fois ! Non, jamais elle n’était tombée sur le Qilin aux petits yeux un peu naïfs, aux cheveux trop longs… et aux T-shirts tachés en permanence. Le souvenir qu’elle en avait était peut être dénaturé par le temps, mais il n’en restait pas moins d’une affection inébranlable. Maintenant, avec le recul, la maturité, et aussi le confort que lui avait apporté Gabriel avec le talisman qui la protégeait de l’invasif carcajou, Siam pouvait le voir. Raison pour laquelle la jeune femme avait souhaité savoir ce qu’était devenu Selen, et la surprise avait été de taille en l’apprenant si proche d’elle… Finalement, la distance n’avait jamais été bien grande entre eux, contrairement à ce qu’elle avait longtemps imaginé.

Mais voilà… Alors que jusque-là Siam s’était suggérée des centaines de fois la manière dont elle reprendrait contact avec le Faës, elle hésitait. Sa détermination était encore une fois mise à mal par la peur. Voulait-elle le voir ? Oui… mais à quel prix ? Le risque de se voir jeter dehors était tout de même important, et son émotivité autant que sa susceptibilité rendraient les conséquences difficiles à tempérer… Et merde… encore une fois, Siam négociait avec elle-même. Non ! Elle n’allait certainement pas céder. Pour une fois, c’est du carcajou que vint le courage de se lever, enfin ! Elle puisa dans sa confiance et la hardiesse qui lui manquait. Jetant quelques piécettes trouvées au fond de ses poches en guise de paiement, la Berserker affichait alors un regard aussi apeuré que résolu … ce qui donnait un truc asser… étrange ! Qui eut le don d’arracher une grimace peu flatteuse à un serveur, auquel elle répondit par un sourire si crispé qu’elle eut l’impression d’être une aliénée. Et puis, elle fut dehors.

En quelques minutes, elle avait quitté le café, traversé la rue et ouvert la porte à la volé en gonflant la poitrine. Oh mon dieu… c’était carrément trop théâtrale ! Expirant tout l’air de ses poumons… Siam se dégonfla littéralement et referma la porte. LA CONNE ! Passant lentement sa main sur son visage en se traitant de tous les noms, à deux doigts de se tirer comme une voleuse, elle réitéra pourtant le geste avec moins d’assurance feinte, plus discrètement, et son cœur se gonfla d’une joie certaine lorsqu’elle constata qu’il n’y avait personne à l’accueil. Oh pétard, le bol ! Là encore hésitante… elle se demanda si ce n’était pas un signe… Une chance que lui offrait le destin pour filer ! Mais le carcajou gronda, et comme si il lui avait mordu le cul, la jeune femme sursauta et  ferma la porte derrière elle. Et dire qu’elle n’avait même pas prit la peine de se changer en sortant du zoo. Mais vive la bonne impression quoi… dégaine d’enfer et tignasse de merde. Loin pourtant d’être son principal souci, Siam se mit presque à courir quand elle entendit des pas se rapprocher d’elle, et trouva le moyen de se vautrer à moitié sur un siège d’appoint, et d’ouvrir un magazine de tatouage pour faire mine d’être occupée et dissimuler son visage par la même occasion… Ouais super bon le plan. Si finalement elle décidait de se barrer, elle pourrait sans doute le faire sans danger grâce à Rise Tattoo numéro 47… bravo, grosse conne !

Etait-il possible de se foirer davantage que ça ? Siam n’en était pas certaine. Elle qui avait brassé encore et encore, dans des ordres différents, la manière dont elle ferait son entrée chez le tatoueur s’était plantée en beauté. La Berserker voulait faire ça bien… avec douceur et sérénité, pour ne pas alarmer le Carcajou dans le cas où les choses se passeraient mal. Siam aurait aimé être calme oui, au moment où elle reverrait son ancien tuteur après tant d’années, et tant de … remous émotionnels quant à ce dernier, quant à ses origines aussi. Mais il fallait se rendre à l’évidence, Siam n’était pas douce, et encore moins sereine alors, devant des retrouvailles à l’issus parfaitement incertaine, elle ne pouvait qu’être nerveuse et angoissée. Son alter-ego lui, l’était plus encore et pleurait au fond d’elle avec une certaine appréhension, ce qui n’aidait pas l’état général de Siam à se stabiliser. Bien au contraire… assise, et de ce fait totalement piégée alors que les pas se rapprochaient, elle se mordait vigoureusement la lèvre en fermant les yeux pour ne pas voir l’horreur qui allait lui tomber dessus. Putain le cauchemar. Surtout que quelques secondes plus tôt, la voix de Selen lui-même s’était élevée dans le commerce, indiquant qu’il fallait revenir demain… Ouais mais non. Enfin si merde ! C’est ce qu’elle aurait dû faire ! Revenir… parce que clairement, Siam n’était pas prête ! Et maintenant qu’elle était certaine que Selen était là, que c’était lui qui allait bientôt se pointer devant elle, la Berserker sentait la panique réduire à néant ses résolutions. Son cœur s’accéléra bientôt, alors qu’elle le sentait là… déjà présent dans la pièce avec elle. Surtout… ne pas baisser ce putain de magazine ! Ne pas… bouger. Pas bouger. Respire ! « … Euh, j'peux vous aid- … Siam ?... »

Pour le coup, c’est une enclume qui se fracassa sur la nuque de la jeune femme… Comment diable avait il fait pour la reconnaitre ? Son visage ainsi dissimulé, il ne pouvait rien apercevoir d’elle. Pas clairement du moins. Et le peu qu’il pouvait voir lui avait suffi pour mettre un nom sur sa silhouette qui pourtant, avait grandi, avait bien changée. Les yeux cette fois grands ouverts, elle fixait le magazine sans le voir, totalement immobile une fois encore, et clairement épatée. Par le ciel… Il était là et savait qui elle était. Et si la Berserker avait bien  écouté, il n’y avait eu ni rancœur ni colère dans sa voix. Contrairement à ce qui avait été craint par la jeune femme comme par l’alter-ego, le Qilin restait égal à lui-même. Pour l’instant du moins. Les mains tremblantes autant que son menton, Siam papillonna du regard pour dissimuler la légère brume qui masquait sa vue. Non mais merde elle n’allait quand même pas se mettre à chialer avec ça ?!

Elle n’eut pas vraiment le temps de se refaire une santé mentale (lawl) que le magazine s’envolait, laissant apparaitre le visage de Selen dans un champ de vision un peu trouble. Son cœur rata un battement, puis deux sans doute avant de reprendre sa course folle. C’était fou, il n’avait pas changé. Enfin, presque pas ! Le temps semblait être passé sur lui sans avoir d’emprise, même si Siam se souvenait qu’il faisait tout de même plus vieux que son âge pour un Qilin… Pauvre gars. « … Siam ! Bon sang de... Putain mais c'est toi !! Ma p'tite blondie !! » Ma p’tite Blondie. Dieu que ce surnom lui rappelait les souvenirs chaleureux, la douceur et la patience dont il avait fait preuve pour une sale petite Berserker au bord de l’implosion. Avec un regard adulte, il était facile de voir à quel point Selen avait été important pour elle. Siam regrettait seulement d’avoir mis aussi longtemps à s’en apercevoir, mais maintenant… les choses seraient sans doute différentes non ? Légèrement rassurée par le ton qu’employait Selen, son allure inchangée, et ce regard d’où ne filtrait aucune malveillance, Siam se leva pour lui faire face. Mouvement dont elle se serait crut incapable quelques secondes avant.

« Bah oui… c’est moi. »

Suivit d’un léger ricanement nerveux à souhait qu’elle étouffa rapidement dans une quinte de toux feinte. Mais ouais super, tellement loquace la fille. Mais la panique était encore bien présente, et Siam n’était pas le genre de personne à savoir comment réagir en de telles circonstances. Que pouvait-elle bien lui dire maintenant ? Surtout après tant d’années, et la manière dont elle l’avait laissé. Que voudrait-il entendre d’elle ? De sa vie, ou bien même, voulait-il des excuses de sa part ? Lèvres pincées, Siam l’observa quelques secondes, réalisant qu’il était bien là, devant elle, avec son regard un peu idiot et son attitude de gros nounours désespérant. Tel qu’elle l’avait vu pour la dernière fois… exactement le même. Et son cœur n’en battit que plus vite.

« Si tu es occupé, je peux bien repasser plus tard… Je ne veux pas non plus m’imposer. Donc si c’est l’heure de la fermeture, dis-moi quand revenir parce que je sais que c’est pas très poli de débarquer comme ça et… je… ouais voilà. Tu es avec un client peut être. Je repasse, ok ? »

Oh putain le bordel… Siam venait de passer une main sur le front, signe ultime de découragement. Elle chercha autour d’elle ses affaires, mais trop perturbée pour les voir, ne prit que son sac dont elle cala la bandoulière sur l’épaule sans oser regarder Selen alors qu’elle se maudissait d’être une aussi piètre personne, incapable de dissocier ses émotions de celles du Carcajou et ce, malgré le Talisman Mojito… ce qui n’était encore jamais arrivé depuis qu’elle le portait.

Si elle s’était doutée ne serait-ce qu’un peu, de l’état dans lequel la mettrait cette rencontre avec son ancien tuteur, Siam aurait peut-être réfléchit à deux fois avant de se lancer. Et elle aurait pris son temps, plutôt que, comme toujours, foncer dans le tas sans se soucier des conséquences. Enfin si, les conséquences, elle y avait pensé, raisons pour lesquelles elle avait passé plusieurs heures le cul vissé à une chaise de café merdique, juste en face du tatoueur dont elle n’avait osé pousser la porte jusque-là. Mais l’exaltation du Carcajou, pourtant si solitaire d’ordinaire, avait poussé la jeune femme à trouver le courage nécessaire. Et finalement, malgré son mal-être, sa gêne, sa crainte… elle ne regrettait pas le moins du monde d’avoir écouté son alter-ego cette fois ci. De l’avoir laissé, d’instinct, décider pour elle. Parce que si elle n’avait pas eu vraiment confiance en elle ou la potentielle réaction de Selen, lui avait su le faire. Une très bonne chose après tout, que de laisser l’animal lui insuffler un peu de sa force parfois, puisque peu à peu, Siam pouvait percevoir le bonheur dans le regard de Selen, sans jamais y apercevoir une quelconque rancœur ou de l’hostilité. Malgré les années, et la vie plutôt stable qu’elle menait aujourd’hui, il lui était toujours aussi difficile de faire confiance. Et ce, même si l’homme qui se tenait devant elle n’avait jamais par le passé, fait preuve d’un sentiment néfaste à son égard. « Laisse-moi te regarder ! T'es... wow, j'm'attendais pas à ce que ma p'tite baroudeuse devienne une aussi belle femme ! » Siam qui jusque-là avait eu l’air à deux doigts de défaillir piquait à présent un phare asser spectaculaire. Elle en resta bouche-bée. Le gars n’avait pas changé sur ce point, toujours aussi… nature. Mais ces mots-là trouvaient une résonnance asser particulière en Siam, et surtout chez l’adolescente qu’elle avait été à ses côtés… et qu’elle semblait toujours être à ce moment.

Oh putain quoi faire… un geste ? Une diversion ? Dire un truc ? Se barrer ? Se rouler par terre jusqu’à ce que Selen soit suffisamment lasse pour détourner le regard ? Dans la tête de Siam, la confusion était totale. Mais rapidement, Selen reprit la parole et la Berserker constata que ses mots n’avaient pas le but de la troubler… juste de faire une constatation. Cool, elle était vraiment la dernière des idiotes. Comment se taper une rougeante gratuitement… Bref. Se reprenant, Siam se passa une main peu assurée sur la nuque, alors qu’elle l’écoutait parler, parler parler… La surnommer Blondie comme autrefois, faire une allusion sur une église … ouais ok. Il avait du temps pour elle… le cœur de Siam se fit alors plus léger, tandis qu’elle gardait obstinément la main sur sa nuque mais levait le regard vers lui. Bah non, il n’avait vraiment pas l’air rancunier et au contraire, l’avalanche de questions qui lui tombait dessus prouvait bien que non !

Distraitement, elle tenta sans succès de répondre à chacune d’elles. Mais à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche pour le faire, d’autres arrivaient, l’empêchant donc de prononcer le moindre mot. Légèrement, elle fronça les sourcils en essayant de suivre le rythme imposé par Selen, sans succès. Avant qu’enfin, il ne s’en tienne à un « Au fait... Comment ça va ?? » qui lui permit de souffler. Un souffle vraiment long, qui signifiait qu’elle était plutôt soulagée de le voir se tarir un peu ! Mais elle ne pouvait lui en vouloir, il était heureux… et elle aurait très bien pu se prendre la même chose mais version reproches ! Aussi le soupir fut-il immédiatement suivit d’un rire encore timide, mais qui trahissait son apaisement.

« Je ne suis pas certaine d’avoir tout suivi mais… ça va.  Et un thé, se sera très bien merci. »

Et ce, même si elle avait bu l’équivalent de la rivière des Outaouais et qu’elle allait devoir méchamment squatter les toilettes dans un avenir proche, ce qui n’était pas vraiment glamour pour des retrouvailles… Mais une tasse dans les mains lui filerait peut être plus de contenance que les bras ballants, sans savoir quoi en foutre. En attendant, elle désigna d’un geste le commerce où elle se tenait, incapable de répondre aux questions précédentes, puisque ces dernières se mélangeaient un peu dans son esprit aux pensées chaotiques.

« Alors… tu es tatoueur maintenant ? C’est loin de la liberté que tu aimais en prenant la route. »

C’était vraiment une entame encore une fois ratée. Mais par où commencer dans des circonstances aussi spéciales que celles-ci ? Il y avait beaucoup à dire, des excuses à faire sans doute, des explications à donner, mais Siam ne pouvait décemment pas lâcher ça de but en blanc. Ce n’était pas correct, mais aussi infaisable venant d’elle. Alors, elle observa les environs, imaginant Selen évoluer dans ce nouveau décors et s’efforçant de laisser derrière elle les peurs qui avaient tendance à la freiner, pour pourvoir profiter pleinement du Qilin qui revenait bel et bien dans sa vie.

Faire comme chez soi. C’était plus facile à dire qu’à faire étant donné le degré de stresse qu’avait atteint Siam au moment d’entrer. Certes, maintenant les choses semblaient plus facile après avoir constaté que Selen lui, ne montrait ni angoisse ni hostilité. Mais la chute violente de ses émotions, qui se laissaient raviver au moins souvenir, au moindre geste de son ancien tuteur n’aidait pas la jeune femme à se sentir à l’aise et à maitriser ses pensées. Non, elle était au contraire encore sur le qui-vive… le Carcajou était heureux lui, mais ne la laissait pas en paix malgré la force de son talisman. Harcelée par ce dernier, Siam n’avait d’autre choix que de succomber à ses émotions à lui, trahissant parfois les siens et la distance qu’elle souhaitait instaurer entre elle et Selen. Hors de question de retomber dans les sentiments d’autre fois. Elle avait grandi, évolué, changé… plus qu’il ne l’imaginait. C’était du moins ce qu’elle espérait. Mais il semblait aussi que certaines choses ne changeaient pas et qu’une fois encore Siam restait prisonnière des émois de son adolescence, qui loin de s’être taris avec le temps prenait au contraire de l’ampleur devant la force de ces joyeuse retrouvailles.

La petite pièce où il l’amena n’aida pas non plus. Elle forçait une certaine intimité, et la décoration éclectique, chamarrée lui donnait véritablement le tournis… A l’invitation de Selen, la Berserker s’en alla s’assoir sur un canapé et s’y enfonça, n’y bougeant plus alors que lui s’agitait pour préparer le thé, lui laissant l’occasion d’observer l’environnement qui l’entourait mais aussi… de l’observer lui, à la dérobée. Sa carrure restait la même, les années glissaient toujours sur lui avec une certaine omission. Ainsi, il n’avait pas changé… peut être prit quelques kilos, mais cela ne lui allait pas mal. « J'aime bien cette ville. Je crois que c'est un bon endroit pour se poser... et j'en avais bien besoin. C'est une autre forme de liberté, je dirais. Avoir mon propre commerce... c'est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. » Siam émit un léger sourire, de ceux qui étaient trop distraits pour être francs et indiquaient qu’elle sombrait peu à peu dans ses pensées. Mais elle revint vers lui quand il annonça le thé, lui tendant une tasse qu’elle prit fébrilement. « Meng Ding Huang Ya. Un thé jaune du Sichuan. A la tienne ! »

« Meng Ding… oui d’accord… »

Oui, ta gueule aussi … Si Siam avait vraiment envie de se montrer sous son meilleur jour, pour prouver qu’elle était devenue quelqu’un de bien… elle doutait réellement d’y parvenir. Sa maladresse et surtout celle que lui inspirait toujours Selen entravait un peu sa bonne volonté et la clarté de son esprit. Même les multiples breloques qui donnaient son charme et son exotisme à cette pièce qui concrètement, n’en était que plus belle et à l’image du Qilin, n’arrivait pas à capter son attention et sa concentration. Siam se sentait un peu perdue… Aussi se noya-t-elle dans sa tasse de thé, sur laquelle elle souffla longuement pour y tremper ensuite les lèvres. Mais sans réellement faire attention aux parfums de ce qu’elle buvait, puisque Selen reprit le fil de la conversation et la ramena à elle. « Et toi ? Qu'est-ce que tu deviens ? Ça fait longtemps que tu es à Ottawa ? »

« Et bien… ça fait 8 ans maintenant. Environs. J’ai eu vraiment beaucoup de chance en arrivant. J’ai rencontré un type génial qui m’a beaucoup aidé, et maintenant je travaille au Zoo ! »

Enfin quelque chose dont elle était fière ! Retrouvant un peu son assurance, Siam baissa la tasse fumante sur ses genoux en laissant un sourire rendre son visage moins fermé. Il y avait énormément de choses qu’elle voulait dire à Selen, mais elle ne savait pas vraiment comment s’y prendre. Et surtout, comment faire pour lui parler de ces ‘autres choses’… de ce qui l’avait par exemple, mené à partir. L’une de ses choses, Siam l’avait laissé derrière elle depuis longtemps. Sa famille ne l’intéressait plus, elle en avait fait le deuil et n’y pensait que très rarement. En revanche… et cela semblait à présent limpide, Selen lui renvoyait toujours une image qu’elle n’appréciait que peu. Celle d’une gamine, de cette adolescente paumée et contrainte au silence devant des sentiments fort peu avouables. Qu’ils soient positifs ou négatifs –puisque Selen la faisait osciller entre deux feux – ils étaient toujours vivaces, et le Carcajou s’en emparait sans peine, réclamant qu’elle les exprime. Mais non… elle n’en parlerait pas. Soudainement, Siam était redevenue un peu timide. Fixant le fond de sa tasse, elle cherchait ses mots. Car contrarié par l’imposante puissance de la créature, elle peinait à distinguer ses propres désirs de ceux du Carcajou.

« En faites… je… suis maintenant responsable d’un pôle aquatique. Je suis soigneuse. Qui l’aurait cru !? »

Machinalement, elle se passa une main sur le front et inspira profondément pour reprendre le contrôle. Ce n’était pas le moment de faire preuve d’hésitation, il fallait être ferme… Mais ce qu’elle ne comprenait pas, c’était la manière dont s’en prenait son Berserk qui tentait un véritable putsch ! Et ce malgré le talisman. A croire qu’elle était bien faible face au Qilin qui hantait encore les souvenirs de ses jeunes années…