Jeudi 28 août, 17h30.
Tu termines enfin tes cours d'équitation de la journée. Ils n'ont pas été paisibles. Tu penses notamment à ce fils à pôpa et môman qui s'est amusé à donner de façon incessante des coups de pied à ce pauvre Mojito sous prétexte qu'il n'avançait pas assez vite à ses yeux. Un ignare, ingrat de surcroît, probablement le petit caïd de la cour de maternelle qui s'amuse à effacer les démarcations de la marelle dessinée à la craie et à tirer les cheveux des filles parce que trop complexé pour se rendre compte de son propre échec initial... Tu as vengé ton compagnon en lui proposant mentalement de faire tomber sur ses fesses, dans une magnifique flaque de boue, le petit insolent. Toutefois, tu restes agacée par de tels comportements. La chaleur de cette belle journée n'aide en rien, te donnant l'impression d'étouffer. Tu décides donc qu'une promenade dans la forêt avoisinante te fera du bien.

Tu jettes un dernier œil autour de la propriété pensant à l'éventualité d'y croiser cette louve avec laquelle tu converses régulièrement. Tu lui aurais proposé de t'accompagner si elle l'avait souhaité. Ne la trouvant, tu soupires, puis te diriges vers le bâtiment. Tu te douches, te changes, récupères tes affaires, salues les propriétaires, puis ranges tes biens dans ta voiture avant de la démarrer. Après quelques kilomètres, tu trouves un espace libre sur le côté et t'y gares avant de sortir, d'attraper quelques affaires nécessaires et d'entamer ton périple.

Le vent frais passant à travers les feuilles des arbres caresse ta peau. Tu t'arrêtes et fermes les yeux un instant afin d'en savourer la sensation. La brise est douce. Un frisson te prend, partant de l'échine ; tu souris et rouvres les yeux. Tu te sens déjà plus détendue. Un deuxième frisson te parcourt ; ton débardeur et ton jean ne semblent plus suffire. Tu enfiles donc un gilet avant de reprendre ta marche.

Tu es bien incapable de dire combien de temps est passé, trop occupée par ton observation de la végétation autour de toi, habitée par une envie de sourire mais également par une sensation de manque. Décidément, la ville ne te convient pas totalement. Tu te promets de faire ce genre de promenades plus souvent, si possible avec Carapuce. Tu es soudain sortie de tes rêveries agréables par un son assez lointain. Des jappements. Relativement rauques. Ta nature angoissée reprend le dessous et tu décides de te diriger vers la source du bruit. Tu ne peux pas communiquer d'aussi loin avec les animaux ; il te faut donc trouver ce qui ne va pas.

A mesure que tu te rapproches, tu comprends que les chiens que tu entends – deux si tu ne trompes pas – sont certainement en train de jouer. Toutefois, ton sentiment précédent et ta curiosité te poussent à aller vérifier de tes propres yeux. L'immense bâtisse que tu vois se dessiner peu à peu sous tes yeux t'intrigue autant que tu l'admires. Elle semble à l'abandon mais elle est magnifique. Des feuilles et de la mousse semblent en être devenue la principale défense par endroits. Cela te donne envie de la visiter. La végétation que tu vois pousser juste devant finit de te convaincre  et tu finis par avancer, sans réfléchir, pénétrant dans cet endroit qui doit être privé.

Soudain, les jappements rauques deviennent des aboiements et grognements mécontents. Tu vois deux énormes chiens, des rottweillers, courir vers toi. Instantanément, tu t'arrêtes dans ta progression et crées un lien avec l'un d'eux. « Rassurez-vous, je ne suis pas un ennemi. » Tu tends ta main vers eux et leur fais face, leur montrant ainsi que tu ne les crains pas et qu'ils ne doivent pas non plus te craindre. Tu évites de les regarder dans les yeux, cependant, leur faisant ainsi comprendre que tu ne cherches pas à les provoquer. Tu ajoutes d'ailleurs bien vite : « Je sais que je suis sur votre territoire. Si vous voulez que je parte, je m'en irai. » Cela semble les calmer puisqu'ils cessent leurs grognements et s'approchent doucement. Tu attends que le plus curieux des deux arrive à ta hauteur et lui donnes ta main à renifler. « Je te préviens, tu risques de sentir l'odeur des chevaux sur mes doigts. Et peut-être Carapuce, mon husky. » Le chien ne te répond toujours pas, mais tu le vois se détendre. Tu poses alors une main sur sa tête et le caresses doucement. Tu souris. Le second approche. Tu ajoutes alors, un brin amusée : « Dites donc, vous deux, vous m'avez fait peur tout à l'heure ; j'ai cru que vous vous battiez. Mais vous êtes adorables, en fait. »

Les chiennes jouaient paisiblement à l'ombre des arbres anciens qui protégeaient le bastion de leur maître et ce lieu qu'il avait choisi comme demeure pour un temps. Le Qilin était occupé à sculpter dans la glaise tendre un visage ridé comme l'écorce des arbres, paisiblement installé dans la salle aux bonsaï, dont le toit ouvert aux quatre vents était couronné du chêne qui poussait au milieu du vieux manoir.
Les arbres chuchotaient dans le vent d'ouest, des mots anciens en un langage seulement audible pour ceux qui sauraient écouter. Il entendait Perle et Quartz japper en se disputant une branche, se roulant dans l'herbe, toutes occupées à leurs jeux canins auxquels le paisible dragon-cerf ne prendrait pas part.

Finalement, Un murmure l'avertit, ténu chuchotement. Quelqu'un approchait. Il arrivait parfois que des promeneurs s'égarent ou se baladent non loin, ce n'était pas une source d'inquiétude pour Aman, qui continua sa sculpture patiente de ce visage de mamie tellement ridée qu'elle en devenait végétale.
Les chiennes, elles aussi, perçurent l'arrivée de l'intruse sur leur territoire. Aman ne s'en préoccupa pas, pour le moment. perle et Quartz suffisait souvent à dissuader quiconque de troubler le calme du domaine et plus d'un promeneur avait pris ses jambes à son cou en voyant deux rottweiller lui foncer dessus.
Mais cette personne là n'était pas habituelle et les deux canidés s'arrêtèrent. Parce que les bipèdes ne leur parlaient jamais : il n'y avait que leur maître, qui n'était pas exactement un bipède d'ailleurs, qui sache leur parler mentalement.
Les deux chiennes se regardèrent un instant avant que la curiosité ne les vainque. L'odeur sur les mains de la bipède était celle d'un autre chien, un mâle et des chevaux.
La plus massive, Perle, était l'aînée d'une heure sur sa soeur Quartz, plus craintive que l'autre rottweiller. C'était elle qui se faisait à présent caresser le museau, appréciant une main amie. "Tu nous parles comme Aman." Dit la chienne dans l'esprit d'Elijah, acceptant le lien, sans cesser de renifler les mains de cette étrange femme. Les humains ne parlent pas aux animaux, ça c'était une chose dont elles étaient certaines. "Comment tu t'appelle ?" demanda finalement Perle alors que sa sœur Quartz appelait doucement Aman d'un long aboiement. Qu'une personne leur parle méritait d'être noté.

Le Qilin, se lavant les mains, reconnu l'appel. Etrange. Doucement, il abandonna sa forme humaine pour devenir ce qu'il était réellement, soit une sorte de dragon aux écailles crèmes irisées, aux bois couleur d'ébène et aux yeux d'or liquide. Haut comme un cheval, il se coula d'un pas tranquille sur l'herbe, sans faire le moindre bruit, poussé par la curiosité. L'esprit de Perle rencontra le sien et elle lui affirma qu'il y avait une femme qui leur parlait comme lui. Certainement pas une humaine, assurément, songeait le Qilin. Pas une Stryge, ni une Sidh donc... Peut-être une semblable ? Une de sa race ? Ce serait surprenant mais pas impossible.

Le dragon parut dans un doux ondoiement de son long corps gracieux, s'approchant au pas alors que ses sabots plus proches de ceux des chèvres ne faisait pas un bruit, ne dérangeait pas la moindre feuille.
"Vous parlez à mes amies ? Vous pouvez vraiment leur parler ?" Fit Aman directement dans la tête de la femme, trop curieux pour lui laisser le temps de la surprise ou des présentations. Le langage animal - et végétal - était un don accordé aux Qilins. Etait-il seulement possible qu'elle soit des si rares siens encore en vie ? Il renifla doucement, mais l'odeur n'était pas celle d'un semblable. Elle sentait le cheval. Et le chien. Et la forêt. Pourtant, si elle leur parlait...L'espoir fou d'être enfin en contact avec une membre de son espèce, pourtant, faisait battre son cœur bien plus vite...

La chienne que tu caresses accepte finalement le lien. Tu le sens, ta marque est posée  Tu souris, satisfaite et rassurée. Aman ? Tu t'arrêtes un instant, interloquée. Un autre humain serait capable de parler à un animal ? Tu n'as jamais rencontré qui que ce soit avec ton pouvoir et l'idée de voir quelqu'un qui partagerait cela avec toi te perturbe. Ce n'est pas négatif, mais cela t'intrigue. Tu ne sais pas si tu veux absolument le rencontrer ou si, au contraire, cela te déplaît et te donnes envie de fuir.
Enfermée dans tes pensées, tu en oublies de répondre à l'animal, qui en profite alors pour enchaîner. Tu indiques alors, dans son esprit : « Elijah, je m'appelle Elijah. Et toi ? Et ta sœur ? ». Elle t'annonces alors s'appeler Perle et l'autre chienne Quartz. Cette dernière se met d'ailleurs à pousser un long aboiement. Tu ne crées pas un lien avec elle pour savoir ce qu'il en est ; deux liens en même temps serait fatigant et tu ne veux pas gâcher ainsi ton flux d'énergie. Tu interroges alors mentalement sa sœur mais elle évite ta question, préférant te demander des informations sur toi. Tu baisses donc la tête vers elle et lui indiques ton âge avant de lui expliquer que l'odeur de chien sur toi est celle de ton animal. Tu commences ensuite à lui parler des chevaux mais es coupée par une nouvelle voix dans ton esprit.

Tu relèves instantanément la tête et restes éberluée par l'être qui se trouve sous tes yeux. Tu n'arrives pas à enregistrer suffisamment vite toutes les informations qui parcourent ton cerveau et restes donc silencieuse, la bouche légèrement ouverte sous le choc, pendant quelques secondes. Tu as devant toi quelque chose d'inconnu, un être à quatre pattes – jambes ? - et possédant un corps de... dragon ? Tu n'as jamais rencontré ni même entendu parler d'un tel être dans ta vie...
Une vague image d'une lecture quelconque traverses soudain vaguement tes pensée. Une anecdote du livre de la famille. Mais il t'est impossible de t'en souvenir. Il est certain que l'homme n'est ni un animal ni un être humain... Tu songes un instant à créer un lien mental avec lui mais cela t'est impossible.

Tu sors alors de ta stupeur apparente, clignes une fois des yeux et t'adresses à lui à voix haute : « Je... Je vous prie de m'excuser, j'ai été... surprise. ». Tu marques un temps d'arrêt, cherchant tes mots, trop de questions apparaissant dans ton esprit en même temps. Tu décides donc d'aller au plus simple afin de ne pas laisser un silence gênant s'installer. Tes émotions te trahissent et ta voix se fait tremblant et hésitante. « Oui, je suis désolée pour vos... amies. Je les ai vues arriver et je ne voulais pas qu'elle me craigne. J'ai voulu leur expliquer la situation. ».
Tu t'arrêtes afin de reprendre ton souffle et observes un instant l'être majestueux en face de toi. Tu aimerais lui demander ce qu'il est et pourquoi il peut ainsi s'adresser à toi mentalement. Tu crois pouvoir conclure qu'il est le fameux Aman dont parlait Perle mais préférerais l'interroger directement. Tu souhaiterais aussi t'excuser d'avoir pénétré dans ce qui semble être sa propriété. Tu voudrais également lui demander s'il s'agit là de sa forme habituelle ou s'il peut prendre des traits complètement humains. Tu meurs aussi d'envie de découvrir ses autres pouvoirs, s'il en possède. Mais tu ne sais par quoi commencer et tu ne veux pas sembler indiscrète. Tu décides donc de répondre plus précisément à sa question. Puisqu'il est, de toute façon, non-humain, il n'y a aucune raison pour que tu lui caches ce que tu es. « Je suis une alchimiste et j'ai cette chance infinie de pouvoir m'adresser aux animaux, quand ils l'acceptent bien sûr. Et vous ? Qui êtes-vous ? » Tu croises alors le regard de l'être et tentes d'observer ses réactions. Tu lui offres naturellement un sourire un peu gêné.