Histoire
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime!
Il faisait froid, il avait neigé...
Et puis elle est partie. Je l'ai vu passer la porte d'entrée dans sa robe noire, une valise à la main, son rosier préféré dans les bras. Elle ne l'a jamais repassée après ça. C'était la dernière fois que je la voyais, la dernière fois que ma mère m'a dit bonne nuit avant d'allumer ma veilleuse. Mon père ne s'en est jamais vraiment remis, même s'il faisait comme si elle n'avait jamais compté pour lui. Il s'est mis à travailler de plus en plus tard, de plus en plus souvent. C'était devenu rare de dîner avec lui. J'ai du faire avec. Grandir avec.
Ou plutôt sans.
Monsieur Dante Boogeyman est prié de se rendre au bureau de la principale pour avoir frappé un camarade de classe. Il avait dit de la merde sur ma mère.
Monsieur Dante Boogeyman est suspendu une semaine pour avoir vendu de la marijuana dans l'enceinte de l'établissement. J'avais du temps à tuer.
Monsieur Dante Boogeyman est prié de se barrer, marre de tout ça. Tant pis pour mon diplôme.
Une vraie chance, pour une fois, j'avais pu trouver un travail. J'étais devenu apprenti tatoueur. Dessiner pendant mes cours au lieu d'écouter m'avait davantage servi qu'apprendre la trigonométrie et ces conneries. J'encrais toute la journée sur de la peau synthétique et sur celle de mes amis, de mes petites-amies, de connaissances. Finalement, j'ai pu en faire mon job, trouver un appartement minable avec ce salaire, et m'émanciper de chez moi. Je laissais derrière moi un père absent et une mère disparue, c'était pas vraiment une grande perte.
Mais je voulais plus que ça.
Certains dirons que je me lassais trop vite, mais j'ai fini par changer de ville. Je voulais voir autre chose, voir l'est du pays pour changer un peu de l'ouest et son climat aride. Je n'ai pas été déçu en arrivant. Mes économies de jeune actif m'avaient permis de trouver encore un appartement minable. J'aurais pu choisir une ville moins huppée que New York et avoir plus de vingt mètres carrés pour vivre, mais j'avais décidé de cette vie-là.
Les premiers mois, ça a été la galère permanente. À 25 ans, tout ce qui m'attendait ici, c'était un petit boulot mal payé. Barman dans un casino pourri jusqu'à l'os par les petits commerces illégaux du coin. Mais je voyais passer du monde, dont de jolies filles. C'était la partie idyllique de l'iceberg, les verres à la chaîne, la clientèle fortunée, les agréables rencontres d'un soir.
Et puis la rencontre d'une semaine.
Le coup de foudre, mais purement physique. Elle était belle, elle était faite pour moi, elle était rousse. Et moi j'étais un vrai salaud, qui les enchaînait nuit après nuit pour s'occuper. Grandir m'avait réussi. J'étais passé de cet adolescent asocial et déjà insomniaque à 1m88 de muscles et de sex-appeal. Et j'en rajoute même pas.
Ca avait démarré sur un coup d'un soir avec elle, sans m'attacher, sans imaginer plus que cette étreinte d'une nuit. Mais ça avait recommencé le lendemain, et le surlendemain, toute la semaine, tout le mois, et finalement tous les jours. Comment expliquer cette alchimie qui s'était créée avec elle... C'était comme être être en plein poker et sortir l'as qu'il manquait pour balancer une quinte flush royale en pleine gueule d'un vieux riche en train de s'étouffer sur son cigare cubain. Le rêve.
Mon rêve...
Quelques mois plus tard, j'avais appris que c'était... Une pute. C'est le terme qu'elle avait employé. Ça m'avait rendu fou de la savoir avec d'autres, de l'imaginer se faire prendre par un type qu'elle ne connaissait même pas. J'avais brisé un verre, hurlé, pété un câble. J'avais même remis ma veste dans l'espoir d'aller casser en deux la nuque d'un type dont j'ignorais même le nom. Elle m'avait retenu et m'avait expliqué la situation, son boulot dans le même casino que moi, sa clientèle choisie, et comme tout ça fonctionnait entre deux tables de Black Jack. J'avais réalisé que ce casino était une énorme usine à crimes. Des mecs se faisaient tabasser dans l'arrière salle à cause de dettes, des filles se faisaient offrir un verre avant d'offrir leur cul, des jeunes rentraient ici simplement pour serrer la main d'un inconnu avec un billet de 50 dollars et un petit sachet entre leurs doigts. C'était l'Enfer sur Terre.
Et j'adorais ça.
J'ai pris le temps de comprendre le mécanisme tordu qui se cachait derrière cette clientèle pétée de thunes. Leurs moindres envies, tout ce qu'ils venaient chercher ici. Pour les hommes, c'était simple, des femmes. Plus jeunes, plus ouvertes, et plus faciles que leurs épouses. Pour les femmes, l'important c'était de claquer tout l'argent que leurs époux leurs cédaient, simplement pour se venger et éventuellement éviter qu'ils ne se tapent une fille trop belle, trop parfaite, trop chère.
A 30 ans, j'avais fait ma place au milieu de tous ces traffics. Je dealais un peu, je faisais passer ça par des filles à qui je trouvais des clients en échange d'un petit pourcentage sur leur travail. J'étais une ordure, on peut dire ça. Mais le joyau de la couronne, je me le gardais. Juliette, ma rouquine, était passé de putain à poule de luxe. Et on vivait très bien.
On s'était mariés.
Et deux ans plus tard, elle était tombée enceinte. Un accident imprévu, ni elle ni moi ne savions où quand et comment, on savait juste qu'il était de nous. Fidélité oblige. Un petit garçon était né dans ce merveilleux bordel qu'étaient nos vies. On s'était mis d'accord pour continuer encore quelques années avant d'arrêter l'illégalité et de se poser. On avait juste besoin d'un peu de temps pour trouver un plan, des moyens, et quelque part pour s'installer.
Ca n'avait pas mis longtemps. On avait finalement décidé de partir en Californie, fonder notre famille là-bas, et simplement vivre. Mais le deuxième accident est arrivé aussi subitement que le premier: une petite fille. On venait de trouver une maison dans nos moyens, j'avais repris un travail dans un salon de tatoueur, et on apprenait qu'il allait nous falloir une chambre de plus. On avait pensé interrompre la grossesse, avorter, ou même la faire adopter, mais on n'avait pas pu. On s'était dit qu'on improviserait, qu'on a toujours trouvé une solution à tout et qu'on pourrait y arriver.
Et on y est arrivés.
Si rencontrer Juliette était comme un as au poker, là c'était comme une vingtaine d'as, toutes le quintes flush royales du monde, toutes les victoires possibles. Même mes insomnies s'étaient calmées d'un seul coup. Je ne saurais dire si c'était le bonheur qui faisait ça, ou si c'était parce que j'avais arrêter de boire tous les soirs au casino. On avait même décidé d'avoir un autre enfant, un peu par hasard. On ne forçait pas les choses et on attendait de voir ce qu'il adviendrait.
C'était parfait.
Un soir d'été, j'ai du travailler tard pour finir une pièce sur un client. J'étais fier du rendu et encrer tout un dos m'avait rapporté pas mal, il faut le dire. J'avais pris ma voiture, le chemin habituel pour rentrer chez moi, chez nous, et j'avais profité d'un feu rouge pour avertir Juliette. J'étais resté sans réponse dix bonnes minutes, sans m'inquiéter. Je l'imaginais en train de lire une dernière histoire à nos gosses, une main sur son ventre en se demandant si cette fois c'était arrivé ou pas. Ouais, j'étais un putain de poète. J'ai regardé mon portable une dernière fois avant le dernier virage.
Forcé de freiner en urgence.
Un camion de pompiers, une ambulance, des voisins attroupés. Je n'avais même pas pris le temps de me garer, j'étais descendu de la voiture dont le moteur grondait encore. Je m'étais précipité vers l'ambulance où j'ai seulement eu le temps d'apercevoir l'ours en peluche de ma fille, étalé avec elle sur un brancard. Elle était affreusement pâle, les joues noircies par de la cendre, et un type en blanc lui mettait un masque respiratoire en urgence. Mon fils était dans la pelouse devant la maison alors qu'un pompier tentait de le faire respirer artificiellement. Mais tout ce que je voyais c'était la machinerie rougie les lumières de la cendre encore rouge derrière tout ce tragique théâtre.
Il a fallu deux pompiers pour me retenir de rentrer chez moi dans les cendres qui me restaient, et toute une nuit à l'hôpital pour réaliser que le médecin m'avait annoncé la mort de mes deux enfants. Je n'avais même pas pu revoir ma femme qui elle, avait périt dans les flammes et non dans l'étouffante fumée de ce brasier. On m'avait expliqué qu'un incendie s'était déclaré dans la cuisine, ils ignoraient comment. Juliette avait été prise dans les flammes, nos enfants avaient étouffé dans leur sommeil à cause de la fumée.
Moi j'y avais échappé.
Mes insomnies sont revenues aussitôt. J'étais retourné chez moi mais il ne restait que des débris, des vestiges d'albums photos à moitié dévorés par les flammes, des bouts de tissu qui avaient autrefois été des vêtements, des jouets. J'avais récupéré les misères qui avaient survécu: des bijoux de Juliette que je lui avais offert, des dessins mal faits, les affaires m'appartenant et qui n'avaient pas brulé. Je m'estimais chanceux de posséder si peu de choses. Dans un tel moment, j'avais moins d'objets futiles à ramasser. Bien sûr, l'assurance ne couvrait presque rien et j'étais loin de pouvoir me racheter une maison avec trois chambres et un jardin de quelques mètres carrés. Je n'en avais de toutes façons pas envie.
J'étais resté à l'hôtel quelques temps, chez des amis quelques semaines. J'avais le sentiment que j'aurais du mourir cette nuit-là, avec eux, avec ma famille.
J'ai fini par m'en convaincre.
Je me sentais mort. Je ne dormais plus, je ne vivais plus, parfois j'avais l'impression que mon coeur battait, parfois non. Et c'est dans ces moments où l'on se sent déjà un pied dans la tombe que la mort frappe le plus souvent. C'est à ce moment précis qu'est arrivée une jolie blonde pleine de promesses et de silicone. On est devenus amis, discutant fréquemment autour d'un verre. J'en oubliais un peu Juliette et mes déboires. Je lui racontais mes envies de partir, elle me parlait de sa vie à Ottawa, au Canada. Tout s'est étrangement vite enlacé à partir de là. Mon nouveau projet? Partir là-bas, avec elle, et me refaire une vie en laissant derrière moi toutes les merdes qui m'avaient mis plus bas que terre. Elle m'avait montré des photos de son appartement étrangement aseptisé, comme un appartement témoin qui ne demandait qu'à être enfin habité pour devenir vivant. Mais ce projet me plaisait, j'entrevoyais à nouveau le bonheur au loin.
Et puis elle m'a mordu.
On était à peine arrivés chez elle, à Ottawa, que je m'étais fait bouffer comme du bétail. J'avais déjà entendu parler des monstres quand j'étais gosse. ma mère me racontait des contes à ce sujet. En grandissant, j'avais réalisé que les monstres ici bas ne sont pas sous nos lits mais dans nos têtes. Et les miens sont devenus plus envahissants encore après ce soir-là.
J'ignore ce qui lui avait donné envie de s'en prendre à moi. j'y ai pourtant songé les nombreux jours suivants pendant que je me tordais de douleur chez elle. Je trouvais l'insomnie douloureuse, mais ce n'était en rien comparable à ces jours de vraie torture. Quand j'ai commencé à aller mieux, elle m'a à peine laissé quelques jours de repos avant de décider que je devais mourir. Je me remettais à peine à vivre sans sentir mon sang me brûler de l'intérieur et mon coeur frapper mes os à chaque battement. Je croyais qu'elle avait changé d'avis, que quoiqu'elle m'ait fait, elle le regrettait.
J'avais tort.
Le venin, ce n'était que le prélude, la partie facile. Je lui avais hurlé de me laisser, que j'allais partir d'ici et reprendre ma vie loin d'elle. Elle avait hurlé plus fort encore avant de me regarder droit dans les yeux. Ce soir-là, elle n'avait jamais été aussi douce avec moi. Elle m'avait parlé comme une mère parlerait à son enfant pour lui expliquer quelque chose de grave. Elle m'avait parlé de créatures, de sang, de ce qui coulait dans mes veines présentement. Elle m'avait même montré ses ailes. Quelque chose dans sa voix m'avait calmé suffisamment pour que je ne m'affole pas de ces étranges déclarations. Quand elle parlait, c'était comme si tout faisait sens et que ses décisions étaient logiques, sensées, et bienveillantes.
On est partis faire un tour, discuter de tout ceci. Elle voulait avoir mon ressenti, mon avis sur la question, bien qu'il arrive trop tard pour changer quoique ce soit. Elle avait une fascination pour les vieux bâtiments, les monuments, et les églises. On a marché jusqu'à un vieil immeuble du début du siècle dernier, et on est allés sur le toit, juste pour voir la vue. C'était sûrement illégal, mais qu'importe.
Je profitais de ce tableau quand elle m'a poussé dans le vide.
Je me suis fracassé le crâne des dizaines de mètres plus bas, mourant sur le coup. Je ne saurais expliquer ce qu'il s'est passé, et comment tout ceci a pris sens, mais je me suis réveillé de cette mort prématurée chez elle. Intact. Elle m'avait laissé les clés de son appartement, ainsi qu'une note disant qu'elle me le cédait et qu'elle reviendrait un jour.
Je l'attends toujours...
L'appartement, ça m'a beaucoup aidé, je dois le reconnaître. Mais j'avais besoin d'un travail pour payer tout le reste. Et vues mes qualifications, je ne risquais pas de trouver grand chose. Mais dans mon malheur, j'ai eu un semblant de chance: un bar en ruines. Au début, j'ai postulé là-bas comme barman. Je m'étais fait la main il y avait longtemps de ça et je savais faire un joli panel de cocktails. J'ai sans doute du faire peur au gérant qui m'a engagé sans rien demandé.
Et qui a eu une crise cardiaque une semaine plus tard...
J'avais l'impression de semer la mort autour de moi. Mais, sans descendance et avec un bar dans un état déplorable, personne n'était là pour récupérer les ruines de l'établissement. À part moi. Je me suis donc retrouvé, mort, au Canada, avec un appartement vide et un bar délabré.
Mon après-vie commence décidément très bien...
TON PRENOM Boogey, ou Ace, comme ça vous branche.J'aime les pommes. Mais j'aime surtout Batman, Disney, les films d'horreur (enfin essentiellement les vieux slashers et ce défunt Wes Craven, tu vois le délire), Baudelaire, la peinture. Je graph un peu, je dessine pas mal, je fais des études là-dedans, et je mange pas de viande.
Ca fait un petit bail que j'ai pas fait de RP, surtout sur un nouveau forum et avec un perso qui n'est ni nécrophile ni nécrophage alors c'est bien, ça me change.
(Et avant d'avoir des questions, j'ai adoré The Walking Dead jusqu'à la saison 4. Le reste n'existe pas pour moi.)