C'était là, au fond de ses os, tordus jusque dans la douleur. Une énième remarque d'un sous-chef à cran, comme une cerise véreuse sur un gâteau moisi. Et la certitude qu'elle allait péter un câble. Littéralement. Se jeter à la gorge de ce petit con qui devait bien avoir trois ans de moins qu'elle et se prenait pour un crack - ho mec, t'es juste sous-chef d'équipe d'un MacDo, pète un coup. La journée l'avait presque rendue folle. Les clients infects s'étaient succédés. Y'a des jours comme ça où le monde a envie de te mordre les mollets comme le clébard à mémé et ne te lâche plus. Elle allait tous les buter ?
La Louve affleurait, modifiant son caractère habituellement docile. Alors quand on lui fit l'énième réflexion de la journée, elle sut qu'il fallait qu'elle parte. Tout de suite. Elle avait balancé son badge à la tronche du merdeux et son tee-shirt, parfum frite/graillon et avait déboulé en trombe dans le vestiaire, pour sortir par l'arrière, oubliant son blouson, chopant juste son sac à la volée.

Les conséquences de tout ça, elle s'en foutait, il fallait juste qu'elle se barre. Dans un endroit le plus désert possible. La louve explosait, elle dut serrer les paumes jusqu'à se faire saigner, sentant ses doigts se tordre en une douleur impossible à décrire, comme si ses os se déplaçaient et se brisaient. La dernière crise remontait à des années. Elle n'en pouvait plus. Comment tenir dans ce monde abruti ? Tout finissait par lui renvoyer à sa différence, à sa folie. Elle ne pleurait même pas, elle était bien trop en colère. Ca bouillait, là dessous, comme le chaudron de l'Enfer.
Elle se mit à courir, cherchant une échappatoire à ces immeubles, aux voitures, aux passants. Elle courut, jusqu'à perdre la notion du temps, quittant progressivement la ville, les pavillons remplaçant les buildings. Finalement, elle se sentit tomber, comme si les os de ses jambes se brisaient. La douleur était telle qu'elle rampa pitoyablement pour s'abriter derrière une benne à ordure. Par chance les lieux semblaient désert. Elle avait trop mal pour vraiment y penser, sentant son corps se modifier jusque dans sa structure même. De la lave en fusion semblait couler dans ses veines et ses os étaient incapables de la porter, brisés et ressoudés, jusqu'à ce qu'il ne reste de Merry qu'une louve grise couchée sur le ventre, poussant des gémissements plaintifs.

Puis ce fut finit. Aussi brusquement que cela avait commencé. Elle retrouva la sensation de ses pattes solides et sûres, de toutes ces odeurs, de cette vision déformée, si loin de celle qu'elle avait en temps qu'humaine.
La louve partit en courant, sa queue battant dans son sillage, éprise de cette liberté que chérissait en secret Merry.
Elle trouva bientôt le grand parc d'Algonquin, la truffe levée, galopant sur l'herbe. Les rares promeneurs ne virent peut-être en elle qu'une race de grand chien qui ressemblait à un loup mais elle ne croisa bientôt plus personne, s'éloignant le plus possible de la ville, s'arrêtant un instant pour hurler sa joie.

Ses foulées étaient amples, souples. Alrun courait dans l'Algonquin provincial park, coudes près du corps, soufflant sans effort entre les foulées. La douleur dans ses côtes était encore présente, mais bien moins que quelques jours auparavant. On percevait à peine les cicatrices sur ses flancs, s'estompant plus vite que la normale. Elle avait recommencé à courir, puis à danser quelques jours auparavant. Mais elle ne s'autorisait pas encore à combattre. Elle voulait se préparer pour sa nouvelle rencontre avec son adversaire de la dernière fois, un ours imposant, qui l'avait presque tuée, et l'aurait fait si la police n'avait pas débarquée, faisant fuir tout le monde comme une volée de mouches.

Son amie Alchimiste avait du beau travail, pansant ses blessures. Ce qui s'était passé ensuite n'était que du fait de la peur d'Alrun de perdre sa liberté. Il faudrait bien qu'elle envoie un message à Beth pour s'excuser ? Ou pas... après tout, c'était elle qui l'avait cherchée.

Alrun accéléra le pas, respirant plus fort, serrant les poings, bien décidée à ne pas laisser la louve prendre le dessus cette fois, sans qu'elle ne demande quoi que ce soit. Non mai !

Soudain, un hurlement au loin la fit stopper net sa course et tendre l'oreille. C'était une voix qu'elle ne connaissait pas. Des loups dans le coin, elle en avait croisé beaucoup, elle connaissait le hurlement de chacun. Il y avait un nouveau loup en ville... ou plutôt une louve. Elle sentit son totem gratter et couiner contre sa cage de chair humaine, grattant frénétiquement pour sortir et aller à la rencontre de cette nouvelle dont elle voulait faire la connaissance. Il le fallait. Alrun se demanda bien pourquoi, elle la solitaire, pourquoi soudain, voulait-elle aller à la rencontre d'un congénère ?

Soudain, elle fut prise d'un doute. Et si... ?

-Tu crois ? se dit-elle pour elle-même, à voix haute. Elle était seule sur le chemin, et de toute façon, elle se fichait de savoir si on la prendrait pour une folle.

Reprenant sa course un peu plus vite, elle courut vers l'endroit d'où venait le hurlement. Puis se fut le silence. Et elle la vit, debout, aux aguets, la queue battante. Elle la regarda lever le nez vers la lune montante et eut un rictus amusé. Puis un sourire franc, et enfin un rire sincère. Sa gorge se noua, ses yeux la piquèrent. Etait-ce vraiment elle, depuis tout ce temps ? Il émanait de la louve une odeur caractéristique, la même que la sienne, la même que son père. L'odeur des vikings. Se pourrait-elle qu'elle l'ait enfin trouvé, ou son imagination lui jouait-elle un mauvais tour ?

Si elle regardait dans sa direction, la jeune louve ne pouvait pas la manquer. Alrun plissa les yeux et pris sa décision. Elle souffla profondément pendant plusieurs secondes et laissa sa louve prendre le dessus. Ce n'était plus arrivé depuis le combat, et elle se demandait si la douleur serait plus importante dû à ses blessures, mais elle s'en fichait. Là maintenant, c'était l'autre qui comptait plus qu'elle-même. En quelques secondes, la peau d'humaine coula au sol pour disparaître aussitôt, et le corps transformé était recouvert d'une épaisse fourrure grise aux tâches plus foncées à certains endroits.

Alrun resta face à l'autre un moment, sans bouger, la tête bien haute, altière, les oreilles pointées vers l'avant. Son regard jaune était planté dans celui de l'inconnue et il émanait d'elle une certaine aura. C'était plus fort qu'elle, elle voulait la dominer. Pas pour la rabaisser, mais pour la guider, la prendre sous sa protection. Elle s'avança timidement d'une patte, et d'une autre, sentant l'herbe humide sous ses coussinets. Elle s'arrêta à quelques mètres de l'autre louve dans une attitude calme et posée, la queue caressant doucement l'air dans son dos, décontractée. Mais tout son corps était tendu, d'excitation.

Etait-ce vraiment sa petite soeur qu'elle cherchait depuis dix ans ? ! OU une simple intruse sur son territoire ?

La louve avait levé la truffe, frémissante, vers le ciel nocturne. Les odeurs des arbres lui parvenaient, toutes différentes et elle caracola un peu, en petits bonds de joie, savourant la sensation incroyable de l'herbe sous ses pattes, les fragrances de ce monde ouvert à ses jeux. Ses flancs frémissaient d'excitation, sa queue battait. Elle avait son poil d'été, la rendant plus maigre d'aspect, la fourrure plus rase collant à ses flancs.
Elle allait s'élancer, le cœur empli de cet appel silencieux de liberté quand une odeur la troubla dans son dessein. La louve se tourna, oreilles pointées en direction d'Alrun, d'abord curieuse de cette odeur qu'elle n'avait pas identifiée, avant de se figer, sur le qui-vive, les muscles bandés comme pour fuir. Devant elle une humaine à l'odeur étrange.
Surprise, Merry fixait la fille sans trop comprendre, songeant qu'elle devrait fuir, pour ne pas qu'on appelle les flics parce qu'un loup rôdait dans le coin. Mais cette inconnue était bizarre. Elle ne cria pas, ni ne se rua sur son portable. Et, sous ses yeux médusés, elle vit pour la première fois de sa vie ce qu'elle-même subissait parfois.

Elle fixait l'humaine en train de se transformer sans en croire ses yeux. Si elle n'avait été sous cette forme, peut-être en aurait-elle pleuré d'émotion. Est-ce que c'était encore une illusion ? Est-ce qu'une autre personne venait de se changer en loup devant ses yeux ? Elle resta figée, intriguée, partagée entre la fuite et l'incrédulité, regardant l'autre loup - louve, à l'odeur - s'avancer vers elle. Merry se lécha le museau, stressée, la gueule ouverte sur un halètement inaudible.
L'odeur qui lui parvenait avait quelque chose de familier et elle couina malgré elle.

L'attitude de l'autre avait quelque chose de dominant auquel la jeune fille ne savait comment répondre mais la louve, elle, savait. L'échine basse, elle se laissait approcher, queue entre les pattes, museau bas. Elle couina de nouveau, doucement. Son regard baissé, à l'image de son corps soudain abaissé, comme pour se faire plus petite. Elle ne voulait pas se battre. Mais elle n'avait étrangement pas peur de cette louve inconnue. Jappant gentiment, elle laissa sa queue battre ses flancs, emplie d'un drôle de contentement inexplicable alors qu'elle sentait plus précisément l'odeur de la nouvelle venue. Pourquoi Merry avait-elle à ce point envie de pleurer ? Une émotion inexplicable nouait la gorge du loup, née de ses sentiments humains affleurant sous la bête.

Méfiante mais soumise, partagée entre une excitation de louve face à un congénère et la peur d'une humaine face à une semblable, elle se laissait approcher, finissant par flairer le pelage de l'autre louve, poussant des petits couinement de contentement. Elle sentait comme elle. C'était bizarre et déroutant. La louve savait avoir affaire à une membre de la meute quand Merry ne savait rien du tout - elle n'avait jamais vu quelqu'un d'autre se changer en loup et n'arrivait toujours à dire si elle rêvait, hallucinait ou si c'était bien réel...
Merry aurait voulu parler mais sous cette forme... La Louve prenait le dessus, choisissant pour elle - c'était une sensation presque reposante - et elle finit pas accepter de se laisser aller, léchant le museau de l'autre en jappant de joie, la queue battant furieusement ses flancs. Il y aurait peut-être le temps, plus tard, pour les questions d'humains, non ?

Elle approcha encore de quelques pas et se retrouva, museau à museau avec la jeune louve, qui se tenait queue et tête basse, en soumission. Alrun gonfla le poitrail comme pour se grandir encore, avertissant sa congénère qu'elle avait la bonne attitude et que tout se passait bien pour le moment. Elle regardait devant elle, le long de la ligne de dos de l'autre, puis un point au loin, sans vraiment rien regarder de précis. Elle sentit alors la langue de l'autre lui lécher les babines, en signe de recherche d'approbation, pour qu'elle s'occupe d'elle et Alrun se laissa faire. Sa louve était sûre maintenant. C'était elle, à l'odeur, aucun doute. C'était bien elle. Elle cligna des yeux, en douceur, en l'entendant japper. Si elle avait été sous forme humaine, elle en aurait pleurer.

Elle aurait tant aimé entendre ses jappements de jeunes loups quand elles étaient elles-mêmes enfants. Mais leur mère les avait privé de se loisir et de se lien si important. A présent, elles avaient tout à construire. Et pour le moment c'était encore mieux que ce qu'Alrun avait imaginé.

Répondant à sa soeur, la louve se mit soudain en mouvement, s'abaissant sur ses pattes avant, la croupe relevée, la queue battante dans une invitation au jeu. Elle se redressa soudain et fit mine de mordre l'autre louve au museau pour la provoquer. Puis elle courut dans l'autre direction et s'arrêta pour se retourner vers elle. Elle l'invitait à la suivre pour une partie de chasse imaginaire, une course en totale liberté, de totem à totem. Elle ne pensait pas encore au moment où elle devrait reprendre forme humaine et faire réellement connaissance avec la jeune femme. Pour l'heure, elle laissait sa louve apprivoiser l'autre, laissant faire la nature.

En toute chose, malheur est bon, songeait l'humaine, proche de l'autre louve, se sentant étrangement bien. Libre. Cette forme avait des vertus précieuses. La douleur de la transformation valait bien la précieuse liberté qui l'appelait dans ce joli crépuscule.
Déjà la seconde louve grise faisait mine de la mordre, dans une posture de jeu, cherchant à s'amuser, comme les deux animaux qu'elles étaient à cet instant. Alors Merry laissa faire, abandonnant à l'instinct de sa nature, laissant couler le monde et son humanité sous la fourrure frissonnante.

La plus jeune louve jappa joyeusement, sautillant un instant sur place, langue sortie, la queue fouettant l'air alors qu'elle s'élançait d'un bond, dérangeant les brin d'herbes. A la poursuite de cette sœur reconnue d'instinct sans qu'il n'y ai rien de tous les tourments humains. Juste la simplicité de l'instant précieux. Elle coursait l'autre louve, courant à toute allure, sautant quelques racines et souches, l'herbe haute et le lierre fouettant ses flancs, gueule béante, langue dehors, à la manière de ces chiens un peu idiots dans leurs jeux. Elle courait, sans se soucier de rien d'autre que de rattraper l'autre éclair de fourrure argenté qui se faufilait entre les troncs avec la même aisance qu'elle.

Au hasard du jeu, elle la rattrapa, faisant semblant de la mordre au flanc, uniquement par jeu. D'une charge, elle fonça dans le flanc de sa soeur, pas assez pour faire mal mais la déstabilisant pour rouler, fourrure contre fourrure, dans l'herbe et la terre, emportées par leur poids et la vitesse. Les deux canidés finissant cul par-dessus tête au milieu des bois.

Grognant et jappant de joie, Merry poussait sa sœur, luttant avec elle sans complexes dans un jeu de louveteaux. Elle n'avait jamais connu ce genre de jeux. Elle était une louve solitaire, sans meute ni repaires. Pourtant la bête sous la peau de femme savait comment faire et la poussait à cette innocente confrontation qui n'était qu'un simulacre de bagarre, fait de grondements, d'échines hérissées et de mâchoires qui claquent sur le vide, pour se provoquer sans se faire de mal. Coup de pattes et de museau, se rouler dans l'herbe et les feuilles de l'automne passé, le poil tout ébouriffé de brindilles et d'humus. Simple jeux de loups.

Le temps passe vite, lorsqu'on est un loup, lorsque la liberté est belle comme un ciel étoilé et que le monde se réduit à nos jeux. Ce temps, précieux, volé au monde, avait quelque chose de magique. Il était si facile finalement, de ne plus vouloir revenir. De rester pour toujours dans cette confortable enveloppe. D'abandonner l'humanité comme l'on abandonne les contraintes, seulement devenue un loup.

Finalement, couchée dans le sous-bois, Merry haletait, ses flancs se levant et s'abaissant à toute allure. Fatiguée d'heures de jeu, mais le cœur en liesse. C'était facile d'oublier que l'on était une humaine. Si c'était un rêve, alors il était si doux qu'elle ne voulait jamais s'éveiller. Si c'était une hallucination alors qu'on l'enferme pour toujours à l'intérieur.
La louve avait levé le museau sur la lune et poussé un gémissement canin, fatiguée de leurs courses, pour simplement profiter de ce silence végétal. Merry savait bien qu'il faudrait redevenir humaine, tôt ou tard. Alors plutôt tard que tôt. Et que dure quelques instants de plus ce doux rêve...

La jeune louve connaissait d'instinct ce qu'il fallait faire, le comportement à avoir, les codes bestiaux. Alrun était fière d'assister à cela et fière de sa soeur. Elle se laissa aller au jeu pendant un long moment, courant, sautant, jappant comme un louveteau. Elle ne vit pas venir l'autre quand elle lui sauta contre le flanc et fut un instant sonner, secouant la tête pour reprendre ses esprits. Puis il lui sauta dessus à son tour et les deux boules de poils se mélangèrent un moment, ne formant qu'un seul être, en communion parfaite des sens, comme si elles se connaissaient depuis toujours. Elle ne s'était jamais sentie aussi sereine dans la fusion qu'en cet instant, oubliant tout ce qui faisait d'elle une femme, une humaine, abandonnant tout ce qu'elle savait à l'instinct de la louve, pour mieux apprécier ce moment.

Elles étaient couchées, les pattes avant entremêlées, après des heures à courir, sauter et se mordre sans mal. La jeune louve leva le nez au ciel et gémit un coup, comme un soupire de fatigue. Alrun leva le nez à son tour et hurla puissamment, comme pour crier au monde entier sa joie d'avoir retrouver sa soeur, de se sentir enfin complète depuis ces vingt sept dernières années. Elle entreprit de faire un brin de toilette à l'autre, léchant ses coussinets, son museau, ses oreilles. Puis elle finit par se lever, secouant sa fourrure grise pour en chasser la terre, les brindilles et les feuilles, et tête basse, se mit à renifler le sol tout en marchant. Elle releva le nez et jappa dans la direction de l'autre, pour l'inviter à la suivre, et se mit à trotter revenant sur leurs pas, retournant là où elles s'étaient retrouver au début.

Arrivée sur place, Alrun se mit à renifler le sol encore, à la recherche de quelque chose. Elle s'arrêta finalement, fouilla le sol de ses crocs, grognant de frustration ne parvenant pas à attraper ce qu'elle avait trouvé. Elle jappa un coup et retourna à sa besogne. ENfin, elle attrapa quelque chose de métallique entre ses crocs et recommença son manège envers l'autre louve pour l'inciter à la suivre encore. Elle reprit sa course pendant un moment dans le park, puis dans la ville, évitant les rares humains qui trainaient encore à cette heure, rasant les murs, prenant des rues désertes. Enfin, elle s'arrêta devant un immeuble, et après avoir regardé à droite et à gauche pour s'assurer qu'elles étaient seules, elle reprit forme humaine. Elle acheva la transformation dans un profond étirement, et introduisit une clef dans la serrure de l'immeuble. Apparemment, être nue de la dérangeait pas, à moitié dissimulée par la pénombre de l'entrée, de la porte, du couloir. Avant de refermer la porte, elle jeta un regard à la louve qui patientait sur le trottoir d'en face. D'un signe de tête elle lui fit signe de venir et attendit de voir si elle venait ou si leurs ébats fraternelles s'arrêtaient là. Elle tenait la porte d'une main, et remit une mèche de cheveux de l'autre, dégageant son sidecut et le côté de son crâne nu. Elle adressa un sourire taquin à sa soeur pour l'inviter un peu plus à venir. Elle voulait faire sa connaissance désormais, en tant qu'humaine.

En tout cas, elle la voulait près d'elle encore un peu.

Quelque chose lui dit que ce moment de confort et de joie était terminé quand elle vit que l'autre louve se levait. Le temps des questions et des réponses, sans doute ? Ce temps détesté, mais nécessaire.
Docile, malgré l'envie de rester dans cette nature apprivoisée, elle suivit sa soeur, trottant souplement. Elle lança un instant un dernier regard plein de regret en direction des arbres, quittant leur couvert. Voyant l'autre canidé chercher quelque chose, elle prit conscience que son propre sac devait se trouver quelque part non loin, reniflant l'herbe à la manière d'un chien, à la recherche de ses affaires, qu'elle trouva au détours d'un buisson. Elle avait failli les oublier là, en même temps que son humanité. La bride du sac dans la gueule, elle se remit à suivre, trottinant calmement, dans un soupir canin. Un dernier moment de regret. Une dernière hésitation avant de rejoindre l'asphalte, se faufilant à la suite de la louve alpha.

Sous ses yeux, la transformation de sa soeur la laissa songeuse. Elle semblait avoir tellement l'habitude... C'était presque facile, lorsqu'on la voyait faire. Naturel. Elle-même n'était en Fusion que pour la seconde fois, ne connaissant ni ce qu'elle était, ni ce qu'elle était capable de faire.
Tête penchée sur le côté, toute à ses pensées, la louve s'ébroua finalement pour suivre l'autre, cette fois devenue humaine, dans la pénombre de l'entrée. Son sac toujours dans la gueule, elle le laissa tomber sur le paillasson et se secoua à nouveau, du museau à la pointe de sa queue touffue, ses griffes cliquetant doucement sur le sol alors qu'elle pénétrait plus avant chez l'autre berserker, dont l'odeur imprégnait les meubles.

Finalement, sachant bien qu'elle ne pourrait rester plus longtemps ainsi, elle soupira puis amorça sa transformation, sentant de nouveau ses os se déplacer, se briser et se souder à nouveau, dans une douleur qui coulait dans ses veines comme un métal en fusion. Elle quitta cette dépouille de loup pour redevenir humaine, ouvrant ses grands yeux bleus sur un monde aux couleurs plus chatoyantes mais infiniment plus terne, au final. Quitter sa forme de Louve lui fila le cafard, rattrapée par ses problèmes d'humaine, par son existence banale et triste. Nue elle aussi, elle se sentit gênée face à cette femme finalement inconnue, presque plus aussi familière, à présent.

"Hum, t'as des vêtements ?" Fut la première chose que dit Merry, en rosissant un peu. Sa voix était un peu enrouée, la gorge serrée de cette émotion curieuse. Bras croisés sur la poitrine ses cheveux châtain foncé lui tombant devant les yeux, elle semblait toujours un peu boudeuse et sur le qui-vive. Elles devaient parler assurément, mais avant, c'était un peu gênant d'être aussi nues, cette fois sans fourrure.

La suite là-bas