Antonin enfilait, ce soir-là, son septième scotch sec, avalé d’une traite, mais l’ivresse refusait de venir à lui, ce qui le frustrait plus que de raison. Trop habitué à l’alcool, il devait en boire des quantités quasi-industrielles (enfin, on s’entend) pour réussir à éprouver ce si libérateur état d’ivresse. Raison pour laquelle, bien des années plus tôt, il était passé à la consommation de drogues plus ou moins dures. Vu son rythme de vie, on pouvait s’étonner de sa bonne santé générale, surtout de celle de son foie. Heureusement pour Antonin, sa nature d’alchimiste lui avait permis de mettre au point une potion protégeant ses organes des ravages de ce genre. L’une de ses plus grandes découvertes, qu’il gardait jalousement d’ailleurs. Puis il préférait se vanter d’autre chose que d’une potion « prévention cirrhose ».

— Un autre.
— Eh mon gars, c’est ton huitième, t’exagère un peu je crois.

Il leva les yeux vers le barman, plantant son regard gris dans le sien. Agressif, il rétorqua :

— J’ai l’air bourré ? Réponds-moi franchement.
— Bah… Le barman hésita. Non, t’as pas l’air bourré, mais ça veut rien dire.

Antonin se leva, ses réflexes et son équilibre paraissant tout à fait normal. En réalité, il se sentait un peu engourdi mais était bien loin de l’état dans lequel il aurait souhaité se trouver.

— Je marche droit, j’articule, je tiens un discours cohérent, donc commence pas à me casser les burnes et ressers-moi jusqu’à ce que je m’écroule sur ton putain de comptoir.

Le barman hésita, soupira, puis lui versa un autre verre. Connard, songea l’alchimiste. Non mais de quoi il se mêle, sérieux. Je lui ai pas demandé son numéro de sécu, putain quoi. Il continua de pester intérieurement en descendant un autre verre, quand il sentit un regard fixé sur sa nuque. Dans un premier temps, il ne réagit pas, cherchant à apercevoir le propriétaire des yeux dans la baie vitrée, mais l’amoncellement de bouteilles en tous genre l’empêchait de distinguer ses traits correctement. Ses capacités d’alchimiste lui permettaient d’avoir une conscience aigüe de son environnement et donc de savoir quel genre de personnes fréquentait ce bar. Beaucoup d’humains, mais pas que. Il ne voyait pas les auras à proprement parler, par contre il ressentait très bien le berserker et le soupçonnait d’être le responsable de ce regard inquisiteur.

Prenant une décision sur un coup de tête, Antonin se retourna sur son tabouret pour le fixer. Il était assis, tout seul, à une table un peu plus loin et ils se toisèrent. Celui-là, il le connaissait bien. Ce flic semblait croiser sa route un peu trop souvent ces dernières années, mais il fallait avouer qu’Antonin avait le don pour se mettre dans des situations dangereuses. Le plus souvent à dessein, d’ailleurs, espérant une stimulation suffisante pour réitérer le miracle de son accident de voiture. Du coup, cela se soldait souvent par des cadavres autour de lui et des interrogatoires plus ou moins musclés, sans jamais aucune poursuite. Antonin ne frappait jamais lui-même : il utilisait son pouvoir, contrôlant une victime pour en tuer une autre, le plus souvent pour se défendre. Le crime parfait. Mais cet inspecteur-là était moins bête que la moyenne et soupçonnait quelque chose. Difficile de savoir s’il connaissait sa nature d’alchimiste, l’archéologue aurait d’ailleurs parié que non.

Ils se toisèrent une bonne minute, puis Antonin se leva, sans oublier d’emporter son verre à moitié vide. Il se glissa sur la banquette, le cuir grinça contre son pantalon en jean noir. Ses cheveux grisonnants étaient ramenés en arrière, son haleine sentait évidemment le scotch, malgré l’absence d’ivresse. Heureusement, il n’avait pas de drogue dans les poches de sa veste en cuir et son t-shirt claironnant son amour pour Ozzy Osbourne ne le rendait absolument pas suspect. Sa carrure athlétique, il la devait à la nécessité de s’entretenir physiquement, forcé parfois qu’il était de piquer des sprints pour échapper aux ennuis. Quant à son teint blafard, il n’était qu’une conséquence de sa vie d’érudit, doublée par celle de nocturne.

— Vous êtes déjà là, inspecteur ? Mince, vous avez une heure d’avance, plaisanta-t-il.

Un peu d’humour noir n’a jamais fait de mal à personne.

— Un verre, pour patienter ?